Un contrat ou une modalité d'exécution du contrat

Un contrat ou une modalité d'exécution du contrat

Smart contract, « contrat intelligent », « contrat automatisé », « contrat autonome » « contrat autoexécutant »… Ces dénominations tendent à identifier le smart contract à un contrat. Le choix des concepteurs crée la confusion et la question divise.
Qualifier juridiquement le smart contract au regard de la notion de contrat (§ I) , de ses modes de preuve (§ II) , et de ses modalités d'exécution (§ III) s'avère fondamental pour déterminer son régime juridique.

Le smart contract envisagé comme un contrat

Le contrat gouverne les rapports économiques et sociaux des parties. Il trouve sa place dans la pyramide de Kelsen comme un corps de règles ayant une autorité et une autonomie juridique.
Pour être reconnu comme un contrat, le smart contract doit répondre à différents critères.
? Acte d'organisation des rapports économiques et sociaux. ? Le contrat est un acte d'anticipation. Il a pour objectif de garantir aux parties une certaine maîtrise de leur avenir. Il organise l'exécution de leurs engagements. Il crée, modifie, transmet, éteint les obligations voulues par les parties (C. civ., art. 1101">Lien). En tant qu'acte d'organisation, il peut aller au-delà de la vie des obligations et déterminer les conséquences de leur non-exécution.
À l'instar du contrat, le smart contract est parfois considéré comme « l'avenir anticipé, du futur irrévocablement engagé » F. Ost, Temps et contrat : Annales de droit de Louvain 1999, p. 17. . L'automatisation smart contractuelle apparaît comme l'anticipation de l'avenir. Son enregistrement sur la blockchain rend son exécution irrévocable.
? Autorité juridique. ? Pour Hans Kelsen, le contrat est un acte juridique créateur de normes au même titre que la loi. Sa particularité et ce qui l'en distingue tiennent à ce qu'un accord de volonté (C. civ., art. 1101">Lien) est à l'origine de sa création H. Kelsen, Théorie pure du droit, 1960, trad. fr. de la 2e édition de la Reine Rechslehre par C. Eisenmann, Dalloz, 1962, p. 344-345. .
Reconnaître une autorité juridique au smart contract revient à admettre qu'il crée du droit. Le smart contract est avant tout un programme informatique. Il met en œuvre la boucle conditionnelle « If this… then that… » voulue par les parties. Elle est un moyen choisi par les parties parmi d'autres.
Le smart contract produit des effets juridiques, mais il n'a pas d'autorité juridique lui-même. « Les algorithmes régulent, mais c'est le droit qui dicte les modalités de régulation » L. Godefroy, Le code algorithmique au service du droit : D. 2018, p. 734 et s. .

Au regard de l'autorité juridique, considérer le comme un contrat, c'est confondre la fonction exécutante avec le donneur d'ordre.

? Autonomie juridique. ? En tant que norme, le contrat est un acte autonome. Cette autonomie est limitée par son effet relatif entre les parties. Il s'impose aux personnes l'ayant voulu dans le respect des lois impératives.
Certains défendent l'idée d'un smart contract code www.blockchains-expert.com/smart-contracts-peuvent-etre-appliques-a-nos-vies-de-jours/">Lien, consulté le 9 novembre 2020. , réduisant le contrat au seul code informatique. Le smart contract aurait la même autonomie juridique qu'un contrat.
Le smart contrat n'a de valeur juridique que parce que les cocontractants l'ont choisi pour organiser la boucle conditionnelle prévue au contrat. Le smart contract est distinct du contrat qu'il met en œuvre. Il en est l'accessoire. Il est sous la dépendance du contrat. Son autonomie est essentiellement technique. Il exécute de manière autonome la boucle conditionnelle préalablement programmée pour exécuter le contrat.

Le est l'accessoire du contrat qu'il met en œuvre.

? Contenu du contrat. ? La notion de « contenu » du contrat a été introduite par l'ordonnance du 10 février 2016 Ord. no 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : JO 11 févr. 2016, no 35, texte no 26. . Il doit être licite et certain (C. civ., art. 1128, 3o ">Lien). La licéité du contrat est une condition de sa validité. Mais le smart contract peut être utilisé pour mettre en œuvre un accord illicite. Par exemple, des concurrents pourraient s'entendre sur une stratégie tarifaire et l'ancrer dans un smart contract pour appliquer automatiquement le prix convenu. L'automaticité garantit les parties à l'entente qu'aucune d'entre elles n'y mettra brusquement fin L. Bettoni, Problématiques soulevées par la blockchain en droit de la concurrence : Contrats, conc. consom. 2020, no 3. . L'objet illicite du smart contract n'est pas un obstacle à son enregistrement sur la blockchain. Ainsi, l'utilisation des smart contracts « transforme (…) les ententes illégales en jeux coopératifs » Th. Schrepel, Ententes algorithmiques et ententes par blockchain : D. 2020, p. 1244 et s.
? Support du contrat. ? Pour certains, le smart contract s'analyserait comme un contrat sui generis. « [L]'intention déclarée, acte juridique unilatéral, n'est pas dissociable de la conclusion ou de l'exécution du contrat, mais fait partie intégrante de ce dernier » B. Ancel, Les smart contracts : révolution sociétale ou nouvelle boîte de Pandore ? Regard comparatiste : Comm. com. électr. juill.-août 2018, no 7-8,p. 15 et s., no 10. . Le negotium se déduit de l'instrumentum. Le seul smart contract, sans contrat préalable ou concomitant, programmé dans la blockchain suffirait à constater l'accord de volontés.
La méprise entre le contrat et le smart contract vient notamment de la confusion entre l'accord de volontés et son support. Le contrat est le fruit de la rencontre des volontés V. supra, no . , lesquelles peuvent « résulter d'une déclaration ou d'un comportement non équivoque » (C. civ., art. 1113">Lien). Le principe du consensualisme est retenu dans la plupart des systèmes juridiques occidentaux. Il relève d'une certaine instantanéité. Le contrat existe dès l'accord entre les parties. Peu importe qu'il se matérialise ensuite par une poignée de main, par un écrit À titre exceptionnel et compte tenu de la gravité de certains actes, l'écrit est parfois exigé ad validitatem. C'est le cas notamment du cautionnement par une personne physique au bénéfice d'un créancier professionnel, du prêt à intérêt, du contrat de franchise, de la vente de fonds de commerce, du contrat de consommation… l'écrit n'est pas toujours clairement défini comme une condition de validité, mais les mentions obligatoires l'imposent. , ou par un smart contract https://jeromegiustiblog.wordpress.com/2016/05/27/les-smart-contracts-sont-ils-des-contrats/">Lien, consulté le 9 novembre 2020. .

Le est-il un contrat ?Éléments de réponse apportés par nos pays voisins

Les juristes occidentaux considèrent majoritairement que le smart contract n'est pas un contrat.
Au Royaume-Uni, les juristes excluent l'éventualité de lier entre elles les parties par un système automatisé.
Me Gillioz, avocat à Genève, lève trois oppositions à la qualification juridique de contrat du smart contract. Le code informatique est dénué d'autonomie. Un contrat ne peut être codé dans son entier. Seules les clauses opérationnelles peuvent faire l'objet d'un codage. Le code n'aura un caractère exécutoire que si la loi ou le contrat le permet.
En Belgique, le principe du consensualisme domine le droit des contrats. M. Marique a consacré une étude au smart contract au regard du droit belge. Il écarte la qualification de contrat du smart contract. La formation du contrat ne peut avoir lieu par son inscription sur une blockchain. Qualifié de « néant contractuel », l'intervalle entre l'accord et son inscription est contraire au principe du consensualisme. La technique des proofs of work nécessite une puissance de calcul importante. La technologie donne priorité aux parties prêtes à payer pour que leur contrat soit inscrit sur la chaîne. L'inexorabilité du smart contract porte par ailleurs atteinte à la liberté de contracter ; les parties ne pouvant pas décider de laisser le contrat inexécuté ou de le modifier. Ces réflexions amènent à la conclusion que « les smart contracts ne peuvent être qu'un accessoire à un contrat principal ».
En revanche, l'Arizona a reconnu l'existence du smart contract dans une loi de mars 2017 : « Une signature sécurisée par la technologie blockchain est considérée comme sous forme électronique et comme signature électronique. Un enregistrement ou un contrat qui est sécurisé par la technologie blockchain est considéré comme étant sous forme électronique. Des contrats intelligents peuvent exister dans le commerce. Un contrat relatif à une transaction ne peut se voir refuser l'effet juridique, la validité ou la force exécutoire ».
Sur le plan juridique, le smart contract ne répond pas à la définition du contrat.
Sur le plan idéologique, défendre l'idée d'un smart contract code www.blockchains-expert.com/smart-contracts-peuvent-etre-appliques-a-nos-vies-de-jours/">Lien, consulté le 28 mars 2020. , réduisant le contrat au seul protocole informatique, est une démarche dangereuse M. Mekki, L'avenir du droit des contrats réside-t-il dans les smart contracts ?, in Mél. Pignarre, LGDJ, 2018, p. 585 et s. . Le contrat est et doit rester l'accord des parties. Il ne s'agit aucunement de nier l'intérêt du smart contract, mais de lui concéder la bonne place dans le processus contractuel. Il n'a pas vocation à remplacer les outils juridiques existants, mais à les compléter efficacement.
Il pourrait être utilisé afin de prouver son existence et son contenu (C. civ., art. 1359">Lien) (§ II) .

Le smart contract envisagé comme mode de preuve du contrat

? Le principe de la preuve littérale. ? L'acte juridique se prouve par écrit (C. civ., art. 1359">Lien). Un écrit est une suite de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d'une signification intelligible, quel que soit leur support (C. civ., art. 1365">Lien). Le code informatique est une suite de caractères répondant incontestablement à la première partie de la définition de l'écrit.
Les parties doivent être identifiables. Leur identité ne doit pas nécessairement être révélée. En revanche, l'identifiant doit permettre de relier l'écrit au contractant (C. civ., art. 1366">Lien).
? L'intelligibilité V. supra, nos et . . ? L'intelligibilité du smart contract pose question à deux niveaux.
Il est théoriquement l'image codée de l'accord des parties. En réalité, c'est un procédé technique et non un contrat. Il exécute le code transcrit par un programmeur et s'impose à des parties ne le comprenant pas nécessairement. Peut-on considérer qu'un code est intelligible parce qu'il est compris par un programmeur alors qu'il ne l'est pas par les cocontractants eux-mêmes ?
Il transcrit uniquement les clauses opérationnelles du contrat. Déterministe, le smart contract s'actionne lorsque les conditions fixées sont remplies. Prise séparément du contrat, il s'agit d'une application logicielle ne reflétant pas un contexte, une négociation ou un rapport humain. Le smart contract ne permet pas de comprendre la raison motivant sa mise en place. Il permet son exécution pratique. Le smart contract est donc une suite de caractères lisibles, mais peut-on dire qu'il est intelligible ex nihilo ? Il est permis d'en douter.
? La signature. ? La signature est l'élément matériel reliant l'écrit au contractant (C. civ., art. 1366">Lien). Le règlement dit « eIDAS » Règl. no 910/2014, 23 juill. 2014, art. 26. en distingue trois catégories : simple, avancée et qualifiée. Seule la dernière bénéficie de la présomption de fiabilité de l'article 1367 du Code civil (C. civ., art. 1367">Lien) V. supra, nos , et s. . Une signature qualifiée est un dispositif exclusivement lié au signataire et permettant de l'identifier. Toute modification ultérieure à la signature doit être visible. Un prestataire de confiance délivre un certificat attestant de la réunion de ces conditions V. supra, no . .
Une blockchain publique fonctionne avec des clés asymétriques V. supra, no . . Seul son détenteur connaît la clé privée. Elle permet au destinataire de déchiffrer le message. Le chiffrement asymétrique permet de déterminer l'expéditeur d'un message, car la clé privée est propre à un participant donné. En revanche, il ne l'oblige pas à révéler son identité T. Verbiest, Quelle valeur juridique pour les smart contracts ? : Rev. Lamy dr. aff. 2017, no 6294. . À l'inverse, une blockchain privée ou hybride limite les participants ou les contraint à se dévoiler. Le lien entre la signature et le signataire peut être établi.
Un smart contract déployé sur une blockchain s'approuve par le biais des clés asymétriques de chacun des utilisateurs. En l'absence d'identification, cette validation ne peut pas être considérée comme une signature électronique qualifiée. Elle ne bénéficie donc pas de la présomption de fiabilité de l'article 1367 du Code civil (C. civ., art. 1367">Lien). Un tribunal ne peut pas l'accepter sur le seul fondement de sa forme. En revanche, l'effet juridique et la recevabilité d'une signature électronique ne peuvent être refusés par les tribunaux au seul motif que cette signature se présente sous une forme électronique ou qu'elle ne satisfait pas aux exigences de la signature électronique qualifiée Règl. no 910/2014, 23 juill. 2014, art. 25. .
Techniquement, ajouter à la blockchain une fonctionnalité de signature qualifiée est envisageable. Cette voie permettrait de présumer fiable la signature du smart contract.
Toutefois, l'intervention d'un tiers certificateur semble contraire à l'idéologie de la blockchain. Sans atteindre l'efficacité d'une signature qualifiée au regard de la présomption de fiabilité, des startups proposent des solutions pour une meilleure gestion de l'identité numérique. Par exemple, uPort a mis en place des contrats de proxy Composant logiciel informatique jouant le rôle d'intermédiaire entre deux hôtes dans le but de faciliter ou surveiller leurs échanges. sur la blockchain Ethereum. Destinés à jouer le rôle d'intermédiaire de confiance, ils renforcent la qualité de l'identification des parties https://medium.com/uport/different-approaches-to-ethereum-identity-standards-a09488347c87">Lien, consulté le 9 novembre 2020. . La jurisprudence récente témoigne de la volonté de la Cour de cassation d'apprécier la fiabilité au cas par cas, sans se borner à la constatation de la seule absence d'une signature qualifiée Cass. 1re civ., 6 avr. 2016, no 15-10.732, inédit. . Actuellement, ces procédés non sécurisés au regard de la loi ne peuvent pas être considérés comme un mode de preuve infaillible. Mais les tribunaux peuvent les considérer comme recevables.
Au regard de sa forme indéchiffrable par les parties auxquelles le smart contract s'impose et à son mode de signature ne répondant pas à la présomption de fiabilité, le smart contract ne peut pas avoir la nature d'écrit.
L'efficacité mise en avant par ses promoteurs plaide pour un mode d'exécution du contrat (§ III) .

Le smart contract envisagé comme mode d'exécution du contrat

? L'exécution du code par le smart contract . ? Les parties décidant dans le contrat de l'exécution de leurs obligations via un smart contract acceptent :
  • son automaticité : le smart contract soustrait l'exécution du contrat à leur volonté. Le contrat traduit informatiquement sera appliqué dans tous les cas prévus par la boucle conditionnelle « If this… Then that… » voulue par les parties. L'exécution du contrat ne relève pas du bon vouloir du débiteur, ni de ses capacités financières, mais de l'accomplissement de conditions prédéfinies ;
  • son déterminisme : l'accomplissement de telle condition a toujours la même conséquence ;
  • son irréversibilité : la blockchain est considérée comme un dispositif d'enregistrement infaillible. Or, le smart contract étant une application de la blockchain, il en emprunte les caractéristiques. La boucle conditionnelle programmée et enregistrée sur la blockchain en vertu du contrat s'appliquera en toutes circonstances.
L'ensemble de ses caractéristiques font incontestablement du smart contract un mode d'exécution de la boucle conditionnelle. Le smart contract applique le code informatique lui ayant été dicté. Qu'il devienne un mode d'exécution du contrat dépend de la qualité de la traduction. Résultat d'un programme, il ne préjuge pas de la validité des conditions convenues. Il est aveugle à l'accord des parties. Seule la qualité de la programmation permet au smart contract d'exécuter le contrat conformément à la volonté des parties.
Le smart contract est un programme informatique, non un dispositif juridique. Le qualifier juridiquement en tant que mode d'exécution permet cependant de mieux cerner sa fonction.