Le recyclage des friches

Le recyclage des friches

Face à l’enjeu de redéveloppement du patrimoine bâti existant et à la suite du Plan Biodiversité de 2018 posant un objectif de « Zéro Artificialisation Nette » des sols, un Fonds pour le recyclage des friches, dit Fonds Friches, a été créé par le Gouvernement dans le cadre du Plan de Relance, lancé le 3 septembre 2020. Initialement doté d’un budget de 300 millions d’euros sur deux ans, ce fonds a été augmenté de 350 millions d’euros supplémentaires et les crédits ont tous été engagés en 2021 dans le cadre de deux éditions d’appels à projet. Une troisième édition a été lancée en 2022.
L’objectif mis en avant dans le Plan de Relance est « d’apporter un soutien exceptionnel à cet enjeu majeur d’aménagement durable des territoires qu’est la reconquête des friches », laquelle s’accompagne le plus souvent d’un surcoût de démolition, de dépollution ou de restructuration lourde qui ne peut être compensé par les recettes de cession. Cette démarche s’inscrit pleinement dans l’objectif de zéro artificialisation nette en ce qu’elle favorise le recyclage du foncier déjà artificialisé mais inutilisé ou sous-utilisé. Ces sites servent alors à de nouveaux usages, des projets d’aménagement, de logement, d’activité, et évitent d’utiliser des terres naturelles ou agricoles. De plus, pour permettre une plus grande densité aux projets réalisés dans les friches, l’article L. 152-6-2 du Code de l’urbanisme leur accorde un bonus de constructibilité de 30 %.
Aussi, comme le rappelle le rapport du Sénat">Lien présenté le 29 juin 2022, le modèle économique du ZAN reste à définir et les objectifs poursuivis sont difficilement atteignables sans aides publiques en faveur de la sobriété foncière (réhabilitation, rénovation, démolition-reconstruction). C’est bien l’objet du fonds friches (§ I). Par ailleurs, pour favoriser les projets d’envergure, un certificat de projet spécifique est destiné à sécuriser les opérateurs et financeurs dans leurs démarches de développements immobilier sur des sites complexes (§ II).

Le fonds friches

Ce fonds présente plusieurs volets (A). Les financements qu’il permet, subordonnés à certaines conditions (B), devraient avoir un impact sur l’offre de logement (C).

Les volets du fonds friches

Pour atteindre ses objectifs, le fonds friches se décline en trois volets.
1. Le recyclage des friches ou la transformation de foncier déjà artificialisés. Ce volet est piloté par les Préfets de région dans le cadre d’appels à projet régionaux sur la base d’un cadrage national. Dans le cadre du Fonds, la friche est caractérisée de la manière suivante :
  • « tout terrain nu, déjà artificialisé et qui a perdu son usage ou son affectation, ou qui, en outremer, a pu être laissé vacant après évacuation d’habitats illicites et spontanés ;
  • tout îlot d’habitat, d’activité ou mixte, bâti et caractérisé par une importante vacance ou à requalifier ».
Compte tenu du lien de ce fonds avec l’objectif ZAN, la loi no 2021-1104 du 22 août 2021, dite loi Climat, déjà citée, a introduit un nouvel article L. 111-26 du Code de l’urbanisme, qui définit la friche de la manière suivante : « Au sens du présent code, on entend par “friche” tout bien ou droit immobilier, bâti ou non bâti, inutilisé et dont l’état, la configuration ou l’occupation totale ou partielle ne permet pas un réemploi sans un aménagement ou des travaux préalables. Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret ». Cette définition reste limitée au Code de l’urbanisme.
2. Les projets de reconversion de friches polluées issus d’anciens sites industriels ICPE ou sites miniers. Ce volet est piloté par l’ADEME, dans le cadre d’un dispositif préexistant, qui a mis en place un cahier des charges spécifique.
3. Le développement d’outils de connaissance du foncier ( Cartofriches ">Lien , UrbanSimul ">Lien ) et d’aide à la reconversion des friches ( UrbanVitaliz ">Lien ).

Les conditions d’obtention des financements dans le cadre du volet recyclage des friches

Tous types de maîtres d’ouvrages des projets de recyclage de friches sont éligibles au financement du fonds friches, et en particulier :
  • les collectivités, les établissements publics locaux, ou les opérateurs qu’ils auront désignés ;
  • les établissements publics de l’État ou les opérateurs qu’ils auront désignés ;
  • les aménageurs publics (établissements publics d’aménagement, entreprises publiques locales, SEM, SPL) ;
  • les organismes de foncier solidaire ;
  • les bailleurs sociaux ;
  • des entreprises privées, sous réserve de l’accord de la collectivité compétente en matière d’urbanisme et d’aménagement ainsi que concédant, mandant ou bailleur le cas échéant, et pour des projets présentant un intérêt général suffisant (en termes de logement social, de revitalisation économique…).
Les projets visés sont ceux dont les bilans économiques restent déficitaires après prise en compte de toutes les autres subventions publiques, et ce malgré la recherche et l’optimisation de tous les autres leviers d’équilibre (en particulier en matière de densité et de mixité), à l’aune des enjeux d’attractivité du site et d’urbanité. Le volet recyclage du fonds « friches » s’adresse aux projets suffisamment matures afin que les crédits soient engagés dans l’année. Différentes actions peuvent être subventionnées, à savoir : des études, des acquisitions foncières, des travaux de dépollution de démolition ou d’aménagement. À titre subsidiaire, des études pré-opérationnelles pourront être subventionnées à condition qu’elles soient achevées avant fin 2022. Les dossiers éligibles sont instruits en donnant priorité aux projets qui, parmi trois critères, sont localisés dans des territoires où le marché est dit détendu au sens des politiques du logement ou en déprise économique et / ou commerciale ou en quartier prioritaire de la ville. Autant que possible, les projets retenus font l’objet d’une contractualisation au titre des contrats de plan État-Région (CPER) et des contrats de relance et de transition écologique (CRTE).

Un dispositif en faveur du logement

Le fonds friche est un dispositif pouvant fortement servir la production de logements. En témoignent les termes de l’appel à projet lancé en Île-de-France et les chiffres nationaux.
– L’appel à projets en Île-de-France. – En Île-de-France, les enjeux sont spécifiques en raison d’une tension extrême du marché du logement, et un besoin toujours important, malgré une production importante, pour répondre notamment à l’objectif fixé dans la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris de produire 70 000 logements par an ainsi qu’à celui fixé annuellement par le Fonds national des aides à la pierre, et notamment portés par la loi Solidarité Renouvellement Urbain, en matière de logements sociaux. Ainsi, une priorité est donnée, parmi divers autres objectifs, aux dossiers :
  • « présentant une programmation de logements permettant de répondre aux objectifs franciliens, notamment sociaux. Une attention particulière sera portée à cette programmation dans les communes dans lesquelles l’offre en logements sociaux est limitée (déficit SRU), ainsi qu’à la programmation à destination de publics spécifiques (ménages précaires, jeunes et étudiants) » ;
  • « favorisant les mixités sociales, générationnelles et fonctionnelles dans le cadre d’un projet urbain offrant un cadre de vie de qualité (offre d’équipements et services, espaces publics, espaces verts, transports adaptés...) ».
« Quelques chiffres nationaux
Les deux campagnes de 2021 ont permis de financer 1 118 projets, recyclant 2 700 ha de friches, et devant produire 5 700 000 m² de surfaces de logements générées dont près d’1/3 de logements sociaux (pour 4 100 000 m² de surfaces économiques et plus de 3 900 000 de m² d’équipements publics). 55 % des projets pour les friches urbaines ont été menés par des bailleurs sociaux dans la 1re édition. Au total sur les deux éditions, 22 % des 999 projets lauréats ont été portés par des bailleurs sociaux.
Ensuite, on peut noter que 25 % des projets lauréats sont inscrits dans les dispositifs « Petites villes de demain » ou « Action cœur de ville » et près de 10 % des projets lauréats font l’objet de labels ou autres certifications environnementale. La campagne de 2022 a retenu des projets prévoyant la création de 1 000 000 de m² de logements dont près de 50 % sociaux.
Le recyclage des friches constitue désormais l’axe 3 du Fonds vert. »

Le certificat de projet

Pour inciter au recyclage des friches, les financements sont nécessaires mais la sécurité juridique est primordiale. Cette sécurité juridique suppose (i) la connaissance des procédures, et on sait qu’elles sont extrêmement nombreuses, à respecter et (ii) l’anticipation des délais, et ce d’autant plus que la réhabilitation d’une friche suppose souvent de longs et coûteux travaux de dépollution. C’est la raison pour laquelle le législateur a institué, à l’article 212 de la loi du 22 août 2021 précité, l’expérimentation d’un certificat de projet dans les termes ci-après :
« I. – À titre expérimental et pour une durée de trois ans, le représentant de l’État dans le département peut établir un certificat de projet à la demande du porteur d’un projet intégralement situé sur une friche au sens de l’article L. 111-26 du Code de l’urbanisme et soumis, pour la réalisation de son projet, à une ou plusieurs autorisations au titre du Code de l’urbanisme, du Code de l’environnement, du Code de la construction et de l’habitation, du Code rural et de la pêche maritime, du Code forestier, du Code du patrimoine, du Code de commerce et du Code minier.
Le dossier de demande de certificat de projet est présenté au représentant de l’État dans le département, dans les conditions prévues par un décret en Conseil d’État.
II. – Le certificat prévu au I indique, en fonction de la demande présentée et au regard des informations fournies par le demandeur :
1° Les régimes, décisions et procédures applicables au projet à la date de cette demande, y compris les obligations de participation du public, les conditions de recevabilité et de régularité du dossier et les autorités compétentes pour prendre les décisions ou délivrer les autorisations nécessaires ;
2° Le rappel des délais réglementairement prévus pour l’intervention de ces décisions ou un calendrier d’instruction de ces décisions qui se substitue aux délais réglementairement prévus. Le représentant de l’État dans le département, lorsqu’il n’est pas compétent, recueille l’accord des autorités compétentes pour prendre ces décisions préalablement à la délivrance du certificat de projet.
Le certificat prévu au I peut indiquer les difficultés de nature technique ou juridique identifiées qui seraient susceptibles de faire obstacle à la réalisation du projet.
III. – Le porteur du projet mentionné au I peut présenter conjointement à sa demande de certificat de projet, le cas échéant, une demande d’examen au cas par cas prévu au IV de l’article L. 122-1 du Code de l’environnement, une demande d’avis prévu à l’article L. 122-1-2 du même code et une demande de certificat d’urbanisme prévu à l’article L. 410-1 du Code de l’urbanisme. Ces demandes sont, s’il y a lieu, transmises à l’autorité administrative compétente pour statuer et les décisions prises avant l’intervention du certificat de projet sont annexées à celui-ci.
IV. – Lorsque le certificat de projet fait mention d’une autorisation d’urbanisme et que cette autorisation fait l’objet d’une demande à l’autorité compétente dans un délai de dix-huit mois à compter de la date de délivrance dudit certificat, cette demande est alors instruite au regard des dispositions d’urbanisme telles qu’elles existaient à la date de délivrance du même certificat, à l’exception des dispositions dont l’application est nécessaire au respect des engagements internationaux de la France, notamment du droit de l’Union européenne, ou lorsqu’elles ont pour objet la préservation de la sécurité, de la santé ou de la salubrité publiques.
Le bénéficiaire d’un certificat de projet peut, à tout moment, renoncer au bénéfice des dispositions du présent IV, pour l’ensemble des procédures restant à mettre en œuvre et des décisions restant à prendre, nécessaires à la réalisation du projet.
V. – Les modalités d’application du présent article sont définies par le décret en Conseil d’État mentionné au I.
VI. – Au terme de la période d’expérimentation, les ministres chargés de l’urbanisme et de l’environnement remettent au Parlement un rapport évaluant la mise en œuvre du présent article. »
Le projet de décret pris pour l’application de l’article 212 de la loi Climat a été soumis à consultation entre le 11 octobre et le 5 novembre 2022. Outre le contenu du dossier de demande, il précise notamment la procédure à la suivre par le préfet avec les différentes autorités compétentes devant se prononcer.
Ce dispositif va dans le sens des financeurs des projets immobiliers, rendus davantage complexes lorsqu’ils se développent sur des sites déjà artificialisés.
S’il n’a pas vocation à se substituer aux autorisations administratives nécessaires à la réalisation du projet, le certificat de projet jouera un rôle important dans les relations des porteurs de projets avec l’administration et la stabilisation des normes applicables au projet. En effet, le certificat de projet permettra :
  • de désigner un interlocuteur privilégié pour les porteurs de projets : le préfet de département dispose ainsi de la compétence d’instruction et de délivrance du certificat de projet au terme d’un processus de consultation de chaque autorité administrative compétente ;
  • de fournir au bénéficiaire toutes les informations sur les procédures, y compris de participation du public, et autorisations administratives applicables au projet de réhabilitation envisagé. On note également que le texte prévoit que sont indiqués les délais réglementairement prévus pour l’intervention de ces décisions ou autorisations ou « un calendrier d’instruction de ces décisions qui se substitue aux délais réglementairement prévus », qui semble être un calendrier optimisé pour lequel le représentant de l’État dans le département, lorsqu’il n’est pas compétent, recueille l’accord des autorités compétentes pour prendre ces décisions préalablement à la délivrance du certificat de projet ;
  • d’indiquer – cela doit être relevé – « les difficultés de nature technique ou juridique identifiées qui seraient susceptibles de faire obstacle à la réalisation du projet » ;
  • de conférer, au bénéficiaire du certificat des droits acquis au maintien des règles d’urbanisme à l’occasion du dépôt de toute demande d’autorisation d’urbanisme dans le délai de dix-huit mois suivant la délivrance du certificat de projet.
Comme le note l’auteur de l’article précité du Moniteur, « le succès du certificat de projet dépendra largement de l’efficacité (…) du dispositif, notamment en matière de consultation et de coordination entre les différentes autorités compétentes ». De plus, cet outil devra ainsi s’inscrire dans la logique partenariale qui tend à se développer aujourd’hui entre les administrations et avec les opérateurs privés.