– Définition. – Le bail emphytéotique est défini de manière très large comme étant un bail de biens immeubles conférant « au preneur un droit réel susceptible d’hypothèque ; ce droit peut être cédé et saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière. Ce bail doit être consenti pour plus de dix-huit années et ne peut dépasser quatre-vingt-dix-neuf ans ; il ne peut se prolonger par tacite reconduction ». Il s’agit donc en premier lieu d’une variété de bail, « louage de chose » selon le Code civil. Son régime est très clairement supplétif, ce qui est très intéressant pour la pratique mais s’avère finalement peu utile pour l’accession au logement. Les deux caractéristiques essentielles du bail emphytéotique sont sa durée (§ I) et la nature réelle du droit du preneur (§ II).
Caractéristiques
Caractéristiques
La durée
– Dix-huit à quatre-vingt-dix-neuf ans. – La durée du bail emphytéotique doit être comprise entre dix-huit et quatre-vingt-dix-neuf ans. Un bail de moins de dix-huit ans ne peut jamais être qualifié d’emphytéotique. Un bail conclu pour plus de quatre-vingt-dix-neuf ans, ou prorogé par avenants pour une durée qui serait finalement supérieure à quatre-vingt-dix-neuf ans, sera ramené à la limite extrême permise par la loi. Si les parties font dépendre la cessation de l’emphytéose d’un événement indéterminé dans le temps, le contrat prend fin dès qu’il se sera écoulé quatre-vingt-dix-neuf ans sans que l’événement prévu se soit réalisé.
– Pas de tacite reconduction. – La tacite reconduction n’est pas possible, à une nuance près : une cour d’appel a confirmé de manière assez logique que « si le bail emphytéotique ne peut se prolonger par tacite reconduction, il n’est pas formellement interdit aux parties, dont la convention est la loi, de stipuler le contraire et de prévoir expressément sa reconduction dans certaines conditions ». Mais cette reconduction ne peut pas avoir pour effet de déroger à la durée maximale de quatre-vingt-dix-neuf ans. Par ailleurs, l’emphytéote ne saurait en aucun cas se prévaloir des législations particulières instituant au profit du preneur un droit au maintien dans les lieux ou un droit de renouvellement en matière de baux d’habitation, de baux commerciaux ou de baux ruraux soumis au statut du fermage.
La nature réelle du droit du preneur
– Une caractéristique déterminante. – C’est l’essence même du bail emphytéotique. Il confère au preneur un droit réel susceptible d’hypothèque, qui peut être cédé ou saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière. « L’emphytéote profite du droit d’accession pendant la durée de l’emphytéose ». L’emphytéote est donc un « quasi-propriétaire » au sens où il n’est pas propriétaire de l’immeuble, mais titulaire d’un droit réel sur l’immeuble lui conférant accession aux constructions qu’il édifie. La Cour de cassation tient depuis toujours la faculté de libre cession pour l’une des caractéristiques majeures et essentielles du bail emphytéotique : la suppression d’une telle faculté n’est pas réputée non écrite mais disqualifie le bail. Ont ainsi été cassés les arrêts d’appel qui retiennent la qualification d’emphytéose alors que le contrat interdit de céder le bail ou subordonne le droit de cession à l’autorisation du propriétaire. Dans le même sens, a été confirmée la décision d’une cour d’appel selon laquelle un bail ne présente pas les caractéristiques de l’emphytéose dès lors, notamment, que la liberté de sous-louer ou de le céder y était très atténuée par une clause de responsabilité solidaire du locataire avec le cessionnaire ou le sous-locataire. Trois questions particulières méritent quelques commentaires rapides à propos des conséquences de la nature réelle du droit : les servitudes, les hypothèques, et le sort des baux consentis par l’emphytéote.
– Les servitudes. – L’article L. 451-9 du Code rural et de la pêche maritime dispose que : « L’emphytéote peut acquérir au profit du fonds des servitudes actives, et les grever, par titres, de servitudes passives, pour un temps qui n’excédera pas la durée du bail à charge d’avertir le propriétaire ». On reconnaît une application simple et de bon sens de l’adage nemo plus juris
. Pour aller au-delà du bail emphytéotique, le bailleur devra intervenir à l’acte de constitution de servitudes pour grever l’immeuble de manière perpétuelle, ce que le preneur n’est pas en capacité de faire..
– Les hypothèques. – Objet même de la définition du droit réel, la capacité d’hypothéquer limitée dans le temps implique de prendre néanmoins en considération la sécurité du créancier inscrit. Contrairement à la réglementation relative au bail à construction, rien n’est indiqué dans les textes relatifs au bail emphytéotique, mais il est évident que la règle nemo plus juris fait obstacle au maintien des droits des créanciers au-delà de la durée du bail. Ce qui n’est pas sans poser quelques difficultés dans des cas limites.
– Le sort des baux consentis par l’emphytéote. – L’adage nemo plus juris rappelé ci-dessus fait inévitablement disparaître tous les droits conférés à des tiers par le preneur sur l’immeuble, sauf une importante exception : les baux d’habitation. Cette solution de protection du locataire d’habitation a, dans un premier temps, été adoptée par la Cour de cassation dans un arrêt du 2 juin 2010 qui a déclaré le bail d’habitation opposable au propriétaire malgré l’expiration d’un bail emphytéotique au motif qu’aucun texte n’affranchissait ce propriétaire de l’obligation de respecter les dispositions d’ordre public de la loi du 6 juillet 1989 qui lui étaient applicables, et alors qu’il n’avait pas été constaté que le propriétaire avait mis fin au bail conformément aux dispositions de cette loi. Elle a été entérinée par la loi dite « Alur » du 24 mars 2014 qui a complété l’article L. 451-2 du Code rural et de la pêche maritime de la manière suivante : « Concernant les locaux à usage d’habitation, régis par les dispositions d’ordre public de la loi no 89-462 du 6 juillet 1989 (…), les contrats de bail conclus par l’emphytéote avec les locataires se poursuivent automatiquement avec le propriétaire de l’immeuble jusqu’au terme de chacun des contrats de bail signés avec les locataires », innovation qui concerne également les baux consentis par un preneur à bail à construction et un preneur à bail à réhabilitation. Il faut comprendre ce texte comme maintenant le bail d’habitation jusqu’à ce que ce bail ait pris fin pour l’une des causes admises par la loi du 6 juillet 1989.