Une confiance limitée en cas d'autorégulation

Une confiance limitée en cas d'autorégulation

? Plateformes. ? La recherche de profits constitue l'objectif principal de toutes les plateformes qui fleurissent sur internet. Le profit est ici entendu au sens le plus large possible Netter, Numérique et grandes notions du droit privé, Ceprisca, coll. « Essais », 2019, p. 383, § 266 et s. . Ce but mercantile a pour unique objectif de contracter avec le consommateur, de n'importe où et à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. Plus il y aura d'entraves à cette finalité (informations claires, obligatoires, délai de rétractation…), moins l'objectif poursuivi sera satisfait. Pour atteindre le but recherché, il faut donc s'affranchir des règles trop restrictives ou contraignantes des législations locales E. Netter, Numérique et grandes notions du droit privé, Ceprisca, coll. « Essais », 2019, p. 387, § 269 et s. . Le premier moyen d'y arriver est de ne pas être soumis aux règles européennes ou à celles d'un État membre. Et, dans ce domaine, les plateformes étrangères excellent dans l'art de relever d'une législation plus libérale par un choix de loi approprié V. supra, nos et s. . Le second moyen consiste à inclure des clauses d'exclusion de responsabilité V. supra, no . . De plus, il est aisé de constater que la règle contractuelle n'est pas toujours accessible et intelligible V. supra, nos et s. et . . Il en va ainsi du contenu du contrat lui-même et des règles, dispositions auxquelles le contrat renvoie éventuellement. Lorsque la règle est accessible, elle n'est alors pas forcément intelligible. Ainsi les informations précontractuelles destinées à la parfaite information des consommateurs ne jouent pas leur rôle. La compréhension par les cocontractants du contenu de l'information numérique transmise avant et pendant l'exécution du contrat fait défaut. Ce défaut d'information crée un sentiment d'impunité et de toute-puissance générant de la défiance dans l'esprit des utilisateurs. Conscientes de cet écueil, les plateformes réagissent et entament une démarche d'adaptation aux législations nationales V. supra, no . . Ceci étant, elles se limitent au strict minimum, laissant à l'utilisateur la tâche de se renseigner sur les dispositions protectrices dont il pourrait se prévaloir. Dans ces conditions, l'autorégulation ne permet pas de créer une confiance suffisante à garantir la sécurité juridique des contractants.
? Blockchain . ? À l'origine, la blockchain s'est développée sur l'idée simple du Code is law, qui est devenu la devise des adeptes de la blockchain publique L. Lessig, Code. Version 2.0 : Harvard Magazine janv. 2000. et l'archétype de l'autorégulation. Les créateurs de la technologie blockchain La blockchain publique, seule blockchain digne de ce nom pour les puristes. poursuivaient quatre desseins précis. Ils cherchaient à échapper au contrôle étatique, à contourner les tiers de confiance, à neutraliser les politiques monétaires et à abolir les positions économiques dominantes N. Laurent-Bonne, La re-féodalisation du droit de la blockchain : Dalloz IP/IT juill.-août 2019, p. 416 et s. . Bref, ils cherchaient à s'affranchir de toute règle et de tout intermédiaire https://bitcoin.fr/the-crypto-anarchist-manifesto">Lien . Les informaticiens ont alors élaboré leurs propres valeurs, sans se soucier des conséquences qu'elles pouvaient avoir sur l'environnement du moment qu'elles satisfaisaient leurs idéaux. Aucune contrainte étatique ne doit entraver le développement de la technologie blockchain. Pire encore, pour certains auteurs, il paraît même exister une rivalité entre le droit et la blockchain. Cette dernière effectuerait le même travail qu'accomplit le droit, dans le monde ordinaire, vis-à-vis des transactions, de manière plus scientifique et infalsifiable A. Garapon et J. Lassègue, Justice digitale : révolution et rupture anthropologique, PUF, 2018, p. 139. . Ainsi le code informatique doit se suffire à lui-même et exclut le droit E. A. Caprioli, Mythes et légendes de la blockchain face à la pratique : Dalloz IP/IT juill.-août 2019, p. 429 et s. , il s'autorégule Y. Moreau, Enjeux de la technologie de blockchain : D. 2016, p. 1856. . Or, le code informatique présente deux qualités pour ses défenseurs : il est stable et prévisible Même si la pérennité a pu être remise en cause par « l'attaque des 51 % » ; cf., pour une explication plus précise, www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/micblocs/l15b1501_rapport-information#">Lien, p. 17. en étant totalement imperméable à tout changement ou évolution. Si ces qualités contribuent à la sécurité juridique V. supra, nos et s. , elles peuvent au contraire y nuire en créant un sentiment d'imprévisibilité et donc de défiance en cas de survenance d'un cas de force majeure. De plus, si le code informatique fait loi, il ne peut envisager sa défaillance. Car le code informatique a été conçu et créé pour supprimer les imperfections et les défaillances humaines. Si le code informatique est défaillant, ce sont ses propres fondements qui sont remis en cause. Enfin, la règle se doit également d'être accessible et intelligible. Or, le code informatique n'est pas accessible, faute d'avoir accès à la programmation informatique à l'origine de la blockchain pour des raisons évidentes de sécurité. Le code informatique n'est pas intelligible, faute de disposer des compétences informatiques suffisantes. Il est même totalement abscons et indéchiffrable pour les non-initiés. Il est donc inaccessible et inintelligible, générant ainsi de la défiance à l'égard de cet outil. Cette autorégulation est à l'origine de tous les abus Cf. le piratage de 50 millions de dollars en ethers dérobés auprès de la Decentralized Autonomous Organization (DAO) (www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/blockchain-un-fonds-se-fait-voler-50-millions-de-dollars-580431.html">Lien). .
C'est la raison pour laquelle sont développées des blockchains dites « privées » ou « de consortium » Cf. glossaire : Blockchain. , en réponse aux inconvénients de la blockchain publique. Ainsi, dans ces blockchains, les règles de fonctionnement sont établies préalablement. Le réseau est volontairement fermé et limité aux seuls membres ; il est alors aisé d'en définir les règles de qualification, de gouvernance, de responsabilité et de preuve. Ces règles et les modalités d'évolution sont préalablement portées à la connaissance de tout utilisateur. L'identité, la compétence et l'honorabilité des acteurs sont également connues de tous (développeurs, nœuds, mineurs, oracles) X. Vamparys, Blockchain : quelques réflexions sur la confiance 2.0 : JCP E 2018, no 41, 1520. . À noter qu'en la matière, la validité de principe des conventions sur la preuve est facilitée depuis la réforme du droit des contrats Ord. no 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations ; C. civ., art. 1356. . Il faut toutefois préciser que les règles du droit de la consommation limitent la validité des conventions sur la preuve prévoyant des dispositions établies au détriment du consommateur C. consom., art. R. 212-1 et R. 212-2. Cf., pour un exemple concret de jurisprudence, J.-D. Bretzner, B. Prat et A. Aynès, Panorama de droit de la preuve : D. 2020, p. 170. . Les règles étant dès lors stables, prévisibles, accessibles et intelligibles, il est fort probable que de telles blockchains gagnent rapidement la confiance des utilisateurs.
? Smart contract V. supra, nos et s. . ? En la matière, c'est l'autorégulation qui prime aujourd'hui. Les parties au contrat vont ainsi choisir la blockchain sur laquelle adosser le smart contract, la rédaction du contrat (totalement algorithmé ou non) et l'oracle. Ce dernier pourra être une entité humaine (personne physique ou personne morale), un logiciel, voire une communauté V. supra, nos et s. . À l'instar de la blockchain privée ou de consortium, l'exécution d'un smart contract nécessite le plus souvent la rédaction préalable d'un contrat, appelé « contrat fiat » V. supra, nos et ; V. Glossaire des termes numériques & juridiques complexes « Fiat ». . Ce contrat servira de base à l'élaboration de la partie algorithmée du smart contract. On y retrouvera également la nature et les conditions de l'intervention de l'oracle ainsi que ses responsabilités V. supra, nos et s. . La rédaction de ce contrat va nécessiter l'intervention de professionnels en amont. Les mathématiciens et les juristes vont devoir apprendre à travailler ensemble pour élaborer le smart contract A. Favreau, Entretien en visioconférence, 18 mars 2020 ; A. Favreau, Présentation du projet de recherche sur les smart contracts : Dalloz IP/IT janv. 2019, p. 33 et s. . L'autorégulation par les parties au contrat (accessibilité et intelligibilité), associée à l'intangibilité du code informatique V. supra, no . , favorise l'émergence d'une certaine confiance dans cette nouvelle technologie.