Conséquence inévitable de la thèse de Catala, l'enfant non commun ne peut en aucun cas être alloti de biens fournis par le conjoint de son auteur. À son endroit, la donation-partage ne peut pas être conjonctive. Quelles en sont les conséquences pratiques (Sous-section I), dans le cas notamment où la donation-partage impliquerait le logement commun (Sous-section II) ?
Le caractère non conjonctif de la donation-partage adressée aux enfants non communs
Le caractère non conjonctif de la donation-partage adressée aux enfants non communs
Analyse : deux donations-partages imbriquées
– Dualité de contrats. – Bien avant la reconnaissance légale de 2006, à l'époque où la pratique notariale s'essayait à la mise en place de partages d'ascendants en présence d'enfants issus d'unions distinctes, plusieurs auteurs ont décrit le schéma comme celui de plusieurs « donations-partages imbriquées, coordonnées et néanmoins distinctes ». Vis-à-vis des enfants non communs, enfants de l'un et beaux-enfants de l'autre, la donation-partage présente un caractère ordinaire, puisqu'elle n'est consentie que par le seul de cujus dont ils sont tous les héritiers. Alors que les enfants communs au couple, eux, sont allotis dans le cadre d'une autre donation-partage, incluse dans le même acte mais constituant un autre contrat, puisqu'établie par deux donateurs ensemble, et donc présentant les caractéristiques d'une donation-partage conjonctive. À ces deux différents contrats s'attachent, logiquement, des conséquences différentes.
Conséquence pratique : différence de traitement entre enfants communs et non communs
– Délai pour agir en réduction. – Rappelons que lorsque toutes les conditions prévues à l'article 1078 du Code civil sont remplies, les valeurs des lots sont gelées à la date de l'acte. C'est là un des principaux gains de sécurité de la donation-partage. Mais, à cet égard, les enfants et les beaux-enfants ne sont pas tous logés à la même enseigne. En effet, les enfants communs allotis au moyen d'une telle donation-partage, puisqu'il s'agit à leur égard d'une donation-partage conjonctive, ne pourront agir en réduction qu'après le décès du dernier des donateurs, et dans un délai de cinq ans maximum après cette date. Alors que le ou les enfants non communs, dont la loi réserve immédiatement le cas particulier, pourront intenter une telle action dès le décès de leur auteur. Les armes ne sont donc pas tout à fait égales ; et plus encore, leur distribution a ceci d'amer qu'elle est purement aléatoire : selon l'ordre des décès, les enfants ou les beaux-enfants se trouveront avantagés ou entravés sur ce point, ce qui peut être lourd de conséquences.
Donation-partage : les beaux-enfants ne jouent pas à armes égales !
- Posons l'hypothèse, en pratique des plus fréquentes, dans laquelle les donateurs ont disposé, en faveur de tous leurs enfants, de leur logement (en nue-propriété le plus souvent). Ce logement constitue l'essentiel de leur patrimoine et donc de leur future succession. Considérons que ce logement a été attribué à l'un des donataires, à charge de soulte au profit des autres. Voici l'enfant commun sommé de rester l'arme au pied au premier décès, tenu de patienter jusqu'au décès de son dernier parent. Cet enfant, inapte à réagir à d'éventuelles atteintes à sa réserve, peut néanmoins être tenu de supporter les actions intentées par le ou les enfants issus du seul prémourant, et ce alors même qu'il avait assumé le paiement d'une soulte !
- De la même manière, songeons aux effets d'une donation-partage construite dans ce cadre, et portant sur des numéraires attribués à chaque descendant, à charge de les utiliser au financement de son logement, qu'il s'agisse de l'acquérir, de le bâtir, ou de le rénover plus ou moins lourdement (au gré notamment de toutes les normes environnementales). L'inflation plus ou moins prononcée des valeurs des biens objets de ces emplois de fonds pourrait accroître les risques d'actions en réduction dont les déclenchements ne seront pas simultanés.
– Faut-il légiférer à nouveau ? – On ne peut proposer que tous les enfants aient la faculté d'agir en réduction dès le premier décès. Ce serait ouvrir à certains une action en réduction relative à une succession… à laquelle ils ne sont pas appelés ! Faut-il, au contraire, différer cette possibilité d'action au dernier décès pour tous les enfants participant à la donation-partage ? Ce serait faire courir un risque d'insolvabilité aux enfants du prémourant, qui peuvent être créanciers d'une indemnité de réduction. Ne pourrait-on, dès lors, laisser la liberté (et donc la responsabilité) aux disposants d'en décider par une clause de la donation-partage, si telle est leur volonté, après avoir été dûment éclairés ? La démarche serait comparable à ce qui est permis au sein des couples recomposés qui, dans le mariage, souhaitent se léguer un usufruit posthume y compris sur la part réservée aux enfants : vocation que, pour des motifs analogues de sensibilité des arbitrages personnels, l'article 757 du Code civil ne s'arroge pas le rôle de leur octroyer d'office.