Afin de lever toute ambiguïté, il est indispensable de s'assurer de la licéité de cette mission (§ I) avant d'essayer d'en définir les contours (§ II).
Le rôle du notaire
Le rôle du notaire
Réflexions autour de la licéité de cette mission
Cette mission, bien que prévue par le législateur, peut surprendre au regard du statut du notariat (A) et du monopole bancaire (B).
Au regard du statut du notariat
– La réception et la conservation d'actes authentiques. – L'article 1er de l'ordonnance no 45-2590 du 2 novembre 1945 dispose que : « Les notaires sont les officiers publics, établis pour recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d'authenticité attaché aux actes de l'autorité publique, et pour en assurer la date, en conserver le dépôt, en délivrer des grosses et expéditions ».
– Principal et accessoire. – Notre mission principale, à défaut de la considérer comme exclusive en s'attachant à la lettre du texte, est de recevoir des actes authentiques et d'en assurer la conservation. Cela suppose la réception de fonds, certes, mais en lien avec l'opération consignée aux termes de l'acte authentique. La réception de fonds n'est, de la sorte, que le corollaire de l'activité principale et ne saurait s'y substituer.
– La réception de fonds dissociée de la réception d'un acte. – L'article 13 du décret no 45-0117 du 19 décembre 1945 dispose, pour sa part, « qu'il est interdit aux notaires, soit par eux-mêmes, soit par personnes interposées, soit directement, soit indirectement : (…) ; 5o De recevoir ou conserver des fonds, à charge d'en servir l'intérêt ; (…) ».
Ces textes mettent en exergue, par conséquent, deux difficultés inextricablement liées l'une à l'autre, qui tiennent, d'une part, au fait que la compétence attribuée par le législateur au notaire n'a aucun lien avec la réception d'un acte authentique et, d'autre part, que la réalisation de la mission suppose la réception de fonds pour le compte de tiers.
La réception des fonds ne suppose aucunement la réception par le notaire des statuts, du procès-verbal de l'assemblée générale se prononçant sur l'augmentation de capital projetée, ni même d'un quelconque acte authentique. Ainsi en a voulu la loi no 83-1 du 3 janvier 1983 tel que mentionné ci-dessus.
L'intervention du notaire en qualité de dépositaire ne suppose aucunement sa participation à un acte.
L'article 13, 5o du décret no 45-0117 du 19 décembre 1945 interdit au notaire de « recevoir (…) des fonds, à charge d'en servir l'intérêt ». Certes, dans le cadre de ce dispositif,le notaire reçoit des fonds. Si l'immatriculation tarde, les fonds ainsi reçus par lui seront consignés à la Caisse des dépôts et consignations et produiront intérêt. Toutefois, en cas d'immatriculation dans un délai d'usage, inférieur à trois mois, aucun intérêt ne sera perçu. La finalité de ce dépôt pour les associés n'est assurément pas de percevoir des intérêts, mais bel et bien d'exécuter une obligation réglementaire. Il ne s'agit pas, pour eux, d'une opération de placement. Quant à un dépôt, pour une durée supérieure à trois mois, consigné et à ce titre rémunéré, il n'en est ainsi qu'en raison d'une contrainte réglementaire s'imposant au notaire et non en considération de la mission lui incombant.
Il est difficile d'imaginer que ces dispositions soient incompatibles avec le statut du notariat. N'est-il pas préférable d'y voir des dispositions spéciales permettant, indirectement, d'apporter un éclairage différent sur les contours du statut ?
– L'attractivité de la comptabilité notariale. – Il est intéressant d'observer que le recours au notaire en vue du dépôt des fonds est aujourd'hui, fréquemment, perçu comme un gage de rapidité et d'efficacité, l'ouverture du compte au nom de la société en formation en sa comptabilité pouvant être immédiate, contrairement au processus bancaire, alors même que lors du vote de la loi no 83-1 du 3 janvier 1983 sur le développement des investissements et la protection de l'épargne, son intervention avait été considérée contraire à l'efficacité économique.
Mais, de ce fait, le notaire n'est-il pas assimilable à un banquier dans l'exercice de cette mission ? Le 1o de l'article 13 du décret no 45-0117 du 19 décembre 1945 interdisant au notaire « de se livrer à aucune (…) opération de (…) banque » ne referait-il pas, en ce cas, surface ?
Au regard du monopole bancaire
Le Code monétaire et financier, nous le savons, confère aux établissements de crédit une compétence exclusive en vue de l'exercice de certaines activités, toute infraction à ce monopole étant passible de sanctions civiles et pénales.
– La délimitation du monopole. – Notamment, l'article 511-5 du Code monétaire et financier dispose, en son second alinéa, qu'il est « (…) interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit de recevoir à titre habituel des fonds remboursables du public ou de fournir des services bancaires de paiement ».
Les textes organisant le monopole bancaire ayant une valeur normative supérieure à celle des dispositions du Code de commerce conférant au notaire ce rôle de dépositaire, il est indispensable de vérifier la compatibilité de ces dernières avec le fonctionnement du monopole bancaire.
– La notion de fonds remboursables du public. – Qu'entend-on par fonds remboursables du public ? Le Code monétaire et financier en donne la définition en son article L. 312-2 : il s'agit des « fonds qu'une personne recueille d'un tiers, notamment sous la forme de dépôts, avec le droit d'en disposer pour son propre compte mais à charge pour elle de les restituer ».
– L'argument du lien capitalistique. – Cet article précise que n'en sont pas « les fonds reçus ou laissés en compte par les associés en nom ou les commanditaires d'une société de personnes, les associés ou actionnaires, les administrateurs, les membres du directoire et du conseil de surveillance, les directeurs généraux et directeurs généraux délégués, les présidents de sociétés par actions simplifiées ou les gérants ainsi que les fonds provenant de prêts participatifs ».
Un parallélisme semblerait, dès lors, pouvoir être établi entre les apports en numéraire réalisés par les associés et les apports en comptes courants consentis par ces mêmesassociés. Dans l'un et l'autre des cas, ces apports sont réalisés par des personnes liées contractuellement et capitalistiquement entre elles, en vue de la réalisation d'un objet précis.
Toutefois, le professeur Thierry Bonneau réfute ce raisonnement par analogie, considérant que le dépositaire demeure un tiers, étranger au lien capitalistique et au projet d'entreprise.
– L'absence de libre disponibilité. – Si l'on rejoint cette analyse, à défaut de prendre pour argument de compatibilité la provenance du dépôt, peut-être peut-on s'attacher à la deuxième partie de la phrase définissant les fonds remboursables du public : la personne qui recueille de tels dépôts a le droit d'en disposer pour son propre compte mais à charge pour elle de les restituer. Force est de constater que tel n'est pas le cas du notaire.
Au cas d'espèce, ni le notaire ni les déposants eux-mêmes n'ont le droit d'en disposer, les fonds étant, nous l'avons vu, indisponibles et leur retrait étant étroitement encadré.
Mais, plus largement, le notaire est rendu dépositaire. Ne l'est-il pas avant tout au sens du Code civil ? Or l'article 1930 dudit code dispose que le dépositaire « ne peut se servir de la chose déposée sans la permission expresse ou présumée du déposant ».
Dès lors, si cette mission, qui est confiée au notaire, semble compatible avec son statut et le principe du monopole bancaire, quels en sont les contours ?
Les contours de cette mission
Lors de la réception des fonds et de l'établissement du certificat
– La fonction de dépositaire et de certificateur. – De prime abord, le rôle du notaire, en pareilles circonstances, est réduit à peu de chose : il a vocation à recevoir des fonds pour le compte de tiers et à certifier les avoir reçus.
Le dépositaire est celui qui, acceptant cette charge, reçoit la chose que lui confie le déposant, à titre de dépôt
.
– La nature juridique du dépôt. – La doctrine analyse les dépôts de fonds réalisés par les souscripteurs comme étant des dépôts irréguliers. Cela rend le notaire propriétaire des sommes déposées en sa comptabilité, à charge pour lui de les restituer le moment venu.
– Un dépôt double. – Parallèlement au dépôt des fonds, s'agissant des sociétés par actions, le notaire doit également être dépositaire de la liste des souscripteurs. Sont concernées les SA, qu'elles soient constituées avec ou sans offre au public, les SCA et les SAS. À l'occasion d'une augmentation de capital, cette liste devra être accompagnée des bulletins de souscription.
– Un dépôt non encadré s'agissant des documents papier. – Aucun texte ne précise si cette liste et ces bulletins de souscription, dans l'hypothèse d'un dépôt auprès d'un notaire, doivent faire l'objet d'un acte de dépôt de pièces passé en la forme authentique. Dans le silence des textes, il est possible d'imaginer que ce dépôt soit effectué sous la forme d'un dépôt électronique notarial, la liste des souscripteurs et les bulletins de souscriptions, le cas échéant, étant alors conservés dans le coffre-fort numérique de l'office dans des conditions technologiques de sécurité optimales. La Chambre des notaires de Paris propose un service de dépôt électronique notarial. Ce procédé confère date certaine au document déposé, tout en maintenant son contenu secret.
– Une mission en apparence réductrice. – Cette mission semble, de prime abord, extrêmement réductrice, cantonnant le notaire dans un rôle de certificateur.
Mais ce serait omettre que ce certificateur est d'un type particulier.
En qualité d'officier public et ministériel, il ne saurait se contenter d'attester de la réalité de versements en sa comptabilité et de la remise, le cas échéant, de la liste des souscripteurs et des bulletins de souscription entre ses mains. Sa fonction va de pair avec un statut et une responsabilité dont il ne saurait se départir.
– La lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. – Si le notaire dépositaire n'a pas à se livrer à une analyse juridique à l'occasion de la réception des fonds, il n'en demeure pas moins qu'il doit se conformer à l'obligation de vigilance et de déclaration qui lui incombe dans le cadre de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Le notaire dépositaire est ainsi amené, à ce titre, à vérifier l'identité de chaque déposant et leur qualité à agir. Il s'assure, par ailleurs, de la réalité des versements en sa comptabilité, de la provenance de la liste des souscripteurs et des bulletins de souscription qui lui sont remis. Il doit parvenir à identifier le bénéficiaire effectif de l'opération.
– L'établissement du certificat du dépositaire. – Là encore, les textes n'encadrent aucunement la forme que doit revêtir ce certificat, ni même son contenu. En pratique, le certificat est établi sous la forme d'un acte sous signature privée. Il serait concevable de l'établir sous la forme d'une simple lettre émanant du notaire dépositaire.
Serait-il opportun d'avoir recours systématiquement à un acte authentique ? On peut en douter dans sa conception actuelle. Toutefois, cela peut être judicieux dans un cas : celui d'une augmentation de capital d'une SA. Effectivement la date de l'augmentation de capital correspond à la date à laquelle le certificat est établi. Quoi de plus sécurisant, dès lors, qu'un acte authentique ayant date certaine ?
Pourquoi ne pas imaginer la rédaction d'un certificat du dépositaire établi en la forme authentique, enrichi, contenant un plus grand nombre d'informations, qui permettrait par la suite l'établissement plus aisé d'opinions juridiques (legal opinions) ou encore de certificats KYC (Know Your Customer), le notaire étant contraint de procéder à des vérifications préalables dans le cadre de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ? Le notaire pourrait, de la sorte, travailler plus étroitement et de concert avec les juristes d'entreprises, lanceurs d'alerte de premier rang. Cette piste de réflexion sera abordée plus loin.
Le retrait des fonds auprès du notaire
– Les conditions requises. – Il s'agit, sur ce point, de distinguer deux hypothèses : celle du dépôt en numéraire organisé à l'occasion de la constitution d'une société, et celle du dépôt constitutif d'une augmentation de capital.
– Le retrait des fonds déposés à l'occasion de la constitution d'une société. – Là encore, le notaire est confronté à une alternative : la société peut avoir été immatriculée ou les démarches visant à immatriculer la société peuvent ne pas avoir été engagées ou ne pas avoir abouti.
– En cas d'immatriculation de la société. – Les dispositions du Code de commerce prévoient une libération des fonds par le dépositaire à la vue d'un Kbis attestant de l'immatriculation de la société, que ce Kbis soit définitif ou provisoire tel que précisé dans une circulaire du garde des Sceaux en date du 13 février 1987. L'indisponibilité des fonds sera levée au jour de l'immatriculation de la société.
– En l'absence d'immatriculation de la société. – En l'absence, toutefois, d'immatriculation dans les six mois à compter du premier dépôt de fonds, pour défaut de signature des statuts ou pour toute autre cause, les apporteurs peuvent, à l'unanimité, quelle que soit la nature de leur apport, désigner un mandataire ayant pour mission de retirer les sommes déposées auprès du dépositaire. Chaque apporteur peut également, dans le délai de six mois du premier dépôt, demander le retrait des fonds en justice. L'indisponibilité des fonds déposés sera levée à la date de la demande unanime des associés qui auront renoncé à cette immatriculation, ou à la date de la décision de justice.
– Des exceptions. – Il convient de mentionner quelques exceptions, notamment s'agissant de certaines sociétés civiles professionnelles pour lesquelles le retrait des fonds est subordonné à la justification de l'inscription de ses associés auprès de l'ordre dont ils dépendent professionnellement ou encore de la nomination de la société les habilitant à exercer leur profession.
– Le retrait des fonds déposés à l'occasion d'une augmentation de capital. – Le retrait des fonds n'est aucunement subordonné, en ce cas, à la réalisation de mesures de publicité auprès du greffe du tribunal de commerce. Le notaire dépositaire a pour seule obligation de s'assurer de la réalité de l'augmentation de capital en demandant, par exemple, que lui soit produite la décision d'assemblée constatant sa réalisation.
– La qualité du retrayant en cas de retrait dans les délais impartis. – Lorsque l'immatriculation de la société est intervenue dans le délai de six mois ou que l'augmentation de capital a été réalisée dans les délais légaux impartis, la personne ayant qualité à agir est le mandataire de la société
. Les textes ne visant pas le mandataire social mais le mandataire de la société, toute personne agissant en vertu d'un mandat en bonne et due forme au nom et pour le compte de la société est habilitée à recevoir des mains du notaire les fonds déposés en sa comptabilité.
– La qualité du retrayant en cas de retrait hors délai. – Lorsque les délais impartis n'ont pas été observés, la procédure diffère d'une forme sociale à l'autre.
– Concernant les sociétés anonymes. – Le mandataire, en charge du retrait des fonds auprès du dépositaire, peut avoir été désigné à cette fin aux termes d'une ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce statuant sur requête ou agir à l'appui d'une autorisation reçue des souscripteurs ayant statué à l'unanimité.
– Concernant les sociétés à responsabilité limitée. – Contrairement à la procédure applicable aux SA, un souscripteur peut solliciter individuellement du dépositaire la restitution des fonds qu'il a déposés, sous réserve toutefois qu'il ait été autorisé à le faire aux termes d'une ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce statuant sur requête. Toutefois, tout comme pour les SA, un mandataire dûment autorisé par l'ensemble des souscripteurs peut procéder au retrait des fonds.
– Concernant les autres sociétés. – Concernant les autres sociétés, aucun délai n'étant prescrit pour procéder au retrait des fonds, la prudence recommande d'obtenir la désignation écrite et unanime de la part des souscripteurs d'un mandataire.