À l’instar des opérations de transformation des immeubles tertiaires en logements, la réalisation d’une construction réversible s’expose à des freins fiscaux qui devront être levés (§ I). Devront également être prises en compte des particularités fiscales propres aux opérations menées en Île-de-France (§ II).
Éléments particuliers de la réversibilité en fiscalité
Éléments particuliers de la réversibilité en fiscalité
Réversibilité, TVA et plus-value
Réversibilité et TVA
L’hypothèse est ici celle d’un opérateur qui construit un immeuble réversible affecté en premier à une activité autorisant la récupération de la TVA (bureau, hôtel, résidence service ou étudiante) puis décide de sa réversion vers une activité n’entrant pas dans le champ d’application de la TVA (logement).
Généralement, cette réversion a vocation à se réaliser au cours des vingt années qui suivent la construction du fait de l’obsolescence possible qui impactera « la première vie » du bâtiment. L’immeuble ayant été bâti comme « réversible », l’opération ne nécessite que des travaux mineurs et ne peut donc être assimilée à la production d’un immeuble neuf au sens de la TVA. En revanche, selon la logique fiscale actuelle de la TVA, l’opérateur de la réversion sera tenu de procéder à la régularisation de la TVA initialement déduite, au prorata des années restant à courir pour atteindre une durée de vingt ans.
Réversibilité et plus-value
Notre propos s’attache ici à l’article 210 F du Code général des impôts que nous avons déjà eu l’occasion d’étudier.
Rappelons que ce texte prévoit l’application d’une imposition réduite sur les plus-values au profit des sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés, notamment en cas de vente d’un immeuble de bureau à transformer en habitation mais aussi en cas de vente de terrains à bâtir affectés à la construction d’un immeuble à usage d’habitation dans un délai de quatre ans.
Le bénéficie de ce dispositif ne pourrait-il être étendu lors d’une mutation immobilière aboutissant à la réalisation d’un immeuble réversible ? Il devrait alors être conditionné à un engagement de première affectation à l’habitation, sans remise en cause en cas de réversion vers un autre usage, ce afin de « récompenser » le constructeur de l’immeuble réversible.
À côté de ces règles fiscales générales, en existent d’autres spécifiques à l’Île-de-France.
La fiscalité propre à l’Île-de-France
La taxe sur la création de locaux à usage de bureaux, de locaux commerciaux et de locaux de stockage (TCBCS)
Pour la région Île-de-France, les articles L. 520-1 à L. 520-23 du Code de l’urbanisme instaurent un dispositif fiscal particulier de taxe lors de la construction, reconstruction ou agrandissement de locaux à usage de bureaux, commerce ou lieu de stockage ou en cas de transformation de locaux à de tels usages. Il s’agit de la « TCBCS ».
Son montant diffère selon l’usage (bureau, commerce ou stockage) et son lieu d’implantation (répartition en quatre circonscriptions ). Elle varie d’un montant nul (bureau ou commerce en quatrième circonscription) à un montant maximal de 426, 30 € / m² (bureau en première circonscription), dans la limite de 30 % du coût d’acquisition et d’aménagement de la surface de construction. Il existe quelques cas d’exemption.
Comment alors appréhender ce dispositif sous l’angle de la promotion de la construction réversible et, a fortiori, du logement ?
La solution la plus simple pour récompenser l’effort de l’opérateur qui choisit la réalisation d’une construction réversible serait d’exempter de telles constructions de cette taxe. Néanmoins, une telle exemption pourrait créer un effet d’aubaine, l’opérateur sollicitant un permis réversible mais n’affectant finalement jamais l’immeuble à un usage d’habitation.
Pour sa part, l’ORIE a pu proposer en 2016, un système de crédits de TCBCS conditionné à un engagement, par l’opérateur, de transformation de l’immeuble de bureaux en logements.
Pour notre part, nous proposons que le bénéficiaire d’un permis construire réversible puisse bénéficier, lors de l’opération de réversion vers de l’habitat, d’un avoir correspondant au prorata de la TCBCS acquittée lors du premier cycle de vie du bâtiment rapportée au nombre d’années restant sur la durée de validité de son autorisation, afin d’utiliser cet avoir dans une autre opération située dans la même région.
La taxe sur les bureaux (TSB)
Au-delà de la taxe instituée lors de la création de bureaux, commerces et stockages, la région Île-de-France bénéficie également d’une taxe annuelle sur les même locaux, dite « TSB ». De par sa complexité, nous ne développerons ni son champ d’application ni ses modalités d’établissement.
La question est pour nous de savoir si un immeuble réversible devrait ou non être ou non soumis à cette taxe ? S’agissant d’une taxe annuelle, et donc assise sur une affectation « effective », nous estimons qu’un immeuble réversible pourrait être soumis à cette taxe tant qu’il n’est pas affecté à une occupation permettant d’en être exempté.
Cependant, nous sommes enclins à penser que l’exemption devrait intervenir dès l’engagement effectif des travaux de réversion et non pas à compter de l’achèvement desdits travaux, comme cela est le cas actuellement.
En définitive, nous ne pouvons qu’espérer que, si le législateur s’engage réellement dans la voie du permis réversible, il le fasse sur tous ses aspects et notamment ceux fiscaux, qui restent à ce jour les plus incitatifs pour les opérateurs.
– Libres propos conclusifs : en quoi la construction réversible favorise-t-elle la production de logements ? – À cette question pertinente, nous répondrions volontiers qu’il convient plutôt de se demander : « en quoi la construction réversible ne favoriserait-elle pas la production de logements ? » ! À l’heure où les mots « résilience », « sobriété constructive », « bas carbone » et « décarbonation », « économie circulaire », « mixité sociale », sont tant mis en avant, la construction réversible ne peut raisonnablement pas être ignorée.
Certes, le modèle de la construction réversible ne sera pas l’unique solution à la crise du logement, mais il participera, avec d’autres, à la réduire. Il est incontestable que l’on ne pourra jamais contraindre à ne construire que du logement. Dès lors, s’il s’agit de choisir entre :
- la construction d’un immeuble de bureaux tel qu’on se le conçoit aujourd’hui, qui sera obsolète dans vingt ans et nécessitera alors une déconstruction ou une reconversion ;
- ou la construction d’un immeuble réversible, qui, après son premier cycle de vie, pourra à moindres frais en connaître un second’’, pouvant permettre son affectation à usage de logements,
Qui peut encore aujourd’hui soutenir la première option ?
Le schéma actuel de la sectorisation, voire de la ségrégation, spatiale entre l’habitat et le tertiaire, reproduit inlassablement, a manifestement atteint ses limites. Il est certain que la construction réversible ne pourra s’implanter en tous points du territoire, et qu’elle nécessitera une concertation rapprochée des opérateurs avec les élus locaux, les uns comme les autres devant en accepter les contraintes. Mais, en toute objectivité, n’est-ce pas là le sens de l’histoire ? La réversibilité apparait ainsi comme un pas décisif vers la chronotopie urbaine.