Avec la raréfaction du foncier il y a une tension de plus en plus palpable sur l’accès aux sites bâtis qui sont susceptibles de permettre la création de logements. Cette tension est accentuée par certaines politiques locales qui souhaitent limiter la densification de l’existant. À tel point que des organisations professionnelles appellent de leurs vœux une plus grande transparence de ces décisions locales, en documentant officiellement les pertes de constructibilités induites par les autorisations d’urbanismes accordées en deçà des possibilités offertes par les documents d’urbanisme. Ces questions de politiques publiques sont centrales dans une perspective de développement de l’offre de logement à l’heure de la sobriété foncière. Mais ce n’est pas parce que le bâti existant est théoriquement mobilisable qu’il peut être exploitable pour produire du logement. Avant même d’aborder le sujet de la transformation de bureaux en logements (V. infra, nos
et s., se pose ici la question de la faisabilité de la maîtrise des certains sites bâtis en vue de produire des logements. Cette question essentiellement technique et économique mérite d’être exposée ici sous l’angle des dispositifs institués par les pouvoirs publics en faveur de la mobilisation des friches (Sous-section I) et de la réalisation de projets d’urbanisme transitoire (Sous-section II).
La réappropriation du patrimoine existant en faveur du logement
La réappropriation du patrimoine existant en faveur du logement
Le recyclage des friches
Face à l’enjeu de redéveloppement du patrimoine bâti existant et à la suite du Plan Biodiversité de 2018 posant un objectif de « Zéro Artificialisation Nette » des sols, un Fonds pour le recyclage des friches, dit Fonds Friches, a été créé par le Gouvernement dans le cadre du Plan de Relance, lancé le 3 septembre 2020. Initialement doté d’un budget de 300 millions d’euros sur deux ans, ce fonds a été augmenté de 350 millions d’euros supplémentaires et les crédits ont tous été engagés en 2021 dans le cadre de deux éditions d’appels à projet. Une troisième édition a été lancée en 2022.
L’objectif mis en avant dans le Plan de Relance est « d’apporter un soutien exceptionnel à cet enjeu majeur d’aménagement durable des territoires qu’est la reconquête des friches », laquelle s’accompagne le plus souvent d’un surcoût de démolition, de dépollution ou de restructuration lourde qui ne peut être compensé par les recettes de cession. Cette démarche s’inscrit pleinement dans l’objectif de zéro artificialisation nette en ce qu’elle favorise le recyclage du foncier déjà artificialisé mais inutilisé ou sous-utilisé. Ces sites servent alors à de nouveaux usages, des projets d’aménagement, de logement, d’activité, et évitent d’utiliser des terres naturelles ou agricoles. De plus, pour permettre une plus grande densité aux projets réalisés dans les friches, l’article L. 152-6-2 du Code de l’urbanisme leur accorde un bonus de constructibilité de 30 %.
Aussi, comme le rappelle le rapport du Sénat">Lien présenté le 29 juin 2022, le modèle économique du ZAN reste à définir et les objectifs poursuivis sont difficilement atteignables sans aides publiques en faveur de la sobriété foncière (réhabilitation, rénovation, démolition-reconstruction). C’est bien l’objet du fonds friches (§ I). Par ailleurs, pour favoriser les projets d’envergure, un certificat de projet spécifique est destiné à sécuriser les opérateurs et financeurs dans leurs démarches de développements immobilier sur des sites complexes (§ II).
Le fonds friches
Ce fonds présente plusieurs volets (A). Les financements qu’il permet, subordonnés à certaines conditions (B), devraient avoir un impact sur l’offre de logement (C).
Les volets du fonds friches
Pour atteindre ses objectifs, le fonds friches se décline en trois volets.
1. Le recyclage des friches ou la transformation de foncier déjà artificialisés. Ce volet est piloté par les Préfets de région dans le cadre d’appels à projet régionaux sur la base d’un cadrage national. Dans le cadre du Fonds, la friche est caractérisée de la manière suivante :
- « tout terrain nu, déjà artificialisé et qui a perdu son usage ou son affectation, ou qui, en outremer, a pu être laissé vacant après évacuation d’habitats illicites et spontanés ;
- tout îlot d’habitat, d’activité ou mixte, bâti et caractérisé par une importante vacance ou à requalifier ».
Compte tenu du lien de ce fonds avec l’objectif ZAN, la loi no 2021-1104 du 22 août 2021, dite loi Climat, déjà citée, a introduit un nouvel article L. 111-26 du Code de l’urbanisme, qui définit la friche de la manière suivante : « Au sens du présent code, on entend par “friche” tout bien ou droit immobilier, bâti ou non bâti, inutilisé et dont l’état, la configuration ou l’occupation totale ou partielle ne permet pas un réemploi sans un aménagement ou des travaux préalables. Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret ». Cette définition reste limitée au Code de l’urbanisme.
2. Les projets de reconversion de friches polluées issus d’anciens sites industriels ICPE ou sites miniers. Ce volet est piloté par l’ADEME, dans le cadre d’un dispositif préexistant, qui a mis en place un cahier des charges spécifique.
3. Le développement d’outils de connaissance du foncier (
Cartofriches
">Lien
,
UrbanSimul
">Lien
) et d’aide à la reconversion des friches (
UrbanVitaliz
">Lien
).
Les conditions d’obtention des financements dans le cadre du volet recyclage des friches
Tous types de maîtres d’ouvrages des projets de recyclage de friches sont éligibles au financement du fonds friches, et en particulier :
- les collectivités, les établissements publics locaux, ou les opérateurs qu’ils auront désignés ;
- les établissements publics de l’État ou les opérateurs qu’ils auront désignés ;
- les aménageurs publics (établissements publics d’aménagement, entreprises publiques locales, SEM, SPL) ;
- les organismes de foncier solidaire ;
- les bailleurs sociaux ;
- des entreprises privées, sous réserve de l’accord de la collectivité compétente en matière d’urbanisme et d’aménagement ainsi que concédant, mandant ou bailleur le cas échéant, et pour des projets présentant un intérêt général suffisant (en termes de logement social, de revitalisation économique…).
Les projets visés sont ceux dont les bilans économiques restent déficitaires après prise en compte de toutes les autres subventions publiques, et ce malgré la recherche et l’optimisation de tous les autres leviers d’équilibre (en particulier en matière de densité et de mixité), à l’aune des enjeux d’attractivité du site et d’urbanité. Le volet recyclage du fonds « friches » s’adresse aux projets suffisamment matures afin que les crédits soient engagés dans l’année. Différentes actions peuvent être subventionnées, à savoir : des études, des acquisitions foncières, des travaux de dépollution de démolition ou d’aménagement. À titre subsidiaire, des études pré-opérationnelles pourront être subventionnées à condition qu’elles soient achevées avant fin 2022. Les dossiers éligibles sont instruits en donnant priorité aux projets qui, parmi trois critères, sont localisés dans des territoires où le marché est dit détendu au sens des politiques du logement ou en déprise économique et / ou commerciale ou en quartier prioritaire de la ville. Autant que possible, les projets retenus font l’objet d’une contractualisation au titre des contrats de plan État-Région (CPER) et des contrats de relance et de transition écologique (CRTE).
Un dispositif en faveur du logement
Le fonds friche est un dispositif pouvant fortement servir la production de logements. En témoignent les termes de l’appel à projet lancé en Île-de-France et les chiffres nationaux.
– L’appel à projets en Île-de-France. – En Île-de-France, les enjeux sont spécifiques en raison d’une tension extrême du marché du logement, et un besoin toujours important, malgré une production importante, pour répondre notamment à l’objectif fixé dans la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris de produire 70 000 logements par an ainsi qu’à celui fixé annuellement par le Fonds national des aides à la pierre, et notamment portés par la loi Solidarité Renouvellement Urbain, en matière de logements sociaux. Ainsi, une priorité est donnée, parmi divers autres objectifs, aux dossiers :
- « présentant une programmation de logements permettant de répondre aux objectifs franciliens, notamment sociaux. Une attention particulière sera portée à cette programmation dans les communes dans lesquelles l’offre en logements sociaux est limitée (déficit SRU), ainsi qu’à la programmation à destination de publics spécifiques (ménages précaires, jeunes et étudiants) » ;
- « favorisant les mixités sociales, générationnelles et fonctionnelles dans le cadre d’un projet urbain offrant un cadre de vie de qualité (offre d’équipements et services, espaces publics, espaces verts, transports adaptés...) ».
« Quelques chiffres nationaux
Les deux campagnes de 2021 ont permis de financer 1 118 projets, recyclant 2 700 ha de friches, et devant produire 5 700 000 m² de surfaces de logements générées dont près d’1/3 de logements sociaux (pour 4 100 000 m² de surfaces économiques et plus de 3 900 000 de m² d’équipements publics). 55 % des projets pour les friches urbaines ont été menés par des bailleurs sociaux dans la 1re édition. Au total sur les deux éditions, 22 % des 999 projets lauréats ont été portés par des bailleurs sociaux.
Ensuite, on peut noter que 25 % des projets lauréats sont inscrits dans les dispositifs « Petites villes de demain » ou « Action cœur de ville » et près de 10 % des projets lauréats font l’objet de labels ou autres certifications environnementale. La campagne de 2022 a retenu des projets prévoyant la création de 1 000 000 de m² de logements dont près de 50 % sociaux.
Le recyclage des friches constitue désormais l’axe 3 du Fonds vert. »
Le certificat de projet
Pour inciter au recyclage des friches, les financements sont nécessaires mais la sécurité juridique est primordiale. Cette sécurité juridique suppose (i) la connaissance des procédures, et on sait qu’elles sont extrêmement nombreuses, à respecter et (ii) l’anticipation des délais, et ce d’autant plus que la réhabilitation d’une friche suppose souvent de longs et coûteux travaux de dépollution. C’est la raison pour laquelle le législateur a institué, à l’article 212 de la loi du 22 août 2021 précité, l’expérimentation d’un certificat de projet dans les termes ci-après :
« I. – À titre expérimental et pour une durée de trois ans, le représentant de l’État dans le département peut établir un certificat de projet à la demande du porteur d’un projet intégralement situé sur une friche au sens de l’article L. 111-26 du Code de l’urbanisme et soumis, pour la réalisation de son projet, à une ou plusieurs autorisations au titre du Code de l’urbanisme, du Code de l’environnement, du Code de la construction et de l’habitation, du Code rural et de la pêche maritime, du Code forestier, du Code du patrimoine, du Code de commerce et du Code minier.
Le dossier de demande de certificat de projet est présenté au représentant de l’État dans le département, dans les conditions prévues par un décret en Conseil d’État.
II. – Le certificat prévu au I indique, en fonction de la demande présentée et au regard des informations fournies par le demandeur :
1° Les régimes, décisions et procédures applicables au projet à la date de cette demande, y compris les obligations de participation du public, les conditions de recevabilité et de régularité du dossier et les autorités compétentes pour prendre les décisions ou délivrer les autorisations nécessaires ;
2° Le rappel des délais réglementairement prévus pour l’intervention de ces décisions ou un calendrier d’instruction de ces décisions qui se substitue aux délais réglementairement prévus. Le représentant de l’État dans le département, lorsqu’il n’est pas compétent, recueille l’accord des autorités compétentes pour prendre ces décisions préalablement à la délivrance du certificat de projet.
Le certificat prévu au I peut indiquer les difficultés de nature technique ou juridique identifiées qui seraient susceptibles de faire obstacle à la réalisation du projet.
III. – Le porteur du projet mentionné au I peut présenter conjointement à sa demande de certificat de projet, le cas échéant, une demande d’examen au cas par cas prévu au IV de l’article L. 122-1 du Code de l’environnement, une demande d’avis prévu à l’article L. 122-1-2 du même code et une demande de certificat d’urbanisme prévu à l’article L. 410-1 du Code de l’urbanisme. Ces demandes sont, s’il y a lieu, transmises à l’autorité administrative compétente pour statuer et les décisions prises avant l’intervention du certificat de projet sont annexées à celui-ci.
IV. – Lorsque le certificat de projet fait mention d’une autorisation d’urbanisme et que cette autorisation fait l’objet d’une demande à l’autorité compétente dans un délai de dix-huit mois à compter de la date de délivrance dudit certificat, cette demande est alors instruite au regard des dispositions d’urbanisme telles qu’elles existaient à la date de délivrance du même certificat, à l’exception des dispositions dont l’application est nécessaire au respect des engagements internationaux de la France, notamment du droit de l’Union européenne, ou lorsqu’elles ont pour objet la préservation de la sécurité, de la santé ou de la salubrité publiques.
Le bénéficiaire d’un certificat de projet peut, à tout moment, renoncer au bénéfice des dispositions du présent IV, pour l’ensemble des procédures restant à mettre en œuvre et des décisions restant à prendre, nécessaires à la réalisation du projet.
V. – Les modalités d’application du présent article sont définies par le décret en Conseil d’État mentionné au I.
VI. – Au terme de la période d’expérimentation, les ministres chargés de l’urbanisme et de l’environnement remettent au Parlement un rapport évaluant la mise en œuvre du présent article. »
Le projet de décret pris pour l’application de l’article 212 de la loi Climat a été soumis à consultation entre le 11 octobre et le 5 novembre 2022. Outre le contenu du dossier de demande, il précise notamment la procédure à la suivre par le préfet avec les différentes autorités compétentes devant se prononcer.
Ce dispositif va dans le sens des financeurs des projets immobiliers, rendus davantage complexes lorsqu’ils se développent sur des sites déjà artificialisés.
S’il n’a pas vocation à se substituer aux autorisations administratives nécessaires à la réalisation du projet, le certificat de projet jouera un rôle important dans les relations des porteurs de projets avec l’administration et la stabilisation des normes applicables au projet. En effet, le certificat de projet permettra :
- de désigner un interlocuteur privilégié pour les porteurs de projets : le préfet de département dispose ainsi de la compétence d’instruction et de délivrance du certificat de projet au terme d’un processus de consultation de chaque autorité administrative compétente ;
- de fournir au bénéficiaire toutes les informations sur les procédures, y compris de participation du public, et autorisations administratives applicables au projet de réhabilitation envisagé. On note également que le texte prévoit que sont indiqués les délais réglementairement prévus pour l’intervention de ces décisions ou autorisations ou « un calendrier d’instruction de ces décisions qui se substitue aux délais réglementairement prévus », qui semble être un calendrier optimisé pour lequel le représentant de l’État dans le département, lorsqu’il n’est pas compétent, recueille l’accord des autorités compétentes pour prendre ces décisions préalablement à la délivrance du certificat de projet ;
- d’indiquer – cela doit être relevé – « les difficultés de nature technique ou juridique identifiées qui seraient susceptibles de faire obstacle à la réalisation du projet » ;
- de conférer, au bénéficiaire du certificat des droits acquis au maintien des règles d’urbanisme à l’occasion du dépôt de toute demande d’autorisation d’urbanisme dans le délai de dix-huit mois suivant la délivrance du certificat de projet.
Comme le note l’auteur de l’article précité du Moniteur, « le succès du certificat de projet dépendra largement de l’efficacité (…) du dispositif, notamment en matière de consultation et de coordination entre les différentes autorités compétentes ». De plus, cet outil devra ainsi s’inscrire dans la logique partenariale qui tend à se développer aujourd’hui entre les administrations et avec les opérateurs privés.
L’urbanisme de transition ou le potentiel du patrimoine intercalaire
L’urbanisme dit transitoire est une pratique urbaine, consistant à occuper des lieux inutilisés de manière provisoire, afin de soit répondre à un besoin immédiat dans l’attente de la réalisation d’un projet urbain pérenne, soit de redynamiser des espaces en préfigurant le ou les usages qui pourraient être possible avec pour objectif d’aboutir à terme à la réalisation d’un projet urbain pérenne. Dans un contexte de tension du marché du logement, l’urbanisme transitoire peut apporter une réponse spécifique pour certains besoins de logement.
La mise en place d’une opération d’urbanisme transitoire est en général une relation tripartite entre :
- un propriétaire ;
- une entité qui va mettre en place l’utilisation finale, soit à l’échelle d’un local, soit à l’échelle de l’ensemble immobilier avec une mission d’ensemblier ;
- un utilisateur final.
D’un point de vue contractuel, nombreux sont les outils qui existent pour mettre place cette utilisation provisoire. Il s’agira le plus souvent de titres précaires et révocables. Une attention spécifique devra être portée sur les règles de délivrance des titres d’occupation du domaine public, lorsque l’occupant entend exercer une activité économique, ainsi que les règles de la commande publique, lorsque l’occupation temporaire répond à un besoin de la personne publique et que le contrat est, pour cette dernière, à titre onéreux.
D’un point de vue matériel, l’urbanisme transitoire visait essentiellement les bâtiments vacants. Mais pour répondre à ces besoins, qui ne cessent de s’accroître, de logements, d’hébergements, de solutions flexibles, la Banque des territoires, SNCF Immobilier, ICF Habitat et le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis dans le cadre du projet Toits temporaires urbains ont développé une solution constructive innovante, des bâtiments modulaires et démontables, pouvant être installés puis réinstallés à plusieurs endroits et qui s’inscrivent pleinement dans la trajectoire ZAN
D’un point de vue administratif, l’occupation temporaire peut susciter une ou plusieurs autorisations préalables. La difficulté est que l’état du droit, qui a été peu modifié ces dernières années, n’est pas toujours parfaitement adapté à cette nouvelle pratique urbaine en développement. En matière de production logement, il faut toutefois noter des dispositifs incitatifs.
Les outils de l’urbanisme transitoire permettant une réponse à un besoin immédiat de logement
Occuper un bien bâti inutilisé dans l’attente de l’aboutissement d’un projet urbain pérenne pour répondre à un besoin immédiat de logement suppose le plus souvent d’en changer la destination (A), éventuellement de réaliser des travaux, et de modifier l’usage (B). En effet selon la typologie des lieux occupés, cette occupation temporaire peut se faire dans un bâti existant, éventuellement adapté, ou dans une construction modulaire, qui a vocation à se déplacer. Dans ce dernier cas, la difficulté est que, juridiquement, les constructions modulaires seront analysées comme des constructions nouvelles soumises aux mêmes autorisations préalables lorsqu’elles sont exigées.
Droit de l’urbanisme
Le droit de l’urbanisme contrôle les changements de destinations des constructions existantes afin de vérifier le respect des règles locales d’urbanisme, telles que fixées par les plans locaux d’urbanisme ou les documents en tenant lieu. Par exception, il existe des cas de dispense de formalité et des possibilités de déroger à ces règles d’urbanisme. Dès lors, trois cas sont à distinguer :
- le projet est conforme aux règles d’urbanisme en vigueur : il faut dans ce cas procéder en principe au dépôt d’une déclaration préalable (C. urb., art. R. 421-17) sauf si le projet peut bénéficier d’une dispense de formalité (C. urb., art. R. 421-5). Lorsque ce changement est accompagné de travaux ayant pour effet de modifier les structures porteuses d’un bâtiment ou la façade du bâtiment, la réalisation du projet doit être précédée de l’obtention d’un permis de construire (C ; urb., art. R. 421-14) ;
- le projet n’est pas conforme aux règles d’urbanisme en vigueur : la seule solution prévue par le Code de l’urbanisme est de recourir à un permis de construire précaire (C. urb., art. L. 433-1 à L. 433-7), instruit dans les mêmes conditions qu’un permis de construire de droit commun, permettant une dérogation temporaire, pourvu qu’elle soit limitée et justifiée par une nécessité caractérisée, tenant notamment à des motifs d’ordre économique, social, culturel ou d’aménagement (CE, 18 févr. 2015, Association de valorisation du quartier Paris-Maillot-Dauphine, no 385959). Le pétitionnaire doit remettre les lieux dans leur état antérieur avant une date fixée par le permis précaire ;
- le projet peut bénéficier d’une dispense de formalités, en raison de la faible durée de leur maintien en place ou de leur caractère temporaire compte tenu de l’usage auquel elles sont destinées, car il est réalisé pour une durée n’excédant pas trois mois (C. urb., art. R. 421-5), ou quinze jours dans les sites protégés tels dans le périmètre des sites patrimoniaux remarquables ou dans les abords des monuments historiques (C. urb., R. 421-7). Néanmoins, pour le relogement d’urgence des personnes victimes d’un sinistre ou d’une catastrophe naturelle ou technologique, ainsi que pour l’hébergement d’urgence des personnes migrantes en vue de leur demande d’asile, cette durée est portée à un an (C. urb., R. 421-5, a)). À la fin de la durée, le constructeur est tenu de remettre lieux dans leur état initial.
– Les habitats modulaires. – Qui ont vocation à être déplacés, ne dérogent pas à ce cadre juridique et doivent, selon les cas, être autorisés comme toute nouvelle construction. Néanmoins, s’agissant d’un ensemble d’habitations modulaires (au moins deux) sur un même site, il est alors possible de recourir à un permis d’aménager pour résidences démontables, qui sont définies comme « des résidences démontables constituant l’habitat permanent de leurs utilisateurs les installations sans fondation disposant d’équipements intérieurs ou extérieurs et pouvant être autonomes vis-à-vis des réseaux publics. Elles sont destinées à l’habitation et occupées à titre de résidence principale au moins huit mois par an. Ces résidences ainsi que leurs équipements extérieurs sont, à tout moment, facilement et rapidement démontables » (C. urb., art. R. 111-51). En rentrant dans ce régime juridique, et après l’obtention d’un permis d’aménager ou le dépôt d’une déclaration préalable d’aménager, il n’est pas nécessaire de déposer un permis de construire pour chaque résidence démontable.
Législation sur l’usage
La législation sur l’usage a pour objet de protéger les locaux à usage d’habitation en soumettant à autorisation préalable tout changement d’usage de ces locaux en un autre usage (CCH, art. L. 631-7) selon des conditions et modalités définies par un règlement municipal ou intercommunal. Pour produire du logement, elle n’est donc pas une contrainte qui s’impose aux porteurs de projet. Cependant, cette législation peut conduire à obérer les possibilités d’évolutions du bien dans un second temps, une fois le logement implanté, faute de pouvoir obtenir le retour à un usage autre sans l’obtention préalable d’une autorisation soumise à compensation (ce qui obligera à transformer, dans le même temps et à proportion des surfaces objet de la demande, des locaux d’un usage autre que d’habitation en locaux d’habitation). C’est sans doute l’une des craintes majeures qui freine les projets de logement dans le cadre d’opérations d’urbanisme de transition.
Pourtant, des solutions existent. Deux hypothèses peuvent être formulées selon l’autorisation obtenue en matière d’urbanisme :
- si le projet de logement est réalisé sur la base d’un permis précaire ou d’une dispense de formalité, la destination du bien n’est pas modifiée. Dès lors, il n’y a pas de changement d’usage et le bien pourra retrouver son usage autre que d’habitation à la fin du projet temporaire sans formalités ;
- si le projet de logement est réalisé sur la base d’une autorisation d’urbanisme de droit commun, alors la destination du bien est modifiée et, en principe l’usage également. Pour permettre ce retour à l’usage autre d’habitation, une délibération du conseil municipal (ou de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale s’il est compétent) peut définir un régime de déclaration préalable permettant d’affecter temporairement à l’habitation des locaux destinés à un usage autre que l’habitation, pour une durée n’excédant pas quinze ans. Si ce dispositif est prévu, jusqu’à l’expiration du délai de 15 ans, les locaux initialement à usage autre que d’habitation peut retrouver leur usage antérieur sans être soumis à une autorisation préalable.
L’incitation à la production de logements par des dispositifs expérimentaux d’urbanisme transitoire
En dehors du dispositif spécifique de la loi Elan dont l’objet est spécifiquement de favoriser l’offre de logement (A), d’autres outils expérimentaux peuvent être mobilisés pour favoriser les opérations d’urbanisme de transition (B).
Le dispositif de l’article 29 de la loi Elan de résidence temporaire
Le dispositif de résidence temporaire est un dispositif expérimental, dont les effets peuvent se produire jusqu’au 31 décembre 2023, facilitant l’occupation de locaux vacants. Prévu initialement par la loi Molle de 2009 jusqu’au 31 décembre 2013, puis jusqu’au 31 décembre 2018, le dispositif a été prorogé et orienté davantage vers le logement et les personnes en difficultés par l’article 29 de la loi Elan no 2018-1021 du 23 novembre 2018. En effet, aujourd’hui il permet l’occupation temporaire de locaux vacants, « notamment à des fins de logements, d’hébergement, d’insertion et d’accompagnement social ».
Le dispositif de résidence temporaire est un dispositif à ce jour expérimental, dont les effets peuvent se produire jusqu’au 31 décembre 2023, facilitant l’occupation de locaux vacants. Prévu initialement par la loi Molle de 2009 jusqu’au 31 décembre 2013, puis jusqu’au 31 décembre 2018, le dispositif a été prorogé et orienté davantage vers le logement et les personnes en difficultés par l’article 29 de la loi Elan no 2018-1021 du 23 novembre 2018 de sorte à permettre l’occupation temporaire de locaux vacants, « notamment à des fins de logements, d’hébergement, d’insertion et d’accompagnement social ». « Compte tenu du succès du dispositif » et du fait qu’il « répond à une vraie solution d’hébergement sécurisée et digne », sa pérennisation est actuellement envisagée dans le cadre de la proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite actuellement en cours d’adoption (amendement présenté par M. Perrot, no 150, introduisant un article 2 ter dans le projet de loi). Le dispositif ne serait donc plus expérimental.
Sur le plan contractuel, le dispositif fonctionne en trois temps et avec deux conventions :
- dans un premier temps, l’opérateur doit obtenir préalablement un agrément, octroyé par le préfet du département dans lequel se situe le projet. Sont agréés par l’État, au vu de leurs compétences à mener des travaux d’aménagement et à organiser l’occupation de bâtiments par des résidents temporaires, les organismes publics, les organismes privés ou les associations qui mettent en place un dispositif d’occupation temporaire de locaux en vue d’en assurer la protection et la préservation. De manière générale, les opérateurs sont incités à œuvrer en faveur des personnes sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale puisque. En effet, selon le texte, « l’agrément de l’État est subordonné à des engagements de l’organisme ou de l’association mentionné au troisième alinéa du présent article quant aux caractéristiques des résidents temporaires, et notamment à des engagements en faveur des personnes mentionnées au premier alinéa de l’article L. 345-2-2 du Code de l’action sociale et des familles. Ces engagements ne peuvent être définis qu’au regard du nombre total de places de logement et d’hébergement mises à disposition par l’organisme ou l’association agréé. Ces engagements peuvent être définis en fonction des besoins des territoires. Le non-respect de ces engagements par l’association ou l’organisme peut conduire au retrait de l’agrément mentionné au deuxième alinéa du présent article » ;
- dans un deuxième temps, un contrat est conclu entre le ou les propriétaires du bien vacant et l’opérateur agréé. Ce dernier doit s’engager à protéger et préserver les locaux qui sont mis à sa disposition et à les rendre au propriétaire, libres de toute occupation à l’échéance de la convention ou lors de la survenance d’un événement défini par celle-ci. La convention est d’une durée maximale de trois ans et peut être prorogée par périodes d’un an, dès lors que le propriétaire justifie que, à l’issue de l’occupation du bâtiment par des résidents temporaires, le changement de destination initialement envisagé pour les locaux ne peut avoir lieu ;
- enfin, dans un troisième temps, des conventions sont conclues entre l’opérateur agréé et les résidents temporaires, d’une durée comprise entre deux mois minimum et dix-huit mois maximum.
Sur le plan des autorisations de construire et d’un éventuel changement de destination, l’article 10 du décret no 2019-497 prévoit explicitement que « la seule circonstance que ces locaux font l’objet d’une occupation temporaire en vertu [du contrat de résidence temporaire] ne constitue pas un changement de destination de ces locaux au sens de l’article R. 421-17 du Code de l’urbanisme ». Dès lors, en amont, l’opérateur est dispensé de formalités au titre du changement de destination. En aval, le propriétaire ou le futur occupant n’auront pas non plus de démarches à effectuer pour que le bien retrouve sa destination initiale.
Les dispositifs expérimentaux concernant certaines décisions administratives préalables aux projets
Plusieurs dispositifs expérimentaux non codifiés permettent de déroger à une ou plusieurs règles.
Parmi eux, le décret no 2021-812 du 24 juin 2021 portant adaptation temporaire du régime de dispense de formalités d’urbanisme applicables à certaines constructions démontables favorisait directement la production de logements. Celui-ci étendait à 18 mois la durée maximale d’implantation des constructions dispensée de toutes formalités au titre de l’article R. 421-5 du Code de l’urbanisme, lorsqu’elles sont exclusivement à usage :
« 1° de résidence universitaire, telle que définie à l’article L. 631-12 du Code de la construction et de l’habitation ;
2° de résidence sociale, telle que définie au troisième alinéa de l’article L. 633-1 du Code de la construction et de l’habitation ;
3° de centre d’hébergement et de réinsertion sociale, tel que défini à l’article L. 345-1 du Code de l’action sociale et des familles ;
4° de structure d’hébergement d’urgence, telle que mentionnée aux articles L. 345-2-2 et L. 345-2-3 du Code de l’action sociale et des familles ».
Ce dispositif a été prévu seulement jusqu’au 31 décembre 2022. C’est la raison pour laquelle le rapport Rebsamen précité proposait d’étendre cette dispense de formalité pour une durée de 5 ans.
En toutes hypothèses, s’il constituait un levier immédiat de production de logement, il trouvait toutefois une limite en ce que ce délai dérogatoire ne s’appliquait pas dans :
- les sites classés ou en instance de classement ;
- le périmètre des sites patrimoniaux remarquables ;
- les abords des monuments historiques ;
- et des périmètres justifiant une protection particulière et délimités par une délibération motivée du conseil municipal ou de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme. Dans le périmètre de ces sites, la durée maximale d’implantation reste en principe de quinze jours, sauf exception prévue par les textes.
Un autre dispositif qui peut favoriser la production de logements est le permis d’innover. Prévu par l’article 88 II de la loi no 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine et prorogé jusqu’en 2025 par la loi Elan (L. no 2018-1021, 23 nov. 2018), le permis d’innover permet à titre expérimental aux « maîtres d’ouvrage des constructions ou des aménagements situés dans le périmètre d’une opération d’intérêt national au sens de l’article L. 102- 12 du Code de l’urbanisme, dans le périmètre d’une grande opération d’urbanisme au sens de l’article L. 312-3 du même code ou dans le périmètre du ou des secteurs d’intervention prévus au premier alinéa du II de l’article L. 303-2 du Code de la construction et de l’habitation, et ne faisant pas l’objet d’une expérimentation au titre du I du présent article, [de] demander à déroger aux règles opposables à leur projet à condition de démontrer que sont atteints des résultats satisfaisant aux objectifs poursuivis par les règles auxquelles il est dérogé ». Si cet outil ne peut être mobilisé que dans des secteurs limités, il peut permettre pas exemple de créer un bâtiment modulable et réversible, sans destination définie entre bureau et logement. C’est le cas du premier permis d’innover qui a été délivré en 2022, dans le périmètre de l’OIN Bordeaux Euratlantique, et plus particulièrement au sein de la ZAC Saint-Jean/Belcier. Il s’agissait d’un immeuble réversible de neuf étages, soit plus de 4 000 m², conçu par le cabinet Canal Architecture pour le compte de l’opérateur Elithis. Pour ce projet, trois dérogations ont été demandées dans le cadre du permis d’innover. La première autorise le pétitionnaire à ne pas renseigner de destination précise dans le formulaire cerfa de la demande de permis. Le pétitionnaire a pu indiquer « et/ou » en lieu et place de la ventilation des surfaces usuellement renseignée. En effet, bien qu’à la livraison du bâtiment, en 2024, il est prévu que 75 % de l’immeuble soit réservé au logement, et que les 25 % restants soient destinés à des bureaux, une crèche, des terrasses et des espaces mutables sans affectation précise, la destination autorisée ne relève ni du bureau, ni du logement puisqu’il est prévu que les locaux pourront, au fil des années, passer d’une destination à l’autre sans qu’il soit nécessaire de solliciter de demande de changement de destination. La deuxième et la troisième dérogations portent respectivement sur le sujet fiscal et sur la règlementation de sécurité en incendie.
Enfin, sur le plan strict des autorisations préalables à un projet, doit être mentionné le droit d’expérimentation de l’administration locale, initié par le décret no 2017-1855 et généralisé par le décret n° 2020-412 du 8 avril 2020. Pour être mobilisé, la dérogation doit être relative à la délivrance d’une décision non règlementaire relevant de la compétence du préfet de région ou de département dans une des 7 matières listées par le texte, dont la construction, le logement et l’urbanisme. Elle doit de plus répondre à certaines conditions posées par le texte. Parmi les exemples cités dans le Rapport d’Information du Sénat, en date du 11 juin 2019, « Réduire le poids des normes en aval de leurs production : interprétation facilitatrice et pouvoir de dérogation aux normes », il y a celui de la Préfecture de la Mayenne, qui a permis de déroger aux obligations de permis de construire et de réalisation de mise en accessibilité de modulaires préfabriqués implantés pour la durée d’un chantier de travaux de reconstruction d’une école accordé par arrêté préfectorale en date du 16 août 2018.
Au-delà des cas particuliers dans lesquels il offre une réponse au besoin de logement, l’urbanisme transitoire c’est surtout la possibilité d’expérimenter de nouveaux usages, de nouvelles façons de « vivre ensemble » dans un quartier ou un site en reconstruction. Les expériences ont souvent emporté une telle adhésion des habitants et des pouvoirs publics concernés (exemple des Grands Voisins à Saint-Vincent de Paul) que les projets pérennes en ont tiré des enseignements, voire ont intégré une partie des usages et lieux de vie qui avaient pourtant été imaginés pour n’être que temporaires. On voit ici une façon de penser le logement au-delà des seuls mètres carrés privatifs. Et le succès de ces expériences conduit désormais à prévoir dans la plupart des appels à projets urbains innovants, sur lesquels de plus amples développements suivront, une préfiguration de ces usages « communs » aux habitants du quartier ou du site en redéveloppement.