Les écueils auxquels peut être confronté un projet de surélévation relèvent le plus souvent de l’application d’une règle de droit privé liée à une servitude (Sous-section I). Par ailleurs, l’auteur de la surélévation, en ce qu’il va modifier l’essence même du bâtiment existant, devra se prémunir contre un certain nombre de risques (Sous-section II).
Les écueils de la surélévation
Les écueils de la surélévation
Surélévation et servitudes
L’existence d’une servitude pourra parfois rendre le projet de surélévation impossible (§ I) et parfois le compliquer (§ II).
Les servitudes empêchant la surélévation
Le praticien sollicité pour la réalisation d’une opération de surélévation devra prendre garde à ce que le bâtiment support ne fasse pas l’objet d’une servitude non aedificandi ou non altius tollendi.
Dans le premier cas, le projet de surélévation s’avèrera impossible, sauf convention pour parvenir à sa suppression. Dans le second, il pourra l’être s’il dépasse la hauteur prévue par la servitude. Il convient à cet égard de rappeler que ces servitudes sont continues mais non apparentes. Elles ne peuvent donc résulter que d’un titre.
Une attention particulière devra être portée dans le cas où le bâtiment dépend d’un lotissement ou d’une ZAC. Une lecture attentive des cahiers des charges devra être opérée pour s’assurer qu’ils ne renferment pas une disposition interdisant un tel projet.
La servitude compliquant la surélévation : la mitoyenneté
Rappelons que les opérations de surélévation s’orienteront certainement dans un premier temps à la « récupération » des dents creuses en territoire urbain. Cela signifie implicitement que le bâtiment à surélever sera encadré par les immeubles de plus grande hauteur. Dès lors, en application des règles du Code civil et le cas échéant des règles de coutume, les murs des immeubles contigus dépassant l’héberge de l’immeuble à surélever leur seront privatifs.
Dans cette situation, l’opérateur de la surélévation devra prendre soin de ne pas s’accrocher à ces murs si les techniques de construction mises en œuvre le permettent. À défaut, il devra alors conclure une convention de rachat de mitoyenneté ou faire usage de la cession forcée de mitoyenneté de l’article 661 du Code civil. Malgré tout, ces contraintes auront des répercussions financières et temporelles sur le projet que l’opérateur ne voudra ou ne pourra pas supporter.
Au-delà de ces complications juridiques pouvant retarder ou faire avorter un projet de surélévation, son opérateur doit garder à l’esprit qu’une telle opération impactera le bâtiment existant, ses occupants mais aussi son entourage.
La prévention et la réparation des désordres et préjudices liés à la surélévation
Ces éléments peuvent se classer en deux catégories. D’une part les désordres et les préjudices subis par les copropriétaires eux-mêmes et leur voisinage (§ I). D’autre part ceux inhérents aux travaux réalisés (§ II).
Les désordres et préjudices subis par les copropriétaires et leur voisinage
Pour les premiers, la loi de 1965 a instauré des dispositions particulières (A). Pour les seconds s’appliquera le droit commun de la responsabilité (B).
Le droit à indemnité des copropriétaires
L’article 36 de la loi de 1965 ouvre un droit spécifique à indemnisation pour un copropriétaire subissant un préjudice à l’occasion d’une opération de surélévation, dès lors que celui-ci subit une diminution définitive de la valeur du lot (perte d’ensoleillement, vue, bruit…), un trouble de jouissance grave (même temporaire) ou des dégradations.
Ce texte prévoit que l’indemnité est à la charge de l’ensemble des copropriétaires et répartie selon la proportion initiale des droits de chacun dans les parties communes. Cela signifie donc que le copropriétaire lésé participe à sa propre indemnisation !
Lorsque l’opération de surélévation sera opérée par un tiers à la suite d’une cession de son droit par la copropriété, il sera alors prudent de convenir que toute indemnité qui serait allouée au titre de l’article 36 sera à la charge définitive dudit opérateur.
La réparation du préjudice subi par le voisinage
Parce que le projet de surélévation aura nécessairement un impact sur son environnement, il s’expose de facto à un risque de contestation de la part de son voisinage. Seront principalement mis en avant les désordres liés aux travaux eux-mêmes (odeur, bruit…) mais le plus souvent sera invoqué un trouble anormal de voisinage (perte d’ensoleillement, de vue…).
Sur ces sujets il reviendra au juge de déterminer si la surélévation génère ou non un tel trouble, s’il cause un préjudice et s’il existe un lien de causalité. Nous pouvons toutefois relever que l’excessivité du trouble est d’autant moins retenue que l’environnement est urbanisé.
Il paraît toutefois intéressant de citer un arrêt de la cour d’appel de Grenoble condamnant le syndicat des copropriétaires, qui avait réalisé une surélévation (illégale) sur deux niveaux, à sa démolition au motif notamment que cette surélévation masquait la vue sur la montagne d’une autre copropriété et entrainait une perte de luminosité.
Afin de prévenir au mieux les déconvenues possibles, l’opérateur pourra alors utilement solliciter un « référé préventif ».
Les désordres causés par les travaux de surélévation
Les travaux de surélévation, parce qu’ils vont emporter la création de nouveaux logements mais aussi parce qu’ils ont la particularité de s’appuyer sur de l’existant, nécessitent donc, pour l’un et l’autre, d’en faire l’analyse sur le plan du régime de la responsabilité tant au titre de la garantie décennale prévue par l’article 1792 du Code civil (A) qu’au titre des assurances obligatoires de construction des articles L. 241-1 et L. 242-1 du Code des assurances (B).
Surélévation et garantie décennale
La dualité spécifique à la surélévation nous amène à traiter distinctement la garantie décennale pour les travaux réalisés (I) puis relativement à l’existant (II).
Garantie décennale propre aux logements créés
La surélévation est génératrice de travaux de création sur de l’existant. Il s’agit alors de travaux de rénovation lourds pris au sens large. S’ils sont suffisamment conséquents (ce qui est le cas pour les travaux que nous considérons dans nos développements), ils relèvent alors de la garantie décennale comme constituant un « ouvrage immobilier ».
Garantie décennale étendue à l’existant
La loi du 4 janvier 1978, dite loi Spinetta, est muette sur l’extension de la garantie décennale à l’existant. Par principe donc, les désordres révélés sur l’existant postérieurement à la réalisation des travaux neufs relèvent du régime de la responsabilité contractuelle de droit commun.
Cependant la jurisprudence, de manière empirique, a pu reconnaître l’extension de la garantie décennale à l’existant dans certaines situations :
- les travaux neufs indissociables et indivisibles de l’existant ;
- l’impossibilité de déterminer si les désordres relevés après l’exécution des travaux neufs n’ont pas pour origine exclusive l’état des existants considérés ;
- l’absence d’audit préventif et approfondi de l’état de l’existant avant réalisation des travaux neufs pour s’assurer de leur compatibilité.
Surélévation et assurances obligatoires de construction
S’agissant des logements nouvellement créés, il va de soi que ceux-ci relèvent nécessairement de l’obligation de souscription des assurances obligatoires de construction que sont l’assurance dommages-ouvrage d’une part et l’assurance de responsabilité d’autre part. Mais qu’en est-il relativement à l’existant ?
La réponse se trouve à l’article L. 243-1-1, II du Code des assurances : « Ces obligations d’assurance ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles ».
On conçoit donc, à la lecture de la seconde partie de l’article, que deux critères doivent être cumulativement réunis : une incorporation totale dans l’ouvrage neuf aboutissant une indivisibilité technique des deux.
Cette rédaction du texte peut donc laisser songeur quant à son applicabilité aux travaux de surélévation. La réponse paraît négative lorsque ceux-ci seront limités (par exemple l’ajout d’un étage supérieur en structure bois), elle est plus discutable lorsque la surélévation sera réalisée en matériaux lourds sur plusieurs niveaux.
Toutefois la jurisprudence la plus récente semble aller, malgré tout, vers une exclusion de cette garantie. Ainsi la Cour de cassation a-t-elle jugé que des travaux d’aménagement de combles après modification de la charpente, création d’un plancher et de trois fenêtres de toit étaient exclus de ladite garantie en rejetant le pourvoi qui soutenait que la réalisation d’un ouvrage qui fait peser un risque d’effondrement à l’ensemble constitué de l’ouvrage neuf et de la structure préexistante implique une incorporation de cette dernière à celui-là.
Bien qu’indispensable à l’effort nécessaire pour la réalisation des logements de demain et portée de ses vœux par les pouvoirs publics, la surélévation reste une opération complexe par sa pluridisciplinarité, ses enjeux et ses effets. Sa réalisation nécessitera d’être accompagnée par des professionnels aguerris, au nombre desquels figurent les notaires. Reste un frein sur lesquels nous ne pourrons intervenir : le frein psychologique… Sur cet aspect, nous pouvons espérer que le recours au BIM, pour lequel nous renvoyons le lecteur à l’excellent travail du 117e Congrès des notaires de France, sera de nature à emporter la conviction des copropriétaires.