Logement et recompositions familiales

Logement et recompositions familiales

Une autre évidence sociologique de notre temps réside dans les changements de la structure traditionnelle des ménages et des familles, au gré, notamment, de la progression considérable du nombre de divorces au cours des cinq dernières décennies (Sous-section I). Un mouvement qui ne saurait rester sans incidence sur le logement des intéressés (Sous-section II).

Les recompositions familiales, une réalité démographique

Un peu moins de divorces, mais toujours autant de séparations

– Les divorces en baisse. – Croissant depuis les années 1970, et après avoir atteint un pic en 2005, le nombre de divorces était resté relativement stable jusqu'en 2010. Depuis, la tendance est à la baisse. Cela tient en partie à la diminution, désormais stabilisée, du nombre de mariages. Mais c'est surtout, selon l'Insee, le fait d'une moindre propension au divorce, que l'on observe d'une façon générale chez les couples mariés après 1990. Si ces chiffres devaient rester stables, 44 % des mariages de l'année se termineraient par un divorce. Par ailleurs, aujourd'hui, comme depuis les années 1970, le risque de divorce est maximal à cinq ans de mariage. L'interprétation de ces statistiques est cependant délicate. En effet, certains considèrent que la stabilisation des divorces est imputable au fait que ceux qui se marient le font plus tard qu'auparavant, et plus souvent après avoir vécu un certain temps ensemble. Dès lors que le mariage est vu comme l'issue d'une « période d'essai », moins de divorces ne signifie donc pas moins de séparations : la rupture n'est pas évitée, elle a seulement eu lieu avant le mariage.
Une étude de l'Insee nous donne des statistiques détaillées sur le nombre de divorces en 2014 :

Une comptabilisation malaisée

– Dénombrer ce qui reste dans l'ombre. – Il est impossible de connaître le nombre de ruptures concernant les couples officieux, puisque par définition aucune procédure ne l'accompagne ni ne l'enregistre. L'Insee a néanmoins réalisé entre 2013 et 2014 une étude sur des ruptures dans les couples « non officiels » ayant entretenu une « relation amoureuse importante qui donne ou a donné lieu à une cohabitation ». Sur la base de cette définition, ce sont en moyenne annuelle environ 253 000 couples de personnes âgées de vingt-cinq à quarante-cinq ans qui se sont rompus entre 2009 et 2012, contre 155 000 entre 1993 et 1996. Les couples hors mariage se rompent donc en nombre croissant.

Les personnes impactées dans leur mode de logement par la séparation

– Les parents se séparent, les enfants sur le départ. – Ces couples hors mariage sont souvent entourés d'enfants. Selon l'Insee, en 2021, 63,5 % des naissances en France ont eu lieu hors mariage. La rupture d'un couple non marié concerne donc statistiquement plus d'enfants qu'un divorce. Or, pendant toute sa minorité, le domicile d'un enfant est fixé chez ses parents. La rupture du couple ne concerne donc pas que deux individus ; elle se répercute sur tous ceux qui partageaient le même logement.

Les recompositions familiales, source de besoin en logement

Ainsi, et plus encore en présence d'enfants, une rupture familiale engendre de nouveaux besoins de logement. Elle agit d'autant plus que la résidence alternée des enfants est fréquemment mise en place, et ce par la volonté même du législateur (§ I). Il y a là, économiquement, un facteur de tension du marché du logement (§ II) et, en droit social de la famille, l'origine d'un inutile contentieux (§ III).

La résidence alternée, une volonté du législateur

– Un choix nouveau pour le lieu de vie des enfants. – En présence d'enfants mineurs, les parents qui se séparent disposent d'un choix. La résidence de l'enfant peut être fixée au domicile de l'un d'entre eux, avec un droit de visite pour l'autre, ou bien partagée entre les deux domiciles, sur un rythme alterné entre les deux, selon une périodicité à définir. L'exercice de ce choix leur revient à tous deux, compte tenu du fait que depuis la loi du 4 mars 2002, « la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l'autorité parentale ». La coparentalité, et avec elle l'exercice en commun de l'autorité parentale, demeure malgré la rupture du couple. À défaut d'accord entre les père et mère, il appartient au juge aux affaires familiales de décider en considération de l'intérêt de l'enfant.
– Un législateur largement favorable à la résidence alternée. – La résidence alternée de l'enfant est non seulement permise, mais promue. En effet, la loi de 2002 a souhaité briser la jurisprudence hostile de la Cour de cassation à l'égard des accords de résidence alternée. Cette solution est devenue l'option préférentielle. C'est pourquoi, pourvu que l'intérêt de l'enfant le justifie, elle peut être imposée par le juge, même dans l'hypothèse où les parents, ou l'un d'eux, s'y opposent . La mesure est, en principe, prescrite à titre provisoire, pour une durée que la décision détermine. Au terme de celle-ci, le juge peut rendre l'alternance définitive ou fixer le domicile de l'enfant chez un seul des parents, voire chez un tiers. Allant au-delà de la lettre du texte, la jurisprudence admet que le magistrat puisse ordonner d'emblée le mode alterné de résidence, sans prévoir de période probatoire à durée déterminée ; ceci en fonction des circonstances qu'il apprécie souverainement. Cette orientation législative a été confirmée par la loi du 23 juillet 2014 relative à l'égalité entre les femmes et les hommes. Elle s'est traduite dans les faits par une forte progression des décisions de résidence alternée depuis le début du siècle.

La résidence alternée, un facteur de tension sur le marché du logement

L'essor de la résidence alternée de l'enfant en cas de séparation des parents

1. Selon l'Insee, depuis qu'elle est permise par la loi, la pratique de la résidence alternée n'a cessé de croître. Ainsi, au cours de l'année 2020 en France, 480 000 enfants mineurs partagent de manière égale leur temps entre les deux domiciles de leurs parents séparés, vivant en résidence alternée ; le rythme le plus fréquemment observé étant une cadence d'une semaine sur deux chez chaque parent. De source fiscale (détermination des foyers fiscaux et des enfants à charge), on apprend que la part des enfants alternants a doublé entre 2010 et 2016, pour atteindre 2,7 % des enfants mineurs. Et selon les enquêtes annuelles de recensement, ce mode de garde d'enfants continue sa croissance, avec 3,4 % des enfants vivant en résidence alternée en 2020, contre 3,0 % en 2018 (en tenant compte du nombre de naissances corrigé).
2. En comparaison des autres parents, ceux d'enfants en résidence alternée sont davantage diplômés et sont plus souvent cadres ou professions intermédiaires. Ils sont plus souvent propriétaires de leur logement. On observe donc une concentration de la résidence alternée vers les familles les plus favorisées.
3. Par ailleurs, la résidence alternée apparaît plus développée en région parisienne, dans l'Ouest ainsi que dans une large partie du sud de la France, notamment en Auvergne-Rhône-Alpes, étant plus marquée dans les zones urbaines ou périurbaines, où le niveau de vie des parents et le taux d'activité des mères apparaissent plus élevés.
– Un effet de cycle. – Rupture et résidence alternée alimentent un cycle de consommation de logements. Là où un seul logement suffisait avant la rupture, il en faut deux après, et si possible sans en réduire les volumes puisque le même nombre d'enfants viendra y résider la moitié du temps. Il y en résulte, pour les parents, un doublement des coûts, et d'une façon générale un effet de raréfaction des logements disponibles.

La résidence alternée, une source d'inutiles contentieux

– Des modalités d'aides au logement qui ne suivent pas forcément les modalités de logement. – Or, toutes les aides permettant de faire face à ces nécessités budgétaires ne sont pas réparties entre les deux foyers. S'agissant des aides personnalisées au logement (APL) par exemple, il a fallu aller jusqu'au Conseil d'État pour le faire admettre à une caisse d'allocations. Ce n'est en effet que depuis un arrêt du 21 juillet 2017 que les APL peuvent être réparties entre les deux parents. Leur montant est déterminé en fonction du temps de présence effective du ou des enfants dans le logement de chaque parent au cours de l'année. Il en est en principe de même pour la répartition des droits au revenu de solidarité d'activité (RSA), ainsi que celle de la majoration du RSA pour enfants à charge, qui depuis cette décision devraient tenir compte désormais des enfants en situation de garde alternée. Toutefois, dans les faits, il semble que plusieurs caisses d'allocations familiales refusent encore de se conformer à la décision du Conseil d'État et continuent à verser l'aide à un seul parent (le plus souvent la mère), invoquant le principe d'unicité d'allocataire. Reste au parent « exclu » à saisir le pôle social du tribunal judiciaire.
Par ailleurs, toutes les prestations autres que les allocations familiales (prime de déménagement, prêt à l'amélioration de l'habitat, pour ne citer que celles en rapport direct avec le logement) ne seront accordées qu'à un seul parent. La plupart du temps, faute d'accord entre les deux intéressés, elles sont versées à la mère, les enfants ne pouvant être déclarés, aux yeux de la caisse d'allocations familiales, qu'auprès d'un seul allocataire. Ce principe d'« allocataire unique » prive de nombreux parents isolés du versement de la moitié de l'aide qui devrait leur revenir. Ils se retrouvent ainsi en difficulté, devant par exemple faire face à des situations d'impayés de loyers..
– Une argumentation défaillante des CAF. – Pour leur défense, les caisses d'allocations familiales invoquent des motifs informatiques : leurs logiciels ne permettraient pas de partager les droits aux allocations qu'elles servent, contraignant les agents à réaliser l'opération manuellement. Cet argument ne manque pas de surprendre si l'on fait la comparaison avec l'adaptabilité dont ont fait preuve d'autres administrations. De plus, il contrarie l'article L. 583-1 du Code de la sécurité sociale qui fait obligation aux organismes débiteurs des prestations familiales d'assurer l'information des allocataires sur la nature et l'étendue de leurs droits. On pourrait même y voir une pratique discriminatoire à un double titre : non seulement à l'égard du parent écarté injustement du versement des aides, mais aussi à l'égard des couples séparés ayant choisi pour leurs enfants un mode de résidence alternée.
– Des critiques unanimes. – C'est pourquoi, par décision du 30 septembre 2020, le Défenseur des droits a invité les caisses à remédier à cette anomalie. De même, la jurisprudence judiciaire semble rejoindre la jurisprudence administrative. Dans une procédure opposant une réclamante à une caisse d'allocations familiales, le tribunal judiciaire de Melun a rendu le 15 janvier 2021 une décision similaire à celle prononcée par le Conseil d'État cinq ans plus tôt.