Le décès, un événement créateur de nouveaux droits au logement

Le décès, un événement créateur de nouveaux droits au logement

L'innovation majeure de la loi de 2001 réside dans l'instauration, au profit du conjoint survivant, de deux droits très spécifiques d'occupation du logement autrefois commun. Au décès du premier des époux, le survivant est successivement investi d'abord d'un droit temporaire d'une durée d'un an (ou droit annuel) puis, sous réserve d'en remplir les conditions, d'un droit à vie (ou droit viager). Ces deux droits se succèdent. Proches en apparence de par leur objet, ils se distinguent par leur nature et obéissent en conséquence à des règles différentes. Le droit temporaire est un droit sui generis , même s'il s'est en quelque sorte substitué aux droits de viduité de l'ancien article 1481 du Code civil, abrogé par la loi de 2001. Il est, en son principe, un droit d'usage et d'habitation, même s'il serait plus juste de lui reconnaître un caractère hybride entre l'usufruit et le droit d'usage et d'habitation des articles 625 à 635 du Code civil.
Compte tenu de leur importance, ces droits très nouveaux ont fait l'objet de multiples analyses et commentaires, dont ceux de nos confrères au 116e Congrès des notaires de France. Nous proposons ici une approche différente. Après une étude comparative des droits temporaire et viager (Sous-section I), nous nous concentrerons plus particulièrement sur le droit viager lequel, compte tenu de sa nature successorale, entre nécessairement en conflit avec d'autres droits (Sous-section II).

Étude comparative des droits au logement

En apparence très proches, les droits temporaire et viager se différencient par nature (§ I), leur champ d'application (§ II) et leurs effets (§ III).

La nature des droits au logement

Le droit temporaire est un droit personnel, le droit viager un droit réel (A). Le premier est un effet direct du mariage auquel le législateur a conféré un caractère impératif, le second un droit successoral supplétif (B).

Droit personnel versus droit réel

Le droit temporaire et le droit viager au logement confèrent tous deux à leur bénéficiaire un droit de jouissance. Ce droit est personnel pour le premier (I), réel pour le second (II).
Droit personnel de jouissance
– Un droit de créance. – Le droit temporaire au logement confère à son bénéficiaire un droit de créance contre la succession du prémourant du couple. Il a la jouissance gratuite du logement. La charge de loger le survivant incombe à la succession.
Conséquence au regard de la publicité foncière. S'agissant d'un droit personnel, le droit temporaire est exclu de la formalité de publication au fichier immobilier.

L'analyse fiscale restrictive du droit annuel au logement, ou comment nier l'évidence

Étant acquis en droit civil que le droit annuel au logement du conjoint survivant constitue une charge grevant la succession, il n'y aurait rien d'illégitime à y voir, en droit fiscal, un passif déductible pour le calcul des droits de mutation à titre gratuit. La dette dont s'agit trouve incontestablement son origine dans la loi. Il n'en va pas toujours ainsi, loin s'en faut.
Lorsque le logement est en location ou en indivision avec un tiers, les loyers ou indemnités d'occupation effectivement remboursés au conjoint ou partenaire survivant constituent un passif successoral déductible fiscalement. En revanche, si le logement dépend en totalité de la succession ou s'il est en indivision entre le défunt et le survivant, l'administration fiscale n'admet aucune déduction au titre du passif, considérant qu'il n'y a aucune dette au jour du décès. Cet argument est discutable. Les loyers ne constituent pas non plus une dette existante au jour du décès. L'administration en a pourtant admis la déduction.
L'administration refuse également d'appliquer une réduction de la valeur du logement afin de tenir compte de la charge dont il est grevé. Sans doute considère-t-elle comme suffisant l'abattement de 20 % applicable sur la valeur de la résidence principale du défunt qu'il occupait avec son conjoint, ou avec ses enfants, ou ceux de son conjoint, mineurs ou majeurs et placés sous un régime d'incapacité ou incapables de travailler dans des conditions normales de rentabilité en raison d'une infirmité physique ou mentale. Mais si les époux vivaient séparément, cet abattement n'est pas applicable. Il paraîtrait alors logique de minorer la valeur du logement pour tenir compte de l'impossibilité pour les héritiers d'en percevoir les fruits ou de le vendre pendant au moins un an.
Droit réel de jouissance
– Des droits d'usage et d'habitation spéciaux. – Le droit viager au logement est un droit réel d'habitation assorti d'un droit d'usage du mobilier le garnissant, puisqu'il emprunte au droit commun de ces droits. Le texte renvoie, en effet, à certains articles, et plus précisément aux articles 627, 631, 634 et 635 du Code civil, relatifs au droit d'usage et d'habitation pour l'exercice du droit viager. Mais le renvoi n'est pas total et le droit viager déroge au régime du droit d'habitation pour se rapprocher de l'usufruit lorsque le législateur accorde au conjoint survivant la possibilité de louer le logement s'il n'est plus adapté à ses besoins, et ce sans avoir à recueillir l'accord préalable des héritiers ou légataires, ni même à les informer.
Conséquence fiscale. Le droit viager constitue un véritable droit successoral du conjoint survivant et non un passif successoral. Il n'est donc pas déductible de l'actif successoral taxable aux droits de mutation à titre gratuit.
Conséquence au regard de la publicité foncière. Le droit viager est un droit réel. Le notaire est donc tenu d'en faire la publication au fichier immobilier. Toutefois, le défaut de publication n'est pas sanctionné par l'inopposabilité du droit aux tiers. Mais toute personne qui subirait un préjudice en résultant, sous réserve d'en justifier, pourrait prétendre au versement de dommages et intérêts. Tel serait le cas d'un acquéreur dans l'ignorance de l'existence du droit viager.

Droit impératif versus droit supplétif

Le droit temporaire est un effet direct du mariage que le législateur a voulu d'ordre public (I). Le droit viager compte, quant à lui, parmi les droits successoraux du conjoint survivant. Si le législateur lui a façonné un régime spécial, il ne lui a pas, pour autant, conféré de caractère impératif (II).
Effet direct du mariage et droit impératif
Un effet direct du mariage
– Une extension du régime primaire impératif au-delà du décès. – Le droit temporaire au logement constitue un effet direct du mariage. Il est considéré comme une disposition du régime primaire impératif et s'applique donc quel que soit le régime matrimonial des époux. On peut considérer qu'il succède à l'article 215, alinéa 3 du Code civil dont l'application cesse avec le mariage. La Cour de cassation a encore récemment rappelé que la protection du logement de la famille conférée par ce texte prenait fin avec le décès.
Les conséquences de la qualification. La qualification d'effet direct du mariage emporte les conséquences suivantes :
  • le droit temporaire bénéficie de plein droit au conjoint survivant qui n'a pas à le revendiquer ;
  • le conjoint survivant n'a pas à justifier d'un état de besoin ou d'une insuffisance de ressources ;
  • n'étant pas un droit successoral, le droit temporaire n'empiète pas sur la vocation successorale du conjoint survivant qui reste intacte. Les deux se cumulent ;
  • l'exercice du droit temporaire est sans incidence sur l'option successorale et ne saurait valoir acceptation tacite. Inversement, l'acceptation de la succession ou la renonciation sont sans incidence sur le droit temporaire.
Un droit impératif
Le droit temporaire au logement est d'ordre public, comme l'indique expressément le dernier alinéa de l'article 763 du Code civil.
Les conséquences. Un époux ne peut pas priver son conjoint du droit temporaire. Ce dernier ne peut pas non plus y renoncer du vivant de son époux. En revanche, il est libre d'y renoncer une fois la succession ouverte.
Le maintien du droit temporaire en cas de séparation de corps. Le droit temporaire au logement demeure acquis aux époux en cas de séparation de corps et son caractère impératif leur interdit d'y renoncer dans la convention qu'ils établissent dans le cadre d'une séparation par consentement mutuel. L'article 301 du Code civil vise limitativement les droits « successoraux » auxquels les époux peuvent renoncer dans la convention. Non seulement le droit temporaire au logement n'est pas de nature successorale, mais en outre l'article 763 qui le concerne ne figure pas dans la liste des articles visés par ce texte afférents aux droits successoraux auxquels les époux peuvent renoncer d'un commun accord.
Un droit supplétif de nature successorale
Un droit de nature successorale
Le droit viager au logement est de nature successorale.
Les conséquences. Le conjoint survivant ne peut pas cumuler son droit viager au logement avec sa vocation légale. Les deux se combinent et la valeur du droit viager s'impute sur celle des droits successoraux recueillis par le conjoint .
Un droit supplétif
– Conséquences. – Le droit viager au logement n'étant pas d'ordre public, le de cujus peut donc en priver son conjoint.
Un formalisme rigoureux. Le législateur a considéré cette décision suffisamment lourde de conséquences pour imposer un formalisme rigoureux qui fait dire à certains auteurs qu'il s'agit d'un droit « quasi impératif ». Le de cujus doit en effet recourir au testament authentique, ce qui lui impose d'exprimer clairement, à haute voix, sa volonté de retirer à son conjoint le droit viager, et ce devant deux notaires ou un notaire et deux témoins instrumentaires. La solennité de l'exercice a pour but de faire prendre conscience au testateur de la gravité de son acte, ce que le notaire ne manquera pas de lui rappeler au titre de son devoir de conseil. Si le testateur entend aménager le droit viager, pour désigner un autre logement qui en sera l'objet ou pour le limiter dans le temps par exemple, la même forme testamentaire doit être observée. La Cour de cassation a rappelé que la privation du droit viager figurant dans un testament olographe était inopérante, et ce même si le testament a été établi avant la loi du 3 décembre 2001, alors que le droit au logement n'était pas encore instauré.
Une volonté clairement exprimée. La question se pose de savoir si la privation du droit viager au logement peut être implicite et résulter d'un legs universel ou du legs particulier du logement au profit d'un tiers. Certains auteurs l'admettent. Pour d'autres, les termes de l'article 764 (« sauf volonté contraire du défunt exprimée ») et son esprit imposent une manifestation expresse de volonté. L'intention du testateur doit être claire et sans équivoque : il doit indiquer de façon explicite qu'il entend priver son conjoint du droit au logement. À défaut, le legs sera sans effet sur le droit viager. Dans l'attente d'une précision du législateur ou du juge, le notaire devra veiller à ce que le testateur précise clairement si, par la désignation d'un tiers légataire universel ou à titre particulier du logement, ou la privation, pour son conjoint, de tout droit dans sa succession, il entend également priver son conjoint du droit viager.

Droit prospectif : un droit viager encore plus intangible

Afin de renforcer encore la protection du conjoint survivant, le groupe de travail sur la réserve héréditaire a proposé d'exclure la possibilité de priver le conjoint survivant du droit viager dans l'hypothèse où le logement est la propriété du couple.
– L'exception en cas de séparation de corps. – En cas de séparation de corps, le conjoint survivant conserve sa vocation héréditaire et donc son droit viager au logement. D'un commun accord et par exception au formalisme rigoureux du testament authentique, les époux peuvent renoncer au droit viager dans la convention qu'ils établissent dans le cadre d'une séparation de corps par consentement mutuel, laquelle n'est pas nécessairement notariée. L'article 764 du Code civil figure en effet dans la liste des articles visés par l'article 301 du même code.

Le champ d'application des droits au logement

Le droit temporaire au logement a un champ d'application plus large que le droit viager, tant en ce qui concerne ses bénéficiaires (A) que son objet (B).

Les bénéficiaires des droits au logement

Si le conjoint survivant est bénéficiaire et du droit temporaire au logement et du droit viager (I), la protection du partenaire pacsé est limitée au seul droit temporaire (II). Le concubin, quant à lui, ne peut prétendre ni à l'un ni à l'autre.
Le conjoint survivant
– Un conjoint successible. – Le conjoint survivant, pour bénéficier des droits au logement, doit être successible. Pour une définition, il convient de se reporter à l'article 732 du Code civil : « Est conjoint successible le conjoint survivant non divorcé ».
Si cette condition est suffisante pour le droit temporaire (a), la question de savoir si elle l'est également pour le droit viager est controversée (b).
Une condition nécessaire et suffisante pour le droit temporaire…
S'agissant d'un effet direct du mariage et non d'un droit de nature successorale, le conjoint renonçant, indigne ou exhérédé, conserve le bénéfice du droit temporaire. En outre, il s'applique sans condition de ressources et n'est pas réservé aux conjoints survivants dans le besoin.
Et pour le droit viager ?
La nature successorale du droit viager implique-t-elle que le conjoint survivant accepte la succession (ii) et ne soit pas exhérédé (i) ni frappé d'indignité (iii) ?
L'exhérédation
– Une mention expresse. – Pour être valable, la privation du droit viager au logement doit être inscrite explicitement dans un testament authentique. Une exhérédation totale du conjoint, sans préciser qu'elle s'étend au droit viager au logement, est inefficace. La mention doit être expresse.
La renonciation à la succession
– Une controverse. – La renonciation par le survivant à la succession de son conjoint entraîne-t-elle, de facto, la renonciation au droit viager ? Autrement dit, le conjoint survivant est-il tenu d'accepter la succession pour pouvoir bénéficier de son droit viager ? Si l'on répond par l'affirmative, faut-il en déduire, a contrario, que le fait pour le conjoint survivant de revendiquer le droit viager entraîne, de facto, acceptation de la succession ? La doctrine est divisée.
Thèse en faveur d'une option indissociable. Pour certains auteurs, en raison de la nature successorale du droit viager, la réponse est évidemment positive. Le droit viager est un droit successoral à part entière puisqu'il s'impute sur les autres droits successoraux du conjoint survivant, qui doit donc accepter la succession pour pouvoir bénéficier du droit viager. Pour ces auteurs, les deux options sont liées : le conjoint ne peut pas renoncer à la succession et revendiquer le droit viager.
Thèse en faveur d'une option indépendante. Cependant, d'autres auteurs considèrent que l'option pour le droit viager est indépendante de l'option successorale. Ils fondent leur analyse sur le fait que le législateur, en dotant le droit viager d'un régime dérogatoire, a entendu lui conférer une autonomie et une supériorité par rapport aux autres droits successoraux du conjoint. Ce n'est pas un droit successoral comme un autre puisqu'il obéit à un régime qui lui est propre. Notamment :
  • l'exhérédation pure et simple du conjoint est sans effet sur le droit viager dont la privation est possible uniquement au moyen d'une disposition expresse figurant dans un testament authentique ;
  • si le droit viager s'impute sur les autres droits successoraux du conjoint, il n'est pas « réductible » en cas de dépassement ; aucune indemnité n'est due à la succession ;
  • enfin, le délai d'option pour le droit viager est d'un an seulement alors que le délai pour accepter la succession est de dix ans, sauf sommation des héritiers qui peut intervenir dès l'expiration d'un délai de quatre mois après le décès.
Ainsi, pour ce courant doctrinal, le conjoint survivant pourrait opter pour le droit viager tout en renonçant à la succession. Dans la même logique, l'option pour le droit viager ne vaudrait pas acceptation tacite de la succession.
La position de la jurisprudence. La Cour de cassation a lié les deux options. Elle a en effet jugé que le conjoint survivant ne peut bénéficier du droit d'habitation et d'usage « qu'en sa qualité d'héritier ayant accepté la succession ». Elle a ajouté « qu'en cas d'acceptation de la succession à concurrence de l'actif net, le conjoint ne peut exercer ce droit qu'à la condition que le logement et les meubles soient demeurés dans la succession à l'issue des opérations permettant le règlement du passif ».
Le rôle du notaire. Le notaire en charge d'une succession n'a pas à trancher le débat doctrinal. C'est le rôle du juge et du législateur. Dans le doute, le notaire conseillera au conjoint survivant d'accepter la succession afin de ne pas courir le risque de se voir déchu du droit viager. Le cas échéant, le conjoint acceptera à concurrence de l'actif net.
L'indignité
La même controverse divise la doctrine en cas d'indignité. Si la majorité de la doctrine refuse au conjoint indigne le bénéfice du droit viager, certains auteurs le lui accordent.
Le partenaire pacsé
– Un partenaire moins bien protégé. – La loi du 23 juin 2006 a étendu au partenaire pacsé le bénéfice du droit temporaire au logement. Pour autant, elle ne lui a pas conféré une protection aussi forte et intangible qu'au conjoint. Une différence majeure subsiste. L'article 515-6, alinéa 3 du Code civil dispose que seuls les deux premiers alinéas de l'article 763 du Code civil lui sont applicables. Le législateur n'a donc pas conféré au droit temporaire du partenaire un caractère d'ordre public. Le défunt a ainsi la possibilité de priver son partenaire du droit temporaire au logement par testament.

Les biens objet des droits au logement

Soucieux de préserver un cadre de vie, les « droits au logement » ne portent pas uniquement sur le logement (I). Ils s'étendent au mobilier (II).
Le logement
– La résidence principale et effective. – Les droits au logement portent sur la résidence principale effective du survivant au moment du décès de son conjoint. Il s'agit de sa demeure habituelle, qu'il occupe effectivement, à l'exclusion des résidences secondaires ou des parties de l'immeuble qu'il n'occupait pas effectivement avant le décès. Le droit de jouissance s'étend aux accessoires ou annexes qu'il utilise également, tels un jardin, une cave ou un garage.
– Mais pas nécessairement la résidence du couple. – La loi n'impose pas qu'il s'agisse de l'habitation commune avec le défunt. Le logement visé par l'article 763 du Code civil est celui du conjoint survivant et non le logement de la famille visé par le texte de l'article 215 du même code. Peu importe même que le conjoint survivant y vive en concubinage avec un tiers.
– Le pouvoir du juge. – En cas de litige entre le conjoint survivant et les héritiers sur l'objet du droit au logement, l'appréciation des caractères principal et effectif de l'habitation et du caractère accessoire des annexes, notions purement factuelles, relève du pouvoir souverain des juges du fond.
Les termes utilisés dans le premier alinéa de l'article 763 du Code civil sont identiques à ceux utilisés dans le premier alinéa de l'article 764. Mais le droit temporaire a un champ d'application plus large que le droit viager. Deux cas doivent être distingués.
Si le logement appartenait au défunt en totalité ou pour une part indivise dont le surplus est détenu par le survivant du couple
Principe
– Principe. – Pour le droit temporaire comme pour le droit viager, le logement doit dépendre en totalité de la succession ou appartenir au défunt et au survivant du couple.
– Conséquence. – Si le propriétaire a disposé de son logement de son vivant avec réserve d'usufruit, les droits au logement ne peuvent pas s'appliquer faute d'objet, le décès entraînant l'extinction de l'usufruit. Si l'acte de disposition ne comprend pas de clause de réversion de l'usufruit au profit du conjoint en cas de survie, ce dernier est alors tenu de quitter le logement au décès du disposant, et ce même s'il n'a pas consenti à l'acte. Ainsi en a décidé la jurisprudence. La Cour de cassation a en effet jugé que la protection instaurée par l'article 215, alinéa 3 du Code civil n'avait pas vocation à s'appliquer au-delà du mariage et qu'avec la réserve d'usufruit au profit du disposant, le logement de la famille restait bien protégé pendant toute sa durée.

Droit prospectif : appliquer le droit temporaire au logement donné avec réserve d'usufruit

Pour cette raison, le groupe de travail sur la réserve héréditaire a proposé d'étendre le champ d'application du droit temporaire afin qu'il s'applique également dans les hypothèses où le défunt a disposé du logement de son vivant avec réserve d'usufruit ou d'usage et d'habitation à son profit exclusif.
Cas particuliers
Il convient d'évoquer ici le cas, ô combien fréquent, du logement détenu au travers d'une société (le plus souvent une société civile immobilière) et celui, plus rare, de la liquidation judiciaire du défunt.
La société et le droit au logement
– Logement et SCI, controverse. – Le conjoint survivant peut-il prétendre au droit temporaire et au droit viager lorsque le logement qu'il occupe est détenu par une société civile immobilière ?
– Thèse en faveur de l'application du droit au logement. – Certains auteurs considèrent que l'esprit des textes relatifs aux droits au logement s'oppose à ce que l'écran de la personnalité morale fasse échec à la protection légale lorsque la société a pour associé unique le défunt ou pour seuls associés le défunt et son conjoint. Les travaux préparatoires de la loi du 3 décembre 2001 confortent cette position, du moins quand le défunt est l'unique associé de la société propriétaire du logement.
– Thèse en faveur de l'exclusion du droit au logement. – À s'en tenir à la lettre du texte, le logement détenu par l'intermédiaire d'une SCI dans laquelle le défunt est associé, même seul ou avec son conjoint, à l'exclusion de toute autre personne, est exclu du champ d'application des articles 763 et 764 du Code civil. En effet, l'hypothèse de l'immeuble propriété d'une société n'est pas prévue par les textes. Seuls sont prévus les cas de l'immeuble dépendant en tout ou partie de la succession et de l'immeuble loué.
Tendance jurisprudentielle
– Tendance jurisprudentielle. – La jurisprudence n'a pas tranché la question à propos du droit au logement. On relève toutefois que la Cour de cassation a admis l'application de l'article 215, alinéa 3 du Code civil dans une telle hypothèse, mais les termes de ce texte sont moins restrictifs. Il vise les « droits par lesquels est assuré le logement de la famille ». Cela comprend-il les droits sociaux ? Plus récemment, la Cour de cassation a précisé sa jurisprudence. Elle admet l'application de l'article 215, alinéa 3 à la condition que le ou les époux associés soient autorisés « à occuper le bien en raison d'un droit d'associé ou d'une décision prise à l'unanimité de ceux-ci, dans les conditions prévues aux articles 1853 et 1854 du Code civil ». Autrement dit, s'il n'est justifié « d'aucun bail, droit d'habitation ou convention de mise à disposition » du logement appartenant à la société, le conjoint ne bénéficie pas de la protection de l'article 215, alinéa 3. Si l'on transpose cette jurisprudence au droit au logement, lorsqu'un bail a été conclu entre la société et le défunt et/ou le survivant du couple, les textes légaux assurent la protection de ce dernier. Le cas du logement loué est en effet expressément prévu par l'article 763, alinéa 2 relatif au droit temporaire. Quant au droit viager, s'il ne trouve pas à s'appliquer, le survivant peut se prévaloir du droit exclusif au bail prévu à l'article 1751 du Code civil.

Logement de la famille et SCI : devoir de conseil du notaire

Dans l'attente d'une précision du législateur ou d'une jurisprudence certaine, la prudence s'impose et le notaire, lors de l'apport du logement à la SCI ou de son acquisition, devra utilement conseiller les parties sur la nécessité d'établir, <em>a minima</em>, une convention de mise à disposition, voire un bail, plus sécurisant.

La liquidation judiciaire et le droit au logement
– Liquidation judiciaire. – La liquidation judiciaire emporte de plein droit dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens. La liquidation fait-elle obstacle à l'exercice des droits temporaire et viager au logement ?
– La liquidation judiciaire exclut le droit viager. – La Cour de cassation a eu à se prononcer à propos du droit viager. Elle a répondu par l'affirmative. Si la liquidation judiciaire a été ouverte antérieurement au décès et n'est pas clôturée lors du décès, tous les biens du défunt sont donc hors succession, et ce même si la procédure de liquidation est suspendue. La cour considère que la condition d'application de l'article 764 du Code civil relative au logement n'est donc pas remplie. Pourtant, même si le débiteur est dessaisi, il reste propriétaire.
– La liquidation judiciaire exclut-elle le droit temporaire ? – Le même raisonnement peut être appliqué au droit temporaire. Mais son caractère d'ordre public n'impose-t-il pas d'en faire bénéficier le conjoint survivant alors même que le défunt est en liquidation judiciaire ? Le droit temporaire au logement, d'ordre public, n'est-il pas d'essence supérieure au droit des créanciers ? La jurisprudence n'a pas tranché.
Si le logement est hors succession ou en indivision avec un tiers
– Logement totalement hors succession : l'hypothèse du bail. – Le droit temporaire s'applique également au logement loué.
– Cas du conjoint placé. – L'hypothèse du conjoint ou partenaire survivant logé en maison de retraite, Ehpad ou unité de soin de longue durée (USLD) n'est pas prévue par le texte. Pour autant, peut-il prétendre au bénéfice du droit temporaire ? La réponse est négative si l'on s'en tient à la lettre du texte dans tous les cas où le conjoint et l'établissement hébergeur ne sont pas liés par un contrat de bail. En revanche, le conjoint survivant peut prétendre au bénéfice du droit temporaire lorsqu'il est logé dans une résidence seniors avec services ou une résidence autonomie (auparavant dénommée « foyer logement »). La question a été posée à la cour d'appel de Versailles qui a naturellement considéré que les conditions d'application de l'article 763 du Code civil n'étaient pas réunies dans cette hypothèse, car le conjoint survivant avait été placé en maison de retraite au lendemain du décès de son époux. Il ne s'agissait donc pas de la résidence effectivement occupée à l'époque du décès. La décision de la cour aurait-elle été différente si le conjoint survivant était entré en maison de retraite avant le décès ? À ce jour, la Cour de cassation n'a pas eu à se prononcer. Si le conjoint survivant ne dispose pas des ressources suffisantes pour s'acquitter des frais d'hébergement, il peut toujours réclamer, dans le bref délai d'un an ou jusqu'au partage, une pension alimentaire sur la base de l'article 767 du Code civil dont les héritiers sont tenus dans la limite de l'actif net successoral. À la différence du droit temporaire, le conjoint survivant doit justifier d'un état de besoin. En revanche, le versement de la pension ne sera pas limité à une année. Le survivant peut également mettre en œuvre l'obligation alimentaire des descendants sur la base de l'article 205 du Code civil.
– Le logement partiellement hors succession : l'indivision avec un tiers. – Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2006, le droit temporaire au logement s'applique également lorsque le logement est indivis entre le défunt et un tiers. Si une telle atteinte au droit des indivisaires est concevable pour une durée limitée à un an, elle ne l'est pas, en revanche, dans le cas du droit viager conférant au conjoint un véritable droit réel qui grève l'immeuble.
Le mobilier
– Droit d'usage. – Sur ce point, il y a stricte identité d'objet entre le droit temporaire et le droit viager. Les deux s'étendent au mobilier garnissant le logement compris dans la succession et prennent alors la forme d'un droit d'usage.
Définition. Par analogie avec l'article 215, alinéa 3 du Code civil, le terme « mobilier » désigne exclusivement les meubles meublants dont la définition figure à l'article 534 du Code civil :
« Les mots “meubles meublants” ne comprennent que les meubles destinés à l'usage et à l'ornement des appartements, comme tapisseries, lits, sièges, glaces, pendules, tables, porcelaines et autres objets de cette nature.
Les tableaux et les statues qui font partie du meuble d'un appartement y sont aussi compris, mais non les collections de tableaux qui peuvent être dans les galeries ou pièces particulières.
Il en est de même des porcelaines : celles seulement qui font partie de la décoration d'un appartement sont comprises sous la dénomination de “meubles meublants” ».
Exclusions. Si l'on se réfère à l'article 533 du Code civil, sont notamment exclus du droit d'usage l'argent comptant, les pierreries, etc. Ces biens mobiliers ne sont pas indispensables au maintien du cadre de vie du conjoint survivant que le législateur veut lui assurer.

Les effets des droits au logement

Droit personnel de créance limité à un an pour l'un, droit réel d'usage et d'habitation illimité pour l'autre, les modalités d'exercice des droits temporaire (A) et viager (B) diffèrent sur plusieurs points.

Les effets du droit temporaire

– Le successeur du droit de viduité. – Le droit temporaire remplace les « gains de survie », ou « droits de viduité » autrefois accordés au conjoint survivant.
L'exercice du droit temporaire prend des formes diverses selon que le logement appartenait au défunt seul ou au couple (I), ou qu'il était la propriété indivise du défunt et d'un tiers (II) ou encore qu'il était loué (III).
Le logement propriété du défunt ou du couple
– Un droit de jouissance gratuite ouvert de plein droit et sans formalité. – Lorsque le logement est la propriété du seul défunt ou du défunt et de son conjoint survivant, le droit temporaire prend la forme d'un droit d'occupation gratuite et d'usage du mobilier dont le survivant bénéficie de plein droit. Le conjoint n'a pas à revendiquer son droit et n'a aucune déclaration à faire. Il l'exerce par le simple fait de se maintenir dans les lieux. Les effets de la nouvelle indivision créée entre les héritiers sont reportés d'un an, ou moins si le survivant quitte les lieux avant l'expiration de ce délai.
Le logement en indivision avec un tiers
– Droit d'occupation du logement. – Lorsque le logement est indivis entre le défunt et un tiers, la succession supporte pendant un an l'indemnité d'occupation due à l'indivision. À l'expiration du délai d'un an, le survivant est en principe tenu de quitter le logement.
Le mobilier. Bien que le texte ne le précise pas expressément dans ce cas, il semble logique et conforme à l'esprit de la loi que le survivant en ait également l'usage pendant un an.
Le logement loué
– Le remboursement du loyer. – Lorsque le bien est loué, la succession prend en charge les loyers pendant un an. À l'expiration du délai d'un an, le survivant peut en principe rester dans les lieux sous réserve de s'acquitter des loyers. Si le conjoint a fait l'avance des loyers, le remboursement n'est pas nécessairement automatique. Il doit en faire la demande aux héritiers au fur et à mesure de leur acquittement. Si le conjoint est négligent, il n'est pas pour autant forclos à l'expiration du délai d'un an. À défaut de délai spécifique prévu par le texte, le délai de prescription de droit commun s'applique. L'action en remboursement se prescrit donc par cinq ans.
– L'insuffisance d'actif. – Si l'actif successoral ne suffit pas à couvrir le montant du loyer (ou de l'indemnité d'occupation), les héritiers ou légataires sont-ils tenus ultra vires ? Le droit temporaire est une charge de la succession et non une dette laissée par le défunt. Il pèse donc a priori sur les héritiers et légataires dans les limites des forces de la succession. Si l'on raisonne par analogie avec le droit à pension de l'article 767 du Code civil, ouvert au conjoint survivant dans le besoin, le loyer doit être supporté « par tous les héritiers et, en cas d'insuffisance, par tous les légataires particuliers, proportionnellement à leur émolument ». Peu importe, en revanche, qu'il n'y ait pas de liquidités suffisantes, autrement dit que l'actif ne soit pas mobilisable.
– Cas du bien mixte. – Dans le cas d'un local à usage mixte professionnel et d'habitation, le conjoint ne peut pas prétendre au remboursement de l'intégralité du loyer. Seule la quote-part correspondant à la partie à usage d'habitation est prise en charge par la succession puisque le survivant ne remplit pas, pour la partie professionnelle, la condition d'occupation à titre de résidence principale.
– Controverse à propos des charges. – Le droit temporaire confère la jouissance gratuite du logement à son titulaire. Certains auteurs font une interprétation extensive de la notion de jouissance gratuite et considèrent que le survivant n'a rien à débourser au titre de son occupation. Ils estiment que tous les frais et taxes liés à l'occupation, notamment les charges de copropriété et la taxe d'habitation, incombent à la succession. L'occupant conserve toutefois à sa charge les dépenses de consommation, notamment d'eau et d'électricité. Le texte est pourtant explicite et vise seulement le loyer. Une réponse ministérielle a confirmé que le remboursement comprenait uniquement les loyers, à l'exclusion des charges.
– Le mobilier. – Le texte ne vise pas non plus le mobilier dans ce cas, mais il ne fait pas de doute que le survivant en a également l'usage pendant un an. Rien ne justifierait, en effet, une différence de régime pour le mobilier selon que le logement est la propriété du défunt ou du couple ou qu'il est loué.

Les effets du droit viager

Les modalités d'exercice du droit viager diffèrent de celles du droit temporaire (I) qui doit être combiné avec les autres droits successoraux (II).
Les modalités d'exercice du droit viager
L'exercice du droit viager s'exerce pleinement lorsque le logement appartenait au défunt seul ou au couple (a), alors qu'il est limité dans son objet en cas d'indivision avec un tiers ou de location (b).
Le logement propriété du défunt ou du couple
– Un droit d'usage et d'habitation. – Comme pour le droit temporaire, lorsque le logement est la propriété du seul défunt ou du défunt et de son conjoint survivant, le droit viager prend la forme d'un droit d'occupation gratuite du logement et d'usage du mobilier le garnissant. Pour autant, le renvoi au régime de droit commun du droit d'usage et d'habitation n'est que partiel. Seuls sont visés les articles 627, 631, 634 et 635 du Code civil. En vertu de ces textes, la jouissance doit se faire de manière raisonnable. En contrepartie, le conjoint survivant a la charge des réparations d'entretien et supporte les différentes taxes (habitation, foncière, ordures ménagères). Il ne peut ni céder son droit ni, en principe, louer le bien qui en est l'objet.
– Ou un usufruit caché ? – S'éloignant des prérogatives habituelles du droit d'usage et d'habitation, le législateur a octroyé au conjoint survivant le droit de louer le logement, comme pour un usufruit, « afin de dégager les ressources nécessaires à de nouvelles conditions d'hébergement ». Certes, il ne s'agit pas d'un droit absolu mais conditionnel : le logement ne doit plus être adapté aux besoins du conjoint survivant. La notion est parfaitement subjective puisqu'il s'agit des besoins du conjoint, et les raisons de son déménagement peuvent être nombreuses. Il n'est pas nécessaire, en effet, qu'il justifie d'un état de besoin en raison de ses faibles ressources ou encore d'un état de santé nécessitant son départ en maison de retraite ou établissement médical notamment. La raison de l'inadaptation du logement peut être sa taille (devenu trop grand pour une personne seule, difficile à entretenir), sa situation géographique, l'éloignement des enfants, ses charges trop lourdes, l'état de santé du conjoint, les difficultés liées au grand âge, etc. La même faculté de louer est-elle offerte au conjoint dont le logement est devenu trop petit pour loger son nouveau compagnon ou sa nouvelle compagne de vie et sa famille ? La question reste ouverte. En outre, la location doit être réalisée dans le cadre d'un bail d'habitation. Pour tout autre usage, commercial ou agricole, l'usufruitier devra obtenir l'accord des nus-propriétaires.

Droit viager au logement du conjoint survivant : pourquoi pas une extension conventionnelle ?

Toutes les successions ne sont pas conflictuelles, loin s'en faut. Pourrait-on, dès lors, procéder à une extension conventionnelle par laquelle le bénéficiaire du droit viager pourrait louer le logement pour un usage commercial ou agricole avec l'accord de ses cohéritiers ? Dans l'affirmative, il semble nécessaire qu'ils l'autorisent également à percevoir les fruits de cette location. Toutefois, on pourrait craindre que l'administration fiscale n'y voie une donation de ces fruits et revenus.
– Le mieux est l'ennemi du bien. – Pour éviter une contestation future des héritiers, certains préconisent de recueillir leur accord pour signer le bail. Nous ne souscrivons pas à cette recommandation qui revient à leur octroyer un pouvoir que la loi ne leur donne pas. Que va faire le conjoint si les héritiers ne répondent pas ou s'opposent à la location ? Est-ce à lui de saisir le tribunal en cas d'opposition ? N'est-ce pas plutôt aux héritiers qui contesteraient la location de porter le litige devant le tribunal ? Seul le juge a le pouvoir souverain d'apprécier si la raison invoquée par le conjoint justifie, ou non, qu'il puisse louer le logement.
– La conversion en rente viagère. – Le conjoint peut préférer éviter les préoccupations liées à la location et opter, avec l'accord des héritiers, pour une conversion du droit viager en rente viagère. En aucun cas cette conversion, portant sur son logement, ne peut lui être imposée.
– Une option nécessaire. – Contrairement au droit temporaire, le droit viager ne s'applique pas de plein droit. L'article 765-1 du Code civil prévoit que le conjoint dispose d'un an, à compter du décès, pour manifester sa volonté d'exercer son droit, sans pour autant imposer de formalisme particulier. Pendant ce délai, les héritiers ne peuvent pas sommer le conjoint de prendre parti. À la lecture du texte, il semble que l'option doive être expresse.
– Position de la jurisprudence. – La jurisprudence a d'abord précisé que l'option pour le droit viager pouvait être tacite, mais sans dire si elle pouvait se déduire du seul fait pour le conjoint de se maintenir dans les lieux dans l'année suivant le décès. Dans un arrêt du 13 avril 2019, la Cour de cassation a déduit d'un faisceau d'indices que le conjoint survivant avait tacitement revendiqué le droit viager. Dans l'affaire jugée, le conjoint survivant s'était maintenu dans les lieux depuis le décès et avait fait part de son souhait de conserver le logement dans l'assignation en partage délivrée au fils du défunt dans l'année du décès. Le maintien dans les lieux aurait-il été suffisant pour caractériser, à lui seul, une manifestation de volonté du conjoint ? S'il était permis d'en douter, la question restait cependant ouverte. Réponse a été donnée dans un arrêt du 2 mars 2022. La Cour de cassation a confirmé que l'option pour le droit viager pouvait être tacite, mais elle a clairement indiqué que la manifestation de volonté ne saurait résulter du seul fait pour le conjoint survivant de se maintenir dans les lieux pendant un an à compter du décès. En l'espèce, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble qui avait raisonné a contrario. Comme le conjoint s'était maintenu dans les lieux et n'avait pas expressément renoncé à son droit viager, la cour d'appel en a déduit qu'il avait tacitement exprimé son intention d'exercer ce droit. Or, en continuant d'occuper le logement, le conjoint n'avait fait qu'exercer son droit temporaire. Faute de manifester expressément ou tacitement son intention d'opter pour le droit viager dans l'année du décès, le conjoint est forclos à l'expiration de ce délai.

Droit viager au logement du conjoint survivant et devoir de conseil du notaire

Afin de garantir au conjoint survivant son droit viager, le notaire lui conseillera de formuler son intention de s'en prévaloir par écrit. Cet écrit peut revêtir la forme d'un acte notarié de déclaration d'option ou figurer dans l'attestation de propriété immobilière. La forme authentique a l'avantage de conférer une date certaine à l'option. Mais l'option peut également résulter d'un courrier adressé aux héritiers et/ou au notaire, de préférence sous la forme recommandée ou par exploit de commissaire de justice pour s'en ménager la preuve.

– L'obligation au passif. – Si l'on classe le droit viager dans la catégorie des droits d'usage et d'habitation, le conjoint survivant n'est pas tenu au passif successoral comme l'est un usufruitier. Il pourrait alors être tenté d'opter pour le droit viager et de renoncer à son usufruit afin d'échapper au règlement des dettes du défunt.
Le logement en indivision avec un tiers ou loué
– Le logement loué. – Si le logement est loué, la loi prévoit expressément que le droit viager se limite au droit d'usage du mobilier le garnissant. Mais d'autres dispositions légales permettent au survivant de se maintenir dans les lieux sous réserve de payer le loyer.
– Le logement en indivision avec un tiers. – Dans cette hypothèse, l'occupation gratuite du survivant ne saurait se poursuivre au-delà du délai d'un an. Le conjoint n'a aucun droit au maintien dans les lieux. Si le mobilier garnissant le logement ne dépend pas de l'indivision entre le défunt et un tiers, le conjoint survivant bénéficie du droit d'usage du mobilier.
La combinaison du droit viager avec les autres droits successoraux
– L'imputation sur les autres droits successoraux. – De nature successorale, le droit viager se combine avec les autres droits successoraux du conjoint survivant. Si le conjoint opte pour le droit viager, l'article 765 du Code civil impose d'en imputer la valeur sur celle des autres droits par lui recueillis dans la succession du prémourant des époux. Une telle imputation se conçoit uniquement si le conjoint opte pour des droits en propriété. S'il choisit l'usufruit, le droit viager est alors « absorbé ».
– La nécessaire évaluation du droit viager. – Pour imputer, il est nécessaire d'évaluer le droit viager au logement. L'administration fiscale évalue le droit viager à 60 % de la valeur de l'usufruit, elle-même déterminée selon le barème de l'article 669, I du Code général des impôts. Pour déterminer la valeur de l'usufruit, il faut tenir compte de l'âge du conjoint lors de l'extinction du droit temporaire, soit un an après le décès. Le recours à cette méthode d'évaluation est obligatoire pour la liquidation des droits de mutation à titre gratuit. Elle ne s'impose pas, en revanche, pour l'opération d'imputation du droit viager sur les droits légaux et l'on peut s'interroger sur l'opportunité du recours à l'évaluation fiscale du droit, si ce n'est par facilité. D'une part, il paraît plus opportun de faire référence à l'usufruit économique, moins arbitraire et plus juste car plus proche de la réalité économique puisqu'il tient compte de l'espérance de vie de l'usufruitier et du rendement théorique du logement. D'autre part, le coefficient de 60 % est tout aussi arbitraire, d'autant que le conjoint jouit finalement d'une grande liberté puisqu'il peut, assez aisément, louer le logement et cette faculté de location a une valeur. À tout le moins, le notaire se doit d'exposer aux parties les différentes méthodes d'évaluation et leurs résultats réciproques et recueillir leur accord unanime sur celle retenue.
– Les conséquences de l'imputation. – Une fois déterminée la valeur du droit au logement, deux hypothèses peuvent se présenter :
  • une valeur inférieure aux autres droits successoraux. Si la valeur du droit d'usage et d'habitation est inférieure à celle de ses droits successoraux, le conjoint survivant peut alors prendre un complément sur les biens existants, égal au différentiel entre la valeur de ses droits successoraux et la valeur du droit viager ;
  • une valeur supérieure ou égale aux autres droits successoraux. Si la valeur du droit d'usage et d'habitation est supérieure ou égale à celle de ses droits successoraux, le conjoint n'aura droit à rien d'autre. En cas de dépassement, il ne sera pas tenu de verser une indemnité compensatrice à ses cohéritiers.
– L'imputation des libéralités. – La règle de l'imputation des libéralités reçues par le conjoint survivant sur ses droits légaux, prévue à l'article 758-6 du Code civil, vise seulement les articles 757 (vocation légale du conjoint survivant en présence d'enfants) et 757-1 (vocation légale du conjoint survivant en présence du père et/ou de la mère). Il ne vise pas l'article 764 relatif au droit viager. Face au silence de la loi, comment faut-il procéder ? Trois thèses doctrinales s'affrontent. La jurisprudence ne s'étant pas prononcée, le débat n'est pas tranché.

Exemple d'imputation du droit viager au logement et des libéralités sur les droits légaux du conjoint survivant

M. Courmaurat est décédé en laissant pour recueillir sa succession son épouse en secondes noces, âgée de quatre-vingt-deux ans, ainsi qu'un fils et une fille issus de sa première union.

Sa succession est composée de la résidence principale du couple d'une valeur de 300 000 €, d'un appartement locatif d'une valeur de 150 000 €, de biens divers pour un montant de 150 000 € et 100 000 € de liquidités, soit un total de 700 000 €.

Il avait consenti une donation à sa fille, hors part successorale, portant sur un bien d'une valeur au décès de 200 000 €.

Aux termes d'un testament olographe, il a légué toutes ses liquidités à son épouse, soit 100 000 €.

M. Courmaurat ayant des enfants non communs, les droits légaux de M<sup>me</sup> Courmaurat sont d'1/4 en pleine propriété. Elle bénéficie également d'un droit viager au logement. M<sup>me</sup> Courmaurat souhaite rester dans son logement. Elle opte donc pour le droit viager au logement. Ce droit ne se cumule pas, mais il s'impute sur ses droits légaux en propriété dont elle ne peut donc prendre que le complément. Sur ses droits légaux doit être également déduit le legs des liquidités qui lui a été consenti.

Par mesure de simplicité, nous retiendrons une valeur fiscale pour le droit viager, soit 60 % de l'usufruit, lui-même égal à 20 % de la pleine propriété compte tenu de l'âge du conjoint survivant, soit une valeur de 36 000 €.

Pour calculer les droits légaux d'1/4 du conjoint survivant, il faut en premier lieu déterminer la réserve héréditaire.

Masse de calcul de la réserve héréditaire : biens présents + réunion fictive des donations, soit 700 000 + 200 000 = 900 000 €.

En présence de deux enfants, la réserve globale est de 2/3, soit 600 000 €.

Et la quotité disponible d'1/3, soit 300 000 €.

La donation consentie à sa fille hors part successorale s'impute sur la quotité disponible qu'elle ne dépasse pas. Elle n'est donc pas réductible. La quotité disponible résiduelle est de 100 000 € (300 000 – 200 000). Le legs de 100 000 € consenti au conjoint survivant n'est pas non plus réductible.

Masse de calcul des droits légaux du conjoint survivant : biens existants + réunion des libéralités consenties sans dispense de rapport, soit 700 000 €.

Les droits légaux du conjoint survivant sont donc de 175 000 € (700 000 / 4).

Masse d'exercice : biens existants – réserve, soit 700 000 – 600 000 = 100 000 €.

Les droits légaux du conjoint sont égaux à la plus faible des deux sommes, soit 100 000 €.

<strong>1/ Application de la thèse de l'imputation prioritaire du droit viager</strong>

Après imputation du droit viager sur les droits légaux, les droits légaux résiduels auxquels peut prétendre le conjoint survivant sont de 64 000 € (100 000 – 36 000).

Le legs étant de 100 000 €, il est supérieur aux droits légaux résiduels. Le conjoint ne pourra donc prétendre qu'à son droit viager et son legs.

<strong>2/ Application de la thèse de l'imputation prioritaire des libéralités</strong>

Le legs consenti au conjoint est égal à ses droits légaux. Le conjoint est donc privé de son droit viager.

<strong>3/ Application de la thèse de l'imputation autonome du droit viager et des libéralités</strong>

Le droit viager s'impute sur les droits légaux de 100 000 €. Les droits légaux résiduels auxquels pourrait prétendre le conjoint survivant en l'absence de libéralités sont de 64 000 € (100 000 – 36 000).

Le legs de 100 000 € s'impute également sur les droits légaux totaux, soit 100 000 €, qu'il absorbe totalement.

Le conjoint pourra donc prétendre à son droit viager et percevoir son legs.

Droit viager au logement : trois thèses pour une imputation

Trois thèses doctrinales s'affrontent au sujet de l'imputation des libéralités reçues par le conjoint survivant sur ses droits légaux.
  • La thèse de l'imputation prioritaire du droit viager. Pour la doctrine majoritaire, en raison de sa nature spécifique et de l'importance que lui a donnée le législateur, le droit au logement doit s'imputer en priorité sur les droits légaux, avant les libéralités. Un argument peut être tiré du texte de l'article 765 du Code civil qui prévoit que la valeur du droit viager « s'impute sur la valeur des droits successoraux », alors que l'article 758-6 dispose que les libéralités consenties au conjoint survivant « s'imputent sur les droits de celui-ci dans la succession ». La quotité disponible spéciale entre époux prévue à l'alinéa 1er de l'article 1094-1 du Code civil reste toutefois la limite à ne pas dépasser. Si le conjoint préfère bénéficier des libéralités, il devra, le cas échéant, renoncer au droit viager.
  • La thèse de l'imputation prioritaire des libéralités. D'autres auteurs estiment que les imputations doivent se faire conformément au droit commun, par ordre chronologique, et qu'il convient d'imputer en priorité les libéralités faites du vivant du disposant, « avant les droits qui naissent à la mort de ce dernier », au risque de voir le conjoint privé de son droit si sa vocation légale a été épuisée par les libéralités.
  • La thèse de l'autonomie des imputations. Pour d'autres, enfin, les imputations doivent se réaliser de manière autonome.
L'avènement du droit viager au logement a suscité et suscite toujours de nombreuses questions, quant à sa nature et ses modalités d'exercice. Et il soulève encore d'autres problématiques lorsqu'il entre en concurrence avec d'autres droits.

Le droit viager au logement en concurrence avec d'autres droits

Le législateur a doté le droit viager au logement d'un régime tout à fait spécifique qui pourrait laisser penser qu'il supplante tous les autres droits avec lesquels il se trouve en concours. L'affirmer simplifierait grandement les choses pour les praticiens dont l'exercice est loin d'être aisé tant l'application des règles fait l'objet de controverses. Pour autant, ce raisonnement simpliste doit être nuancé.
Trois solutions peuvent être envisagées :
  • soit le droit viager empêche, au moins provisoirement, pendant sa durée, l'exercice du droit concurrent ;
  • soit, à l'inverse, le droit viager s'efface devant le droit concurrent ;
  • soit, enfin, droit viager et droit concurrent doivent composer pour s'appliquer de concert.
Le législateur n'a pas apporté de réponse à tous les cas de figure, laissant le soin à la jurisprudence de trancher et le praticien dans l'expectative.
Nous étudierons successivement le droit à l'attribution préférentielle (§ I), le droit de retour des frères et sœurs (§ II) et le droit de retour des père et mère (§ III).

Droit viager et attribution préférentielle

– La problématique. – Lorsqu'un indivisaire bénéficie de l'attribution préférentielle, reçoit-il le logement libre de la charge du droit viager ou doit-il, au contraire, supporter ce droit ? Le législateur de 2001 n'avait pas apporté de réponse. La loi de 2006 a comblé ce vide législatif et réglé le conflit entre le droit viager et l'attribution préférentielle : les droits résultant de l'attribution préférentielle ne préjudicient pas au droit viager que le conjoint exerce. La protection du logement du conjoint survivant prime sur les droits de l'attributaire. Le survivant ayant opté pour le droit viager pourra donc rester dans les lieux.

Droit viager et droit de retour légal des frères et sœurs

– L'instauration du droit de retour. – Depuis la grande réforme de 2001, le conjoint supplante les collatéraux privilégiés dans l'ordre successoral. À défaut de descendants et des père et mère, il est le seul héritier. Pour autant, le législateur, encore attaché à la conservation des biens dans la famille d'origine, a fait revenir les collatéraux privilégiés dans l'ordre successoral en instaurant, à leur profit, un droit de retour nouveau. L'article 757-3 du Code civil prévoit en effet que les biens que le défunt avait reçus de ses ascendants par donation ou succession, et dont il est resté propriétaire, sont dévolus pour moitié à ses frères et sœurs ou à leurs descendants, s'ils sont eux-mêmes des descendants des disposants.
– La problématique du logement objet du droit de retour. – Si le logement du conjoint survivant provient d'une donation consentie par les ascendants du défunt ou a été recueilli dans leur succession, il est éligible au droit de retour des collatéraux privilégiés. Comme on l'a vu, une indivision se crée alors entre le conjoint survivant et les bénéficiaires du droit de retour. Le conjoint peut se prévaloir de son droit à l'attribution préférentielle, mais peut aussi ne pas le souhaiter ou ne pas disposer des ressources suffisantes pour verser une soulte égale à la moitié de la valeur du logement. Il lui reste alors le droit viager. Mais peut-il s'en prévaloir au détriment du droit de retour des collatéraux privilégiés ? Il existe autant d'arguments en faveur de cette thèse que d'arguments défavorables.
– L'argument contre l'application du droit viager. – En principe, le droit de retour crée une succession anomale. Le bien qui en est l'objet échappe aux règles de la succession ordinaire et donc au droit viager.
– L'argument en faveur de l'application du droit viager. – Si le droit de retour des frères et sœurs et le droit viager sont tous deux supplétifs, le régime spécifique dont bénéficie le second lui confère une supériorité sur le premier. Le droit viager constitue le minimum de protection du conjoint survivant dont le droit de retour ne saurait le priver. Cette position paraît être celle du ministère de la Justice, et s'est exprimée dans une réponse ministérielle dès 2006 : la protection du cadre de vie du conjoint survivant prime sur le droit de retour. Les collatéraux conservent leur droit de retour, mais ils attendront l'extinction du droit viager pour en profiter pleinement. À ce jour, aucun conflit entre droit viager et droit de retour des collatéraux privilégiés n'a été porté devant les tribunaux.

Les droits de retour des père et mère

Les père et mère, dans le cadre d'une donation, prévoient généralement un droit de retour pour le cas de prédécès du donataire sans postérité (A). À défaut, ou s'ils y ont renoncé de leur vivant, ils bénéficient d'un droit de retour légal (B). Ces droits de retour, d'origine conventionnelle pour l'un et légale pour l'autre, ne produisent pas les mêmes effets, notamment au regard du droit viager du conjoint survivant.

Le droit de retour conventionnel des père et mère

– L'effet du droit de retour conventionnel. – Le droit de retour conventionnel de l'article 951 du Code civil, en ce qu'il porte sur la totalité du bien donné, est plus protecteur que le droit légal pour le donateur. Ce dernier est en effet assuré, en cas de prédécès du donataire sans postérité, de reprendre le bien donné. L'effet du droit de retour conventionnel est celui d'une condition résolutoire : la donation est rétroactivement anéantie : le bien est censé n'avoir jamais quitté le patrimoine du donateur.
– Conséquence au regard du droit viager. – Si le bien donné est le logement du conjoint survivant, la conséquence est évidente : en raison de la rétroactivité de la condition résolutoire, le bien donné ne fait pas partie de la succession. Le conjoint survivant est alors privé non seulement du droit viager, faute d'objet, mais également, et pour la même raison, du droit temporaire.
– Et si le donateur renonce au droit de retour ? – Du fait de son origine conventionnelle, le donateur peut renoncer au droit de retour mais cette renonciation sera, en principe, sans effet si elle intervient postérieurement au décès du donataire puisque la condition sera déjà réalisée. Toutefois, rien ne paraît interdire un aménagement de la clause de retour conventionnel laissant le choix au donateur.
La réponse est bien moins évidente pour le droit légal.

Rédaction d'une clause de retour conventionnel : laisser le choix au donateur

Pour laisser le choix au donateur, il conviendrait de prévoir dans la donation que le droit de retour produira effet uniquement sur demande de sa part (« si bon lui semble »), et non de plein droit.

Le droit de retour légal des père et mère

– Problématique. – Contrairement au droit de retour conventionnel, le droit de retour légal, prévu à l'article 738-2 du Code civil, est dépourvu d'effet rétroactif. Le bien donné, s'il n'a pas été aliéné par le donataire, se retrouve en nature dans sa succession dont il fait partie. Est-ce à dire, si le bien objet du droit de retour est le logement du conjoint survivant, que ce dernier peut exercer son droit viager et donc que les parents vont en supporter la charge, voire être privés de leur droit de retour ? Il y a un véritable conflit entre les deux droits, hypothèse que le législateur n'a, semble-t-il, pas envisagée, nous laissant dans l'expectative. Les deux droits sont-ils parfaitement incompatibles, auquel cas il convient de déterminer lequel prime sur l'autre ? Ou bien peuvent-ils s'articuler afin que l'exercice de l'un n'exclue pas l'exercice de l'autre ?
– 1) Thèse de l'exclusion d'un droit au profit de l'autre. – Une première thèse consiste à considérer que le droit viager et le droit de retour sont purement et simplement incompatibles : un seul peut être exercé. Mais lequel ? Faut-il prôner la suprématie du droit viager sur le droit de retour légal, ou, au contraire, celle du droit de retour ?
a) Arguments en faveur de la supériorité du droit de retour. Pour donner la préférence aux parents donateurs, deux arguments pourraient être avancés.
Le parallèle avec le droit de retour conventionnel. Un premier raisonnement consiste à faire un parallèle avec le droit de retour conventionnel dont l'application empêche l'exercice du droit viager faute d'objet. En effet, la donation est rétroactivement anéantie par l'effet du droit de retour stipulé. Le bien est censé n'avoir jamais quitté le patrimoine du donateur. Il est donc hors succession. À suivre ce raisonnement, si le droit de retour légal s'applique, le bien sera alors soit totalement hors succession, soit en indivision entre le conjoint et un tiers, le donateur. Les conditions d'application du droit viager ne seront donc pas réunies. Mais ce raisonnement est erroné, car le législateur n'a attaché aucun caractère rétroactif à l'application du droit de retour légal. En outre, ce droit est de nature successorale, au même titre que le droit viager. Le bien donné fait bien partie de la succession.
Caractère impératif du droit de retour versus caractère supplétif du droit viager. Même si le législateur ne le dit pas expressément, il semble communément admis que le droit de retour légal des père et mère est d'ordre public. Ne devrait-il pas, de ce fait, supplanter le droit viager qui n'est que supplétif ? Certes, le de cujus peut priver son conjoint de son droit viager, mais seulement de façon très solennelle, par voie de testament authentique. La force du droit viager, même si le législateur ne l'a pas doté d'un caractère impératif, ne doit pas permettre son éviction par le droit de retour. L'argument est certainement inopérant.
b) Argument en faveur de la supériorité du droit viager. L'importance donnée par le législateur au droit viager, qu'il a doté d'un régime spécifique, ne devrait-elle pas inciter, au contraire, à donner la préférence au conjoint survivant et donc à faire échec au droit de retour des père et mère ?
Si l'on admet l'application du droit de retour légal des père et mère en présence du conjoint survivant, faute pour le législateur d'avoir indiqué qu'il devait alors prévaloir sur le droit viager au logement, la solution à ce conflit réside a priori dans l'articulation de ces deux droits.
– 2) Thèse de l'articulation des droits de retour et viager. – Pour la majorité des auteurs, l'exercice conjoint des deux droits est la solution la plus opportune car elle ne lèse ni le conjoint survivant ni les parents. Reste à déterminer comment permettre cet exercice conjoint.
L'exclusion de la jouissance concurrente. Si le droit viager et le droit de retour s'exercent pleinement, le conjoint et les parents vont-ils jouir concurremment du logement ? Cette solution est certainement à exclure.
L'exercice du droit de retour grevé de la charge du droit viager. Le droit viager est un droit de jouissance accordé au conjoint, qui ne saurait être exercé autrement. Pour certains auteurs, les parents recevront l'objet de leur droit de retour en propriété, mais grevé d'une charge. Ces auteurs font un parallèle avec la réserve des descendants. Si elle peut être grevée de la charge du droit viager, a fortiori le droit de retour des parents, substitut de leur ancienne réserve, peut l'être également. Les parents retrouveront le plein usage du bien donné à l'extinction du droit viager, au plus tard au décès du conjoint survivant. Mais les parents étant généralement plus âgés que le conjoint de leur enfant, il est fort probable qu'ils ne profiteront jamais de leur droit.
– L'exercice du droit de retour en valeur. – La seule solution permettant au conjoint survivant d'exercer son droit d'usage et d'habitation sur le logement donné et aux parents d'exercer pleinement leur droit de retour est exposée au dernier alinéa de l'article 738-2 du Code civil : « Lorsque le droit de retour ne peut s'exercer en nature, il s'exécute en valeur ». Or les parents sont bien dans l'impossibilité d'exercer leur droit de retour en nature si le bien est grevé du droit viager du conjoint survivant. Encore faut-il que la succession comprenne les liquidités suffisantes pour permettre de verser aux parents la valeur de leur droit de retour, soit un quart de la succession ou un quart de la valeur du bien donné si elle est inférieure, selon l'interprétation donnée au texte.

Cumuler le droit viager et l'usufruit légal universel

Malgré les difficultés suscitées par l'instauration du droit viager, le notaire devrait conseiller au conjoint survivant, quand bien même il aurait opté pour l'usufruit légal universel, de systématiquement opter pour son application. Il sera ainsi assuré de pouvoir conserver la jouissance de son cadre de vie en cas de découverte tardive d'un enfant issu d'une autre union ou d'un testament l'exhérédant, directement ou indirectement. En outre, un conjoint très âgé peut avoir intérêt à opter pour le droit viager et un quart en propriété plutôt que pour l'usufruit universel. En effet, la faible valeur du droit viager lui permettra de se servir également en pleine propriété, sur les liquidités notamment.

– Bilan : une protection efficace du logement du conjoint survivant. – Ce corpus de dispositions protectrices tendant au maintien du cadre de vie du survivant après le décès de son conjoint en fait une « sorte d'attributaire anomal du logement de la famille », selon l'expression d'un auteur. Si quelques mesures ont été étendues progressivement au partenaire de pacte civil de solidarité, très peu l'ont été au profit du concubin qui continue de pâtir de l'absence de statut légal. La protection du partenaire pacsé reste ainsi limitée et celle du concubin quasi inexistante.
– Conclusion. Droit prospectif. – En 2020, le 116e Congrès des notaires de France a proposé d'ouvrir au partenaire de Pacs la faculté d'accorder au survivant, par testament, un droit viager au logement et au mobilier le garnissant à la condition que le logement appartienne aux partenaires ou dépende totalement de la succession, sans possibilité, pour les héritiers réservataires de demander la réduction de la libéralité en cas de dépassement de la quotité disponible. C'est-là constater qu'aujourd'hui, se pose la question de l'extension des mesures de protection du logement dont bénéficie le conjoint survivant aux autres formes d'union, pacte civil de solidarité et union libre. Assistera-t-on prochainement à l'avènement d'un « droit commun du logement familial » indépendant du mode de conjugalité ? Le risque (mais en est-ce réellement un ?) est d'effacer, peu à peu, les différences majeures entre les diverses formes d'union.
En France, le débat est engagé. En septembre 2021, une proposition de loi « tendant à renforcer les droits des personnes liées par un pacte civil de solidarité » a été déposée par un groupe de députés. Partant du constat que le nombre de Pacs conclus chaque année est en progression alors que le nombre de mariages célébrés est en diminution, le texte entend offrir une véritable protection au partenaire survivant. Il lui confère la qualité d'héritier au même titre que le conjoint successible, et donc les droits au logement, temporaire et viager, dans les mêmes conditions qu'au conjoint, ainsi que le droit à la pension de réversion.
Il ne s'agit pas de donner aux concubins qui font le choix de se soustraire à un statut légal les mêmes droits qu'aux conjoints ou même aux partenaires pacsés qui ont choisi un cadre juridique, certes protecteur, mais également générateur d'obligations qui en sont la contrepartie. Il ne s'agit pas non plus de conférer aux partenaires les mêmes avantages qu'aux époux, sinon pourquoi conserver deux modes de conjugalité aux effets identiques ? Si la coexistence du mariage et du pacte civil de solidarité doit perdurer, des différences doivent être maintenues qui justifient la souplesse du second, notamment quant aux règles relatives à la rupture du contrat. Le maintien d'une pluralité de modes de conjugalité suppose le maintien de régimes distincts.
Il est cependant rassurant de noter avec quelle sérénité un tel débat peut aujourd'hui être engagé. Là où, il y a quelques années encore, certaines voix et certaines plumes (et non des moindres) nous décrivaient la société française ébranlée jusque dans ses fondements moraux les plus intimes par la timide reconnaissance de nouveaux modes de conjugalité, on voit aujourd'hui professionnels et universitaires aborder calmement (et surtout scientifiquement) la question d'un éventuel rapprochement de certains de leurs effets avec ceux du mariage, à l'instar de ce qui s'est déjà produit dans d'autres pays européens, dont il n'est pas démontré qu'ils aient, pour autant, sombré dans la décadence !

Protection du logement hors mariage : les exemples suisse et belge

Le pas a d'ores et déjà été franchi par le législateur belge qui accorde au « cohabitant légal » des droits impératifs sur le logement. Le droit suisse accorde une réserve au partenaire et prévoit d'instaurer une créance d'assistance alimentaire sous forme de rente au profit du concubin notoire dans le besoin.