L’organisation juridique de l’immeuble réversible

L’organisation juridique de l’immeuble réversible

Le besoin d’une organisation juridique au sein d’un immeuble réversible ne se conçoit qu’à compter du moment où il est sujet à pluri propriété. La question requiert du rédacteur la plus grande attention, puisqu’il faut traiter d’une part la coexistence possible de plusieurs destinations différentes d’un niveau à l’autre, et d’autre part celle de leur évolution.
À ce jour, deux modes d’organisation peuvent être utilisés. Il s’agit de l’organisation en copropriété (§ I) ou de celle en volumétrie (§ II).

La soumission au régime de la copropriété

La copropriété doit être adaptée à la spécificité liée au caractère réversible et évolutif du bâtiment et des lots qui le composeront.
L’intérêt d’un bâtiment réversible étant justement de permettre son évolution avec le moins de travaux et de contraintes possibles et à moindres frais, il serait préjudiciable que le statut de la copropriété vînt y faire obstacle.
Trois points d’attention nous semblent, à cet égard, devoir être signalés. Le premier relatif au règlement de copropriété (A), le second à l’état descriptif de division (B), le dernier à l’affectation des tantièmes et à la répartition des charges (C).

La réversibilité dans le règlement de copropriété

Dans le cadre d’un bâtiment réversible, c’est essentiellement sur la clause de destination de l’immeuble que l’attention doit se porter.
Tout faux-pas dans sa rédaction ne pourra, en effet, être corrigé que par une délibération de l’assemblée générale des copropriétaires statuant à l’unanimité.
Elle devra donc être rédigée de la manière la plus large possible, mais en évitant de la rendre trop imprécise, ce qui lui ferait courir le risque d’une interprétation par les tribunaux. Opportunément, le 114e Congrès des notaires de France a proposé un modèle de clause de destination favorisant la multifonctionnalité et qui peut être transposé à nos propos.
Bien évidemment, le règlement de copropriété ne devra pas stipuler que le changement d’affectation d’un lot est soumis à autorisation de l’assemblée générale, mais au contraire qu’il sera libre dans la limite des règles impératives s’appliquant au statut de la copropriété.
Enfin, un point de vigilance est propre aux principes constructifs d’un bâtiment réversible, au sujet des niveaux de rez-de-chaussée et R+1. En effet, d’après ces principes, ces deux niveaux doivent pouvoir être reliés l’un à l’autre. Il est donc important de prévoir que le plancher qui les sépare est exclu des parties communes, évitant ainsi, en cas de percement, le recours à une autorisation d’assemblée générale.
Outre le règlement de copropriété, l’état descriptif de division devra lui aussi faire l’objet d’une rédaction particulière.

La réversibilité dans l’état descriptif de division

De jurisprudence constante, l’état descriptif de division n’a pas de valeur contractuelle ; il n’est qu’un document technique destiné au service de la publicité foncière. Pour autant, son auteur devra prendre soin d’adopter une rédaction permettant aux lots de basculer d’un usage à l’autre dans le respect de la destination générale de l’immeuble réversible.
Il sera donc possible d’adopter une description « généraliste » des lots (par exemple : un local) et d’y ajouter éventuellement les usages alternativement possibles, à l’image de ce qui aura été rédigé pour la destination générale de l’immeuble. Il conviendra inversement d’éviter des termes « marqueurs » (tels que : un appartement, un bureau, un local commercial…).
Parce que devant intégrer la quote-part de parties communes propre à chaque lot, se pose alors la question des règles de leur calcul et leur répartition, de même que pour les charges.

La réversibilité, tantièmes de copropriété et répartition des charges

Calcul et répartition des tantièmes de copropriété

Le mode de calcul et de répartition des quotes-parts de parties communes est réglé par l’article 5 de la loi du 10 juillet 1965. La détermination de la valeur relative du lot, telle que prévue par le texte, ne tient pas compte de l’utilisation dudit lot. Cependant les critères énoncés ne sont que supplétifs de la volonté des parties. Ces règles sont identiques tant pour les parties communes générales que pour les parties communes spéciales.
Dans le cadre d’un bâtiment réversible, il y aura donc un choix à opérer entre l’application des critères légaux ou la détermination de critères conventionnels. Ce choix aura d’autant plus d’importance qu’une fois la répartition opérée, elle sera intangible. En effet, toute modification conventionnelle dans la répartition des tantièmes de copropriété doit se faire à l’unanimité. Nous pouvons donc convenir qu’en raison de la particularité liée aux possibilités de réversion, le recours aux critères légaux paraît adéquat. Cela est d’autant plus vrai que le critère de la valeur relative, supplétif pour la détermination des quotes-parts de parties communes, devient impératif à celle de certaines de charges.

Calcul et répartition des charges

En matière de copropriété, deux catégories de charges coexistent.
Les charges générales
L’article 10, alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1965 prévoit l’obligation de procéder à la répartition des charges dites « générales » en fonction de la valeur relative du lot, c’est-à-dire en application des critères de l’article 5 de la même loi. De ce fait, il est d’ordre public que la répartition des charges « générales » ne peut pas tenir compte de l’affectation dudit lot. Sur ce point, la construction réversible est donc sans incidence.
Il est en toutefois différemment pour la répartition des charges relatives aux services collectifs et éléments d’équipement communs.
Les charges des services collectifs et équipements communs
À l’inverse de l’alinéa 2 de l’article 10 susvisé, son alinéa 1, qui traite de la répartition des charges des services collectifs et équipements communs, prend pour critère « l’utilité objective » du lot. Pour cette catégorie de charges, l’affectation du lot est donc essentielle.
Dès lors, en matière de construction réversible, une attention spécifique devra être portée sur ce point particulier. L’écueil serait de devoir recourir à une assemblée générale pour statuer sur une modification de la répartition de ces charges, à la suite d’une réversion d’usage. Il sera alors opportun d’insérer dès l’origine une clause de répartition alternative de ces charges selon l’affectation dudit lot, et notamment pour tenir compte de la réception ou non de public.
Cette clause aura également pour avantage de permettre à la copropriété et à son syndic de connaître par avance les clés de répartition de ces charges.
Parce que faisant l’objet d’un encadrement plus ou moins strict, le statut de la copropriété peut paraître rassurant en donnant le sentiment d’être « guidé ». Inversement, il est également une source importante de contentieux lui faisant alors préférer le statut de la volumétrie, lorsque cela est possible.

La soumission au régime de la volumétrie

L’organisation volumétrique d’un immeuble réversible est plus simple qu’en copropriété. Ce type d’organisation se caractérise en effet par une grande liberté, qui facilite l’organisation des évolutions possibles de l’immeuble.
Il conviendra alors de traiter les possibilités offertes par la réversibilité dans l’état descriptif de division volumétrique, le cahier des charges et servitudes en découlant et le cas échant dans les statuts de l’association syndicale chargée de la gestion des équipements collectifs.
Néanmoins (et ceci n’est pas spécifique à la construction réversible), un bâtiment structurellement homogène et, a fortiori, non doté d’une hétérogénéité fonctionnelle ne peut pas toujours être divisé en volumes. Tant que cet immeuble sera affecté à un usage autre que l’habitation, il pourra relever, volontairement, du régime de la volumétrie en application de la dérogation prévue au 2° du II de l’article 1 de la loi du 10 juillet 1965 dans sa rédaction actuelle. Toutefois, dès lors qu’une partie de l’immeuble évoluera vers un usage d’habitation, et en application de la règle de principe prévue au I du même article, ce même bâtiment devra être soumis, dans son ensemble au régime de la copropriété, mettant fin, de facto, à son organisation volumétrique, avec les conséquences induites.
En l’état du droit positif, la seule solution pour une construction réversible serait d’anticiper cette situation, en prévoyant dès l’origine le « découpage » de l’immeuble en lots mais en le dotant :
  • tant qu’il n’y aura aucun usage d’habitation, d’une organisation différente de celle de la copropriété (association de propriétaires, ASL, AFUL… et d’un cahier des charges fixant des règles de vie différentes de celles la copropriété) ?
  • puis, lorsque l’immeuble sera en tout ou partie affecté à l’habitation, d’un règlement de copropriété conforme au statut d’ordre public de la copropriété.
Cette solution permettrait d’assurer une transition plus sereine d’une destination à l’autre (dès lors qu’au moins une partie de l’immeuble aurait un usage d’habitation).
On peut aussi, bien sûr, anticiper une évolution possible de l’article 1 de la loi de 1965 permettant d’exclure de son champ d’application les constructions réversibles.
Évoquons enfin les particularités liées à la fiscalité de la réversibilité des constructions.