La construction réversible effective

La construction réversible effective

Rendre la construction réversible effective nécessite de l’appréhender dans tous ses aspects, que ce soit en termes de conception et de construction (Sous-section I), de réglementation d’urbanisme (Sous-section II), d’organisation juridique (Sous-section III) et de fiscalité (Sous-section IV).

La conception et la construction de l’immeuble réversible

Engager une opération de construction réversible correspond à concevoir un bâtiment sur le temps long. L’immeuble réversible doit être compatible avec son environnement et des aménagements urbains qui ne sont peut-être pas encore définis lors de sa conception. Mais avant tout, il doit être évolutif. Cette caractéristique première doit être prise en compte dans sa conception afin de pouvoir basculer d’une destination à l’autre à moindres frais (§ I). Par ailleurs, il doit pouvoir répondre aux normes de construction exigées par la législation (§ II).

Concevoir un bâtiment réversible

« Bien souvent les constructions sont inutilement bavardes au regard de ce que l’on attend d’elles ». Cette phrase, très poétique, d’Anne Démians résume à elle seule comment aborder la conception d’un immeuble réversible.
L’idée maîtresse de cette conception est de créer un bâtiment qui devra être le réceptacle tour à tour, d’activités (hôtels), de bureaux, de logements, de résidences services (séniors ou étudiantes) sans nécessairement connaître l’ordre ni la temporalité de ces changements d’utilisation mais avec la double nécessité que :
  • d’une part, un des usages ne doit pas être prédominant sur l’autre et ne doit pas affecter le confort d’utilisation dans l’une ou l’autre des configurations (ensoleillement, acoustique, accès…) ;
  • d’autre part, la bascule de l’un à l’autre doit se faire avec le minimum de travaux et à moindres coût.

Les conditions techniques d’une vraie réversibilité

  • L’atelier Canal architecture propose, pour la conception et la construction d’immeubles réversibles, sept principes constructifs dits de « compromis gratifiant », à savoir :1) une épaisseur du bâti de 13 mètres ;2) une hauteur d’étage de 2, 70 mètres ;3) placer les circulations verticales à l’extérieur ;4) un procédé constructif de poteaux-dalles ;5) une distribution des réseaux « universelle », sans reprise structurelle ;6) moins de 30 % des composants de l’enveloppe à modifier (façade) ;7) associer en double niveaux les rez-de-chaussée, avec le R+1 et dernier étage avec le toit.
  • Ces principes constructifs se retrouvent d’ailleurs dans la solution CONJUGO présentée dès 2015 par Vinci Construction, se voulant comme une « solution pour construire un bâtiment de bureau réversible en logement ».
  • De son côté, Bouygues Immobilier a développé « Office Switch Home », « concept de bâtiment de bureaux intégrant dès sa conception une possible transformation en logements (habitat, résidence pour étudiants, résidence hôtelière…) en un temps réduit et à moindre coût ».
  • Anne Démians a, en lien avec ICADE, créé le label « IDI » pour « Immeuble à Destination Indéterminée ». Son programme emblématique se situe sur la presqu’île Malraux à Strasbourg connu sous le nom de « Black Swans » avec une surface de 40 000 m² entièrement réversibles. Selon ses principes constructifs, la bascule d’un usage à l’autre coûterait entre 700 et 800 € / m² HT-HC.
On peut mesurer au travers de ces développements que les opérateurs de la construction sont très avancés sur le concept de la construction réversible. Cependant au-delà de sa simple conception, le bâtiment devra répondre aux exigences des normes de construction en vigueur.

Construire un immeuble réversible

Construire réversible nécessite de prendre en considération des normes constructives multiples et variables en fonction des destinations anticipées. La refonte du Code de la construction et de l’habitation, en vigueur depuis le 1er juillet 2021 a été pensée pour lever les principaux obstacles rencontrés, à cet égard, par le passé. Une nouvelle catégorie d’immeuble y a été introduite : l’immeuble de moyenne hauteur (IMH), réceptacle idéal de la construction réversible.

La nouvelle réglementation des normes au service de la construction réversible

L’a refonte du Code de la construction et de l’habitation au 1er juillet 2021 a modifié le paradigme de l’acte de construire (§ I) et anticipé celui de la construction réversible (§ II).

Le nouveau paradigme de l’acte de construire

La réécriture du livre Ier du Code de la construction et de l’habitation s’est voulue simplificatrice en modifiant l’approche de l’acte de construire, notamment au moyen des solutions innovantes du permis d’expérimenter, qui en était l’antichambre.
Désormais la construction d’un bâtiment s’articule autour des principaux axes suivants : règles générales de sécurité des bâtiments, sécurité incendie, qualité sanitaire, accessibilité et performance énergétique et environnementale. Dans chacun de ces domaines est assigné un objectif général à atteindre. Cet objectif peut être exprimé de deux manières.
– L’objectif peut, tout d’abord, être considéré comme atteint lorsqu’il a été exprimé sous la forme d’un résultat minimum, obtenu par la construction considérée.
– Mais s’il n’a pas été prévu de résultat minimum, l’objectif est considéré comme atteint lorsqu’il est fait usage d’une solution de référence (solution technique déjà définie par voie réglementaire) ou une solution d’effet équivalent (SEE, dite aussi « solution innovante libre »).
En d’autres termes, il est désormais retenu une approche d’obligation de résultat ou performancielle au travers notamment de la SEE. Cette « liberté » donnée à l’opérateur lui donne droit à l’innovation requise pour une construction réversible, notion désormais intégrée au Code de la construction et de l’habitation.

La reconnaissance de la construction réversible

La construction réversible fait son apparition dans deux dispositions du Code de la construction et de l’habitation.
– La première, et non la moindre, est l’article L. 111-1 de ce code, c’est à dire son premier article. Son 5° définit le bâtiment réversible comme : « un bâtiment dont la conception permet d’en changer l’usage, partiellement ou totalement, sans qu’il soit besoin de procéder à une rénovation importante ou une reconstruction ».
– La seconde est l’article L. 112-8 dudit code, relatif aux modalités de justification du respect des objectifs généraux : « Pour les bâtiments dont l’usage est mixte, réversible ou indéterminé au moment du dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme et pour lesquels il n’est pas possible d’appliquer les règles de construction de manière distincte aux différents usages, les solutions mises en œuvre respectent l’ensemble des objectifs généraux assignés aux différents usages du bâtiment et atteignent, lorsqu’ils sont fixés, l’ensemble des résultats minimaux ».
Le champ d’application de ce second article n’est nullement limité au cas du permis d’innover ; il apparaît donc comme le fondement d’un droit commun du régime constructif des bâtiments réversibles. On peut même relever que le législateur a largement anticipé les possibles évolutions à venir sur le sujet puisqu’il énonce aussi bien un bâtiment à usage réversible ou qu’indéterminé, alors même que l’article L. 111-1 n’en donne pas de définition…à l’inverse du bâtiment réversible.
De ce texte, on peut aussi comprendre qu’un bâtiment réversible devra respecter chacun des objectifs généraux de construction propres à chacune des destinations qu’il pourra avoir. À notre avis, en cas de règles concurrentes, c’est la plus contraignante qui devra être prise en compte dès l’origine.
Mais se pose alors la question de savoir si cette exigence ne s’appliquera qu’à la construction ou s’il conviendra d’en faire également application au moment de la réversion. Que faire, dans ce cas, si la règle a évolué ? Pareillement, on reste dubitatif sur l’utilisation du terme « d’usage indéterminé » par le texte. Comment établir que l’on respecte chaque objectif général inhérent à chaque règle de construction alors que l’on ne connaît pas ses usages possibles ? Devra-t-on respecter toutes les règles de tous les usages possibles ?
Voilà autant de questions posées mais aussi de portes ouvertes par la construction réversible. Sous réserve d’évolutions législatives ultérieures et de l’appréciation, toujours souveraine, des tribunaux, il nous semble possible de proposer les solutions suivantes :
  • quant à la date d’appréciation des objectifs généraux de construction, et dans la logique d’une construction réversible inscrite sur un temps long, nous serions d’avis de cristalliser la norme de construction au jour où elle serait autorisée et non au jour de l’exercice de la faculté de réversion. Une opinion contraire présenterait, en effet, l’inconvénient majeur de remettre en cause purement et simplement l’exercice de la faculté de réversibilité si la nouvelle norme était de nature à y faire obstacle. Il est, à notre sens, impossible de promouvoir ce nouveau type de construction sans lui assurer une stabilité dans le temps. Il serait bon, toutefois, que la loi exprimât une limite imposant que l’opération de réversion ne puisse porter atteinte à la sécurité ou la salubrité publiques.
  • Quant à l’application cumulative ou distributive des règles inhérentes à chaque usage, nous serions d’avis de retenir l’application de la règle la plus contraignante de chacun des usages possibles prévus par les textes.
La norme posant le plus de difficultés dans son articulation entre les différents usages possibles d’une construction réversible, est la norme relative à la sécurité incendie. Cet obstacle majeur est levé par la création d’une nouvelle catégorie d’immeubles : l’IMH.

L’immeuble de moyenne hauteur, réceptacle de la construction réversible ?

La difficulté liée à la norme incendie tient à la pluralité de ses sources, qui sont distinctes selon que l’on est en présence d’un bâtiment d’habitation, d’un établissement recevant des travailleurs (ERT) ou d’un établissement recevant du public (ERP). Chaque classe d’immeuble relève de règles différentes et parfois incompatibles. À cela vient s’ajouter une différenciation des normes applicables selon que l’immeuble est classé en immeuble de faible hauteur ou de grande hauteur (IGH) ; cette classification étant elle-même différente pour les immeubles d’habitation et les bureaux.
Ainsi un immeuble de bureaux est considéré comme un immeuble de grande hauteur (IGH) si son dernier plancher accessible aux secours dépasse 28 mètres, alors que pour un immeuble d’habitation le seuil est fixé à 50 mètres. Afin de pallier ces difficultés, la loi Elan a créé une nouvelle catégorie d’immeubles au sein de laquelle une harmonisation des règles incendie est prévue quel que soit son usage. Il s’agit de l’immeuble de moyenne hauteur (IMH). L’ordonnance « Essoc II » a quant à elle introduit cette nouvelle notion au sein du Code de la construction et de l’habitation.
Cependant à ce jour ce statut d’IMH est une « coquille vide » dans l’attente des arrêtés ministériels nécessaires à son applicabilité.
En parallèle de ces considérations conceptuelles et constructives se pose la question de l’articulation de la construction réversible en droit de l’urbanisme.

Urbanisme et réversibilité : vers un permis réversible

En droit de l’urbanisme le concept de permis réversible n’existe pas à ce jour. Et pour cause ! Rien n’empêche dans le Code de l’urbanisme de pouvoir changer la destination d’un immeuble à tout moment au cours de son existence dès lors que la procédure ad hoc est respectée, à savoir :
  • soit une déclaration préalable si le changement de destination n’emporte pas de travaux sur la structure porteuse ou de modification de sa façade ;
  • soit un permis de construire dans le cas contraire.
Par ses principes de conception, un bâtiment réversible, en droit positif actuel, serait plus probablement soumis à déclaration préalable qu’à un permis de construire.
Cependant, il faudra bien évidemment en outre que le Plan local d’urbanisme (PLU) autorise la nouvelle destination au sein de la zone où se situe l’immeuble lors de son changement. Or, c’est bien là que réside le cœur du problème de la construction réversible en droit de l’urbanisme.
Rappelons que la construction réversible est faite pour s’inscrire dans le temps long. C’est notamment à ce prix que l’on peut admettre les contraintes liées à ses procédés constructifs et les exigences règlementaires de construction évoquées ci-avant. Mais alors, comment faire accepter à un maitre d’ouvrage de s’engager vers la voie vertueuse de la construction réversible, s’il ne peut lui être garanti dès l’origine qu’il sera en mesure de pouvoir faire évoluer son bâtiment dans le temps (et notamment du seul fait que la règle d’urbanisme inscrite au PLU qui aurait évoluée interdirait ce changement de destination) ?
Outre cette première difficulté, le fait de devoir solliciter une seconde autorisation d’urbanisme lors du changement de destination ouvrirait nécessairement une possibilité de recours lors de la délivrance de l’autorisation.
– Face à ce constat, quelles solutions apporter à ces porteurs de projets ? – La généralisation du permis à double état, tel qu’existant à ce jour, est une solution possible mais qui ne paraît pas suffisante. En effet, comme déjà évoqué, les deux états appelés à se succéder sont définis dès l’origine, tant matériellement que temporellement, ce qui ne correspond pas à un véritable projet réversible.
La Commission pour la relance durable de la construction de logements (dite « Commission Rebsamen ») s’est saisie de ce sujet et aboutit à la conclusion suivante : « La commission estime donc que la perspective d’une relance durable de la construction devrait conduire à reconnaître la notion de bâtiments réversibles en droit de l’urbanisme en étudiant – avant d’expérimenter – la mise en place d’un permis de construire multi-destination. », avant d’apporter la proposition suivante : « étudier et expérimenter un permis de construire autorisant l’avance plusieurs destinations et sous-destinations afin de reconnaître la construction d’immeubles réversibles en droit de l’urbanisme ».
Dans la même ligne, le rapport des Notaires du Grand Paris pour un habitat accessible et de qualité prévoit en sa proposition no 13 : « généraliser, au sein du Code de l’urbanisme, la possibilité de déposer un permis à double détente ».
C’est également dans cette voie que les auteurs spécialisés semblent se diriger. Alors, face à cet « alignement des planètes » des professionnels comment penser ce « permis réversible » tant dans son objet (I), que dans son champ d’application géographique (II) et enfin sur sa durée (III) ?
L’objet du permis réversible
Il s’agit ici de circonscrire ce que pourrait autoriser un permis réversible.
Sur ce sujet deux courants divergent. Le premier envisage une autorisation « multi-destinations » alors que le second s’oriente vers un permis « sans destination ». Au premier abord, la différence ne paraît pas neutre : dans le premier cas, l’opérateur devrait choisir lors du dépôt de la demande d’autorisation de construire les destinations possibles et alternatives de son projet (mais choisir les cinq destinations actuelles équivaut à demander un permis sans destination) alors que dans le second cas, l’opérateur serait libre d’affecter et de faire évoluer sa construction.
En réalité, ce débat a-t-il lieu d’être ? Prenons en effet l’exemple de l’immeuble Haussmannien édifié depuis 150 ans. Aujourd’hui ce type d’immeuble peut tout aussi bien recevoir tour à tour du logement, des bureaux privés ou des administrations publiques. Partant de ce constat, nous pensons que le terme de « permis réversible » est plus approprié à ceux de « permis multi-destinations » ou « permis sans destination », voire « permis à destination indéterminée ».
En pratique, il y aurait lieu d’ajouter au formulaire Cerfa idoine une nouvelle case à cocher « permis réversible ». Le contrôle effectif des destinations possibles du projet se ferait dans l’obligation de respecter les normes constructives selon les possibilités d’affectation de l’immeuble requises ; le pétitionnaire devrait, à cet égard, joindre à sa demande, puis à la déclaration d’achèvement et de conformité, tous justificatifs nécessaires. S’agissant des règles d’urbanisme proprement dites, à l’instar de ce que nous proposons pour les règles constructives, il pourrait être retenu la règle la plus contraignante. À défaut, telle ou telle destination serait alors exclue.
Le permis réversible, parce qu’il pourra permettre de faire évoluer l’usage des bâtiments dans le temps et influera donc nécessairement sur l’aménagement urbain à plus grande échelle, est-il approprié à l’ensemble de notre territoire ?
La territorialité du permis réversible
À ce jour, le permis d’innover qui est le support actuel des projets de constructions réversibles n’est applicable que dans certaines zones du territoire national (OIN, GOU et ORT ) Son caractère expérimental et temporaire justifie cette limitation.
Qu’en serait-il si le permis réversible devait entrer dans le droit commun ? Nous formulons à cet égard les quelques observations suivantes :
La délivrance d’un permis réversible cristallisera, pendant une période donnée, le droit à l’évolution du bâtiment considéré. Ce type de construction, par sa spécificité, devrait donc être privilégié dans les secteurs où une concertation avec les pouvoirs publics locaux a été renforcée, et qui, de ce fait, peuvent avoir une vision à moyen ou long terme des orientations retenues en termes d’urbanisation.
C’est d’ailleurs en ce sens que les secteurs retenus par la législation sur le permis d’innover ont été jugés légitimes à recevoir de telles constructions. Il pourrait en être de même dans les zones d’aménagement concerté et/ou dépendre des orientations d’aménagement et de programmation (OAP) des PLU.
Il pourrait pareillement être intéressant de rattacher le permis réversible au Programme local de l’habitat (PLH), en tant qu’outil stratégique de programmation de l’habitat devant favoriser la mixité sociale.
En conclusion, au-delà de ces pistes de réflexions, le choix de rendre possible l’utilisation du permis réversible sur son territoire devra appartenir à l’autorité compétente qui sera chargée de le délivrer.
Reste à savoir pendant combien de temps les droits acquis nés de ce permis lui seraient opposables.
La durée du permis réversible
Les constructions réversibles sont nécessairement conçues pour être utilisées sur une longue période, leur raison d’être étant leur faculté d’évolution et d’adaptation à moindre coût. Ce sont justement ces éléments qui inciteront les opérateurs institutionnels à s’engager sur cette voie. Néanmoins, ce droit acquis à l’évolution ne saurait faire obstacle au droit de l’urbanisme.
Il y a donc lieu de parvenir à un juste équilibre entre la nécessité d’assurer la stabilité dans le temps de l’opération réversible, gage de sa réussite, et celle de ne pas contraindre exagérément l’évolution du droit de l’urbanisme. Se trouve ainsi posée la question de la durée de validité du permis réversible, à laquelle trois réponses différentes ont à ce jour été apportées :
  • un premier courant tend à considérer que la durée du permis réversible doit correspondre à la stabilité attendue des opérations d’urbanisation et d’aménagement du territoire. Dans cet ordre d’idée, une durée de validité de dix ans est proposée ;
  • un second courant estime que le permis réversible doit accompagner son titulaire pendant le temps de la « commercialisation » de l’opération permettant de basculer d’un usage à l’autre selon ses besoins. Là encore, une durée de dix années est suggérée ;
  • un troisième courant, enfin, souligne que le permis réversible doit permettre de laisser écouler le temps nécessaire à une première vie du bâtiment afin de pouvoir rendre effective, par la suite, au moins la seconde. Dans cet ordre d’idée, une période de validité de quinze à vingt ans est recommandée. Nous partageons cette appréciation, une telle durée nous paraissant adaptée au besoin de stabilité ’des opérations réversibles et gratifiant ainsi l’effort fait accompli par les concepteurs et l’opérateur au lancement de l’opération.
Par-delà même cette durée de validité initiale, ne pourrait-on imaginer (en se projetant sur le temps long) une possibilité de renouvellement du permis réversible parvenu à son terme ? Cette idée est séduisante, mais devrait être encadrée. On pourrait ainsi proposer que le renouvellement ne puisse intervenir que si le permis initial, au terme de sa durée de validité, continue de répondre aux règles d’urbanisme.
Un aspect important de la question reste alors à considérer : si le permis réversible devait entrer dans notre droit positif, dans quelle mesure influerait-il l’organisation juridique de l’immeuble issu de la réalisation ?

L’organisation juridique de l’immeuble réversible

Le besoin d’une organisation juridique au sein d’un immeuble réversible ne se conçoit qu’à compter du moment où il est sujet à pluri propriété. La question requiert du rédacteur la plus grande attention, puisqu’il faut traiter d’une part la coexistence possible de plusieurs destinations différentes d’un niveau à l’autre, et d’autre part celle de leur évolution.
À ce jour, deux modes d’organisation peuvent être utilisés. Il s’agit de l’organisation en copropriété (§ I) ou de celle en volumétrie (§ II).

La soumission au régime de la copropriété

La copropriété doit être adaptée à la spécificité liée au caractère réversible et évolutif du bâtiment et des lots qui le composeront.
L’intérêt d’un bâtiment réversible étant justement de permettre son évolution avec le moins de travaux et de contraintes possibles et à moindres frais, il serait préjudiciable que le statut de la copropriété vînt y faire obstacle.
Trois points d’attention nous semblent, à cet égard, devoir être signalés. Le premier relatif au règlement de copropriété (A), le second à l’état descriptif de division (B), le dernier à l’affectation des tantièmes et à la répartition des charges (C).

La réversibilité dans le règlement de copropriété

Dans le cadre d’un bâtiment réversible, c’est essentiellement sur la clause de destination de l’immeuble que l’attention doit se porter.
Tout faux-pas dans sa rédaction ne pourra, en effet, être corrigé que par une délibération de l’assemblée générale des copropriétaires statuant à l’unanimité.
Elle devra donc être rédigée de la manière la plus large possible, mais en évitant de la rendre trop imprécise, ce qui lui ferait courir le risque d’une interprétation par les tribunaux. Opportunément, le 114e Congrès des notaires de France a proposé un modèle de clause de destination favorisant la multifonctionnalité et qui peut être transposé à nos propos.
Bien évidemment, le règlement de copropriété ne devra pas stipuler que le changement d’affectation d’un lot est soumis à autorisation de l’assemblée générale, mais au contraire qu’il sera libre dans la limite des règles impératives s’appliquant au statut de la copropriété.
Enfin, un point de vigilance est propre aux principes constructifs d’un bâtiment réversible, au sujet des niveaux de rez-de-chaussée et R+1. En effet, d’après ces principes, ces deux niveaux doivent pouvoir être reliés l’un à l’autre. Il est donc important de prévoir que le plancher qui les sépare est exclu des parties communes, évitant ainsi, en cas de percement, le recours à une autorisation d’assemblée générale.
Outre le règlement de copropriété, l’état descriptif de division devra lui aussi faire l’objet d’une rédaction particulière.

La réversibilité dans l’état descriptif de division

De jurisprudence constante, l’état descriptif de division n’a pas de valeur contractuelle ; il n’est qu’un document technique destiné au service de la publicité foncière. Pour autant, son auteur devra prendre soin d’adopter une rédaction permettant aux lots de basculer d’un usage à l’autre dans le respect de la destination générale de l’immeuble réversible.
Il sera donc possible d’adopter une description « généraliste » des lots (par exemple : un local) et d’y ajouter éventuellement les usages alternativement possibles, à l’image de ce qui aura été rédigé pour la destination générale de l’immeuble. Il conviendra inversement d’éviter des termes « marqueurs » (tels que : un appartement, un bureau, un local commercial…).
Parce que devant intégrer la quote-part de parties communes propre à chaque lot, se pose alors la question des règles de leur calcul et leur répartition, de même que pour les charges.

La réversibilité, tantièmes de copropriété et répartition des charges

Calcul et répartition des tantièmes de copropriété
Le mode de calcul et de répartition des quotes-parts de parties communes est réglé par l’article 5 de la loi du 10 juillet 1965. La détermination de la valeur relative du lot, telle que prévue par le texte, ne tient pas compte de l’utilisation dudit lot. Cependant les critères énoncés ne sont que supplétifs de la volonté des parties. Ces règles sont identiques tant pour les parties communes générales que pour les parties communes spéciales.
Dans le cadre d’un bâtiment réversible, il y aura donc un choix à opérer entre l’application des critères légaux ou la détermination de critères conventionnels. Ce choix aura d’autant plus d’importance qu’une fois la répartition opérée, elle sera intangible. En effet, toute modification conventionnelle dans la répartition des tantièmes de copropriété doit se faire à l’unanimité. Nous pouvons donc convenir qu’en raison de la particularité liée aux possibilités de réversion, le recours aux critères légaux paraît adéquat. Cela est d’autant plus vrai que le critère de la valeur relative, supplétif pour la détermination des quotes-parts de parties communes, devient impératif à celle de certaines de charges.
Calcul et répartition des charges
En matière de copropriété, deux catégories de charges coexistent.
Les charges générales
L’article 10, alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1965 prévoit l’obligation de procéder à la répartition des charges dites « générales » en fonction de la valeur relative du lot, c’est-à-dire en application des critères de l’article 5 de la même loi. De ce fait, il est d’ordre public que la répartition des charges « générales » ne peut pas tenir compte de l’affectation dudit lot. Sur ce point, la construction réversible est donc sans incidence.
Il est en toutefois différemment pour la répartition des charges relatives aux services collectifs et éléments d’équipement communs.
Les charges des services collectifs et équipements communs
À l’inverse de l’alinéa 2 de l’article 10 susvisé, son alinéa 1, qui traite de la répartition des charges des services collectifs et équipements communs, prend pour critère « l’utilité objective » du lot. Pour cette catégorie de charges, l’affectation du lot est donc essentielle.
Dès lors, en matière de construction réversible, une attention spécifique devra être portée sur ce point particulier. L’écueil serait de devoir recourir à une assemblée générale pour statuer sur une modification de la répartition de ces charges, à la suite d’une réversion d’usage. Il sera alors opportun d’insérer dès l’origine une clause de répartition alternative de ces charges selon l’affectation dudit lot, et notamment pour tenir compte de la réception ou non de public.
Cette clause aura également pour avantage de permettre à la copropriété et à son syndic de connaître par avance les clés de répartition de ces charges.
Parce que faisant l’objet d’un encadrement plus ou moins strict, le statut de la copropriété peut paraître rassurant en donnant le sentiment d’être « guidé ». Inversement, il est également une source importante de contentieux lui faisant alors préférer le statut de la volumétrie, lorsque cela est possible.

La soumission au régime de la volumétrie

L’organisation volumétrique d’un immeuble réversible est plus simple qu’en copropriété. Ce type d’organisation se caractérise en effet par une grande liberté, qui facilite l’organisation des évolutions possibles de l’immeuble.
Il conviendra alors de traiter les possibilités offertes par la réversibilité dans l’état descriptif de division volumétrique, le cahier des charges et servitudes en découlant et le cas échant dans les statuts de l’association syndicale chargée de la gestion des équipements collectifs.
Néanmoins (et ceci n’est pas spécifique à la construction réversible), un bâtiment structurellement homogène et, a fortiori, non doté d’une hétérogénéité fonctionnelle ne peut pas toujours être divisé en volumes. Tant que cet immeuble sera affecté à un usage autre que l’habitation, il pourra relever, volontairement, du régime de la volumétrie en application de la dérogation prévue au 2° du II de l’article 1 de la loi du 10 juillet 1965 dans sa rédaction actuelle. Toutefois, dès lors qu’une partie de l’immeuble évoluera vers un usage d’habitation, et en application de la règle de principe prévue au I du même article, ce même bâtiment devra être soumis, dans son ensemble au régime de la copropriété, mettant fin, de facto, à son organisation volumétrique, avec les conséquences induites.
En l’état du droit positif, la seule solution pour une construction réversible serait d’anticiper cette situation, en prévoyant dès l’origine le « découpage » de l’immeuble en lots mais en le dotant :
  • tant qu’il n’y aura aucun usage d’habitation, d’une organisation différente de celle de la copropriété (association de propriétaires, ASL, AFUL… et d’un cahier des charges fixant des règles de vie différentes de celles la copropriété) ?
  • puis, lorsque l’immeuble sera en tout ou partie affecté à l’habitation, d’un règlement de copropriété conforme au statut d’ordre public de la copropriété.
Cette solution permettrait d’assurer une transition plus sereine d’une destination à l’autre (dès lors qu’au moins une partie de l’immeuble aurait un usage d’habitation).
On peut aussi, bien sûr, anticiper une évolution possible de l’article 1 de la loi de 1965 permettant d’exclure de son champ d’application les constructions réversibles.
Évoquons enfin les particularités liées à la fiscalité de la réversibilité des constructions.

Éléments particuliers de la réversibilité en fiscalité

À l’instar des opérations de transformation des immeubles tertiaires en logements, la réalisation d’une construction réversible s’expose à des freins fiscaux qui devront être levés (§ I). Devront également être prises en compte des particularités fiscales propres aux opérations menées en Île-de-France (§ II).

Réversibilité, TVA et plus-value

Réversibilité et TVA

L’hypothèse est ici celle d’un opérateur qui construit un immeuble réversible affecté en premier à une activité autorisant la récupération de la TVA (bureau, hôtel, résidence service ou étudiante) puis décide de sa réversion vers une activité n’entrant pas dans le champ d’application de la TVA (logement).
Généralement, cette réversion a vocation à se réaliser au cours des vingt années qui suivent la construction du fait de l’obsolescence possible qui impactera « la première vie » du bâtiment. L’immeuble ayant été bâti comme « réversible », l’opération ne nécessite que des travaux mineurs et ne peut donc être assimilée à la production d’un immeuble neuf au sens de la TVA. En revanche, selon la logique fiscale actuelle de la TVA, l’opérateur de la réversion sera tenu de procéder à la régularisation de la TVA initialement déduite, au prorata des années restant à courir pour atteindre une durée de vingt ans.

Réversibilité et plus-value

Notre propos s’attache ici à l’article 210 F du Code général des impôts que nous avons déjà eu l’occasion d’étudier.
Rappelons que ce texte prévoit l’application d’une imposition réduite sur les plus-values au profit des sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés, notamment en cas de vente d’un immeuble de bureau à transformer en habitation mais aussi en cas de vente de terrains à bâtir affectés à la construction d’un immeuble à usage d’habitation dans un délai de quatre ans.
Le bénéficie de ce dispositif ne pourrait-il être étendu lors d’une mutation immobilière aboutissant à la réalisation d’un immeuble réversible ? Il devrait alors être conditionné à un engagement de première affectation à l’habitation, sans remise en cause en cas de réversion vers un autre usage, ce afin de « récompenser » le constructeur de l’immeuble réversible.
À côté de ces règles fiscales générales, en existent d’autres spécifiques à l’Île-de-France.

La fiscalité propre à l’Île-de-France

La taxe sur la création de locaux à usage de bureaux, de locaux commerciaux et de locaux de stockage (TCBCS)

Pour la région Île-de-France, les articles L. 520-1 à L. 520-23 du Code de l’urbanisme instaurent un dispositif fiscal particulier de taxe lors de la construction, reconstruction ou agrandissement de locaux à usage de bureaux, commerce ou lieu de stockage ou en cas de transformation de locaux à de tels usages. Il s’agit de la « TCBCS ».
Son montant diffère selon l’usage (bureau, commerce ou stockage) et son lieu d’implantation (répartition en quatre circonscriptions ). Elle varie d’un montant nul (bureau ou commerce en quatrième circonscription) à un montant maximal de 426, 30 € / m² (bureau en première circonscription), dans la limite de 30 % du coût d’acquisition et d’aménagement de la surface de construction. Il existe quelques cas d’exemption.
Comment alors appréhender ce dispositif sous l’angle de la promotion de la construction réversible et, a fortiori, du logement ?
La solution la plus simple pour récompenser l’effort de l’opérateur qui choisit la réalisation d’une construction réversible serait d’exempter de telles constructions de cette taxe. Néanmoins, une telle exemption pourrait créer un effet d’aubaine, l’opérateur sollicitant un permis réversible mais n’affectant finalement jamais l’immeuble à un usage d’habitation.
Pour sa part, l’ORIE a pu proposer en 2016, un système de crédits de TCBCS conditionné à un engagement, par l’opérateur, de transformation de l’immeuble de bureaux en logements.
Pour notre part, nous proposons que le bénéficiaire d’un permis construire réversible puisse bénéficier, lors de l’opération de réversion vers de l’habitat, d’un avoir correspondant au prorata de la TCBCS acquittée lors du premier cycle de vie du bâtiment rapportée au nombre d’années restant sur la durée de validité de son autorisation, afin d’utiliser cet avoir dans une autre opération située dans la même région.

La taxe sur les bureaux (TSB)

Au-delà de la taxe instituée lors de la création de bureaux, commerces et stockages, la région Île-de-France bénéficie également d’une taxe annuelle sur les même locaux, dite « TSB ». De par sa complexité, nous ne développerons ni son champ d’application ni ses modalités d’établissement.
La question est pour nous de savoir si un immeuble réversible devrait ou non être ou non soumis à cette taxe ? S’agissant d’une taxe annuelle, et donc assise sur une affectation « effective », nous estimons qu’un immeuble réversible pourrait être soumis à cette taxe tant qu’il n’est pas affecté à une occupation permettant d’en être exempté.
Cependant, nous sommes enclins à penser que l’exemption devrait intervenir dès l’engagement effectif des travaux de réversion et non pas à compter de l’achèvement desdits travaux, comme cela est le cas actuellement.
En définitive, nous ne pouvons qu’espérer que, si le législateur s’engage réellement dans la voie du permis réversible, il le fasse sur tous ses aspects et notamment ceux fiscaux, qui restent à ce jour les plus incitatifs pour les opérateurs.
– Libres propos conclusifs : en quoi la construction réversible favorise-t-elle la production de logements ? – À cette question pertinente, nous répondrions volontiers qu’il convient plutôt de se demander : « en quoi la construction réversible ne favoriserait-elle pas la production de logements ? » ! À l’heure où les mots « résilience », « sobriété constructive », « bas carbone » et « décarbonation », « économie circulaire », « mixité sociale », sont tant mis en avant, la construction réversible ne peut raisonnablement pas être ignorée.
Certes, le modèle de la construction réversible ne sera pas l’unique solution à la crise du logement, mais il participera, avec d’autres, à la réduire. Il est incontestable que l’on ne pourra jamais contraindre à ne construire que du logement. Dès lors, s’il s’agit de choisir entre :
  • la construction d’un immeuble de bureaux tel qu’on se le conçoit aujourd’hui, qui sera obsolète dans vingt ans et nécessitera alors une déconstruction ou une reconversion ;
  • ou la construction d’un immeuble réversible, qui, après son premier cycle de vie, pourra à moindres frais en connaître un second’’, pouvant permettre son affectation à usage de logements,
Qui peut encore aujourd’hui soutenir la première option ?
Le schéma actuel de la sectorisation, voire de la ségrégation, spatiale entre l’habitat et le tertiaire, reproduit inlassablement, a manifestement atteint ses limites. Il est certain que la construction réversible ne pourra s’implanter en tous points du territoire, et qu’elle nécessitera une concertation rapprochée des opérateurs avec les élus locaux, les uns comme les autres devant en accepter les contraintes. Mais, en toute objectivité, n’est-ce pas là le sens de l’histoire ? La réversibilité apparait ainsi comme un pas décisif vers la chronotopie urbaine.