La soumission à l’obligation de maîtrise d’ouvrage publique

La soumission à l’obligation de maîtrise d’ouvrage publique

– La maîtrise d’ouvrage des personnes publiques et parapubliques est organisée par les articles L. 2410-1 et suivants du Code de la commande publique. – Ces articles sont le résultat de la codification de la loi no 85-704 du 12 juillet 1985 dite loi « MOP » adoptée dans le but notamment de garantir la qualité des constructions publiques, y compris celles portées par les collectivités territoriales au lendemain de la décentralisation, et d’organiser les relations entre les maîtres d’ouvrage publics et les maîtres d’œuvre privés.
En effet, la loi MOP, à la différence des dispositions relatives à la maîtrise d’ouvrage privée, encadre strictement les possibilités de délégations ou mandats qui peuvent être accordés par le maître d’ouvrage public à des tiers. De plus, cette loi distingue clairement les interventions de trois types d’opérateurs de la construction : le maître de l’ouvrage qui dirige l’opération, le maître d’œuvre qui la conçoit et l’organise, et l’entrepreneur qui exécute. Cette répartition des rôles et des responsabilités entre les différents intervenants vise à garantir la qualité architecturale, technique et fonctionnelle du projet dans le cadre d’une enveloppe financière maîtrisée. Le fait qu’un même maître d’œuvre exécute par principe une mission complète sur un projet, intégrant à la fois la phase de conception de l’ouvrage et celle de l’exécution des travaux (CCP, art. L. 2431-1), participe de cette recherche de qualité des constructions publiques, même si les bailleurs sociaux bénéficient d’obligations assouplies à ce titre.
En application de ces dispositions, il est institué une obligation de maîtrise d’ouvrage publique pour les personnes visées à l’article L. 2411-1 du Code de la commande publique, savoir :
  • l’État et ses établissements publics ;
  • les collectivités territoriales, leurs établissements publics, les offices publics de l’habitat mentionnés à l’article L. 411-2 du Code de la construction et de l’habitation pour les logements à usage locatif aidés par l’État et réalisés par ces organismes et leurs groupements ;
  • les organismes privés mentionnés à l’article L. 124-4 du Code de la sécurité sociale, ainsi que leurs unions ou fédérations ;
  • les organismes privés d’habitations à loyer modéré, mentionnés à l’article L. 411-2 du Code de la construction et de l’habitation, ainsi que les sociétés d’économie mixte, pour les logements à usage locatif aidés par l’État et réalisés par ces organismes et sociétés.
– La maîtrise d’ouvrage publique recouvre deux dimensions juridiques. – D’abord un régime, un contenu : il appartient au maître d’ouvrage, après s’être assuré de la faisabilité et de l’opportunité de l’opération envisagée, d’en déterminer la localisation, d’en définir le programme, d’en arrêter l’enveloppe prévisionnelle, d’en assurer le financement, de choisir le processus selon lequel l’ouvrage sera réalisé et de conclure les contrats ayant pour objet les études et l’exécution des travaux. Le maître d’ouvrage supporte la « responsabilité de l’ouvrage ». La mission de maîtrise d’œuvre doit par ailleurs être distinguée de celle confiée aux opérateurs économiques en charge des travaux. Ensuite, l’autre dimension de la maîtrise d’ouvrage publique est son caractère obligatoire : c’est-à-dire l’obligation de maîtrise d’ouvrage publique puisque le législateur considère que les maîtres d’ouvrage sont les responsables principaux de l’ouvrage et ils ne peuvent se décharger de cette obligation. Ceci étant rappelé, précisons l’étendue de l’obligation de maîtrise d’ouvrage publique pour les organismes de logement social et pour les organismes de logement intermédiaire (§ I) ainsi que les dérogations prévues à cette obligation pour les ouvrages imbriqués (§ II).

L’étendue de l’obligation de maîtrise d’ouvrage publique

– Maîtrise d’ouvrage des opérateurs de logement social (OLS). – La soumission des OLS aux obligations de maîtrise d’ouvrage n’est pas intégrale, et ce à double titre. D’une part, eu égard à la lettre de l’article L. 2411-1 du Code de la commande publique, les offices publics de l’habitat, les organismes privés d’habitation à loyer modéré (comme les SA HLM) et les SEM agréées pour la construction et la gestion de logements sociaux, ne sont soumis aux dispositions des articles L. 2410-1 et suivants du Code de la commande publique que pour la réalisation de logements à usage locatifs aidés par l’État, à l’exclusion de tout autre type d’ouvrage. Cette notion n’est pas définie par le texte mais il convient d’y entendre l’ensemble des logements à usage locatifs pour la réalisation desquels ces acteurs perçoivent une aide spécifique, ce qui englobe notamment les logements locatifs sociaux. A contrario, ils ne sont donc pas soumis à ces dispositions lorsqu’ils réalisent tout autre type d’ouvrage, comme lors de la réalisation d’opérations d’accession sociale à la propriété, de commerce ou d’équipements publics. D’autre part, lorsqu’ils sont soumis à ces dispositions, c’est-à-dire lorsqu’ils réalisent des logements à usage locatif aidés par l’État, les organismes privés d’habitations à loyer modéré, les sociétés d’économie mixte et les offices publics de l’habitat ne sont pas soumis au titre III sur la maîtrise d’œuvre privée, qui impose notamment une distinction entre la mission de maîtrise d’œuvre et d’entreprise. Étant exclus du champ d’application des dispositions relatives à la maîtrise d’œuvre, les organismes HLM et SEM agréées sont donc libres de définir et confier les missions qu’ils souhaitent à la maîtrise d’œuvre, même s’ils peuvent évidemment se rapporter à ces dispositions. Par ailleurs, ils ne sont pas tenus d’organiser un concours pour conclure les marchés de maîtrise d’œuvre. Constatons ainsi que la soumission des OLS aux dispositions relatives à la maîtrise d’ouvrage publique est, d’une part, réduite à leur activité principale – la réalisation de logements locatifs aidés – alors même que leur objet social tend à s’étoffer au gré des modifications législatives, et, d’autre part, est restreinte dès lors que, même lorsqu’ils sont dans le champ d’application du texte, les dispositions qui leur sont applicables se réduisent progressivement.

Focus sur l’obligation de maîtrise d’ouvrage publique pour la réalisation d’opérations en BRS

D’un point de vue organique, seuls les organismes HLM agréés en tant qu’OFS et les OFS de collectivités territoriales constitués sous forme d’établissements publics sont susceptibles d’être soumis à cette réglementation lorsqu’ils assurent la maîtrise d’ouvrage des logements destinés à faire l’objet d’un BRS.
D’un point de vue matériel, puisque le champ d’application des textes relatifs à la maîtrise d’ouvrage publique ne concerne que les opérations relatives à des logements à usage locatif aidés par l’État, les organismes HLM (offices publics de l’habitats et organismes privés d’habitations à loyer modéré) agréés OFS n’y sont pas soumis lorsqu’ils réalisent des logements en accession en BRS.
Dans les faits, la soumission de l’OFS à la réglementation sur la maîtrise d’ouvrage publique apparaît anecdotique dans la mesure où la maîtrise d’ouvrage de l’opération est le plus fréquemment assuré par un opérateur dans le cadre d’un BRS dit Opérateur au sens de l’article L. 255-3 ou L. 255-4 du Code de la construction et de l’habitation dans lequel un opérateur s’engage, le cas échéant, à construire ou réhabiliter des constructions et soit (i) à céder les droits réels à des ménages sous conditions de ressources (schéma dit du « BRS Opérateur »), soit (ii) proposer la souscription de parts ou actions sociales permettant la jouissance des biens par des bénéficiaires répondant aux conditions de ressources (schéma dit du « BRS Opérateur-Porteur »), soit (iii) louer les logements à des ménages sous conditions de ressources (schéma dit du « BRS Locatif »). En tant qu’opérateur, l’organisme HLM ne serait soumis aux dispositions relatives à la maîtrise d’ouvrage publique que lorsqu’il réalise des logements locatifs aidés par l’État, ce qui, rappelons-le, n’est pas le cas des logements en accession réalisés dans le cadre d’un BRS Opérateur visé à l’article L. 255-3 du Code de la construction et de l’habitation ou BRS Locatif visé à l’article L. 255-4 du Code de la construction et de l’habitation.
– Maîtrise d’ouvrage des opérateurs du logement intermédiaire. – Aux côtés des organismes HLM, les opérateurs du logement intermédiaire regroupent les structures immobilières intervenant principalement dans le secteur du logement à destination des ménages aux revenus trop élevés pour être éligibles au logement social, mais qui ne peuvent toutefois accéder au secteur libre pour un taux d’effort raisonnable. Il s’agit par exemple de filiales d’Action Logement Immobilier (ex. in’li) ou de filiales du groupe Caisse des dépôts et consignations (ex. CDC Habitat). Ces acteurs ne sont pas soumis aux dispositions relatives à la maîtrise d’ouvrage publique, même en cas de réalisation de logements à usage locatif aidés par l’État, dès lors que le critère organique fait défaut : il ne s’agit ni d’organisme HLM, ni de SEM agréées. Ils réalisent donc leurs opérations de construction sans entrer dans le champ d’application des dispositions du Code de la commande publique en matière de maîtrise d’ouvrage publique.

Les dérogations pour les ouvrages imbriqués

– Exception jurisprudentielle et légale pour les acquisitions en Vefa. – Le champ de l’obligation maîtrise d’ouvrage publique a été précisé à l’occasion du développement du recours à la vente en l’état futur d’achèvement (Vefa) par les personnes publiques. Pour les maîtres d’ouvrage publics, le recours à un tel dispositif pose en effet question, compte tenu de la définition même de la Vefa selon laquelle c’est un « contrat par lequel le vendeur transfère immédiatement ses droits à l’acquéreur sur le sol ainsi que sur la propriété des constructions existantes. Les ouvrages à venir deviennent la propriété de l’acquéreur au fur et à mesure de leur exécution ; l’acquéreur est tenu de payer le prix à mesure de l’avancement des travaux. Le vendeur conserve les pouvoirs de maître d’ouvrage jusqu’à la réception des travaux ». Dans ce cadre, bien que l’ouvrage soit destiné à devenir la propriété de la personne publique à son achèvement, la maîtrise d’ouvrage est exercée par le vendeur. Or, les dispositions relatives à la maîtrise d’ouvrage publique obligent les personnes morales qui y sont soumises à remplir le rôle de maître d’ouvrage.
Le Conseil d’État a eu à se prononcer sur la légalité du recours à la Vefa par des personnes publiques et a donné une interprétation de l’article 2 de la loi MOP dans un avis du 31 janvier 1995 dans le cadre de la construction d’un commissariat de police au terme de laquelle il considère que les personnes publiques ont l’obligation d’être maître d’ouvrage des travaux de construction réalisés sur un terrain qui ne leur appartient pas seulement si quatre conditions sont cumulativement remplies :
  • l’objet de l’opération est la construction même d’un immeuble pour le compte de la personne publique ;
  • l’immeuble doit être destiné à devenir sa propriété ;
  • l’immeuble doit être entièrement destiné à devenir sa propriété ;
  • l’immeuble a été conçu en fonction de ses besoins propres.
Cette interprétation de la loi MOP était particulièrement réaliste dans la mesure où elle permettait :
  • l’acquisition en Vefa d’un immeuble sur le marché, c’est-à-dire d’un immeuble dont l’initiative et la conception relève du vendeur et non de la personne publique ;
  • de ne pas imposer une obligation de maîtrise d’ouvrage aux personnes publiques qui ne deviennent propriétaires, au sein d’un ouvrage complexe, que d’une partie de travaux ou des constructions en cause. Comme le notent les professeurs Étienne Fatôme et Philippe Terneyre dans leur commentaire de cet avis, l’objectif du Conseil d’État était de permettre aux personnes soumises à la loi MOP d’acquérir en l’état futur d’achèvement des locaux qui, bien que « répondant à des besoins architecturaux […] très spécifiques », font partie « d’ensembles immobiliers complexes où se poseraient de redoutables problèmes techniques s’ils devaient être réalisés sous une double maîtrise d’ouvrage » ;
  • de ne pas imposer non plus d’obligation de maîtrise d’ouvrage pour les immeubles dont les personnes publiques ne deviennent pas propriétaires.
Au vu de cette analyse de l’obligation de maîtrise d’ouvrage publique, il apparaît que pourront être réalisés sous la maîtrise d’ouvrage d’un opérateur privé des équipements publics dès lors qu’ils seront imbriqués techniquement aux parties privées du projet. Les maîtres d’ouvrage soumis aux dispositions relatives à la maîtrise d’ouvrage publique pourront dans ces conditions s’en porter acquéreur dans le cadre d’une Vefa, laquelle peut désormais prendre la forme d’un marché public conclu de gré à gré dans les termes de l’article R. 2122-3 du Code de la commande publique (sous réserve d’en satisfaire les conditions : V. infra).
S’agissant des organismes HLM, si l’article L. 2411-1 du Code de la commande publique indique qu’ils sont soumis aux dispositions sur la maîtrise d’ouvrage publique, l’article L. 2412-2 du Code de la commande publique précise que « les dispositions du présent livre ne sont pas applicables (…) aux ouvrages de bâtiment acquis par les organismes énumérées à l’article L. 411-2 du Code de la construction et de l’habitation et les sociétés d’économie mixte par un contrat de vente d’immeuble à construire prévu par les articles 1601-1, 1601-2 et 1601-3 du Code civil. » Pour autant, cette disposition ne doit pas être interprétée comme permettant à l’organisme HLM d’acquérir en Vefa en conformité avec les dispositions relatives à la maîtrise d’ouvrage publique en toute hypothèse. En effet, pour que le recours à la Vefa soit régulier, encore faut-il que les conditions jurisprudentielles susmentionnées soient remplies. C’est d’ailleurs ce que reflète le texte en utilisant les notions d’ouvrage de bâtiment et d’acquisition. La Vefa ne peut pas être utilisée pour faire construire pour son compte, elle ne peut l’être que pour acquérir un bâtiment dont la construction serait en cours. C’est dans cette hypothèse que les organismes HLM sont expressément dispensés de l’application des règles applicables en matière de maîtrise d’ouvrage publique.
– Exception légale : la dispense préfectorale. – L’article 1er de la loi MOP – rare disposition non codifiée dans le Code de la commande publique – dans sa version encore en vigueur prévoit également une dispense d’application de tout ou partie de ladite loi accordée, au cas par cas, par le préfet de département pour les ouvrages édifiés par les organismes HLM destinés à s’intégrer à des constructions relevant d’autres régimes juridiques. Une telle exemption pourrait donc leur permettre de confier leur maîtrise d’ouvrage à un tiers, en dehors des cas expressément prévus par les dispositions relatives à la maîtrise d’ouvrage publique (ex. en ayant recours au contrat de promotion immobilière, qui est incompatible avec les dispositions relatives à la maîtrise d’ouvrage publique dès lors que ce contrat implique de confier au promoteur des missions allant au-delà de ce qu’il est permis par les textes).

Tableau de synthèse sur la loi MOP et les OLS/I

Offices publics de l’habitat Organismes privés d’habitation à loyer modéré SEM agréées Opérateurs du logement intermédiaire
Champ d’application organique et matériel des dispositions relatives à la maîtrise d’ouvrage publiqueSoumis uniquement pour la réalisation de logements à usage locatifs aidés par l’État, ce qui exclut toutes les autres opérations (accession sociale à la propriété, commerce, équipements, etc.).Non soumis
Étendue de la soumission aux dispositions relatives à la maîtrise d’ouvrage publique en cas de réalisation de logements locatifs aidésUniquement soumis au titre I et titre II, à l’exclusion du titre III relatif à la maîtrise d’œuvre privée.