On pourrait être tenté de qualifier le transfert de propriété des constructions au nu-propriétaire, en fin d'usufruit, de donation indirecte. Les héritiers de l'usufruitier y auraient intérêt afin que la valeur des constructions soit incluse dans le rapport. L'administration fiscale voudrait bien, quant à elle, percevoir les droits de mutation à titre gratuit sur le montant des travaux. Dans son arrêt du 19 septembre 2012 précité, la Cour de cassation a exclu la qualification de donation pourtant retenue par l'administration fiscale. Elle a rappelé que deux conditions devaient être réunies pour qu'il y ait donation : l'intention libérale, d'une part, et l'enrichissement du nu-propriétaire, corrélatif à l'appauvrissement de l'usufruitier, d'autre part.
Le risque de requalification en donation
Le risque de requalification en donation
– L'intention libérale. – L'usufruitier construit un logement d'abord pour lui-même, pour pouvoir l'occuper jusqu'à la fin de ses jours (ou en percevoir les loyers). Sauf si l'usufruitier est déjà très âgé ou malade et qu'il sait sa fin proche lors de la réalisation de l'opération de construction, l'intention libérale n'est pas caractérisée. L'opération a, en effet, un intérêt certain pour lui.
– L'enrichissement du nu-propriétaire. – Le nu-propriétaire du terrain qui devient, en fin d'usufruit, propriétaire de constructions qu'il n'a pas financées, s'enrichit avec certitude. Mais cet enrichissement n'est pas immédiat puisque l'accession est différée à l'extinction de l'usufruit.
– Un enrichissement certain. – L'enrichissement est une certitude si l'usufruitier n'a pas détruit les constructions qu'il avait édifiées. En effet, assimilant les constructions aux améliorations, la jurisprudence de la Cour de cassation dénie à l'usufruitier tout droit à indemnisation sur le fondement de l'article 599, alinéa 2 du Code civil. L'usufruitier (et aucun de ses héritiers) ne peut se prévaloir de l'article 555 du même code pour réclamer une indemnité au propriétaire du terrain. Cette solution paraît logique, car les conditions de ce texte ne sont pas remplies. L'article 555 s'adresse au tiers constructeur qui peut être de bonne foi – s'il ne sait pas qu'il construit sur un terrain qui ne lui appartient pas – ou de mauvaise foi. L'accession au profit du propriétaire est, dans cette hypothèse, immédiate. Le constructeur ne peut donc pas, en principe, tirer profit des constructions. Il est naturel qu'il soit indemnisé au titre de son investissement. Contrairement au constructeur visé par l'article 555 du Code civil, l'usufruitier n'est pas un tiers. Il construit en connaissance de cause. En outre, il est propriétaire des constructions tant que dure son usufruit, l'accession étant différée. Par suite, aucune demande en démolition de la part du nu-propriétaire ne peut intervenir en amont de l'extinction de l'usufruit, sous réserve de l'abus de jouissance sanctionné par la déchéance des droits de l'usufruitier.
– L'appauvrissement de l'usufruitier. – L'usufruitier ne s'appauvrit pas nécessairement puisqu'il tire profit des constructions. Encore faut-il qu'il puisse occuper le logement (ou le louer) suffisamment longtemps pour rentabiliser son investissement. Tout dépend cependant de la durée de l'usufruit. Si elle est trop courte, l'appauvrissement de l'usufruitier sera certain.
Sous cette réserve, la qualification de libéralité est exclue : point de rapport ni de réduction, et point de taxation !
Le sort des constructions par l'usufruitier ainsi réglé a des conséquences en matière de détermination des plus-values immobilières générées par la vente conjointe, par l'usufruitier et le nu-propriétaire, du terrain bâti.
La détermination des plus-values en cas de cession conjointe du terrain bâti
1. L'hypothèse est la suivante : l'usufruitier et le nu-propriétaire décident, d'un commun accord, de vendre le terrain et les constructions édifiées par l'usufruitier.
2. La répartition du prix global. Si la propriété du terrain est démembrée, tel n'est pas le cas des constructions qui sont la propriété exclusive de l'usufruitier. Le prix de vente global doit donc être réparti de la manière suivante :
- la partie du prix afférente à l'usufruit du terrain et celle afférente aux constructions reviennent à l'usufruitier ;
- la partie du prix afférente à la nue-propriété du terrain revient au nu-propriétaire. Il ne peut prétendre à aucune part sur le prix des constructions. Par suite, il sera imposable uniquement au titre de la plus-value réalisée sur la cession de la nue-propriété du terrain.
3. La ventilation du prix entre le terrain et les constructions. Il convient, en premier lieu, de ventiler le prix entre le terrain et les constructions. Faute d'indication de l'administration fiscale en matière de plus-values immobilières des particuliers, et de jurisprudence, il est possible de procéder selon la méthode donnée par le Conseil d'État pour les amortissements pratiqués par les entreprises :
- la valeur du terrain est déterminée par comparaison avec le prix de vente de terrains nus situés dans le même secteur géographique, pour des transactions intervenues à une époque récente ;
- la valeur des constructions est égale au coût de leur construction auquel sont appliqués des coefficients pour tenir compte de la vétusté et de l'état d'entretien.
Si aucune de ces deux méthodes n'est applicable, selon la jurisprudence du Conseil d'État, la détermination de la valeur du terrain et des constructions est réalisée à partir des données comptables d'autres entreprises qui se sont portées acquéreurs d'immeubles comparables en termes de localisation et de type de construction.
4. La ventilation du prix du terrain entre l'usufruit et la nue-propriété. Sur la valeur du terrain doivent ensuite être déterminées la part de l'usufruit et celle de la nue-propriété. Le recours au barème de l'article 669 du Code général des impôts n'étant pas obligatoire dans cette hypothèse, il est possible de procéder à une évaluation économique de l'usufruit, en fonction de l'espérance de vie de l'usufruitier et du taux de rendement net du terrain. Si, toutefois, les parties souhaitent recourir au barème fiscal de l'usufruit, le notaire doit pouvoir justifier qu'il les a informées de son caractère non obligatoire, de l'existence d'une autre méthode de calcul de l'usufruit et du résultat donné par chacune des méthodes. À défaut, sa responsabilité pourrait être engagée. L'administration fiscale admet les deux méthodes de calcul.
5. Le prix d'acquisition à retenir pour chacun des droits. Le prix d'acquisition de chaque droit démembré est soit celui figurant dans l'acte d'acquisition à titre onéreux, soit la valeur retenue pour la liquidation des droits de mutation à titre gratuit. Par exception, si le démembrement résulte d'une succession ouverte avant le 1er janvier 2004, la valeur d'acquisition du droit démembré à retenir est déterminée par application du barème de l'article 669 du Code général des impôts en fonction de l'âge de l'usufruitier au jour de la cession.
6. Le calcul de la plus-value. Il diffère pour le nu-propriétaire qui est imposé uniquement sur une partie du prix du terrain et pour l'usufruitier qui est, en outre, imposé sur le prix des constructions.
6.1 – Pour le nu-propriétaire. S'agissant d'un terrain à bâtir, le nu-propriétaire ne peut pas majorer le prix d'acquisition du forfait de 15 % qui est réservé aux immeubles bâtis et détenus depuis plus de cinq ans. En revanche, le prix d'acquisition peut être majoré des dépenses de travaux effectivement supportées par le nu-propriétaire, sous réserve d'en justifier au moyen des factures des entreprises. Le point de départ de la durée de détention, pour le calcul de l'abattement, est la date d'acquisition de la nue-propriété du terrain (acte de vente ou de donation, ou décès pour les successions).
6.2 – Pour l'usufruitier. Deux plus-values doivent être calculées, sur l'usufruit du terrain et sur les constructions. Pour l'usufruit du terrain, nous renvoyons à ce qui est dit ci-dessus. Pour les constructions, le prix d'acquisition est égal à la totalité des dépenses engagées pour la réalisation de la construction (factures des entreprises et de matériaux, taxes liées au permis de construire, salaires versés aux ouvriers et charges sociales y afférentes, etc.). Il peut être majoré :
- soit des dépenses relatives aux travaux de construction, reconstruction, agrandissement ou amélioration, réalisés par des entreprises après l'achèvement de la construction, à l'exception des achats de matériaux autres que ceux facturés par une entreprise, et sous réserve qu'elles n'aient pas été déjà prises en compte pour la détermination de l'impôt sur le revenu et qu'elles ne présentent pas le caractère de dépenses locatives ;
- soit, si la construction a été achevée depuis au moins cinq ans, d'un forfait de 15 %, que des travaux aient été réalisés ou non. Le forfait pourra également être appliqué au prix d'acquisition de l'usufruit du terrain.
En cas de moins-value sur la partie terrain, celle-ci s'impute sur la plus-value due au titre des constructions et inversement.
Le point de départ de la durée de détention, pour le calcul de l'abattement applicable à la plus-value afférente au terrain, est la date d'acquisition de l'usufruit du terrain (acte de vente ou de donation, ou décès pour les successions) ou de la pleine propriété, si le démembrement est postérieur. Pour la partie constructions, le point de départ du délai de détention est la date d'ouverture de chantier.