L’extension de la maîtrise d’ouvrage : les bailleurs sociaux vendeurs en l’état futur d’achèvement

L’extension de la maîtrise d’ouvrage : les bailleurs sociaux vendeurs en l’état futur d’achèvement

La hausse du coût du foncier et les obligations de mixité sociale, urbaine et de résilience imposent, même aux organismes HLM, de réaliser des opérations mixtes sur les fonciers qu’ils maîtrisent, soit pour les avoir déjà en patrimoine, soit pour les avoir acquis à l’amiable ou par voie de préemption par exemple. Ces derniers peuvent alors intégrer et concevoir, dès le départ, qu’une partie des constructions dont ils sont maîtres d’ouvrages soient destinées à être cédées en l’état futur d’achèvement à des opérateurs privés ou des opérateurs du logement. Cette cession génère des recettes permettant de réaliser l’opération de logement locatif social tout en restant compétitif sur le volet foncier. Les fonds apportés par le privé permettent de « viabiliser » l’opération de logement locatif social dans un contexte où les organismes HLM, comme beaucoup d’acteurs, peuvent difficilement absorber seul le coût d’accès au foncier.
Plusieurs techniques permettent aux organismes HLM d’être maître d’ouvrage de l’ensemble de l’immeuble dans la production neuve, et notamment la vente de la pleine propriété avec réserve d’usufruit (§ I) et la vente de logements à une personne privée dans le cadre du mécanisme dit de la « Vefa inversée » (§ II).

La vente de la pleine propriété avec réserve d’usufruit au profit de l’organisme HLM vendeur

C’est depuis la loi no 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement que les organismes HLM peuvent, de manière explicite, « réaliser en vue de leur vente, dans les conditions prévues à l’article L. 261-3, pour le compte de personnes publiques ou privées, des immeubles à usage principal d’habitation dont elles peuvent provisoirement détenir l’usufruit selon les modalités définies aux articles L. 253-1 à L. 253-5 ». L’objectif de cette disposition, présentée comme complémentaire à celles de la même loi ayant introduites le dispositif de l’usufruit locatif, est d’élargir les compétences des organismes HLM en leur permettant de réaliser des immeubles à usage principal d’habitation qu’ils peuvent céder en Vefa à des personnes publiques ou privées, tout en se réservant l’usufruit des logements dans les conditions de l’usufruit locatif prévu par le Code de la construction et de l’habitation.
La loi no 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové vient modifier ces dispositions, sans remettre en cause la possibilité pour les organismes HLM qui sont maîtres d’ouvrage de céder en Vefa la nue-propriété des immeubles neufs qu’ils réalisent.
Le dispositif est étendu « aux cessions, par les bailleurs sociaux, de la nue-propriété de biens existants ou à réhabiliter, en limitant cette possibilité aux zones tendues, afin de favoriser le montage d’opérations d’habitations à loyer modéré en centres-villes tout en renforçant les fonds propres des organismes de logements sociaux. Cette mesure serait expérimentée pendant une période de cinq ans, conformément aux discussions intervenues à l’Assemblée nationale en deuxième lecture du présent projet de loi. Enfin, il est pertinent de permettre aux bailleurs sociaux de se constituer un patrimoine locatif futur en leur ouvrant la faculté de se porter acquéreurs de la seule nue-propriété de logements soumis au schéma d’usufruit locatif social. »
Depuis lors, aux termes des articles régissant leur objet social, les organismes HLM peuvent : « acquérir la nue-propriété ou l’usufruit temporaire des logements visés à l’article L. 253-1, ou réserver ce dernier à leur profit, [à la condition que ces logements soient destinés à des personnes qui remplissent les conditions de ressources définies par décret ] : … au sein d’immeubles à usage principal d’habitation qu’ils réalisent en vue de leur vente à des personnes physiques ou morales dans les conditions prévues à l’article L. 261-3 ; – À titre expérimental pendant une durée de cinq ans à compter de la promulgation de la loi no 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, au sein d’immeubles bâtis occupés ou non, dans les communes appartenant à une zone d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants telle que définie à l’article 232 du Code général des impôts ainsi que dans les communes de plus de 15 000 habitants en forte croissance démographique définies par décret pris en application du dernier alinéa du II de l’article L. 302-5 du présent code ; – La sous-section 1 de la section 2 du chapitre III du titre IV du présent livre n’est pas applicable aux opérations relevant des trois alinéas précédents.».
L’expérimentation consistant à permettre aux organismes HLM de réserver l’usufruit à leur profit au sein d’immeubles bâtis occupés ou non, dans des zones tendues, n’ayant pas été prolongée, elle ne sera pas abordée. En l’état du droit positif, outre la faculté d’acquérir la nue-propriété ou l’usufruit temporaire de logements qui seraient réalisés ou détenus par un tiers, les organismes HLM ont ainsi la faculté de se réserver l’usufruit de logements au sein d’immeubles à usage principal d’habitation qu’ils réalisent en vue de leur vente en état futur d’achèvement à des personnes physiques ou morales.
S’agissant des opérateurs du logement intermédiaire, si un tel dispositif n’est pas expressément codifié, ils devraient pouvoir le mettre en place dans les conditions qu’ils entendent, pourvu toutefois que l’opération en cause s’inscrive dans leur objet social.

La Vefa dite « inversée »

Introduit à titre expérimental par la loi no 2014-366 « Alur » du 24 mars 2014, pérennisé le 6 août 2015 par la loi no 2015-990 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, et codifié à l’article L. 433-2 du Code de la construction et de l’habitation, le dispositif dit de la « Vefa inversée » permet aux organismes HLM de vendre par le biais d’un contrat de vente d’immeuble à construire, à une personne privée, des logements, compris dans un programme de construction de logement, majoritairement social, situé en zone dite tendue ou sur un terrain acquis dans le cadre de la décote Duflot, dans une proportion maximale de 30 %.
En ne faisant pas référence à une typologie de logement (social, intermédiaire, etc.), le législateur a ouvert la possibilité pour un organisme HLM de céder en Vefa des logements relevant du secteur libre ou encore du secteur social ou intermédiaire puisque le texte ne pose pas de restrictions de ce point de vue. Bien que cette faculté soit ouverte, c’est la cession de logement du secteur libre qui présente le plus grand intérêt. En effet, cette liberté d’affectation de la partie de l’immeuble pouvant être cédée en Vefa permet la mise en place d’une véritable mixité sociale dans un immeuble sous la maîtrise d’ouvrage de l’organisme HLM et donc conçu en fonction de ses besoins réels et de son expérience de gestionnaire de parc locatif. Plus encore, le recours à la Vefa inversée pour réaliser du logement libre dans une programmation sous maîtrise d’ouvrage de l’organisme HLM leur permet, dans le contexte de ZAN que nous connaissons, de repenser et restructurer leur patrimoine existant, d’introduire de la mixité sociale et fonctionnelle, sans pour autant en perdre la maîtrise. Elle favorise le redéveloppement du patrimoine de l’organisme.
L’article L. 433-2 dispose qu’un « organisme HLM peut (…) vendre des logements à une personne privée ». Cette rédaction, semble, à notre sens, exclure la vente « à l’unité » des logements, et impose la vente « en bloc » de plusieurs logements à un même investisseur. Ce point de vue semble cohérent avec la volonté du législateur de permettre aux organismes HLM de retrouver une maitrise d’ouvrage, sans toutefois les faire basculer dans une activité de promotion immobilière destinée à l’accession libre en dehors des textes régissant cette faculté. Cette restriction n’exclut néanmoins pas la possibilité de procéder à la vente en plusieurs blocs de la partie de l’immeuble affectée à la Vefa.
En tant que vendeur, la conclusion du contrat de Vefa n’est soumise à aucune obligation de publicité et de mise en concurrence, au sens de la commande publique, dans la mesure où l’objet du contrat porte sur le transfert d’un droit immobilier. Il est donc possible de contracter avec la/les personne(s) privée(s) de son choix et de conclure un contrat de gré à gré, ou alors d’organiser une consultation pour désigner le ou les cocontractant(s) afin de valoriser au mieux le bien. Pour pouvoir être mis en œuvre, encore faut-il que certaines conditions soient respectées.
– La situation géographique du programme de construction. – La Vefa inversée ne concerne que les programmes de construction de logements réalisés : sur des terrains, bâtis ou non, ayant été acquis dans le cadre des articles L. 3211-7 ou L. 3211-13-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, c’est-à-dire les terrains acquis dans le cadre du dispositif de décote sur le prix de cession du foncier de l’État, de ses établissements publics, et des sociétés détenues par l’État ; ou sur un terrain situé sur le territoire d’une commune appartenant à une zone d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants où il existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements, autrement dit situé en « zone tendue » au sens de la taxe sur les logements vacants.
– La composition du programme de construction. – L’organisme HLM ne pourra avoir recours à la Vefa inversée que lorsque les logements qu’il envisage de céder font partie d’un programme de construction composé majoritairement de logements sociaux.
– Limite quantitative. – L’organisme HLM pourra céder dans ces formes au maximum 30 % des logements du programme de construction. Précision étant faite que ce ratio de 30 % s’apprécie au regard de l’ensemble des logements du programme de construction, et pas uniquement au regard des logements sociaux.
– Autres conditions. – L’article L. 433-2 du Code de la construction et de l’habitation mentionne également que la vente est subordonnée « au respect, par l’organisme HLM, de critères prenant notamment en compte la production et la rénovation de logements locatifs sociaux, définis à l’article L. 445-1 du présente code » ; autrement dit, l’organisme HLM doit respecter les critères établis dans le cadre de la Convention d’utilité sociale (CUS). L’organisme HLM doit par ailleurs mettre en place une comptabilité distincte de celle des opérations relevant du service d’intérêt général. Enfin, l’article L. 433-2 du Code de la construction et de l’habitation prévoit que « cette vente est soumise à l’autorisation du représentant de l’État dans le département du lieu de l’opération ». L’emploi du singulier « cette vente » permet de déduire que chacune des cessions opérées par l’organisme HLM sera soumise à autorisation du préfet. Autrement dit, l’autorisation du préfet ne vaut pas agrément pour le recours à la Vefa inversée de manière générale, mais uniquement pour la cession en question. Ainsi, si l’organisme HLM décide de conclure plusieurs Vefa pour un même programme, il devra recueillir autant d’autorisation que de cession.
Depuis l’adoption de la loi Alur, quelques opérations ont pu être développées en Vefa inversée. C’est par exemple le cas de l’opération visant à transformer l’ancienne caserne de Reuilly à Paris, et au sein de laquelle Paris Habitat a procédé à la cession de 30 % de logements à loyer libre.
Cette faculté reste cependant sous utilisée, alors même qu’elle permettrait aux organismes HLM de repenser et restructurer leur patrimoine existant et d’introduire de la mixité sociale et fonctionnelle, sans pour autant être obligé de céder leurs biens dans la perspective d’en acquérir une partie minoritaire ultérieurement. Une ouverture des conditions posées pour recourir à la Vefa inversée, sur le patrimoine existant notamment, nous paraîtrait de nature à encourager l’utilisation de cette mécanique juridique.
Là encore, les opérateurs du logement intermédiaire devraient pouvoir mettre en place ce dispositif dans les conditions qu’ils entendent puisqu’ils ne sont soumis aux mêmes contraintes que les OLS, pourvu toutefois que l’opération en cause s’inscrive dans leur objet social.