La nouvelle réglementation des normes au service de la construction réversible

La nouvelle réglementation des normes au service de la construction réversible

L’a refonte du Code de la construction et de l’habitation au 1er juillet 2021 a modifié le paradigme de l’acte de construire (§ I) et anticipé celui de la construction réversible (§ II).

Le nouveau paradigme de l’acte de construire

La réécriture du livre Ier du Code de la construction et de l’habitation s’est voulue simplificatrice en modifiant l’approche de l’acte de construire, notamment au moyen des solutions innovantes du permis d’expérimenter, qui en était l’antichambre.
Désormais la construction d’un bâtiment s’articule autour des principaux axes suivants : règles générales de sécurité des bâtiments, sécurité incendie, qualité sanitaire, accessibilité et performance énergétique et environnementale. Dans chacun de ces domaines est assigné un objectif général à atteindre. Cet objectif peut être exprimé de deux manières.
– L’objectif peut, tout d’abord, être considéré comme atteint lorsqu’il a été exprimé sous la forme d’un résultat minimum, obtenu par la construction considérée.
– Mais s’il n’a pas été prévu de résultat minimum, l’objectif est considéré comme atteint lorsqu’il est fait usage d’une solution de référence (solution technique déjà définie par voie réglementaire) ou une solution d’effet équivalent (SEE, dite aussi « solution innovante libre »).
En d’autres termes, il est désormais retenu une approche d’obligation de résultat ou performancielle au travers notamment de la SEE. Cette « liberté » donnée à l’opérateur lui donne droit à l’innovation requise pour une construction réversible, notion désormais intégrée au Code de la construction et de l’habitation.

La reconnaissance de la construction réversible

La construction réversible fait son apparition dans deux dispositions du Code de la construction et de l’habitation.
– La première, et non la moindre, est l’article L. 111-1 de ce code, c’est à dire son premier article. Son 5° définit le bâtiment réversible comme : « un bâtiment dont la conception permet d’en changer l’usage, partiellement ou totalement, sans qu’il soit besoin de procéder à une rénovation importante ou une reconstruction ».
– La seconde est l’article L. 112-8 dudit code, relatif aux modalités de justification du respect des objectifs généraux : « Pour les bâtiments dont l’usage est mixte, réversible ou indéterminé au moment du dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme et pour lesquels il n’est pas possible d’appliquer les règles de construction de manière distincte aux différents usages, les solutions mises en œuvre respectent l’ensemble des objectifs généraux assignés aux différents usages du bâtiment et atteignent, lorsqu’ils sont fixés, l’ensemble des résultats minimaux ».
Le champ d’application de ce second article n’est nullement limité au cas du permis d’innover ; il apparaît donc comme le fondement d’un droit commun du régime constructif des bâtiments réversibles. On peut même relever que le législateur a largement anticipé les possibles évolutions à venir sur le sujet puisqu’il énonce aussi bien un bâtiment à usage réversible ou qu’indéterminé, alors même que l’article L. 111-1 n’en donne pas de définition…à l’inverse du bâtiment réversible.
De ce texte, on peut aussi comprendre qu’un bâtiment réversible devra respecter chacun des objectifs généraux de construction propres à chacune des destinations qu’il pourra avoir. À notre avis, en cas de règles concurrentes, c’est la plus contraignante qui devra être prise en compte dès l’origine.
Mais se pose alors la question de savoir si cette exigence ne s’appliquera qu’à la construction ou s’il conviendra d’en faire également application au moment de la réversion. Que faire, dans ce cas, si la règle a évolué ? Pareillement, on reste dubitatif sur l’utilisation du terme « d’usage indéterminé » par le texte. Comment établir que l’on respecte chaque objectif général inhérent à chaque règle de construction alors que l’on ne connaît pas ses usages possibles ? Devra-t-on respecter toutes les règles de tous les usages possibles ?
Voilà autant de questions posées mais aussi de portes ouvertes par la construction réversible. Sous réserve d’évolutions législatives ultérieures et de l’appréciation, toujours souveraine, des tribunaux, il nous semble possible de proposer les solutions suivantes :
  • quant à la date d’appréciation des objectifs généraux de construction, et dans la logique d’une construction réversible inscrite sur un temps long, nous serions d’avis de cristalliser la norme de construction au jour où elle serait autorisée et non au jour de l’exercice de la faculté de réversion. Une opinion contraire présenterait, en effet, l’inconvénient majeur de remettre en cause purement et simplement l’exercice de la faculté de réversibilité si la nouvelle norme était de nature à y faire obstacle. Il est, à notre sens, impossible de promouvoir ce nouveau type de construction sans lui assurer une stabilité dans le temps. Il serait bon, toutefois, que la loi exprimât une limite imposant que l’opération de réversion ne puisse porter atteinte à la sécurité ou la salubrité publiques.
  • Quant à l’application cumulative ou distributive des règles inhérentes à chaque usage, nous serions d’avis de retenir l’application de la règle la plus contraignante de chacun des usages possibles prévus par les textes.
La norme posant le plus de difficultés dans son articulation entre les différents usages possibles d’une construction réversible, est la norme relative à la sécurité incendie. Cet obstacle majeur est levé par la création d’une nouvelle catégorie d’immeubles : l’IMH.

L’immeuble de moyenne hauteur, réceptacle de la construction réversible ?

La difficulté liée à la norme incendie tient à la pluralité de ses sources, qui sont distinctes selon que l’on est en présence d’un bâtiment d’habitation, d’un établissement recevant des travailleurs (ERT) ou d’un établissement recevant du public (ERP). Chaque classe d’immeuble relève de règles différentes et parfois incompatibles. À cela vient s’ajouter une différenciation des normes applicables selon que l’immeuble est classé en immeuble de faible hauteur ou de grande hauteur (IGH) ; cette classification étant elle-même différente pour les immeubles d’habitation et les bureaux.
Ainsi un immeuble de bureaux est considéré comme un immeuble de grande hauteur (IGH) si son dernier plancher accessible aux secours dépasse 28 mètres, alors que pour un immeuble d’habitation le seuil est fixé à 50 mètres. Afin de pallier ces difficultés, la loi Elan a créé une nouvelle catégorie d’immeubles au sein de laquelle une harmonisation des règles incendie est prévue quel que soit son usage. Il s’agit de l’immeuble de moyenne hauteur (IMH). L’ordonnance « Essoc II » a quant à elle introduit cette nouvelle notion au sein du Code de la construction et de l’habitation.
Cependant à ce jour ce statut d’IMH est une « coquille vide » dans l’attente des arrêtés ministériels nécessaires à son applicabilité.
En parallèle de ces considérations conceptuelles et constructives se pose la question de l’articulation de la construction réversible en droit de l’urbanisme.

Urbanisme et réversibilité : vers un permis réversible

En droit de l’urbanisme le concept de permis réversible n’existe pas à ce jour. Et pour cause ! Rien n’empêche dans le Code de l’urbanisme de pouvoir changer la destination d’un immeuble à tout moment au cours de son existence dès lors que la procédure ad hoc est respectée, à savoir :
  • soit une déclaration préalable si le changement de destination n’emporte pas de travaux sur la structure porteuse ou de modification de sa façade ;
  • soit un permis de construire dans le cas contraire.
Par ses principes de conception, un bâtiment réversible, en droit positif actuel, serait plus probablement soumis à déclaration préalable qu’à un permis de construire.
Cependant, il faudra bien évidemment en outre que le Plan local d’urbanisme (PLU) autorise la nouvelle destination au sein de la zone où se situe l’immeuble lors de son changement. Or, c’est bien là que réside le cœur du problème de la construction réversible en droit de l’urbanisme.
Rappelons que la construction réversible est faite pour s’inscrire dans le temps long. C’est notamment à ce prix que l’on peut admettre les contraintes liées à ses procédés constructifs et les exigences règlementaires de construction évoquées ci-avant. Mais alors, comment faire accepter à un maitre d’ouvrage de s’engager vers la voie vertueuse de la construction réversible, s’il ne peut lui être garanti dès l’origine qu’il sera en mesure de pouvoir faire évoluer son bâtiment dans le temps (et notamment du seul fait que la règle d’urbanisme inscrite au PLU qui aurait évoluée interdirait ce changement de destination) ?
Outre cette première difficulté, le fait de devoir solliciter une seconde autorisation d’urbanisme lors du changement de destination ouvrirait nécessairement une possibilité de recours lors de la délivrance de l’autorisation.
– Face à ce constat, quelles solutions apporter à ces porteurs de projets ? – La généralisation du permis à double état, tel qu’existant à ce jour, est une solution possible mais qui ne paraît pas suffisante. En effet, comme déjà évoqué, les deux états appelés à se succéder sont définis dès l’origine, tant matériellement que temporellement, ce qui ne correspond pas à un véritable projet réversible.
La Commission pour la relance durable de la construction de logements (dite « Commission Rebsamen ») s’est saisie de ce sujet et aboutit à la conclusion suivante : « La commission estime donc que la perspective d’une relance durable de la construction devrait conduire à reconnaître la notion de bâtiments réversibles en droit de l’urbanisme en étudiant – avant d’expérimenter – la mise en place d’un permis de construire multi-destination. », avant d’apporter la proposition suivante : « étudier et expérimenter un permis de construire autorisant l’avance plusieurs destinations et sous-destinations afin de reconnaître la construction d’immeubles réversibles en droit de l’urbanisme ».
Dans la même ligne, le rapport des Notaires du Grand Paris pour un habitat accessible et de qualité prévoit en sa proposition no 13 : « généraliser, au sein du Code de l’urbanisme, la possibilité de déposer un permis à double détente ».
C’est également dans cette voie que les auteurs spécialisés semblent se diriger. Alors, face à cet « alignement des planètes » des professionnels comment penser ce « permis réversible » tant dans son objet (I), que dans son champ d’application géographique (II) et enfin sur sa durée (III) ?

L’objet du permis réversible

Il s’agit ici de circonscrire ce que pourrait autoriser un permis réversible.
Sur ce sujet deux courants divergent. Le premier envisage une autorisation « multi-destinations » alors que le second s’oriente vers un permis « sans destination ». Au premier abord, la différence ne paraît pas neutre : dans le premier cas, l’opérateur devrait choisir lors du dépôt de la demande d’autorisation de construire les destinations possibles et alternatives de son projet (mais choisir les cinq destinations actuelles équivaut à demander un permis sans destination) alors que dans le second cas, l’opérateur serait libre d’affecter et de faire évoluer sa construction.
En réalité, ce débat a-t-il lieu d’être ? Prenons en effet l’exemple de l’immeuble Haussmannien édifié depuis 150 ans. Aujourd’hui ce type d’immeuble peut tout aussi bien recevoir tour à tour du logement, des bureaux privés ou des administrations publiques. Partant de ce constat, nous pensons que le terme de « permis réversible » est plus approprié à ceux de « permis multi-destinations » ou « permis sans destination », voire « permis à destination indéterminée ».
En pratique, il y aurait lieu d’ajouter au formulaire Cerfa idoine une nouvelle case à cocher « permis réversible ». Le contrôle effectif des destinations possibles du projet se ferait dans l’obligation de respecter les normes constructives selon les possibilités d’affectation de l’immeuble requises ; le pétitionnaire devrait, à cet égard, joindre à sa demande, puis à la déclaration d’achèvement et de conformité, tous justificatifs nécessaires. S’agissant des règles d’urbanisme proprement dites, à l’instar de ce que nous proposons pour les règles constructives, il pourrait être retenu la règle la plus contraignante. À défaut, telle ou telle destination serait alors exclue.
Le permis réversible, parce qu’il pourra permettre de faire évoluer l’usage des bâtiments dans le temps et influera donc nécessairement sur l’aménagement urbain à plus grande échelle, est-il approprié à l’ensemble de notre territoire ?

La territorialité du permis réversible

À ce jour, le permis d’innover qui est le support actuel des projets de constructions réversibles n’est applicable que dans certaines zones du territoire national (OIN, GOU et ORT ) Son caractère expérimental et temporaire justifie cette limitation.
Qu’en serait-il si le permis réversible devait entrer dans le droit commun ? Nous formulons à cet égard les quelques observations suivantes :
La délivrance d’un permis réversible cristallisera, pendant une période donnée, le droit à l’évolution du bâtiment considéré. Ce type de construction, par sa spécificité, devrait donc être privilégié dans les secteurs où une concertation avec les pouvoirs publics locaux a été renforcée, et qui, de ce fait, peuvent avoir une vision à moyen ou long terme des orientations retenues en termes d’urbanisation.
C’est d’ailleurs en ce sens que les secteurs retenus par la législation sur le permis d’innover ont été jugés légitimes à recevoir de telles constructions. Il pourrait en être de même dans les zones d’aménagement concerté et/ou dépendre des orientations d’aménagement et de programmation (OAP) des PLU.
Il pourrait pareillement être intéressant de rattacher le permis réversible au Programme local de l’habitat (PLH), en tant qu’outil stratégique de programmation de l’habitat devant favoriser la mixité sociale.
En conclusion, au-delà de ces pistes de réflexions, le choix de rendre possible l’utilisation du permis réversible sur son territoire devra appartenir à l’autorité compétente qui sera chargée de le délivrer.
Reste à savoir pendant combien de temps les droits acquis nés de ce permis lui seraient opposables.

La durée du permis réversible

Les constructions réversibles sont nécessairement conçues pour être utilisées sur une longue période, leur raison d’être étant leur faculté d’évolution et d’adaptation à moindre coût. Ce sont justement ces éléments qui inciteront les opérateurs institutionnels à s’engager sur cette voie. Néanmoins, ce droit acquis à l’évolution ne saurait faire obstacle au droit de l’urbanisme.
Il y a donc lieu de parvenir à un juste équilibre entre la nécessité d’assurer la stabilité dans le temps de l’opération réversible, gage de sa réussite, et celle de ne pas contraindre exagérément l’évolution du droit de l’urbanisme. Se trouve ainsi posée la question de la durée de validité du permis réversible, à laquelle trois réponses différentes ont à ce jour été apportées :
  • un premier courant tend à considérer que la durée du permis réversible doit correspondre à la stabilité attendue des opérations d’urbanisation et d’aménagement du territoire. Dans cet ordre d’idée, une durée de validité de dix ans est proposée ;
  • un second courant estime que le permis réversible doit accompagner son titulaire pendant le temps de la « commercialisation » de l’opération permettant de basculer d’un usage à l’autre selon ses besoins. Là encore, une durée de dix années est suggérée ;
  • un troisième courant, enfin, souligne que le permis réversible doit permettre de laisser écouler le temps nécessaire à une première vie du bâtiment afin de pouvoir rendre effective, par la suite, au moins la seconde. Dans cet ordre d’idée, une période de validité de quinze à vingt ans est recommandée. Nous partageons cette appréciation, une telle durée nous paraissant adaptée au besoin de stabilité ’des opérations réversibles et gratifiant ainsi l’effort fait accompli par les concepteurs et l’opérateur au lancement de l’opération.
Par-delà même cette durée de validité initiale, ne pourrait-on imaginer (en se projetant sur le temps long) une possibilité de renouvellement du permis réversible parvenu à son terme ? Cette idée est séduisante, mais devrait être encadrée. On pourrait ainsi proposer que le renouvellement ne puisse intervenir que si le permis initial, au terme de sa durée de validité, continue de répondre aux règles d’urbanisme.
Un aspect important de la question reste alors à considérer : si le permis réversible devait entrer dans notre droit positif, dans quelle mesure influerait-il l’organisation juridique de l’immeuble issu de la réalisation ?