Le régime de l'obligation réelle environnementale

Le régime de l'obligation réelle environnementale

– ORE et ingénierie notariale. – Cette qualification de contrat accessoire à la propriété permet d'imposer naturellement le rôle du notaire dans la conception et la rédaction de l'ORE, en sa qualité de juriste spécialiste de la propriété foncière et de la mécanique contractuelle ayant trait à la transmission et l'exploitation immobilières. L'étude du régime de l'ORE nécessite d'analyser tout d'abord les principes régissant sa conclusion (§ I), avant d'étudier la problématique de sa transmission (§ II).

La conclusion de l'obligation réelle environnementale

– Conditions de validité. – La loi du 8 août 2016 a prévu un certain nombre de conditions nécessaires à la validité de l'ORE :
  • elle doit être établie par contrat, ce qui exclut les actes unilatéraux tels que le testament, et pose donc le principe d'une négociation ;
  • le contrat doit être passé par acte authentique, sans que le texte indique si cet instrumentum est exigé à titre de validité, ou simplement à titre de preuve en vue de l'exécution de la formalité de publicité foncière. On peut cependant émettre l'hypothèse d'un instrumentum exigé ad probationem seulement car, d'une part, l'obligation de publication est reprise dans l'article 28 du décret no 55-22 du 4 janvier 1955 relatif à la publicité foncière et, d'autre part, les travaux préparatoires ne font pas apparaître la volonté du législateur d'imposer l'authenticité à peine de nullité ;
  • le contrat doit prévoir la durée de l'obligation : on en conclut donc qu'une ORE, bien qu'attachée à un immeuble, ne saurait être perpétuelle, et dès lors sa durée ne saurait excéder quatre-vingt-dix-neuf ans. Cela se déduit également de sa nature : ne pouvant être assimilée à une servitude, faute de fonds dominant, sa durée ne peut être que limitée. On peut également citer dans ce sens les arrêts de la Cour de cassation relatifs au droit réel de jouissance spéciale excluant le caractère perpétuel d'un tel droit ;
  • le contrat doit également prévoir les modalités de révision et de résiliation, ainsi que les engagements réciproques de chaque partie ;
  • seul le propriétaire peut s'engager, ce qui pose la question de l'ORE souscrite par l'usufruitier : quid de sa validité ? Une solution pourrait être de se référer au texte de l'article 595 du Code civil relatif aux baux passés par l'usufruitier. Les baux exigeant le consentement du nu-propriétaire étant ceux ouvrant un droit au renouvellement au profit du locataire, la conclusion d'une ORE ne semble pas devoir être soumise à cet accord unanime. En cas d'immeuble indivis, l'accord unanime des indivisaires semble indispensable. Et ces derniers seront par conséquent débiteurs solidaires des engagements souscrits ;
  • si le fonds fait l'objet d'un bail rural, l'accord du fermier est nécessaire à peine de nullité absolue de l'ORE. Le praticien devra alors s'assurer de l'absence de bail rural (qui, sauf le cas du bail rural à long terme, ne fait pas l'objet d'une publication au service de publicité foncière), ou en cas d'existence de l'accord du fermier, en faisant intervenir ce dernier à l'acte constitutif de l'ORE afin qu'il y exprime son consentement. Par ailleurs, la conclusion d'une ORE ne saurait remettre en cause les droits liés à la chasse ou aux réserves cynégétiques ;
  • la qualité du cocontractant : la collectivité publique, ou l'établissement public cocontractant ne pose pas de problème. En revanche, tout autre est le cas de la personne morale de droit privé agissant pour la protection de l'environnement. Le texte ne prévoyant pas d'agrément particulier par une quelconque autorité administrative ou autre, l'attention du propriétaire devra être attirée sur les capacités du cocontractant à honorer les engagements nécessairement convenus aux termes de l'ORE. Si ceux-ci sont financiers (par ex., la prise en charge de travaux visant à réhabiliter une zone endommagée), il sera alors essentiel pour préserver la bonne exécution du contrat de constituer des garanties à ce titre ou, à tout le moins, de vérifier les capacités financières du cocontractant. De notre point de vue, la reconnaissance d'utilité publique de la personne morale de droit privé agissant pour la protection de l'environnement peut être une information de grande importance ;
  • le régime fiscal : afin de rendre attractif ce dispositif, le législateur a pris soin d'exonérer l'ORE de tout droit d'enregistrement et de taxe de publicité foncière. La loi de finances pour 2021 a étendu cette exonération à la contribution de sécurité immobilière.

La transmission de l'obligation réelle environnementale

– La problématique de la transmission. – Le premier alinéa de l'article L. 132-3 du Code de l'environnement, que nous avons repris in extenso ci-dessus, précise que l'ORE est transmise aux « propriétaires ultérieurs du bien », de sorte que les engagements du souscripteur originel sont obligatoirement transmis aux ayants-droit de ce dernier, qu'il s'agisse d'ayants-droit universels ou à titre particulier.
Si la transmission aux ayants-droit universels se comprend parfaitement, il en est autrement de la transmission aux ayants-droit à titre particulier, à commencer par l'acquéreur de l'unité foncière grevée de l'ORE. En effet, les engagements du propriétaire du bien grevé de l'ORE consistant en un ensemble d'obligations (de faire ou de ne pas faire), leur transmission doit être considérée comme une transmission de dettes. Or, nous avons vu (V. supra, no et s.) que l'ORE ne pouvait constituer un accessoire de l'immeuble grevé. Par conséquent, sa transmission ne peut se faire à la charge de l'ayant-droit particulier, le principe de l'intransmissibilité des dettes étant maintenu par la jurisprudence de la Cour de cassation depuis plus d'un siècle, cette dernière estimant « qu'il est de principe que l'acheteur, en tant qu'ayant cause à titre particulier du vendeur, est un tiers à l'égard des obligations antérieurement contractées par celui-ci, à l'occasion de la chose cédée ». Cette intransmissibilité trouvant sa cause dans le caractère personnel du lien d'obligation, cela confirme le fait que la nature de l'ORE ne saurait être personnelle, compte tenu de sa transmissibilité.
Nous avons également pu voir que la qualification d'obligation propter rem n'était que difficilement envisageable, compte tenu de l'absence du caractère accessoire de l'ORE. Pourtant ces obligations sont transmissibles en raison de la règle Accessorium sequitur principale, la charge réelle pesant sur le fonds « le suit en quelque main qu'il passe ».
C'est donc bien, selon nous, la qualification de contrat accessoire de la propriété de l'immeuble qu'il nous faut retenir, cette qualification permettant de définir le régime de sa transmission, et d'en organiser les modalités.
– La transmission du contrat accessoire au droit de propriété. – En raison de cette nature juridique, la cession de l'ORE doit s'opérer comme une cession accessoire de contrat, et selon les termes des articles 1216 et suivants du Code civil, établissant le régime des cessions de contrat. Deux hypothèses sont alors à considérer : la cession du contrat à titre principal, d'une part, la cession du contrat comme accessoire de la cession de l'immeuble grevé, d'autre part. La technicité du notaire sera primordiale pour assurer la parfaite exécution de la cession, qu'il faudra alors établir par acte authentique pour pouvoir en assurer la formalité de publicité foncière.
– Cession du contrat à titre principal. – Cette cession peut parfaitement s'envisager par le propriétaire qui souhaite se désengager, au profit d'un propriétaire voisin, qui reprendra les obligations souscrites par le cédant à charge de les exécuter sur sa propriété foncière. Dans ce cas, il faudra recueillir l'accord exprès du cocontractant qui deviendra le cédé au titre de l'article 1216-1 du Code civil afin de libérer le cédant de toute obligation à son égard au titre du contrat cédé.
La cession peut également s'envisager par le cocontractant de l'ORE, au profit d'une autre personne dont la nature lui permet de régulariser une telle obligation (collectivité publique, établissement public ou personne morale de droit privé agissant pour la protection de l'environnement). L'accord exprès du propriétaire-cédé sera obligatoire pour libérer le cédant de ses engagements souscrits au titre de l'ORE. Il conviendra alors, si des garanties ont été constituées au profit du propriétaire, d'en organiser également le transfert.
  • tout d'abord dès la rédaction de la convention contenant l'ORE, en prévoyant ab initio, l'accord de chaque cocontractant quant à une cession future du contrat : l'article 1216 du Code civil permet en effet cet accord initial, lequel aura pour effet de libérer le cédant pour l'avenir à compter de la prise d'effet de la cession de contrat. Attention toutefois, le cédé devra être notifié de la cession ou en prendre acte. Nous ne pouvons que conseiller ici l'intervention du cocontractant non propriétaire à l'acte de vente de l'immeuble grevé, pour lui permettre de prendre connaissance de la cession et, en tant que de besoin, libérer expressément le vendeur-cédant de tout engagement quant à l'exécution de l'ORE ;
  • si cela n'a pas été le cas, peut-être faudrait-il réfléchir à considérer les deux contrats que sont la cession de l'immeuble et la cession du contrat d'ORE comme deux contrats principaux (et non la cession de l'ORE comme accessoire de la cession d'immeuble). Il conviendrait alors de soumettre la cession de l'ORE à la condition suspensive de l'accord exprès du cocontractant. La double cession devant alors s'envisager comme deux opérations de sort lié, la non-réalisation de l'une entraînant de plein droit la caducité de l'autre. C'est une pratique assez connue des notaires, notamment en matière de cession conjointe d'un fonds de commerce et de l'immeuble dans lequel il est exploité.
– Cession du contrat concomitante à la vente de l'immeuble grevé de l'ORE. – En pratique, c'est la situation qui sera probablement le plus souvent rencontrée. Il conviendra, pour le notaire en charge d'une telle opération, d'être particulièrement rigoureux quant au traitement de l'ORE cédée à titre accessoire de l'immeuble vendu. En effet, une telle cession n'apparaîtra pas comme devant nécessiter l'accord du cocontractant de l'ORE (compte tenu de son caractère accessoire), et pourrait entraîner par conséquent le maintien du lien contractuel entre le vendeur-cédant et ce dernier. Le risque sera alors de voir le propriétaire-cessionnaire ne pas respecter les engagements souscrits par le vendeur-cédant au titre de l'ORE et donc de permettre au titulaire de l'ORE d'engager la responsabilité du vendeur-cédant, lequel ne maîtrisant plus le bien, sera de toute manière dans l'incapacité d'exécuter les obligations découlant de l'ORE. Pour éviter une telle situation, nous pouvons imaginer deux manières de procéder :
Il peut également être envisagé que, s'agissant d'une cession légale de contrat, la cession de l'immeuble grevé d'ORE engendre les mêmes conséquences que celles prévues par l'article 1743 du Code civil en matière de cession d'immeuble loué : le bail oblige l'acquéreur parce qu'il est transmis accessoirement à l'immeuble, et le vendeur est donc en principe libéré de toute obligation vis-à-vis du locataire par l'effet de cette transmission. Si le même régime devait être reconnu à la cession de l'immeuble grevé d'une ORE, il ne serait alors plus nécessaire de soumettre cette transmission à l'accord du cocontractant.