– Application et adaptation de l'obligation de délivrance. – Àl'instar de toute vente, le vendeur dans le cadre d'une vente en l'état futur d'achèvement (Vefa) est tenu d'une obligation de délivrance. Celle-ci comprend deux aspects : l'obligation d'édifier l'immeuble dans un délai fixé au contrat (§ I) et l'obligation de délivrer un immeuble conforme aux prescriptions du contrat (§ II). Cette double branche de l'obligation de délivrance du vendeur d'un immeuble sur plans est régulièrement confrontée, en pratique, aux réalités d'une opération de construction et aux aléas qu'elle subit. Il a été relevé que les aléas inhérents au chantier de construction empêchent de considérer la construction d'un immeuble comme « une œuvre scientifique » dotée d'une précision extraordinaire. Le promoteur chargé de construire l'immeuble conformément aux prévisions du contrat et de le livrer dans le délai convenu doit donc faire face en permanence à ce double risque d'un non-respect de l'une et l'autre de ces obligations essentielles. C'est sur la gestion de ce double risque et le rôle central du notaire pour l'anticiper que nous reviendrons plus particulièrement ici.
Le rôle du notaire dans le cadre du respect de l'obligation de délivrance du vendeur de l'immeuble à construire
Le rôle du notaire dans le cadre du respect de l'obligation de délivrance du vendeur de l'immeuble à construire
– Àl'origine de la délivrance, deux notions : l'achèvement et la livraison. – Le respect de l'obligation de délivrance se vérifie, tant s'agissant du délai dans lequel elle s'exerce que sur sa conformité avec les dispositions contractuelles, en confrontant l'application faite du contrat avec ce qui y était prévu. C'est à ce titre que sont appelées à s'appliquer les notions d'achèvement et de livraison. Régulièrement confondues avec la notion de réception des travaux, les notions d'achèvement et de livraison forment avec elle la « trilogie classique de la fin des contrats immobiliers ».
Dans le cadre d'une vente d'immeuble à construire, ces étapes interviennent le plus souvent dans l'ordre suivant : réception – achèvement – livraison.
La distinction entre les trois notions peut être figurée schématiquement de la manière suivante :
Le respect par le vendeur de son obligation de délivrance, tant en terme de délai qu'en terme de conformité avec les prescriptions du contrat signé, s'apprécie sur la base de la livraison.
Les pièges résultant de la difficile combinaison entre les notions d'achèvement et de livraison dans la rédaction des actes
Le notaire doit apporter un soin tout particulier à la rédaction des clauses de son acte conditionnant la constatation de l'achèvement et, ce faisant, le paiement de 95 % du prix de la Vefa en secteur protégé. Quand bien même les biens seraient réellement achevés, voire même livrés, le promoteur-vendeur est tenu de respecter la procédure le cas échéant convenue dans le contrat avant de prétendre au paiement de la quote-part de prix correspondante.
C'est ce que les magistrats ont eu l'occasion de préciser :
- bien que la livraison soit intervenue (avant la constatation de l'achèvement) et que les acquéreurs vivaient même dans l'immeuble, la procédure contradictoire permettant de constater l'achèvement, puis de demander le paiement de la quote-part de prix correspondante, devait être respectée ;
- la remise des clés aux acquéreurs, la prise de possession des biens et même leur location ne justifiaient pas que le vendeur ne respecte pas la procédure prévue au contrat pour constater l'achèvement et demander le paiement de la quote-part de prix correspondante ;
- le non-respect de la procédure prévue au contrat et de l'ordre des formalités à accomplir (en l'occurrence, l'envoi d'une notification par lettre recommandée avec demande d'avis de réception portant sur l'achèvement des travaux contradictoirement constaté puis la demande en paiement du prix) empêchait le vendeur de réclamer le paiement du prix, et donc de pratiquer des mesures d'exécution pour permettre ce paiement.
La délivrance dans un délai
Rappel des principes applicables
– Le délai d'achèvement : une condition essentielle à la qualification du contrat de Vefa. – La fixation d'un délai d'achèvement des travaux de construction de l'immeuble vendu en l'état futur d'achèvement est un critère essentiel à la qualification même du contrat. Les articles 1601-1 du Code civil et L. 261-1 du Code de la construction et de l'habitation rappellent que le vendeur s'oblige ici « à édifier un immeuble dans un délai déterminé par le contrat ». Cette exigence s'impose à peine de nullité dans le secteur protégé. Il paraît par ailleurs difficile de ne pas appliquer cette exigence, qui participe de la qualification même du contrat, au secteur libre.
• Les sanctions amiables
Au rang des sanctions « amiables » en cas de retard pris dans la livraison des biens, figure bien évidemment la clause pénale, consistant en une sanction prévue à l'avance par les parties. Àtravers celle-ci, les parties conviennent de définir par avance et généralement « forfaitairement » le montant des dommages et intérêts qui seront versés par le promoteur-vendeur en cas de retard non justifié dans la livraison des biens. Une double fonction est attachée à la clause pénale : comminatoire en ce qu'elle sanctionne le non-respect d'une obligation (en dehors de tout préjudice), elle est également réparatrice en déterminant par avance et de manière forfaitaire le préjudice qui serait alors subi. Au-delà de cette caractéristique, le notaire rédacteur de la clause pénale doit garder en tête les trois éléments suivants :
- la fonction réparatrice, attachée au préjudice effectivement subi, est susceptible de prendre le dessus sur la fonction comminatoire et justifier une modération (ou une augmentation) du montant prévu ;
- par principe, et dès lors que la rédaction de la clause pénale renvoie précisément aux préjudices consécutifs au retard de livraison, celle-ci permet de faire obstacle à l'allocation de dommages et intérêts portant sur l'indemnisation du même préjudice. Ce faisant, le promoteur-vendeur pourrait avoir intérêt à recourir à la stipulation d'une clause pénale lui permettant de connaître par avance, et sans intervention du juge (sauf l'effet de l'article 1231-5 du Code civil), le montant dont il sera redevable en cas de retard non justifié ;
- la stipulation d'une clause pénale ayant vocation à jouer en cas d'inexécution d'une convention n'emporte pas de plein droit renonciation à poursuivre la résolution du contrat.
Àla clause pénale peut s'ajouter la sanction sur laquelle les parties peuvent s'accorder alors même que le retard a d'ores et déjà été constaté. Cet accord amiable, qu'il conviendra de formaliser à travers un écrit, présentera notamment pour le promoteur-vendeur l'avantage de pouvoir écarter efficacement toute autre prétention de la part de l'acquéreur subissant le retard.
• Les sanctions contentieuses
– Les sanctions possibles en cas de non-respect du délai de livraison. – Qu'il s'agisse des sanctions applicables en cas de retard de livraison ou des causes pouvant légitimer ce retard afin de contourner ces mêmes sanctions, le contrat de Vefa se distingue très nettement d'autres contrats voisins. C'est ainsi que, contrairement au contrat de construction de maison individuelle pour lequel la loi organise un régime de sanctions à travers des pénalités de retard, aucune sanction n'est prévue par la loi en cas de retard de livraison des biens construits, et ce même dans le secteur protégé. Ce silence du législateur, qui tranche avec la pénalité de retard prévue à l'encontre de l'acquéreur, laisse donc les parties contraintes d'organiser elles-mêmes le régime des sanctions, à travers un accord amiable, ou de s'en remettre au juge pour fixer le principe et valider l'importance de ces sanctions (V. infra, Figure page suivante).
L'application du droit commun de l'inexécution contractuelle permet tout d'abord à l'acquéreur d'invoquer l'exception d'inexécution. C'est ainsi que l'acquéreur a la possibilité de conserver les quotes-parts de prix atermoyées et non réglées au jour où serait constaté le retard dans la livraison des biens, afin d'exercer sur le promoteur-vendeur un moyen de pression pour aboutir à la livraison.
La résolution de la vente peut également être demandée par l'acquéreur, tant en application du droit commun de l'inexécution contractuelle qu'en application de textes spécifiques à la vente d'immeuble. Les juges devront en ce cas vérifier que le retard de livraison constitue un manquement d'une gravité suffisante pour justifier la résolution du contrat de Vefa, ce qui peut les conduire à le refuser.
Enfin, peut s'ajouter aux sanctions précédentes l'allocation de dommages et intérêts, ici aussi tant par application du droit commun des contrats que par application du droit spécial de la vente.
– Le recours au droit commun pour échapper à la sanction en cas de retard de livraison. La force majeure. – Dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016, l'article 1218 du Code civil définit la force majeure en matière contractuelle par référence à un « événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées », et qui « empêche l'exécution de son obligation par le débiteur ». La nécessaire imprévisibilité de l'événement a été réaffirmée avec force par la troisième chambre civile de la Cour de cassation. Celle-ci est venue confirmer que la responsabilité contractuelle ne pouvait être écartée en raison de la survenance d'un cas de force majeure que s'il s'agit d'un « événement présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution ».
Quant à ses effets, l'invocation d'un événement relevant de la force majeure se distinguera de la cause conventionnellement prévue et organisée de prorogation de délai. C'est ainsi qu'il ne pourra exonérer le débiteur, ici le promoteur-vendeur, de ses obligations (la livraison des biens dans un certain délai) « que pendant le temps où elle l'empêche de donner ou de faire ce à quoi il s'est obligé ».
La rédaction de clauses prévoyant des causes légitimes de suspension de délai
Intérêts de la pratique et principes applicables
– La pratique des causes légitimes de suspension de délai. – Il est apparu nécessaire en pratique de ne pas soumettre les parties au contrat à l'aléa d'une appréciation parfois difficile des cas relevant de la force majeure. Àla demande des parties, principalement les promoteurs-vendeurs au regard de la responsabilité engagée par ceux-ci au titre du délai de livraison, des clauses listant des causes légitimes de suspension du délai de livraison se sont développées. Ici aussi, l'absence de disposition législative pour encadrer cette pratique en matière de Vefa tranche avec ce qui existe, notamment, avec le contrat de construction de maison individuelle.
– La validité de principe de la clause de suspension du délai de livraison. – La possibilité donnée à un promoteur-vendeur d'invoquer le bénéfice de circonstances particulières pour justifier d'un retard pris dans la livraison des biens repose sur deux situations bien différentes :
- soit le contrat signé ne prévoit pas de clause particulière ou renvoie simplement à la théorie de la force majeure, c'est alors celle-ci qui devra s'appliquer (hypothèse rare en pratique) ;
- soit le contrat prévoit, au-delà des cas de force majeure, des hypothèses où certaines circonstances justifieront un décalage du délai de livraison (hypothèse la plus fréquente). Ces clauses, dans la mesure où elles seront considérées comme valables et efficaces, s'appliqueront indépendamment des cas de force majeure proprement dits.
- première limite : la nécessité de respecter l'ordre public. Ce n'est pas ici une spécificité de la clause de CLSD, l'article 1102 du Code civil associant ainsi à toute convention le principe de liberté et le nécessaire respect de l'ordre public pour assurer notamment la cohésion d'ensemble. Il s'avère néanmoins que le contrat de vente d'immeuble à construire est « saturé d'ordre public », et que le droit de la construction renferme des dispositions d'ordre public restreignant l'utilisation de clauses de CLSD, dont notamment les contrats de construction de maison individuelle. Ce n'est néanmoins pas le cas des Vefa au titre du respect du délai de livraison ;
- deuxième limite : l'essence du contrat. En tant qu'obligation essentielle du contrat de vente d'immeuble à construire, l'obligation de livrer l'immeuble dans un délai déterminé au contrat ne peut être purement et simplement écartée, même en application d'une clause de CLSD, sous peine de voir celle-ci réputée non écrite. C'est ainsi notamment que la rédaction de la clause de CLSD doit prévoir des événements listés de manière limitative ;
- troisième limite : la potestativité de l'engagement du promoteur-vendeur. La rédaction de la clause de CLSD ne peut permettre au promoteur-vendeur de décider unilatéralement de se délier de ses obligations ou de les modifier, sous peine d'encourir le grief de la potestativité. L'événement considéré ne peut ainsi dépendre de la volonté de son débiteur, mais doit au contraire être extérieur à celui-ci ;
- quatrième limite : la clause abusive. C'est ainsi que la clause de CLSD ne doit pas créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat de vente d'immeuble à construire, au risque sinon d'être réputée non écrite.
Les clauses contenant les causes légitimes de suspension de délai (CLSD) sont par principe valables. Elles consistent finalement à étendre le champ d'application et le cas échéant les effets inhérents aux cas relevant de la force majeure, la définition de celle-ci n'étant pas d'ordre public. La clause n'a pas pour objet de traiter, pour l'atténuer ou la supprimer, la responsabilité du débiteur de l'obligation, ce qui supposerait que ce dernier ne l'a pas respecté. En tant qu' « excuse générale à l'inexécution des contrats », la clause de CLSD a vocation à modeler le périmètre même de l'obligation contractée, celle-ci étant annulée ou reportée du fait même de la survenance de l'événement prévu.
Il a pu être relevé que, bien que valable par principe, la clause prévoyant les causes légitimes de suspension du délai de livraison comprend principalement quatre limites qui sont autant de précautions à prendre au stade de sa rédaction :
– La clause de suspension du délai de livraison est-elle abusive ? – Les contrats de construction, quand bien même prennent-ils parfois la forme d'un acte authentique, sont soumis au contrôle des clauses abusives lorsqu'ils sont conclus entre un professionnel et un consommateur ou un non-professionnel. Il en va donc ainsi de la vente d'immeuble à construire, ce pourquoi la question s'est posée de savoir si la clause prévoyant les causes légitimes de suspension de délai était abusive en ce qu'elle créerait un déséquilibre significatif entre les parties. La validité de principe de cette clause a été consacrée par la Cour de cassation dans une décision du 24 octobre 2012. Il en va ainsi également dans l'hypothèse où la clause a pour effet de légitimer un nombre de jours de retard équivalent au double des jours de retard constatés (intempéries), suite à la validation de cette clause par la Commission des clauses abusives puis par la Cour de cassation. Cette validation de la clause contenant les causes légitimes de suspension du délai de livraison n'est cependant pas absolue. Le vendeur ne pouvant pas « invoquer n'importe quel cas pour justifier un retard de livraison », le notaire devra s'employer à rédiger une clause équilibrée et valable au regard des décisions rendues au titre du contrôle des clauses abusives.
Mise en œuvre. Conseils rédactionnels
– De l'importance prise par la rédaction des causes légitimes de suspension de délai (CLSD). – La clause intégrant les causes légitimes de suspension de délai, pour en établir une liste autant que pour détailler ses conditions de mise en œuvre, a donc été expressément validée par la Cour de cassation et la Commission des clauses abusives. Il n'en demeure pas moins que, cherchant à limiter la responsabilité du vendeur en Vefa en cas de retard pris pour livrer l'immeuble, cette clause demeure « foncièrement suspecte » en ce qu'elle peut marquer un abus à l'origine d'un déséquilibre significatif entre les parties à l'acte. Le notaire en charge de rédiger et de recevoir un acte de Vefa se doit donc d'apporter un soin particulier à la rédaction de ces clauses. Àla recherche de l'équilibre contractuel dans ses conseils et les rédactions proposées, il devra ainsi veiller à protéger le promoteur des risques légitimes attachés aux aléas du chantier, tout en préservant tout aussi légitimement l'acquéreur contre les risques d'abus dans l'utilisation qui pourra être faite de ces clauses. D'une certaine façon, l'importance de la rédaction adoptée par le notaire au sein de son acte s'est trouvée renforcée par la consécration même de ces clauses par la Cour de cassation et la Commission des clauses abusives.
• Premier critère : la légitimité.
Il va de soi que la clause contenant les causes légitimes de suspension de délai nécessite de renfermer des causes elles-mêmes légitimes ! Au-delà de l'énoncé d'un principe a priori évident, son analyse laisse apparaître une plus grande subtilité et deux composantes à cette légitimité.
• Deuxième critère : l'imputabilité.
La validité de la clause et la survenance de l'événement prévu par celle-ci ne suffisent pas pour invoquer son bénéfice. Il est en effet nécessaire que soit justifié le lien entre l'événement en question et le retard pris dans la livraison des biens ou, dit autrement, que ce retard puisse être véritablement imputé audit événement.
C'est ainsi que les magistrats ont eu l'occasion de rappeler :
- qu'il convenait de vérifier que le retard pris dans la livraison des biens était bien imputable à la liquidation judiciaire d'un des constructeurs, ainsi que s'en prévalait le promoteur-vendeur en Vefa au titre des CLSD ;
- qu'une grève des transports, même prévue au titre des CLSD, ne pouvait légitimement constituer une cause de prorogation du délai de livraison dès lors qu'il n'était pas établi que cette grève ait eu une conséquence sur l'approvisionnement du chantier ;
- que le retard de livraison (de près de quatre années) était imputable au promoteur-vendeur et non pas à l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à l'encontre du constructeur. Dans cette hypothèse, l'inaction du promoteur-vendeur suite à l'ouverture de ladite procédure de sauvegarde (il attendit tout de même trois années pour réagir) constituait une faute de sa part à l'origine du retard pris dans la livraison des biens. Cette absence d'imputabilité du retard à la CLSD prévue justifia que soit prononcée la résolution de la vente. Au cas particulier, la cause légitime invoquée ne répondait ni au critère d'imputabilité (le retard n'était pas imputable à l'ouverture de la procédure de sauvegarde) ni au critère d'extériorité (le retard était imputable, pour l'essentiel, au promoteur-vendeur) ;
- que « les jours d'intempéries antérieures à la date d'acquisition ne pouvaient être considérés comme cause légitime de suspension du délai de livraison, pas plus que les défaillances des sociétés Figière et Air Conditionné, faute de justifier du lien de causalité entre ces défaillances et le retard de livraison ».
• Troisième critère : la spécialisation.
• Quatrième critère : l'extériorité.
Pour être valablement invoquée, la cause légitime de suspension de délai nous semble devoir également respecter un critère d'extériorité à l'égard du promoteur-vendeur. Ce principe comprend lui-même deux déclinaisons :
- la première renvoie à l'auteur ou au responsable des événements à l'origine du retard pris dans la livraison des biens. Pour être légitimement admis, ces événements ne peuvent consister en une négligence ou une faute du promoteur-vendeur. Cette application du droit commun des contrats, et notamment de l'adage Nemo auditur propriam suam turpitudinem allegans , est retenue par la Cour de cassation pour écarter le jeu des causes légitimes de suspension de délai lorsque le promoteur-vendeur est finalement à l'origine du retard. Pour reprendre l'expression du doyen Carbonnier sur ce critère d'extériorité, l'événement ne peut produire d'effet libératoire pour le débiteur de l'obligation non respectée que s'il intervient hors de « la sphère dont le débiteur doit répondre » ;
- la seconde se rapporte aux modalités de constatation de l'événement présenté par le promoteur-vendeur comme légitimant le retard de livraison. Dans son avis du 29 septembre 2016, la Commission des clauses abusives a ainsi validé la clause présentée en ce que la survenance des intempéries, à l'origine du retard invoqué, était constatée « par un tiers au contrat » et « sur la base de relevés météorologiques ». L'intervention d'un tiers au contrat permet d'assurer l'objectivité requise de l'information servant de base à l'application de la CLSD. Il peut s'agir d'un bureau d'étude, d'un architecte ou d'un maître d'œuvre. Àl'inverse, la simple constatation de la survenance de l'événement par le promoteur-vendeur, nécessairement soupçonnée de subjectivité, est contestable.
– Proposition de critères pour la validité de la clause de CLSD. – Sur les trois objectifs bien distincts que peuvent rechercher les clauses de CLSD, nous ne retiendrons que le plus courant en pratique, à savoir l'extension du périmètre de la force majeure à des hypothèses qui n'en remplissent pas les conditions fixées par l'article 1218 du Code civil. L'analyse croisée de la jurisprudence rendue en matière de causes légitimes de suspension de délai et de l'avis rendu par la Commission des clauses abusives le 29 septembre 2016 nous permet de proposer quatre critères de validité de la clause. Il est vrai que l'application du droit commun des obligations doit nous amener à la plus grande prudence. En effet, nous savons qu'une stipulation d'un acte prévoyant l'aménagement de l'obligation essentielle d'une des parties à celui-ci ne peut valablement conduire à l'anéantissement de cette même obligation. C'est ainsi que nous distinguerons la légitimité, l'imputabilité, la spécialisation et l'extériorité, qui nous paraissent autant de critères devant être réunis de manière cumulative pour assurer l'efficacité des clauses de CLSD. En gardant à l'esprit qu'à l'occasion de la rédaction de cette clause, comme il en va de tout acte reçu par un notaire, « tout est question de mesure », car « s'il s'avérait que la clause avantage considérablement le vendeur, en permettant une prolongation excessive ou en mentionnant des causes de prolongation dépendant de sa volonté, elle serait alors qualifiée d'abusive ».
C'est ainsi tout d'abord que, pour être légitime, la cause doit être reconnue comme telle, notamment par les tribunaux. En ce qu'elles peuvent relever de cas de force majeure mais se trouvent également consacrées dans la réglementation applicable au contrat de construction de maison individuelle et par la norme Afnor P.03-001, les intempéries ne nous paraissent pas susciter de difficultés particulières, et ce quelle que soit la région concernée par l'opération. Il en va de même, et pour les mêmes raisons, de la grève générale et de la pandémie. S'agissant de cette dernière cause, il nous semble que, depuis la crise sanitaire mondiale liée à la Covid-19, elle mérite d'autant plus de figurer parmi les causes légitimes de suspension de délai contractuellement prévues. En effet, on peut douter que le critère d'imprévisibilité puisse à nouveau être reconnuau cas particulier d'une pandémie pour permettre la qualification de force majeure. Enfin, la défaillance d'une entreprise intervenant sur le chantier a suscité quelques débats, mais a également été validée par les magistrats.
La légitimité nécessite également que la cause invoquée soit clairement prévue au préalable par les parties à travers les dispositions contractuelles négociées entre elles. En dehors des cas de force majeure qui, dès lors qu'ils répondent à la définition qui en est donnée ne nécessitent pas impérativement de dispositions contractuelles préalables pour pouvoir être invoqués, les CSLD ne peuvent reposer que sur une base contractuelle solide et précise. Ainsi que cela a été relevé, la cause de suspension ne peut dépendre de la volonté unilatérale du promoteur-vendeur. Àdéfaut, la clause serait probablement présumée abusive en ce qu'elle consisterait à « réserver au professionnel le droit de modifier unilatéralement les clauses du contrat relatives à sa durée ». Un événement non prévu au titre des CLSD et ne pouvant être qualifié de cas de force majeure ne pourra légitimement être invoqué pour justifier un retard de livraison.
La clause de CLSD est susceptible de produire des effets considérables sur les parties au contrat. Tout d'abord, « positivement » pour le promoteur-vendeur, qui est alors susceptible de se dégager de tout ou partie de sa responsabilité au titre du retard pris dans la livraison de l'immeuble. D'autre part, et réciproquement, « négativement » pour l'acquéreur, qui serait amené à supporter les conséquences dudit retard sans perspective de compensation, notamment financière. Àmoins d'un mois d'intervalle, la troisième chambre civile de la Cour de cassation et la première chambre civile de la cour d'appel de Caen ont reconnu la validité de clauses de CLSD justifiant d'un retard pris dans la livraison des biens de 820 jours, pour l'une, et même de 1 018 jours pour l'autre !
Il importe donc que les clauses de CLSD soient claires et limitées, et donc spécialement conçues pour le contrat dont l'exécution est demandée, auxquelles elles doivent être adaptées. A ainsi été sanctionnée la clause prévoyant « des causes légitimes de suspension (…) extrêmement larges (…), pour certaines imprécises (défaillance d'une entreprise), pour d'autres [faisant] double emploi ». Il conviendra dès lors d'éviter de retenir des formulations ambiguës ou trop générales comme « la défaillance d'une entreprise » ou « les difficultés d'approvisionnement ».
Répartition des principales causes légitimes de suspension de délai selon l'UFC-Que Choisir
Il ressort de l'étude publiée en novembre 2018 par l'UFC-Que Choisir sur les achats de logements sur plan (Vefa) que les principales causes légitimes de suspension de délai sont :
- les intempéries (70,1 % des cas) ;
- les défaillances d'entreprises (43,3 % des cas) ;
- les anomalies du sous-sol (13,4 % des cas).
– Autres précautions rédactionnelles. – En dehors des critères conditionnant la validité même des clauses contenant les causes légitimes de suspension de délai, les notaires sont tenus de prendre diverses précautions lors de la rédaction de ces clauses pour en assurer la pleine efficacité.
C'est ainsi que les effets de la clause doivent être prévus. Les parties peuvent convenir que le délai de livraison sera légitimement suspendu pour une durée identique à la durée pendant laquelle l'événement en question aura perduré. Il a également été admis qu'elles pouvaient prévoir que la suspension du délai de livraison corresponde au double de la durée de la survenance dudit événement, et ce afin de tenir compte des impacts de cet événement sur l'organisation du chantier pour le promoteur-vendeur. Le notaire peut également proposer aux parties des mécanismes de franchise, permettant par exemple à l'acquéreur de ne pas supporter immédiatement le risque de report du délai de livraison dès lors que la cause légitime (par ex., la survenance d'intempéries) ne dépasse pas une certaine durée (prise de manière cumulative ou non).
Au-delà des effets attachés à la survenance de l'événement au titre de la suspension du délai, la Commission des clauses abusives a rappelé dans son avis du 29 septembre 2016 qu'il convenait de maintenir la nécessaire corrélation entre le délai de livraison des biens et l'échéancier de paiement du prix de vente en fonction de l'avancée des travaux. De droit dans le secteur protégé, cette synchronisation des calendriers d'exécution des travaux et de paiement des échéances de prix s'impose tout autant dans le secteur libre, sous peine d'instaurer un déséquilibre significatif entre les parties.
Enfin, il importe de prévoir dans la clause contenant les CLSD les modalités d'information efficaces et diligentes de l'acquéreur appelé à supporter tout ou partie du retard de livraison en raison de la survenance d'événements considérés comme légitimes. Au-delà de la période précontractuelle, les parties se doivent une information réciproque lors de l'exécution du contrat basée sur le principe d'exécution de bonne foi. Ce principe général est appliqué au cas particulier des Vefa, et notamment des clauses contenant les causes légitimes de retard. Indépendamment de la possibilité donnée au promoteur-vendeur d'invoquer le bénéfice de CLSD pour justifier de tout ou partie du retard pris dans la livraison des biens, l'absence d'information délivrée à l'acquéreur sur la survenance de ces événements engagera sa responsabilité.
La délivrance conforme. L'ingénierie notariale appliquée à la rédaction de clauses de tolérance sur la conformité des constructions
– L'obligation de livrer un immeuble conforme. – Le vendeur-promoteur est tenu, dans le cadre de la signature d'une Vefa, de livrer à l'acquéreur un immeuble conforme aux prescriptions contractuelles. Cette obligation du vendeur relève de son obligation de délivrance, à laquelle il est tenu en application du droit commun de la vente d'immeuble. Appliquée au contrat de Vefa, cette obligation se décline en conformités qualitative (l'immeuble doit correspondre aux qualités ou spécifications prévues au contrat) et quantitative (plus particulièrement la surface de l'immeuble livré). Le notaire sera donc appelé à rédiger des clauses de tolérance ayant vocation à modérer l'obligation de résultat à laquelle le promoteur-vendeur est tenu, tant en ce qui concerne la conformité des caractéristiques de l'immeuble avec les spécifications contractuelles (A) qu'en ce qui concerne sa surface (B).
– La tolérance et le droit de la construction. – En droit de la construction, et notamment en matière de contrat de Vefa, la tolérance paraît tout à la fois naturelle, comme frappée du sceau de l'évidence, et contre instinctive. Par essence, l'opération consistant à vendre un immeuble n'existant pas encore physiquement, sur la base de matérialisations intellectuelles et graphiques, est appelée à connaître les affres d'une opération de construction. De ce point de vue, il peut effectivement apparaître sain, voire nécessaire pour éviter des conflits entre les parties, de tenir compte de la survenance d'événements non maîtrisés car non maîtrisables par le vendeur-promoteur. D'un autre côté, il a pu être rappelé que les constructeurs sont tenus d'une responsabilité importante qui n'est que la conséquence d'une obligation de résultat, avant comme après la réception des travaux. Le notaire devra donc à nouveau déployer son rôle de conseil mais également celui, tout aussi essentiel, de modérateur, pour permettre aux parties d'aboutir à la signature d'un contrat de Vefa à la fois protecteur et équilibré. Ce sera le sens même de son intervention lors de la rédaction des clauses de tolérance en matière de Vefa.
Clauses de tolérance sur la conformité de l'immeuble
– Notion de conformité. Distinction avec le vice. Rappel. – Nous avons déjà eu l'occasion de revenir sur la notion de conformité et l'importance de la distinguer de celle de vice (ou défaut de la chose). Le défaut de conformité suppose que l'immeuble livré ne souffre pas de défaut, mais ne correspond pas à ce qui était prévu au contrat (décalage de surface, caractéristiques techniques ne répondant pas aux prescriptions contractuelles, etc.). En présence d'un vice, il est bien constaté la livraison d'un immeuble conforme au contrat, mais défectueux ou affecté d'une mauvaise exécution. L'intérêt de la distinction, prégnant avant la loi du 25 mars 2009, s'est par la suite atténué en ce que la modification apportée à la rédaction de l'article 1642-1 du Code civil a permis d'harmoniser les vices et défauts de conformité apparents.
Clauses de tolérance sur la surface de l'immeuble
Rappel des principes applicables en droit commun et en droit spécial
– L'absence de règles de tolérance dans la loi du 3 janvier 1967. – Nous avons déjà rappelé qu'une opération de construction se réalisait rarement ne varietur s'agissant des délais de réalisation. Il en va de même de la contenance des biens à construire, tant les aléas de chantier et autres sujétions techniques sont de nature à impacter, le plus souvent négativement, la surface construite. La législation applicable au contrat de Vefa, telle qu'elle résulte de la loi du 3 janvier 1967, peut apparaître à cet égard contradictoire. C'est ainsi qu'obligation est faite de renseigner la surface dans la Vefa du secteur protégé. Il en va de même, en pratique, dans le secteur libre, tant il est rare que cette surface ne soit pas renseignée. Cette obligation de renseignement sur la surface tranche avec le silence de la loi fondatrice sur les modalités de calcul de la surface, et sur l'application d'éventuelles clauses de tolérance ou de modération. Cette absence textuelle impose aux notaires une vigilance particulière devant les conduire à anticiper ces hypothèses de variation afin d'éviter les difficultés qui ne manqueront pas de naître entre les parties au stade de la livraison. Ce silence de la loi du 3 janvier 1967 a également nécessité, au-delà de la vigilance des rédacteurs d'acte, l'intervention de la Cour de cassation pour appliquer au contrat de Vefa des dispositions issues du droit commun de la vente en matière de contenance. C'est en ayant à l'esprit les règles fixées par la Cour de cassation que les notaires doivent envisager la rédaction de règles de tolérance de surface.
– Les tolérances de surface issues du droit commun de la vente d'immeuble. – L'absence de disposition spécifique dans la loi du 3 janvier 1967 a incité les parties et leurs conseils, dont tout spécialement les notaires, et ensuite les magistrats, à trouver des palliatifs. Le droit commun de la vente d'immeuble connaît un dispositif issu de l'application des articles 1616 à 1624 du Code civil. C'est ainsi qu'après avoir fixé comme principe l'obligation faite au vendeur de délivrer la contenance prévue au contrat, le Code civil appelle à distinguer les contrats de vente à « tant la mesure » des contrats de vente à « prix fixe ». Pour les premiers, le principe est l'absence de tolérance en cas de diminution de contenance. Pour les seconds, une tolérance de 5 % est prévue, sauf stipulation contraire des parties et dès lors que l'action est intentée dans l'année de la vente. Un schéma reproduit ci-dessous permet de figurer ce régime de droit commun (V. Figure 22).
– L'intervention du juge pour appliquer les dispositions des articles 1617 et suivants du Code civil à la Vefa. – L'absence de disposition spécifique à la vente d'immeuble à construire et à son contrat phare, la Vefa, a conduit la jurisprudence à se prononcer sur l'application des dispositions du droit commun de la contenance issu des articles 1616 à 1624 du Code civil. En effet, le contrat de vente a fait l'objet, dès 1804, de dispositions spécifiques dans le Code civil afin d'organiser les litiges pouvant apparaître en cas d'écart de surface dans les biens vendus.
La Cour de cassation a reconnu cette application tout d'abord en matière de Vefa du secteur libre, pour écarter une clause du contrat de Vefa prévoyant que l'acquéreur devait agir en réduction du prix de vente, en cas de dépassement du seuil prévu de 2 %, dans les trois mois (au lieu du délai d'un an prévu dans le droit commun de la vente). Àcette occasion, la Cour de cassation ne se contente pas d'appliquer les dispositions des articles 1616 et suivants du Code civil puisqu'elle les adapte également en prévoyant que le délai d'un an ne commence à courir qu'à compter de la livraison des biens. Cette adaptation était nécessaire tant il apparaît évident que le délai d'un an à compter de la signature de la vente ne paraissait pas adapté au contrat de Vefa au regard de l'impossibilité de vérifier la conformité des surfaces d'une construction le plus souvent non encore achevée.
Chose plus étonnante et critiquée, la Cour de cassation a ensuite adopté la même solution pour le contrat de Vefa du secteur protégé. Cette interprétation extensive de la Cour de cassation l'a également conduit à appliquer ces dispositions à la Vefa portant sur un lot de copropriété, les dispositions spécifiques de la loi Carrez ne pouvant pas s'appliquer à des biens non achevés.
– La notion de surface habitable applicable en Vefa. – De la même manière qu'elle ne s'est pas prononcée sur l'application de règles de tolérance, la loi du 3 janvier 1967 ne définit pas la notion de surface devant être prise en compte. C'est à la faveur d'une récente intervention de la Cour de cassation que des précisions ont été apportées et qu'une distinction peut à nouveau être faite entre la Vefa du secteur protégé et celle du secteur libre.
S'agissant des Vefa du secteur protégé, la surface stipulée à l'acte et devant être prise en compte pour apprécier leur conformité avec le contrat est la surface habitable définie par l'article R. 156-1 du Code de la construction et de l'habitation. De ce fait, doivent en être exclues les surfaces des locaux ou parties de locaux d'une hauteur inférieure à 1,80 mètre. Toute clause contraire à cette définition de la surface habitable est exclue du fait même qu'elle violerait une règle d'ordre public.
S'agissant des Vefa du secteur libre, il appartient aux parties de renseigner la surface à prendre en compte et de préciser la définition de celle-ci. Il en va ainsi notamment de l'indication d'une surface utile qui, en l'absence de définition légale, renvoie à une notion définie conventionnellement par les parties. Nous relevons néanmoins qu'en pratique les surfaces inférieures à 1,80 mètre sont le plus souvent exclues de la surface utile, qui renvoie même bien souvent à des surfaces conformes aux critères de décence et aux prescriptions des règlements sanitaires départementaux (souvent 2,20 m ou 2,30 m).
L'ingénierie notariale au stade de la rédaction des clauses de tolérance de surface
– Le rôle primordial du notaire au stade de la rédaction des clauses de tolérance de surface. – Par suite des décisions rendues successivement en 1999 et 2006, et confirmées depuis, la Cour de cassation a décidé qu'au silence du législateur de 1967 sur l'application de tolérances de surface devait être répondu l'application du droit commun de la vente. Les articles 1616 à 1624 du Code civil s'appliquent donc tant à la Vefa qu'à la vente d'immeuble à rénover. Si l'application de ces textes soulève de nombreuses critiques et justifierait que soit proposée, le cas échéant, la mise en place d'un régime légal spécifique aux contrats de Vefa et de vente d'immeuble à rénover, il convient que les notaires en tiennent compte afin d'assurer l'efficacité de leurs actes autant que la protection des parties au contrat. Ces précautions seront autant de conseils rédactionnels devant guider le rédacteur au moment de convenir de ces clauses de tempérament ou de modération.
– Conseil no 1 : Exprimer clairement le seuil de tolérance. – S'agissant de contrevenir, pour le modérer, au caractère contraignant et obligatoire de l'obligation faite au vendeur-promoteur de livrer les surfaces prévues au contrat, il convient de fixer clairement les conditions d'exercice de cette tolérance et donc son seuil de déclenchement. Cette nécessaire clarté doit porter tout à la fois sur le seuil proprement dit et sur l'objet de celui-ci. C'est ainsi qu'il importe, tout d'abord, de fixer précisément le seuil de tolérance, en retenant un pourcentage précis (le plus souvent compris entre 2 % et 3 %). Àdéfaut, la clause de tolérance souffrirait la critique de la potestativité en ce qu'elle dépendrait purement et simplement du débiteur de l'obligation, le vendeur-promoteur. La clause de non-garantie qui en résulterait a été condamnée par la Cour de cassation en matière de vente en l'état futur d'achèvement. Par ailleurs, et au-delà du seuil de tolérance, la clause doit clairement identifier l'objet même de celle-ci. Àtitre d'exemple, il a pu notamment être relevé qu'une clause de tolérance portant sur une « surface habitable » n'emportait pas les mêmes effets qu'une clause de tolérance portant sur la « surface totale ». Dans le premier cas, la surface de l'escalier intérieur sera décomptée, au contraire du second cas.
– Conseil no 2 : Tenir compte de la définition de « surface habitable ». – Nous avons eu l'occasion de citer la décision par laquelle la Cour de cassation a précisé que la surface qu'il convenait de retenir (en matière d'habitation) était la « surface habitable » au sens de l'article R. 156-1 du Code de la construction et de l'habitation. Les hauts magistrats en avaient déduit qu'il convenait d'exclure de la surface devant être prise en compte au moment de la livraison celle d'une hauteur inférieure à 1,80 mètre. Le notaire devra donc veiller à ce que la définition de la surface retenue au titre de la clause de tolérance (qu'il s'agisse de la surface visée dans le contrat de Vefa comme de celle mesurée au moment de la livraison) reprenne bien, à tout le moins, les caractéristiques de la surface habitable de l'article R. 156-1 du Code de la construction et de l'habitation. Bien évidemment, le vendeur-promoteur conservera la possibilité de prévoir des critères encore plus restrictifs en convenant, par exemple, que les surfaces construites ne seront prises en compte que dans la mesure de ce qui dépasserait une hauteur d'1,80 mètre ou même de 2,00 mètres, l'article R. 156-1 du même code fixant ici des règles minimales pouvant être améliorées par des clauses plus engageantes. Avant même cette décision, la Cour de cassation avait appelé à la plus grande vigilance dans la délivrance de l'information sur la nature des surfaces construites. C'est ainsi que le notaire devra veiller à ce que le promoteur-vendeur mentionne expressément et clairement dans le contrat ou ses annexes qu'une partie des surfaces devant être réalisées sera d'une hauteur inférieure à 1,80 mètre. En effet, indépendamment du bien-fondé de toute action portant sur le déficit de surface habitable au jour de la livraison, le promoteur-vendeur est susceptible d'engager sa responsabilité du fait d'un manquement à son obligation d'information résultant de ce qu'il n'avait pas précisé dans les plans annexés au contrat que la surface qu'ils visaient comprenait des locaux présentant une hauteur sous plafond inférieure à 1,80 mètre. Par ce biais, la Cour de cassation permet à l'acquéreur mécontent d'agir en demande de dommages et intérêts au-delà du délai d'un an, son action étant alors enfermée dans le délai de droit commun de cinq années de l'article 2224 du Code civil.
– Conseil no 3 : Tenir compte de l'ensemble des critères fixés par l'article R. 156-1 du Code de la construction et de l'habitation. – Le notaire doit tenir compte de la hauteur sous plafond des surfaces habitables, mais ne peut pas se limiter à ce seul critère. En effet, à travers sa décision du 18 mars 2021, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a procédé à un renvoi à l'ensemble des critères listés par l'article R. 156-1 pour exclure certaines surfaces de la surface habitable. Il en va ainsi de la superficie des combles non aménagés, caves, sous-sols, remises, garages, terrasses, loggias, balcons, séchoirs extérieurs au logement, vérandas, volumes vitrés prévus à l'article R. 155-1, locaux communs et autres dépendances des logements, et donc également des parties de locaux d'une hauteur inférieure à 1,80 mètre. Le notaire devra donc veiller à ce que la définition retenue des surfaces habitables respecte bien l'ensemble des critères d'exclusion ci-dessus rappelés, et à se le faire attester au jour de la livraison par la remise d'une attestation de superficie émanant, idéalement, d'un géomètre-expert.
- ne pas prévoir des conditions procédurales plus strictes que celles prévues par l'article 1622 du Code civil. Nous le rappelons, l'article 1622 du Code civil prévoit que : « L'action en supplément de prix de la part du vendeur, et celle en diminution de prix ou en résiliation du contrat de la part de l'acquéreur, doivent être intentées dans l'année, à compter du jour du contrat, à peine de déchéance ». Nous savons que la Cour de cassation a étendu ce délai, ou plus précisément son point de départ, afin de le faire débuter uniquement à compter de la livraison des biens et non à compter de la signature du contrat de Vefa.Il ne paraît pas envisageable que l'acte de Vefa prévoie un délai plus court pour entamer cette action. Une telle restriction pourrait en effet s'analyser en une suppression ou entrave à l'action en justice du consommateur ou non-professionnel, présumée abusive par le Code de la consommation ;
- ne pas prévoir que la tolérance interdira l'exercice de toute action en justice. Une diminution de la surface des biens livrés par rapport à ce que prévoyait le contrat est susceptible d'emporter des conséquences financières, appelant une sanction de même nature. C'est ainsi que les sanctions prévues par les articles 1617 à 1624 du Code civil (exécution de l'obligation par la livraison de la surface manquante, révision du prix ou résolution du contrat) répondent à un objectif de pure justice commutative en ce qu'elles visent à corriger un déséquilibre né de l'inexécution du contrat par le promoteur-vendeur. Mais le préjudice subi peut être d'une autre nature, s'étendant notamment à une diminution ou à une perte de l'usage des biens. Dès lors, l'acquéreur peut souhaiter engager une action fondée sur un défaut de conformité, ou encore invoquer un vice du consentement, tel un dol du vendeur ou une erreur substantielle de l'acquéreur.Dès lors, la clause de tolérance de surface ne doit pas interdire à l'acquéreur d'exercer toute autre action que celles inhérentes aux dispositions des articles 1617 à 1624 du Code civil, spécifiques à la contenance. Àdéfaut, il en résulterait un déséquilibre significatif à l'avantage du professionnel (le promoteur-vendeur) en ce qu'elle laisse entendre à l'acquéreur qu'il ne pourra pas exercer toute autre action.La cour d'appel de Nancy a eu l'occasion de le rappeler à propos d'une clause d'un contrat de Vefa prévoyant qu' « une tolérance sera admise dans l'exécution des travaux par rapport aux cotes des plans, qui sera de 5 % en plus ou en moins et, dans cette limite, aucune réclamation ne sera prise en compte ». La clause en question fut déclarée abusive par les juges du fond.Il y a donc lieu de spécifier dans les clauses de tolérance de contenance que celles-ci interdisent à l'acquéreur d'agir, dans les limites de ladite tolérance, sur le fondement des articles 1617 à 1624 du Code civil ;
- ne pas étendre la clause de tolérance au-delà de la seule contenance des biens. De la même manière qu'il convient de limiter la clause de tolérance de surface aux seules actions en lien direct avec celle-ci (V. ci-dessus), il y a lieu de prévoir que la tolérance ne portera que sur les écarts de surface, à l'exclusion de toute autre discordance avec les dispositions du contrat de Vefa. La décision susvisée de la cour d'appel de Nancy nous donne l'occasion d'illustrer ce propos en ce que la clause litigieuse, et sanctionnée, prévoyait que la modification tolérée portait à la fois sur la contenance proprement dite et sur la « distribution des pièces, leur configuration, leur destination et leur usage ». L'interprétation restrictive qu'il convient de faire des dispositions de l'article 1619 du Code civil, qui sert de fondement légal à la clause de tolérance prévue dans les contrats de Vefa, amène réciproquement à sanctionner ce qui en excéderait les termes. Puisque ce texte ne prévoit de tolérance que sur la contenance des biens, aucune tolérance ne peut être admise sur les autres aspects, et notamment la distribution des pièces ou encore leur configuration.Le notaire devra donc veiller à limiter la clause de tolérance de surface à ce qui en est l'objet et le fondement, à savoir la contenance elle-même et uniquement celle-ci, sous peine de voir la clause rédigée subir les sanctions prévues en matière de clause abusive, et d'engager sa responsabilité ;
- ne pas prévoir que la clause de tolérance emporte l'existence d'une franchise. Dès lors que le seuil de tolérance fixé au titre des surfaces est dépassé, se pose la question de la sanction devant être supportée par le promoteur-vendeur. Les articles 1617 à 1624 du Code civil sont clairs, en ce qu'ils prévoient que dans l'hypothèse de diminution des surfaces au-delà du seuil de tolérance, le promoteur-vendeur doit subir une diminution proportionnelle du prix.Une pratique s'est développée, consistant à considérer le seuil de tolérance comme un seuil de franchise et non pas un seuil de déclenchement. Àtravers la rédaction qui accompagne cette interprétation, l'objectif pour le promoteur-vendeur est de limiter la réduction du prix aux surfaces déficitaires dépassant le seuil de tolérance, et donc à retrancher mécaniquement du risque de réduction de prix le montant correspondant à ce seuil.Bien qu'à notre connaissance aucune décision n'ait été rendue à ce sujet, l'interprétation stricte de l'article 1619 du Code civil, qui seule s'impose dans l'hypothèse où la Vefa conclue entrerait dans le champ d'application du contrôle des clauses abusives, nous semble commander de ne pas opter pour cette rédaction. La diminution proportionnelle du prix de vente devrait ainsi être calculée en prenant en compte « la totalité des objets vendus », dès lors que le seuil de tolérance est dépassé.
– Conseil no 4 : Veiller au respect de la réglementation sur les clauses abusives. – Ainsi que nous avons eu l'occasion de le rappeler, les contrats de Vefa sont soumis au contrôle des clauses abusives lorsqu'ils sont conclus entre un professionnel et un consommateur ou un non-professionnel. De la même manière qu'elle a pu se poser pour la clause prévoyant les causes légitimes de suspension de délai, la question se pose de savoir si la clause de tolérance portant sur les surfaces est susceptible de créer un déséquilibre significatif entre les parties. Dans les Vefa échappant au droit de la consommation au titre du contrôle des clauses abusives, le caractère supplétif des dispositions des articles 1617 à 1624 du Code civil prédomine, tant pour les Vefa à prix global que pour les Vefa à « tant la mesure ». Il en va autrement dès lors que s'applique le contrôle des clauses abusives du droit de la consommation. Le notaire est donc appelé à ce titre à une vigilance particulière dans la rédaction des clauses de tolérance. Cette vigilance globale au respect de la réglementation sur les clauses abusives peut être illustrée de quatre manières concrètes :
Liens entre Vefa du secteur protégé et droit de la consommation
Au sens où le contrat de Vefa est susceptible de créer un déséquilibre significatif entre le vendeur et l'acquéreur, le régime des clauses abusives s'y applique. Il ne faut néanmoins pas considérer que la protection inhérente au droit de la consommation, et plus particulièrement au contrôle exercé sur les clauses abusives, se confond avec le secteur protégé.
Les clauses abusives sont interdites dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur ou un non-professionnel. Au sens du Code de la consommation, le consommateur est défini comme « toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ». Contrairement à ce que prévoit la directive européenne du 5 avril 1993, le droit français de la protection contre les clauses abusives s'applique également aux personnes morales non professionnelles. Le non-professionnel est quant à lui défini comme « toute personne morale qui n'agit pas à des fins professionnelles ».
La protection renforcée du secteur protégé s'applique quant à elle à la conclusion d'un contrat portant sur un immeuble à usage d'habitation ou à usage mixte, professionnel et d'habitation.
Il apparaît ainsi que ces réglementations protectrices ne partagent pas le même critère d'intégration :
- l'usage du bien (usage d'habitation ou à usage mixte, professionnel et d'habitation) pour le secteur protégé du Code de la construction et de l'habitation ;
- le décalage de qualité entre des parties à protéger (consommateur ou non-professionnel), par opposition à leur cocontractant (professionnel) pour le contrôle des clauses abusives du Code de la consommation.
Il est vrai que les contrats de Vefa du secteur protégé entrent bien souvent dans le champ d'application du contrôle sur les clauses abusives, en ce que l'acquéreur sera bien souvent un consommateur ou un non-professionnel, alors même que le vendeur sera en tout état de cause considéré comme étant un professionnel. Si l'acquéreur ne devait pas néanmoins justifier de l'une de ces qualités, il restera protégé en application du Code de la construction et de l'habitation, mais pas en application des dispositions spécifiques au contrôle des clauses abusives du Code de la consommation.
Àl'inverse, des contrats de Vefa relevant du secteur libre (au regard de l'usage des biens à construire) relèveront du contrôle des clauses abusives du Code de la consommation eu égard, là encore, à la qualité des parties à l'acte.
Il convient donc de bien dissocier les champs d'application respectifs des réglementations sur le secteur protégé du Code de la construction et de l'habitation et sur les clauses abusives du Code de la consommation.
Quid de la mise en place d'un régime légal de tolérance de surface en matière de Vefa ?
Quelles raisons ont dès lors conduit les magistrats à décider d'étendre les règles sur la tolérance de contenance des articles 1617 à 1624 du Code civil aux contrats de Vefa ? Pour l'essentiel, nous pourrions en retenir deux :
- l'insuffisance de l'analyse conceptuelle de la vente d'immeuble à construire, contrat hybride relevant à la fois du contrat de vente (en ce compris donc les articles 1617 à 1624 du Code civil) et du contrat de construction (et les obligations de résultat auxquelles sont généralement tenus les constructeurs) ;
- l'absence de toute réglementation en matière de tolérance dans les contrats de Vefa, eu égard au silence de la loi du 3 janvier 1967 et des textes qui ont suivi.
Si la première explication ne peut être réglée que par un changement d'approche doctrinale de ce qu'est un contrat de vente d'immeuble à construire, notamment sur l'une de ses composantes essentielles, à savoir la délivrance d'un immeuble conforme quant à sa contenance, la seconde explication pourrait justifier que soit proposée l'instauration d'un régime légal de tolérance de surface en matière de Vefa.
– Les critiques formulées à l'encontre de la jurisprudence de la Cour de cassation. – Ainsi que nous l'avons rappelé, les critiques à l'encontre de la jurisprudence de la Cour de cassation tendant à étendre aux contrats de Vefa le régime des articles 1617 à 1624 du Code civil sont importantes. Il a ainsi été relevél'incohérence de cette solution avec l'objectif poursuivi par la loi du 3 janvier 1967, notamment en ce que celle-ci s'applique au secteur protégé. L'acquéreur se trouve ainsi défavorisé par l'extension d'un régime qui, au départ, n'avait pas été écrit pour le contrat de Vefa qu'il a régularisé. Les articles 1617 à 1624 du Code civil sont en effet issus du Code civil de 1804, bien avant donc la création en 1967 de la vente d'immeuble sur plans et, plus particulièrement, du contrat de Vefa. La dissonance avec des contrats de construction voisins, qui ne comprennent pas de vente, est à cet égard frappante. C'est ainsi que le contrat de construction de maison individuelle, dont il n'est pas douteux que l'objectif de protection de l'acquéreur, poursuivi par le législateur en 1972, était le même que celui poursuivi par le législateur en 1967, ne comprend pas de règles de tolérance et ne se voit pas appliquer les règles issues des articles 1617 à 1624 du Code civil, puisqu'il ne s'agit pas d'une vente. L'adaptation fondamentale à laquelle la Cour de cassation a dû se prêter, de manière fort opportune, pour permettre de conserver l'efficacité du système issu de l'application des articles 1617 à 1624 du Code civil, illustre d'une certaine façon le caractère non adapté et non satisfaisant de la solution. C'est ainsi qu'il est proposé d'appliquer les dispositions issues du Code civil de 1804 sur la tolérance en matière de contenance du bien vendu, mais seulement partiellement ou, plus exactement, en adaptant ces dispositions à la vente sur plans de 1967 afin de faire courir le délai d'action à compter de la date de livraison des biens et non à compter de la date de signature du contrat.
– L'adoption d'un régime légal de tolérance de surface dans les Vefa ? – L'analyse du régime applicable à l'obligation de délivrance conforme du vendeur en l'état futur d'achèvement, en ce qu'il s'applique à la surface des biens et à son corollaire, le mécanisme de tolérance, laisse apparaître une inadaptation des solutions existantes. Il en va ainsi, tout d'abord, pour l'acquéreur. Celui-ci doit en effet subir le risque d'une modification substantielle de la surface des biens achetés sur plans, sans possibilité d'agir efficacement sur celle-ci ou dans des conditions très contraintes. Le fait qu'il soit un acquéreur « protégé » au titre de la réglementation spécifique au contrat de Vefa du secteur protégé n'y change rien. De même pour le promoteur-vendeur qui, souhaitant qu'il soit tenu compte des aléas de chantier et adaptations nécessaires, y compris sur les surfaces des biens vendus, doit s'en remettre à un système de tolérance issu, pour l'essentiel, de textes anciens et non écrits pour la circonstance. Les conseils enfin, au premier rang desquels les notaires, qui sont susceptibles de rencontrer des difficultés pour sécuriser ces situations. C'est ainsi notamment que la réglementation sur les clauses abusives est susceptible d'écarter l'application des clauses qui auraient été prévues, et d'engager leur responsabilité.
En fin de compte, l'adoption d'un système de tolérance sur les surfaces, qui serait spécifique à la vente d'immeuble à construire, nous paraîtrait de nature à régler ces difficultés. Les objectifs, a priori contradictoires, du promoteur-vendeur à la recherche de souplesse et de l'acquéreur, à la recherche de sécurité, mériteraient d'être combinés pour proposer une solution équilibrée entre les parties. Cette solution paraîtrait d'autant plus adaptée qu'elle serait le fruit d'une pratique de plus de cinquante ans, et non le résultat d'une adaptation à une législation l'ayant précédée de plus de cent cinquante ans !