Nous rappellerons les éléments de contexte (Sous-section I), avant d'examiner le rôle du notaire, rendu en apparence banquier par le législateur, à l'occasion de la constitution de certaines sociétés ou encore dans le cadre d'opérations d'augmentation de capital en numéraire (Sous-section II).
Le notaire, non rédacteur, dépositaire de fonds
Le notaire, non rédacteur, dépositaire de fonds
Les éléments de contexte
Les éléments de contexte
Le capital social, nous l'avons vu précédemment, est analysé, dans une conception classique, comme étant par excellence le gage des créanciers sociaux. Or s'il est un gage au sens juridique, il en est un, également, au sens commun du terme sur le terrain de la confiance et de la crédibilité à l'égard de l'ensemble des partenaires de la société, et notamment des bailleurs de fonds sollicités pour financer le lancement ou l'essor de l'activité sociale.
Il s'agit, tout à la fois, d'une source de financement, d'une garantie et d'une clé de répartition entre associés des droits et obligations résultant du contrat de société.
L'importance du capital social a suscité, dès l'essor des échanges commerciaux, la mise en place d'un dispositif de surveillance et de protection (§ I) dont certaines dispositions demeurent en vigueur à ce jour concernant la pratique notariale (§ II).
La protection du capital social à l'épreuve du temps
– L'existence du capital social. – Toute société doit être pourvue d'un capital social dont le montant peut être réglementé ou non et dont les modalités de souscription et de libération varient d'une forme sociale à l'autre, que ce soit en phase de constitution de la société ou dans le cadre d'une augmentation de capital.
Comme cela a été rappelé ci-dessus, les apports réalisés par les futurs associés sont au nombre des éléments indispensables à la formation du pacte social conformément à l'article 1832 du Code civil. Sans apport, aucun contrat de société ne peut voir le jour.
Le capital social est la somme algébrique des montants des apports réalisés en numéraire ou en nature par les associés, les apports en industrie n'étant pas valorisés s'agissant d'une compétence ou d'un savoir-faire.
– L'exigence d'un capital social minimal. – Pendant de nombreuses décennies, des montants minimaux ont été imposés. Toutefois, désireux de faciliter la vie des affaires, le législateur a progressivement réduit les montants exigés, allant jusqu'à supprimer toute exigence en la matière s'agissant de certaines formes sociales.
En témoignent notamment la loi no 2003-721 du 1er août 2003, dite « loi Dutreil », qui a supprimé l'exigence d'un capital minimal à l'occasion de la constitution d'une société à responsabilité limitée, et la loi no 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, dite « LME », qui en a fait de même à l'égard des sociétés par actions simplifiées.
Aujourd'hui ne subsistent que peu de contraintes : le capital social doit être au minimum de 37 000 € s'agissant de la constitution d'une société anonyme, de 18 500 € s'agissant de la constitution d'une société coopérative déclinée sous la forme d'une société anonyme et de 30 € si cette dernière est déclinée sous la forme d'une société à responsabilité limitée ou d'une société par actions simplifiée.
Par application stricte des textes, le capital social des autres sociétés peut être librement fixé par les futurs associés, sans pouvoir être théoriquement inférieur à l'euro symbolique pour les sociétés qui ne peuvent admettre aucun apport en industrie.
Toutefois, indépendamment de cette approche purement théorique, il a été démontré, ci-dessus, l'intérêt stratégique évident qu'il y a pour une société d'être dotée d'un capital suffisamment significatif. En pratique, le montant du capital social n'est pas, le plus fréquemment, dicté par un impératif juridique mais par la loi du marché.
– La juste valorisation du capital social. – Il n'en demeure pas moins qu'au-delà de l'effet d'annonce, il est indispensable que soit adossée au montant affiché une réalité comptable et matérielle. Sans confiance valablement établie, point d'activité économique saine. Le législateur s'est donc employé à encadrer les apports en nature et les apports en numéraire.
– Concernant les apports en nature. – La réalité de l'apport en nature, qu'il s'agisse d'un bien corporel ou incorporel, tient avant tout à sa juste valorisation. Afin de protéger, prioritairement, les intérêts des créanciers de sociétés à risque limité, dont le capital constitue le gage par excellence, les associés n'ayant pas vocation à être poursuivis sur leur patrimoine personnel, l'intervention d'un commissaire aux apports a été rendue obligatoire dans certains cas.
Sa mission, en sa qualité d'expert indépendant, consiste à statuer sur la valeur du bien inscrit à l'actif du bilan de la société, apporté par un associé, dont la contrepartie se traduira par une émission de parts sociales ou d'actions à son profit.
C'est ainsi que le recours à un commissaire aux apports est obligatoire lors de la création d'une société anonyme ainsi qu'à l'occasion d'une augmentation de capital par voie d'apport en nature. On notera, toutefois, que certains apports consentis à la société à l'occasion de sa constitution peuvent en être dispensés.
S'agissant d'une société à responsabilité limitée
, les associés peuvent décider à l'unanimité de se dispenser de son intervention si aucun bien apporté n'a une valeur supérieure à 30 000 € et si l'ensemble des apports en nature n'excède pas la moitié du capital social, ces deux conditions étant cumulatives. Le recours à cette dispense vaudra aux associés de répondre solidairement de la valeur attribuée auxdits apports, pendant cinq ans, sur leur patrimoine personnel, à l'égard des tiers.
La société par actions simplifiée suit le régime de la société anonyme en matière d'évaluation des apports en nature, tout en bénéficiant des cas de dispense profitant aux sociétés à responsabilité limitée.
Il est intéressant d'observer, toutes formes sociales confondues, que si, lors de la constitution de la société, les apporteurs ne retiennent pas l'évaluation établie par le commissaire aux apports et adoptent une valeur supérieure, ou encore s'ils invoquent le bénéfice d'une dispense, ils répondent solidairement pendant cinq ans, à l'égard des tiers, de la valeur attribuée auxdits apports. C'est une façon, indirectement, d'accroître l'étendue du gage des créanciers sociaux.
On notera, pour autant, qu'il a été jugé qu'en l'absence de dol et de fraude, un apport, dont l'évaluation s'est avérée trop optimiste, n'en demeure pas moins valable.
Si une surévaluation peut être comptablement rectifiée, ultérieurement, au moyen d'une réduction de capital supportée par tous les associés, ces derniers ayant approuvé en amont la valeur retenue, l'écart peut toutefois être pénalement sanctionné :
L'article L. 241-3, 1o du Code de commerce, concernant les sociétés à responsabilité limitée, dispose qu'« est puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 375 000 euros : 1o Le fait, pour toute personne, de faire attribuer frauduleusement à un apport en nature une évaluation supérieure à sa valeur réelle (…) ».
Quant à l'article L. 242-2 du Code de commerce concernant les sociétés anonymes, il dispose qu'« est puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 9 000 euros le fait, pour toute personne : [1o, 2o et 3o (supprimés)] ; 4o De faire attribuer frauduleusement à un apport en nature une évaluation supérieure à sa valeur réelle ».
L'enjeu étant de taille pour les associés, l'article L. 225-8 du Code de commerce dispose, s'agissant des sociétés anonymes constituées avec appel d'offres au public, que toute réduction de valeur ne peut être adoptée par l'assemblée générale constitutive qu'à l'unanimité des souscripteurs et qu'un défaut d'approbation par les apporteurs fait obstacle à la constitution de la société.
À l'inverse, en cas de sous-évaluation, une augmentation de capital s'avérerait nécessaire pour régulariser la situation, mais cette opération capitalistique supposerait l'unanimité, la régularisation ne profitant qu'au seul apporteur.
Sur le plan fiscal, l'administration considère qu'une sous-évaluation peut dissimuler une libéralité consentie par l'apporteur à la société et aux autres associés. En ce cas, l'administration est fondée à rehausser l'actif net de l'entreprise. Le notaire se doit d'attirer particulièrement l'attention de ses clients sur ce point.
C'est ainsi que dans le cadre de l'affaire Cérès
, au visa des articles 38, 2o du Code général des impôts et 38 quinquies de l'annexe III de ce même code, le Conseil d'État a conclu que « lorsque la valeur d'apport des immobilisations, comptabilisée par l'entreprise bénéficiaire de l'apport, a été volontairement minorée par les parties pour dissimuler une libéralité faite par l'apporteur à l'entreprise bénéficiaire (…) l'administration est fondée à corriger la valeur d'origine des immobilisations apportées à l'entreprise pour y substituer leur valeur vénale, augmentant ainsi l'actif net de l'entreprise dans la mesure de l'apport effectué à titre gratuit ».
Le développement qui précède ne peut laisser indifférent quant au rôle que pourrait jouer le notaire en cas d'apport d'un immeuble. N'est-il pas, lui aussi, à la façon d'un commissaire aux apports, un expert indépendant, extérieur à la société ? Le fait de recevoir l'acte authentique constatant l'apport immobilier à des fins de publicité foncière est-il suffisant pour mettre à mal cette indépendance ? Le doute est permis.
Le rôle que pourrait avoir le notaire aux côtés du commissaire aux comptes ne pourrait-il pas être repensé, la réglementation propre aux sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) nous offrant d'ores et déjà quelques pistes de réflexion intéressantes ?
– Un peu d'histoire. Le notaire au service de l'apporteur d'un brevet d'invention. – La loi du 5 juillet 1844 sur les brevets d'invention, modifiée par la loi du 26 décembre 1908, disposait en son article 20 que la cession totale ou partielle d'un brevet, que ce soit à titre gratuit ou à titre onéreux, devait obligatoirement être constatée par acte authentique.
Entrait, dès lors, dans le champ d'application de ce dispositif, l'apport en nature à une société d'un brevet.
L'objectif poursuivi était de préserver l'apporteur, inventif mais supposé ingénu, des griffes de l'investisseur, présumé malhonnête, lui proposant en contrepartie de son apport quelques parts de société au nominal bien maigre.
Le notaire avait pour mission de veiller à l'équité du contrat et de rendre la cession opposable aux tiers au travers de la formalité d'enregistrement en préfecture pour prévenir toute contrefaçon.
– Concernant les apports en numéraire. – De nombreuses faillites de sociétés affichant un montant en capital alléchant mais en réalité inexistant ont conduit le législateur à déployer, dès la loi du 17 juillet 1856, un dispositif visant à contrer la fictivité du capital social souscrit en numéraire s'agissant de la société en commandite par actions en imposant notamment au gérant de signer une déclaration notariée de souscription et de versement. Le dispositif a été étendu aux sociétés anonymes dès 1867.
C'est ainsi qu'a fait irruption le notaire dans la vie des affaires sur le terrain de la comptabilité et de la finance.
Le législateur a, en effet, confié au notaire la mission de participer à la lutte contre la fictivité des apports en numéraire en s'assurant de la réalité des versements et de veiller, de la sorte, à la sauvegarde des intérêts des investisseurs et des créanciers sociaux.
– Dépôt obligatoire des fonds et déclaration notariée de souscription et de versement. – Par application de la loi, les souscriptions en numéraire au capital social d'une société anonyme ou d'une société en commandite par actions, lors de la constitution ou dans le cadre d'une augmentation en capital, devaient faire l'objet d'un dépôt obligatoire. Si le notaire n'avait pas vocation à être dépositaire à titre exclusif, en revanche il était seul à pouvoir recevoir en la forme authentique la déclaration de souscription et de versement prescrite par la loi.
Que subsiste-t-il aujourd'hui de ce dispositif ?
Le dispositif actuel
– Une modification radicale. – La loi no 83-1 du 3 janvier 1983 sur le développement des investissements et la protection de l'épargne est venue modifier considérablement la pratique notariale en maintenant l'exigence du dépôt des fonds mais en supprimant la déclaration notariée de souscription et de versement. L'acte authentique a cédé le pas à un simple certificat établi par le dépositaire.
La problématique demeure pourtant inchangée : les investisseurs, les créanciers sociaux et autres partenaires de la société doivent être rassurés quant à la réalité des apports en numéraire.
Le capital social constituant le gage des créanciers sociaux, le législateur contemporain s'est intéressé prioritairement aux sociétés dans lesquelles les associés ne peuvent être poursuivis qu'à hauteur de leurs apports.
Toutefois, un capital social significatif étant également de bon augure économiquement parlant, les sociétés à risque illimité n'ont pas toutes été écartées de l'actuel dispositif.
Nous évoquerons, dans un premier temps, les textes s'appliquant aux apports en numéraire en phase de constitution (A), puis ceux s'appliquant à certaines augmentations de capital en numéraire (B).
La réglementation applicable aux apports initiaux en numéraire
– Modalités de libération des apports initiaux en numéraire. – S'il est rare, nous l'avons vu, qu'un montant minimal soit exigé, certaines modalités de libération des apports en numéraire peuvent s'imposer.
C'est ainsi qu'il est nécessaire de verser, par exemple lors de la constitution d'une société à responsabilité limitée, un cinquième au moins des apports en numéraire, le surplus devant l'être, en une ou plusieurs fois, sur appel de la gérance, dans les cinq ans à compter de l'immatriculation de la société. Ce seuil est de la moitié au moins s'agissant des sociétés anonymes et des sociétés par actions simplifiées.
Les sanctions à l'encontre de l'associé défaillant qui ne verserait pas les sommes restant dues sur le montant des actions dont il est titulaire sont nombreuses. Il s'expose notamment au paiement d'intérêts moratoires, au versement de dommages-intérêts, à une déchéance de ses droits d'accès et de vote aux assemblées, à une suspension de son droit aux dividendes et de son droit préférentiel de souscription. La vente forcée des actions non libérées peut également être envisagée.
– Le dépôt des fonds. – Indépendamment de l'exigence ou non d'un montant minimal et de l'exigence ou non d'un versement effectif minimal, le législateur a organisé une centralisation des dépôts pour le compte de la société en formation par les personnes qui les ont reçus, soit auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), soit auprès d'un établissement de crédit, soit auprès d'un notaire.
Le ministère de la Justice a été amené à préciser quels étaient les établissements de crédit autorisés à recevoir ces dépôts à l'occasion de la question posée par Jacques Guyard. Ces établissements de crédit doivent relever de la loi du 24 janvier 1984 et avoir été agréés par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). La réponse ministérielle est ainsi rédigée : « Ces fonds peuvent dès lors être déposés soit auprès d'un établissement de crédit français, soit auprès de la succursale française d'un établissement étranger. Inspirées du souci de protéger les intérêts tant des souscripteurs que de la société en formation, ces dispositions n'ont aucun caractère discriminatoire puisqu'elles s'appliquent quels que soient la nationalité et le lieu de résidence des souscripteurs et des personnes qui agissent au nom de la société. Elles n'entravent ni la liberté d'établissement des ressortissants de la CEE, ni la libre circulation des capitaux ».
Si le dépôt des fonds doit pouvoir être envisagé, par extension, dans un établissement de crédit ayant son siège social dans un État membre ayant obtenu un agrément dans les termes de l'article L. 511-22 du Code monétaire et financier, il n'est, en revanche, pas possible de verser ces fonds sur un compte bancaire ouvert au nom de la société en formation auprès d'une banque, non agréée, ou établie dans un pays tiers.
Il est intéressant de relever que les établissements de crédit ne sont pas tenus d'accepter ces fonds et qu'ils sont habilités à opposer un refus aux personnes les ayant collectés pour le compte de la société en formation, au motif, à la lecture de la réponse ministérielle Bruno que « cette opération n'entre pas dans le cadre du droit au compte prévu par l'article L. 312-1 du Code monétaire et financier ».
En revanche, il a été précisé à l'occasion de cette même réponse ministérielle que les fonds pouvaient toujours, gratuitement, être déposés sur un compte ouvert au nom de la société en formation dans les livres de la Caisse des dépôts et consignations et que ce dépôt était rémunéré.
Quant au notaire, peut-il refuser que des fonds soient déposés en sa comptabilité pour le compte d'une société en formation ? Le doute est permis, cette mission lui ayant été confiée par le législateur.
– Les sociétés concernées. – Si les sociétés dans lesquelles la responsabilité des associés est limitée au montant de leurs apports sont concernées au premier chef par ce dispositif, les sociétés à risque illimité ne sont pas, pour autant, systématiquement écartées.
Les textes sont nombreux et épars. Ils ont été, pour la plupart, codifiés dans le Code de commerce, mais certains sont issus de décrets non codifiés.
C'est ainsi que sont concernées les sociétés anonymes, constituées avec ou sans offre au public, les sociétés en commandite par actions, les sociétés par actions simplifiées, et les sociétés à responsabilité limitée.
On notera, au sujet de ces dernières, que la production du certificat du dépositaire n'est pas expressément exigée à l'occasion de la constitution et qu'elle n'est mentionnée qu'en cas d'augmentation de capital. À défaut que cela résulte de la lettre du texte, l'esprit veut que ce certificat soit produit également à l'occasion de la signature des statuts.
La loi no 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales ne prévoyant aucune dérogation à ce titre par rapport au statut des sociétés commerciales, les Selarl, Selafa, Selca et Selas sont également concernées par ce dispositif.
Comme nous l'avons évoqué ci-dessus, un certificat du dépositaire des fonds est également requis pour quelques sociétés à risque illimité, notamment les sociétés civiles professionnelles constituées en vue de l'exercice d'une profession réglementée ou encore pour des organismes à but non lucratif à la façon des sociétés d'assurance mutuelles.
– Les modalités du dépôt. – Ce dépôt est réalisé le plus fréquemment, pour ne pas dire systématiquement, en espèces, en chèque ou par virement, mais rien ne s'oppose, dans l'absolu, au fait d'avoir recours à tout autre moyen permettant la mise à disposition immédiate des fonds à la façon par exemple de bons du Trésor payables à vue.
Ce dépôt doit intervenir dans les huit jours de la réception des fonds et mention de la libération des parts et du dépôt des fonds est portée dans les statuts, ce qui suppose que le dépôt soit préalable à la signature des statuts.
Une fausse déclaration dans les statuts est passible d'une amende de 45 000 € et d'une peine d'emprisonnement de trois ans.
L'article R. 223-3 du Code de commerce, concernant les sociétés à responsabilité limitée, laisse à penser que la computation du délai de huit jours s'applique à chaque versement et non au dernier.
– L'indisponibilité des fonds déposés. – Les fonds ainsi déposés sont indisponibles, et de ce fait, notamment, non sujets à saisie ni à compensation avec une dette qui aurait été contractée au nom et pour le compte de la société en formation.
Cette indisponibilité n'est pas inintéressante, comme nous le verrons ci-après, au regard de la qualification juridique du dépôt.
La réglementation applicable aux augmentations de capital en numéraire
Les dispositions énonçant l'obligation de produire un certificat du dépositaire des fonds à l'occasion d'une augmentation de capital en numéraire sont moins nombreuses.
– Les sociétés concernées. – Sont concernées les sociétés anonymes et, sur renvoi, les sociétés en commandite par actions et les sociétés par actions simplifiées. Le régime applicable aux sociétés à responsabilité limitée est similaire.
Ce rôle de détenteur de fonds pour le compte de tiers et de certificateur ne peut que susciter de multiples questions.
Le rôle du notaire
Afin de lever toute ambiguïté, il est indispensable de s'assurer de la licéité de cette mission (§ I) avant d'essayer d'en définir les contours (§ II).
Réflexions autour de la licéité de cette mission
Cette mission, bien que prévue par le législateur, peut surprendre au regard du statut du notariat (A) et du monopole bancaire (B).
Au regard du statut du notariat
– La réception et la conservation d'actes authentiques. – L'article 1er de l'ordonnance no 45-2590 du 2 novembre 1945 dispose que : « Les notaires sont les officiers publics, établis pour recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d'authenticité attaché aux actes de l'autorité publique, et pour en assurer la date, en conserver le dépôt, en délivrer des grosses et expéditions ».
– Principal et accessoire. – Notre mission principale, à défaut de la considérer comme exclusive en s'attachant à la lettre du texte, est de recevoir des actes authentiques et d'en assurer la conservation. Cela suppose la réception de fonds, certes, mais en lien avec l'opération consignée aux termes de l'acte authentique. La réception de fonds n'est, de la sorte, que le corollaire de l'activité principale et ne saurait s'y substituer.
– La réception de fonds dissociée de la réception d'un acte. – L'article 13 du décret no 45-0117 du 19 décembre 1945 dispose, pour sa part, « qu'il est interdit aux notaires, soit par eux-mêmes, soit par personnes interposées, soit directement, soit indirectement : (…) ; 5o De recevoir ou conserver des fonds, à charge d'en servir l'intérêt ; (…) ».
Ces textes mettent en exergue, par conséquent, deux difficultés inextricablement liées l'une à l'autre, qui tiennent, d'une part, au fait que la compétence attribuée par le législateur au notaire n'a aucun lien avec la réception d'un acte authentique et, d'autre part, que la réalisation de la mission suppose la réception de fonds pour le compte de tiers.
La réception des fonds ne suppose aucunement la réception par le notaire des statuts, du procès-verbal de l'assemblée générale se prononçant sur l'augmentation de capital projetée, ni même d'un quelconque acte authentique. Ainsi en a voulu la loi no 83-1 du 3 janvier 1983 tel que mentionné ci-dessus.
L'intervention du notaire en qualité de dépositaire ne suppose aucunement sa participation à un acte.
L'article 13, 5o du décret no 45-0117 du 19 décembre 1945 interdit au notaire de « recevoir (…) des fonds, à charge d'en servir l'intérêt ». Certes, dans le cadre de ce dispositif,le notaire reçoit des fonds. Si l'immatriculation tarde, les fonds ainsi reçus par lui seront consignés à la Caisse des dépôts et consignations et produiront intérêt. Toutefois, en cas d'immatriculation dans un délai d'usage, inférieur à trois mois, aucun intérêt ne sera perçu. La finalité de ce dépôt pour les associés n'est assurément pas de percevoir des intérêts, mais bel et bien d'exécuter une obligation réglementaire. Il ne s'agit pas, pour eux, d'une opération de placement. Quant à un dépôt, pour une durée supérieure à trois mois, consigné et à ce titre rémunéré, il n'en est ainsi qu'en raison d'une contrainte réglementaire s'imposant au notaire et non en considération de la mission lui incombant.
Il est difficile d'imaginer que ces dispositions soient incompatibles avec le statut du notariat. N'est-il pas préférable d'y voir des dispositions spéciales permettant, indirectement, d'apporter un éclairage différent sur les contours du statut ?
– L'attractivité de la comptabilité notariale. – Il est intéressant d'observer que le recours au notaire en vue du dépôt des fonds est aujourd'hui, fréquemment, perçu comme un gage de rapidité et d'efficacité, l'ouverture du compte au nom de la société en formation en sa comptabilité pouvant être immédiate, contrairement au processus bancaire, alors même que lors du vote de la loi no 83-1 du 3 janvier 1983 sur le développement des investissements et la protection de l'épargne, son intervention avait été considérée contraire à l'efficacité économique.
Mais, de ce fait, le notaire n'est-il pas assimilable à un banquier dans l'exercice de cette mission ? Le 1o de l'article 13 du décret no 45-0117 du 19 décembre 1945 interdisant au notaire « de se livrer à aucune (…) opération de (…) banque » ne referait-il pas, en ce cas, surface ?
Au regard du monopole bancaire
Le Code monétaire et financier, nous le savons, confère aux établissements de crédit une compétence exclusive en vue de l'exercice de certaines activités, toute infraction à ce monopole étant passible de sanctions civiles et pénales.
– La délimitation du monopole. – Notamment, l'article 511-5 du Code monétaire et financier dispose, en son second alinéa, qu'il est « (…) interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit de recevoir à titre habituel des fonds remboursables du public ou de fournir des services bancaires de paiement ».
Les textes organisant le monopole bancaire ayant une valeur normative supérieure à celle des dispositions du Code de commerce conférant au notaire ce rôle de dépositaire, il est indispensable de vérifier la compatibilité de ces dernières avec le fonctionnement du monopole bancaire.
– La notion de fonds remboursables du public. – Qu'entend-on par fonds remboursables du public ? Le Code monétaire et financier en donne la définition en son article L. 312-2 : il s'agit des « fonds qu'une personne recueille d'un tiers, notamment sous la forme de dépôts, avec le droit d'en disposer pour son propre compte mais à charge pour elle de les restituer ».
– L'argument du lien capitalistique. – Cet article précise que n'en sont pas « les fonds reçus ou laissés en compte par les associés en nom ou les commanditaires d'une société de personnes, les associés ou actionnaires, les administrateurs, les membres du directoire et du conseil de surveillance, les directeurs généraux et directeurs généraux délégués, les présidents de sociétés par actions simplifiées ou les gérants ainsi que les fonds provenant de prêts participatifs ».
Un parallélisme semblerait, dès lors, pouvoir être établi entre les apports en numéraire réalisés par les associés et les apports en comptes courants consentis par ces mêmesassociés. Dans l'un et l'autre des cas, ces apports sont réalisés par des personnes liées contractuellement et capitalistiquement entre elles, en vue de la réalisation d'un objet précis.
Toutefois, le professeur Thierry Bonneau réfute ce raisonnement par analogie, considérant que le dépositaire demeure un tiers, étranger au lien capitalistique et au projet d'entreprise.
– L'absence de libre disponibilité. – Si l'on rejoint cette analyse, à défaut de prendre pour argument de compatibilité la provenance du dépôt, peut-être peut-on s'attacher à la deuxième partie de la phrase définissant les fonds remboursables du public : la personne qui recueille de tels dépôts a le droit d'en disposer pour son propre compte mais à charge pour elle de les restituer. Force est de constater que tel n'est pas le cas du notaire.
Au cas d'espèce, ni le notaire ni les déposants eux-mêmes n'ont le droit d'en disposer, les fonds étant, nous l'avons vu, indisponibles et leur retrait étant étroitement encadré.
Mais, plus largement, le notaire est rendu dépositaire. Ne l'est-il pas avant tout au sens du Code civil ? Or l'article 1930 dudit code dispose que le dépositaire « ne peut se servir de la chose déposée sans la permission expresse ou présumée du déposant ».
Dès lors, si cette mission, qui est confiée au notaire, semble compatible avec son statut et le principe du monopole bancaire, quels en sont les contours ?
Les contours de cette mission
Lors de la réception des fonds et de l'établissement du certificat
– La fonction de dépositaire et de certificateur. – De prime abord, le rôle du notaire, en pareilles circonstances, est réduit à peu de chose : il a vocation à recevoir des fonds pour le compte de tiers et à certifier les avoir reçus.
Le dépositaire est celui qui, acceptant cette charge, reçoit la chose que lui confie le déposant, à titre de dépôt
.
– La nature juridique du dépôt. – La doctrine analyse les dépôts de fonds réalisés par les souscripteurs comme étant des dépôts irréguliers. Cela rend le notaire propriétaire des sommes déposées en sa comptabilité, à charge pour lui de les restituer le moment venu.
– Un dépôt double. – Parallèlement au dépôt des fonds, s'agissant des sociétés par actions, le notaire doit également être dépositaire de la liste des souscripteurs. Sont concernées les SA, qu'elles soient constituées avec ou sans offre au public, les SCA et les SAS. À l'occasion d'une augmentation de capital, cette liste devra être accompagnée des bulletins de souscription.
– Un dépôt non encadré s'agissant des documents papier. – Aucun texte ne précise si cette liste et ces bulletins de souscription, dans l'hypothèse d'un dépôt auprès d'un notaire, doivent faire l'objet d'un acte de dépôt de pièces passé en la forme authentique. Dans le silence des textes, il est possible d'imaginer que ce dépôt soit effectué sous la forme d'un dépôt électronique notarial, la liste des souscripteurs et les bulletins de souscriptions, le cas échéant, étant alors conservés dans le coffre-fort numérique de l'office dans des conditions technologiques de sécurité optimales. La Chambre des notaires de Paris propose un service de dépôt électronique notarial. Ce procédé confère date certaine au document déposé, tout en maintenant son contenu secret.
– Une mission en apparence réductrice. – Cette mission semble, de prime abord, extrêmement réductrice, cantonnant le notaire dans un rôle de certificateur.
Mais ce serait omettre que ce certificateur est d'un type particulier.
En qualité d'officier public et ministériel, il ne saurait se contenter d'attester de la réalité de versements en sa comptabilité et de la remise, le cas échéant, de la liste des souscripteurs et des bulletins de souscription entre ses mains. Sa fonction va de pair avec un statut et une responsabilité dont il ne saurait se départir.
– La lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. – Si le notaire dépositaire n'a pas à se livrer à une analyse juridique à l'occasion de la réception des fonds, il n'en demeure pas moins qu'il doit se conformer à l'obligation de vigilance et de déclaration qui lui incombe dans le cadre de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Le notaire dépositaire est ainsi amené, à ce titre, à vérifier l'identité de chaque déposant et leur qualité à agir. Il s'assure, par ailleurs, de la réalité des versements en sa comptabilité, de la provenance de la liste des souscripteurs et des bulletins de souscription qui lui sont remis. Il doit parvenir à identifier le bénéficiaire effectif de l'opération.
– L'établissement du certificat du dépositaire. – Là encore, les textes n'encadrent aucunement la forme que doit revêtir ce certificat, ni même son contenu. En pratique, le certificat est établi sous la forme d'un acte sous signature privée. Il serait concevable de l'établir sous la forme d'une simple lettre émanant du notaire dépositaire.
Serait-il opportun d'avoir recours systématiquement à un acte authentique ? On peut en douter dans sa conception actuelle. Toutefois, cela peut être judicieux dans un cas : celui d'une augmentation de capital d'une SA. Effectivement la date de l'augmentation de capital correspond à la date à laquelle le certificat est établi. Quoi de plus sécurisant, dès lors, qu'un acte authentique ayant date certaine ?
Pourquoi ne pas imaginer la rédaction d'un certificat du dépositaire établi en la forme authentique, enrichi, contenant un plus grand nombre d'informations, qui permettrait par la suite l'établissement plus aisé d'opinions juridiques (legal opinions) ou encore de certificats KYC (Know Your Customer), le notaire étant contraint de procéder à des vérifications préalables dans le cadre de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ? Le notaire pourrait, de la sorte, travailler plus étroitement et de concert avec les juristes d'entreprises, lanceurs d'alerte de premier rang. Cette piste de réflexion sera abordée plus loin.
Le retrait des fonds auprès du notaire
– Les conditions requises. – Il s'agit, sur ce point, de distinguer deux hypothèses : celle du dépôt en numéraire organisé à l'occasion de la constitution d'une société, et celle du dépôt constitutif d'une augmentation de capital.
– Le retrait des fonds déposés à l'occasion de la constitution d'une société. – Là encore, le notaire est confronté à une alternative : la société peut avoir été immatriculée ou les démarches visant à immatriculer la société peuvent ne pas avoir été engagées ou ne pas avoir abouti.
– En cas d'immatriculation de la société. – Les dispositions du Code de commerce prévoient une libération des fonds par le dépositaire à la vue d'un Kbis attestant de l'immatriculation de la société, que ce Kbis soit définitif ou provisoire tel que précisé dans une circulaire du garde des Sceaux en date du 13 février 1987. L'indisponibilité des fonds sera levée au jour de l'immatriculation de la société.
– En l'absence d'immatriculation de la société. – En l'absence, toutefois, d'immatriculation dans les six mois à compter du premier dépôt de fonds, pour défaut de signature des statuts ou pour toute autre cause, les apporteurs peuvent, à l'unanimité, quelle que soit la nature de leur apport, désigner un mandataire ayant pour mission de retirer les sommes déposées auprès du dépositaire. Chaque apporteur peut également, dans le délai de six mois du premier dépôt, demander le retrait des fonds en justice. L'indisponibilité des fonds déposés sera levée à la date de la demande unanime des associés qui auront renoncé à cette immatriculation, ou à la date de la décision de justice.
– Des exceptions. – Il convient de mentionner quelques exceptions, notamment s'agissant de certaines sociétés civiles professionnelles pour lesquelles le retrait des fonds est subordonné à la justification de l'inscription de ses associés auprès de l'ordre dont ils dépendent professionnellement ou encore de la nomination de la société les habilitant à exercer leur profession.
– Le retrait des fonds déposés à l'occasion d'une augmentation de capital. – Le retrait des fonds n'est aucunement subordonné, en ce cas, à la réalisation de mesures de publicité auprès du greffe du tribunal de commerce. Le notaire dépositaire a pour seule obligation de s'assurer de la réalité de l'augmentation de capital en demandant, par exemple, que lui soit produite la décision d'assemblée constatant sa réalisation.
– La qualité du retrayant en cas de retrait dans les délais impartis. – Lorsque l'immatriculation de la société est intervenue dans le délai de six mois ou que l'augmentation de capital a été réalisée dans les délais légaux impartis, la personne ayant qualité à agir est le mandataire de la société
. Les textes ne visant pas le mandataire social mais le mandataire de la société, toute personne agissant en vertu d'un mandat en bonne et due forme au nom et pour le compte de la société est habilitée à recevoir des mains du notaire les fonds déposés en sa comptabilité.
– La qualité du retrayant en cas de retrait hors délai. – Lorsque les délais impartis n'ont pas été observés, la procédure diffère d'une forme sociale à l'autre.
– Concernant les sociétés anonymes. – Le mandataire, en charge du retrait des fonds auprès du dépositaire, peut avoir été désigné à cette fin aux termes d'une ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce statuant sur requête ou agir à l'appui d'une autorisation reçue des souscripteurs ayant statué à l'unanimité.
– Concernant les sociétés à responsabilité limitée. – Contrairement à la procédure applicable aux SA, un souscripteur peut solliciter individuellement du dépositaire la restitution des fonds qu'il a déposés, sous réserve toutefois qu'il ait été autorisé à le faire aux termes d'une ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce statuant sur requête. Toutefois, tout comme pour les SA, un mandataire dûment autorisé par l'ensemble des souscripteurs peut procéder au retrait des fonds.
– Concernant les autres sociétés. – Concernant les autres sociétés, aucun délai n'étant prescrit pour procéder au retrait des fonds, la prudence recommande d'obtenir la désignation écrite et unanime de la part des souscripteurs d'un mandataire.