Les organismes de foncier solidaire et autres foncières publiques dédiées au logement

Les organismes de foncier solidaire et autres foncières publiques dédiées au logement

L’enjeu de l’accès au foncier suscite régulièrement des tentations de création de foncières publiques dotées de moyens humains et financiers adéquats pour constituer un patrimoine dédié à la création de logements et le maîtrise sur le long terme. Naturellement, cela supposerait de respecter les règles strictes dans le cadre desquelles les collectivités territoriales et les OLS/I sont en droit de constituer des sociétés et, plus généralement, de concilier cette action avec le principe de liberté du commerce et de l’industrie qui tend à préserver l’activité des opérateurs privés. Les principales créations sont cependant le fruit d’une intervention ad hoc du législateur : la première, dont l’intérêt n’est désormais qu’historique, est la création d’une foncière d’État ; la seconde, en plein développement, est la création des Organismes de Foncier Solidaire qui s’inscrit dans un nouveau modèle de maîtrise foncière publique orienté vers la dissociation « foncier/bâti ».

La Foncière publique solidaire

Le Président François Hollande avait annoncé à l’occasion du bicentenaire du groupe Caisse des dépôts et consignations la création d’une « grande société foncière publique » présentée par la suite, dans le rapport de préfiguration qui lui a été remis par Thierry Repentin, « comme une société anonyme mandatée par l’État pour accomplir une mission d’intérêt général. Sa vocation est de mobiliser du foncier public (appartenant à l’État, aux établissements publics, et aux collectivités locales) et privé. Elle facilitera et accélérera l’émergence de programmes de logements répondant aux besoins de l’ensemble de nos concitoyens sur l’ensemble du territoire métropolitain ou ultramarin ».
Son existence a été entérinée par l’article 50 de la loi relative au statut de Paris et à l’aménagement urbain qui a modifié en ce sens l’article 141 de la loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006. En vertu de ce texte, la société Foncière publique solidaire (« FPS ») a été constituée conjointement par l’État et la Caisse des dépôts et consignations le 19 juin 2017 sous forme de société anonyme.
La maîtrise foncière était au centre de ce dispositif à deux titres :
  • pour mobiliser le foncier, la société disposait d’outils exorbitants du droit commun (fiscalité avantageuse, bénéfice de la décote sur ‘acquisition des biens de l’État prévue par la loi du 18 janvier 2013, possibilité de se voir déléguer le droit de préemption et de priorité) ;
  • pour garantir dans le temps les intérêts publics poursuivis, elle devait utiliser principalement des outils de dissociation (bail réel immobilier, bail réel solidaire).
Pour lui donner les meilleures chances d’accès au foncier, le législateur avait même institué à son profit un droit de priorité spécifique pour les cessions opérées par l’État (CGPPP, art. L. 3211-7-1 anc.), ses établissements publics, et les autres foncières d’État (sociétés mentionnées à l’article 141 de la loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006 ; article L. 3211-13-1 du CGPPP qui renvoie au L. 3211-7-1). Ce droit de priorité concernait :
  • les projets de cession d’actifs immobiliers ;
  • d’une superficie de plus de 5 000 mètres carrés ;
  • destinés majoritairement à la réalisation de logements sociaux.
Cependant, lors des discussions sur le projet de loi Elan, le constat était particulièrement dur : en un an d’existence, le gouvernement indiquait que la société n’avait été en mesure d’engager aucune opération d’acquisition du foncier public. Les contours de son droit de priorité étaient encore flous et s’il fut d’abord question de les clarifier (discussion en première lecture à l’Assemblée nationale), les débats ont vite conduit à réorienter l’action de cette société en l’intégrant dans le giron de la CDC pour qu’elle permette de financer, par des mécanismes de démembrement, les projets d’acquisition des bailleurs sociaux. En définitive, l’article 24 de la loi Elan a tout simplement supprimé cette société en faisant disparaître toute trace de son existence à l’article 141 de la loi du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006.
On peut sans doute penser que l’engouement pour les organismes de foncier solidaire devant mettre en œuvre une politique de maîtrise foncière et de création de logement sociaux abordable par le biais du BRS a sans doute peser dans ce choix.
– L’organisme de foncier solidaire (OFS). – L’organisme de foncier solidaire (OFS) est une structure à but non lucratif née de l’article 164 de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi Alur, avec comme objectif de permettre l’accès au logement à prix abordable, en location ou en accession, pour des ménages à ressources modestes voire très modestes grâce à la dissociation foncière, et plus précisément au mécanisme du bail réel solidaire (BRS) qui lui est dédié. L’OFS est introduit dans le Code de l’urbanisme, au sein du livre Aménagement foncier, aux côtés des établissements publics fonciers ou d’aménagement ; indicateur fort de la volonté du législateur de faire de cette structure un nouvel acteur d’une politique publique du foncier destinée à la production de logements abordables.

L’OFS, un nouvel acteur du logement

L’article L. 329-1 du Code de l’urbanisme constitue le fondement principal des missions et compétences de l’OFS. Initialement uniquement envisagé comme un nouvel acteur du foncier et du logement abordable, l’OFS a vu ses missions étendues, à titre subsidiaire, à la favorisation de la mixité fonctionnelle depuis l’adoption de la loi no 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite 3DS.
– À titre principal. – L’OFS a pour mission de gérer des biens immobiliers en vue de réaliser des logements destinés à des personnes modestes, sous conditions de plafond de ressources, et des équipements collectifs, conformément aux objectifs de la politique d’aide au logement telle que définie par l’article L. 301-1 du Code de la construction et de l’habitation. Cette mission d’intérêt général constitue le cœur de métier de l’OFS, elle constitue sa raison d’être. Toute son action est orientée vers cette finalité : la production de logements abordables.
Pour le législateur, cet objectif doit être atteint au travers de la conclusion de baux réels solidaires (BRS), permettant de consentir des droits réels immobiliers en vue de la location ou de l’accession à la propriété de logements par des ménages sous conditions de ressources, de loyer et, le cas échéant, de prix de cession.
– À titre subsidiaire. – L’OFS a pour mission de favoriser la mixité fonctionnelle en réalisant des locaux commerciaux et professionnels abordables. Cette mission doit nécessairement être conçue en lien avec la mission principale de production du logement abordable, l’idée étant de permettre le développement d’immeubles ou de groupements d’immeubles comprenant à la fois du logement abordable et des locaux commerciaux ou professionnels abordables. Pour cela, gouvernement-législateur aura le soin d’instituer par voie d’ordonnance, dans un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la loi 3DS, une nouvelle forme de bail constitutif de droits réels.
En somme, l’objet de l’OFS est donc de réaliser principalement des logements mais également des locaux commerciaux et professionnels à caractère abordable au moyen de baux constitutifs de droits réels spécifiques. Le choix fait par le législateur est de mener à bien cette mission d’intérêt général en utilisant une technique juridique – celle des baux constitutifs des droits réels déclinée de façon spécifique dans le régime du BRS – permettant un contrôle de long du terme par l’OFS du maintien de l’affectation des biens, dédiés dès leur entrée dans le patrimoine de l’OFS à ces missions. Le couple OFS/BRS permet ainsi de constituer un « foncier réglementé » de manière dynamique car, de façon tout à fait originale, la réglementation ne passe pas par la simple application d’une norme sur un terrain mais par l’intervention d’un organisme chargé de déployer des baux réels solidaires.

L’OFS, garant d’une politique publique

Afin de mener à bien ces missions, l’OFS détient, et ce depuis sa création, de nombreuses compétences allant au-delà du droit commun pour constituer son patrimoine mais également pour en maîtriser son affectation pendant une très longue durée. Pour constituer le patrimoine nécessaire à l’exercice de ses missions il peut naturellement procéder par voie d’acquisition, d’apport en nature ou numéraire, ou encore par voie d’appel à la générosité publique ou par libéralités. Mais il bénéficie également d’outils spécifiques : il peut mobiliser le dispositif de la décote prévue à l’article L. 3211-7 du Code général de la propriété des personnes publiques (décote dite « Duflot »), acquérir des logements auprès d’organismes HLM, ou encore se voir déléguer le droit de préemption urbain ou le droit de priorité. Ces outils favorisent l’activité des OFS et le rapprochent de ses « cousins » organismes HLM. Les OFS s’en distinguent toutefois largement en raison des contours de la nouvelle politique du logement qui leur est confiée, laquelle résulte des caractéristiques particulières du BRS :
  • la « recharge » du bail pour une durée égale à sa durée initiale en cas de transmission des droits réels agréée par l’OFS. Dans l’économie générale du mécanisme le « rechargement » du bail se justifie, d’une part, par le fait que l’objet même de l’OFS est de se constituer un patrimoine en vue de l’affecter durablement au logement abordable au moyen d’un bail réel solidaire, sans vocation à la jouissance des biens. Il n’est donc pas heurtant que l’OFS ne recouvre jamais la pleine propriété de l’immeuble du fait du mécanisme de « rechargement », d’autant plus lorsque sa mise en œuvre est conditionnée au contrôle du respect du caractère abordable du logement. En effet, la procédure d’agrément à l’occasion de toute transmission des droits réels permet et oblige l’OFS à garantir le maintien dans le temps de cette affectation au logement abordable pour des ménages modestes car, assurément, un « rechargement » sans encadrement des prix par le propriétaire suivrait la même logique inflationniste que la pleine propriété. Les marges de manœuvre de l’OFS sont également renforcées par le droit de préemption dont il dispose à l’occasion de toute cession ou donation des droits réels ;
  • l’indemnisation systématique du preneur à bail dans tous les cas de fin du bail réel solidaire, tout au plus à valeur initiale des droits réels, même en cas de faute du preneur, qui permet de sécuriser le capital des accédants personnes physiques et de garantir l’attractivité du dispositif dans le cadre de l’accession à la propriété.
On constate donc que cette réglementation du foncier a pour but de conserver le patrimoine constitué au cœur de la politique publique du logement – grâce à l’intervention de l’OFS –, sans pour autant dégrader la situation de chacun des ménages accédants – grâce à l’indemnisation systématique de la valeur des droits réels en fin de contrat. En cela, il apparaît de plus en plus clairement que l’OFS est un nouvel acteur d’une nouvelle politique d’aide au logement, au-delà du logement locatif social et sans pour autant être de l’accession sociale à la propriété. Il est un acteur ad hoc participant au service public du logement, il est le gardien des contours de la propriété d’usage « hors marché » issue du bail réel solidaire.

L’OFS, un patrimoine dédié à l’intérêt général

Tout le régime juridique de cette structure est dirigé vers sa finalité, la production de logements abordables : son patrimoine, ainsi que les bénéfices réalisés dans le cadre de son activité principale qu’est le BRS, restent affectés à un but, à la finalité pour laquelle il a été constitué. Ainsi, les bénéfices réalisés sont entièrement affectés au maintien ou au développement de l’activité de l’organisme. L’OFS doit par ailleurs obligatoirement constituer des réserves financières au titre de l’activité liée au bail réel solidaire ; toutes les recettes générées par l’activité BRS doivent nécessairement y être affectées.
Plus étonnant, cette affectation des biens et des bénéfices n’est pas limitée à la seule échelle de l’OFS. Elle s’applique en réalité à l’échelle du mouvement des OFS. En effet, en cas de retrait de l’agrément ou en cas de dissolution de l’OFS, les membres de l’OFS ne peuvent procéder à des opérations de liquidations et à une répartition des biens et droits entre eux, comme cela est permis classiquement. Le régime juridique de l’OFS impose une cession des actifs affectés à un BRS à un autre OFS en cas de retrait de l’agrément, ainsi qu’une dévolution de l’ensemble des droits et obligations de l’organisme, notamment les BRS signés par lui, les biens immobiliers objets de tels baux et les réserves financières ainsi constituées, à un autre OFS en cas de dissolution de l’OFS.
L’objectif d’intérêt général qui lui est assigné, et les outils privilégiés dont il bénéficie pour constituer son patrimoine et produire du logement abordable, justifie que l’accès au régime juridique de l’OFS fasse l’objet d’un contrôle. C’est tout l’objet de l’agrément du préfet de région, prérequis indispensable à la qualification d’OFS d’une structure. Car l’OFS n’est pas une forme de société ou de structure à part entière. Il s’agit d’un régime juridique découlant de l’agrément du préfet de région, ne pouvant être délivré qu’à des structures ayant, pour tout ou partie de leur activité, l’objet défini par le Code de l’urbanisme et présentant l’organisation structurelle imposée par le même Code de l’urbanisme ; le tout à condition que la structure soit sans but lucratif. Les organismes HLM et les SEM agréées peuvent également faire l’objet d’un tel agrément. Le contrôle du préfet de région s’exerce également tout au long de l’activité de l’OFS, à échéance annuelle.