Des qualifications juridiques du smart contract

Des qualifications juridiques du smart contract

Le smart contract traduit la volonté des parties de manière simple et fiable dans un code informatique réputé immuable. Le procédé est séduisant, mais suscite de nombreux questionnements au regard de sa qualification juridique. Est-il un contrat ou l'une de ses modalités d'exécution ? (Sous-section I) . Plus largement, doit-il être qualifié d'acte ou de fait juridique ? (Sous-section II) .

Un contrat ou une modalité d'exécution du contrat

Smart contract, « contrat intelligent », « contrat automatisé », « contrat autonome » « contrat autoexécutant »… Ces dénominations tendent à identifier le smart contract à un contrat. Le choix des concepteurs crée la confusion et la question divise.
Qualifier juridiquement le smart contract au regard de la notion de contrat (§ I) , de ses modes de preuve (§ II) , et de ses modalités d'exécution (§ III) s'avère fondamental pour déterminer son régime juridique.

Le smart contract envisagé comme un contrat

Le contrat gouverne les rapports économiques et sociaux des parties. Il trouve sa place dans la pyramide de Kelsen comme un corps de règles ayant une autorité et une autonomie juridique.
Pour être reconnu comme un contrat, le smart contract doit répondre à différents critères.
? Acte d'organisation des rapports économiques et sociaux. ? Le contrat est un acte d'anticipation. Il a pour objectif de garantir aux parties une certaine maîtrise de leur avenir. Il organise l'exécution de leurs engagements. Il crée, modifie, transmet, éteint les obligations voulues par les parties (C. civ., art. 1101">Lien). En tant qu'acte d'organisation, il peut aller au-delà de la vie des obligations et déterminer les conséquences de leur non-exécution.
À l'instar du contrat, le smart contract est parfois considéré comme « l'avenir anticipé, du futur irrévocablement engagé » F. Ost, Temps et contrat : Annales de droit de Louvain 1999, p. 17. . L'automatisation smart contractuelle apparaît comme l'anticipation de l'avenir. Son enregistrement sur la blockchain rend son exécution irrévocable.
? Autorité juridique. ? Pour Hans Kelsen, le contrat est un acte juridique créateur de normes au même titre que la loi. Sa particularité et ce qui l'en distingue tiennent à ce qu'un accord de volonté (C. civ., art. 1101">Lien) est à l'origine de sa création H. Kelsen, Théorie pure du droit, 1960, trad. fr. de la 2e édition de la Reine Rechslehre par C. Eisenmann, Dalloz, 1962, p. 344-345. .
Reconnaître une autorité juridique au smart contract revient à admettre qu'il crée du droit. Le smart contract est avant tout un programme informatique. Il met en œuvre la boucle conditionnelle « If this… then that… » voulue par les parties. Elle est un moyen choisi par les parties parmi d'autres.
Le smart contract produit des effets juridiques, mais il n'a pas d'autorité juridique lui-même. « Les algorithmes régulent, mais c'est le droit qui dicte les modalités de régulation » L. Godefroy, Le code algorithmique au service du droit : D. 2018, p. 734 et s. .

Au regard de l'autorité juridique, considérer le comme un contrat, c'est confondre la fonction exécutante avec le donneur d'ordre.

? Autonomie juridique. ? En tant que norme, le contrat est un acte autonome. Cette autonomie est limitée par son effet relatif entre les parties. Il s'impose aux personnes l'ayant voulu dans le respect des lois impératives.
Certains défendent l'idée d'un smart contract code www.blockchains-expert.com/smart-contracts-peuvent-etre-appliques-a-nos-vies-de-jours/">Lien, consulté le 9 novembre 2020. , réduisant le contrat au seul code informatique. Le smart contract aurait la même autonomie juridique qu'un contrat.
Le smart contrat n'a de valeur juridique que parce que les cocontractants l'ont choisi pour organiser la boucle conditionnelle prévue au contrat. Le smart contract est distinct du contrat qu'il met en œuvre. Il en est l'accessoire. Il est sous la dépendance du contrat. Son autonomie est essentiellement technique. Il exécute de manière autonome la boucle conditionnelle préalablement programmée pour exécuter le contrat.

Le est l'accessoire du contrat qu'il met en œuvre.

? Contenu du contrat. ? La notion de « contenu » du contrat a été introduite par l'ordonnance du 10 février 2016 Ord. no 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : JO 11 févr. 2016, no 35, texte no 26. . Il doit être licite et certain (C. civ., art. 1128, 3o ">Lien). La licéité du contrat est une condition de sa validité. Mais le smart contract peut être utilisé pour mettre en œuvre un accord illicite. Par exemple, des concurrents pourraient s'entendre sur une stratégie tarifaire et l'ancrer dans un smart contract pour appliquer automatiquement le prix convenu. L'automaticité garantit les parties à l'entente qu'aucune d'entre elles n'y mettra brusquement fin L. Bettoni, Problématiques soulevées par la blockchain en droit de la concurrence : Contrats, conc. consom. 2020, no 3. . L'objet illicite du smart contract n'est pas un obstacle à son enregistrement sur la blockchain. Ainsi, l'utilisation des smart contracts « transforme (…) les ententes illégales en jeux coopératifs » Th. Schrepel, Ententes algorithmiques et ententes par blockchain : D. 2020, p. 1244 et s.
? Support du contrat. ? Pour certains, le smart contract s'analyserait comme un contrat sui generis. « [L]'intention déclarée, acte juridique unilatéral, n'est pas dissociable de la conclusion ou de l'exécution du contrat, mais fait partie intégrante de ce dernier » B. Ancel, Les smart contracts : révolution sociétale ou nouvelle boîte de Pandore ? Regard comparatiste : Comm. com. électr. juill.-août 2018, no 7-8,p. 15 et s., no 10. . Le negotium se déduit de l'instrumentum. Le seul smart contract, sans contrat préalable ou concomitant, programmé dans la blockchain suffirait à constater l'accord de volontés.
La méprise entre le contrat et le smart contract vient notamment de la confusion entre l'accord de volontés et son support. Le contrat est le fruit de la rencontre des volontés V. supra, no . , lesquelles peuvent « résulter d'une déclaration ou d'un comportement non équivoque » (C. civ., art. 1113">Lien). Le principe du consensualisme est retenu dans la plupart des systèmes juridiques occidentaux. Il relève d'une certaine instantanéité. Le contrat existe dès l'accord entre les parties. Peu importe qu'il se matérialise ensuite par une poignée de main, par un écrit À titre exceptionnel et compte tenu de la gravité de certains actes, l'écrit est parfois exigé ad validitatem. C'est le cas notamment du cautionnement par une personne physique au bénéfice d'un créancier professionnel, du prêt à intérêt, du contrat de franchise, de la vente de fonds de commerce, du contrat de consommation… l'écrit n'est pas toujours clairement défini comme une condition de validité, mais les mentions obligatoires l'imposent. , ou par un smart contract https://jeromegiustiblog.wordpress.com/2016/05/27/les-smart-contracts-sont-ils-des-contrats/">Lien, consulté le 9 novembre 2020. .

Le est-il un contrat ?Éléments de réponse apportés par nos pays voisins

Les juristes occidentaux considèrent majoritairement que le smart contract n'est pas un contrat.
Au Royaume-Uni, les juristes excluent l'éventualité de lier entre elles les parties par un système automatisé.
Me Gillioz, avocat à Genève, lève trois oppositions à la qualification juridique de contrat du smart contract. Le code informatique est dénué d'autonomie. Un contrat ne peut être codé dans son entier. Seules les clauses opérationnelles peuvent faire l'objet d'un codage. Le code n'aura un caractère exécutoire que si la loi ou le contrat le permet.
En Belgique, le principe du consensualisme domine le droit des contrats. M. Marique a consacré une étude au smart contract au regard du droit belge. Il écarte la qualification de contrat du smart contract. La formation du contrat ne peut avoir lieu par son inscription sur une blockchain. Qualifié de « néant contractuel », l'intervalle entre l'accord et son inscription est contraire au principe du consensualisme. La technique des proofs of work nécessite une puissance de calcul importante. La technologie donne priorité aux parties prêtes à payer pour que leur contrat soit inscrit sur la chaîne. L'inexorabilité du smart contract porte par ailleurs atteinte à la liberté de contracter ; les parties ne pouvant pas décider de laisser le contrat inexécuté ou de le modifier. Ces réflexions amènent à la conclusion que « les smart contracts ne peuvent être qu'un accessoire à un contrat principal ».
En revanche, l'Arizona a reconnu l'existence du smart contract dans une loi de mars 2017 : « Une signature sécurisée par la technologie blockchain est considérée comme sous forme électronique et comme signature électronique. Un enregistrement ou un contrat qui est sécurisé par la technologie blockchain est considéré comme étant sous forme électronique. Des contrats intelligents peuvent exister dans le commerce. Un contrat relatif à une transaction ne peut se voir refuser l'effet juridique, la validité ou la force exécutoire ».
Sur le plan juridique, le smart contract ne répond pas à la définition du contrat.
Sur le plan idéologique, défendre l'idée d'un smart contract code www.blockchains-expert.com/smart-contracts-peuvent-etre-appliques-a-nos-vies-de-jours/">Lien, consulté le 28 mars 2020. , réduisant le contrat au seul protocole informatique, est une démarche dangereuse M. Mekki, L'avenir du droit des contrats réside-t-il dans les smart contracts ?, in Mél. Pignarre, LGDJ, 2018, p. 585 et s. . Le contrat est et doit rester l'accord des parties. Il ne s'agit aucunement de nier l'intérêt du smart contract, mais de lui concéder la bonne place dans le processus contractuel. Il n'a pas vocation à remplacer les outils juridiques existants, mais à les compléter efficacement.
Il pourrait être utilisé afin de prouver son existence et son contenu (C. civ., art. 1359">Lien) (§ II) .

Le smart contract envisagé comme mode de preuve du contrat

? Le principe de la preuve littérale. ? L'acte juridique se prouve par écrit (C. civ., art. 1359">Lien). Un écrit est une suite de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d'une signification intelligible, quel que soit leur support (C. civ., art. 1365">Lien). Le code informatique est une suite de caractères répondant incontestablement à la première partie de la définition de l'écrit.
Les parties doivent être identifiables. Leur identité ne doit pas nécessairement être révélée. En revanche, l'identifiant doit permettre de relier l'écrit au contractant (C. civ., art. 1366">Lien).
? L'intelligibilité V. supra, nos et . . ? L'intelligibilité du smart contract pose question à deux niveaux.
Il est théoriquement l'image codée de l'accord des parties. En réalité, c'est un procédé technique et non un contrat. Il exécute le code transcrit par un programmeur et s'impose à des parties ne le comprenant pas nécessairement. Peut-on considérer qu'un code est intelligible parce qu'il est compris par un programmeur alors qu'il ne l'est pas par les cocontractants eux-mêmes ?
Il transcrit uniquement les clauses opérationnelles du contrat. Déterministe, le smart contract s'actionne lorsque les conditions fixées sont remplies. Prise séparément du contrat, il s'agit d'une application logicielle ne reflétant pas un contexte, une négociation ou un rapport humain. Le smart contract ne permet pas de comprendre la raison motivant sa mise en place. Il permet son exécution pratique. Le smart contract est donc une suite de caractères lisibles, mais peut-on dire qu'il est intelligible ex nihilo ? Il est permis d'en douter.
? La signature. ? La signature est l'élément matériel reliant l'écrit au contractant (C. civ., art. 1366">Lien). Le règlement dit « eIDAS » Règl. no 910/2014, 23 juill. 2014, art. 26. en distingue trois catégories : simple, avancée et qualifiée. Seule la dernière bénéficie de la présomption de fiabilité de l'article 1367 du Code civil (C. civ., art. 1367">Lien) V. supra, nos , et s. . Une signature qualifiée est un dispositif exclusivement lié au signataire et permettant de l'identifier. Toute modification ultérieure à la signature doit être visible. Un prestataire de confiance délivre un certificat attestant de la réunion de ces conditions V. supra, no . .
Une blockchain publique fonctionne avec des clés asymétriques V. supra, no . . Seul son détenteur connaît la clé privée. Elle permet au destinataire de déchiffrer le message. Le chiffrement asymétrique permet de déterminer l'expéditeur d'un message, car la clé privée est propre à un participant donné. En revanche, il ne l'oblige pas à révéler son identité T. Verbiest, Quelle valeur juridique pour les smart contracts ? : Rev. Lamy dr. aff. 2017, no 6294. . À l'inverse, une blockchain privée ou hybride limite les participants ou les contraint à se dévoiler. Le lien entre la signature et le signataire peut être établi.
Un smart contract déployé sur une blockchain s'approuve par le biais des clés asymétriques de chacun des utilisateurs. En l'absence d'identification, cette validation ne peut pas être considérée comme une signature électronique qualifiée. Elle ne bénéficie donc pas de la présomption de fiabilité de l'article 1367 du Code civil (C. civ., art. 1367">Lien). Un tribunal ne peut pas l'accepter sur le seul fondement de sa forme. En revanche, l'effet juridique et la recevabilité d'une signature électronique ne peuvent être refusés par les tribunaux au seul motif que cette signature se présente sous une forme électronique ou qu'elle ne satisfait pas aux exigences de la signature électronique qualifiée Règl. no 910/2014, 23 juill. 2014, art. 25. .
Techniquement, ajouter à la blockchain une fonctionnalité de signature qualifiée est envisageable. Cette voie permettrait de présumer fiable la signature du smart contract.
Toutefois, l'intervention d'un tiers certificateur semble contraire à l'idéologie de la blockchain. Sans atteindre l'efficacité d'une signature qualifiée au regard de la présomption de fiabilité, des startups proposent des solutions pour une meilleure gestion de l'identité numérique. Par exemple, uPort a mis en place des contrats de proxy Composant logiciel informatique jouant le rôle d'intermédiaire entre deux hôtes dans le but de faciliter ou surveiller leurs échanges. sur la blockchain Ethereum. Destinés à jouer le rôle d'intermédiaire de confiance, ils renforcent la qualité de l'identification des parties https://medium.com/uport/different-approaches-to-ethereum-identity-standards-a09488347c87">Lien, consulté le 9 novembre 2020. . La jurisprudence récente témoigne de la volonté de la Cour de cassation d'apprécier la fiabilité au cas par cas, sans se borner à la constatation de la seule absence d'une signature qualifiée Cass. 1re civ., 6 avr. 2016, no 15-10.732, inédit. . Actuellement, ces procédés non sécurisés au regard de la loi ne peuvent pas être considérés comme un mode de preuve infaillible. Mais les tribunaux peuvent les considérer comme recevables.
Au regard de sa forme indéchiffrable par les parties auxquelles le smart contract s'impose et à son mode de signature ne répondant pas à la présomption de fiabilité, le smart contract ne peut pas avoir la nature d'écrit.
L'efficacité mise en avant par ses promoteurs plaide pour un mode d'exécution du contrat (§ III) .

Le smart contract envisagé comme mode d'exécution du contrat

? L'exécution du code par le smart contract . ? Les parties décidant dans le contrat de l'exécution de leurs obligations via un smart contract acceptent :
  • son automaticité : le smart contract soustrait l'exécution du contrat à leur volonté. Le contrat traduit informatiquement sera appliqué dans tous les cas prévus par la boucle conditionnelle « If this… Then that… » voulue par les parties. L'exécution du contrat ne relève pas du bon vouloir du débiteur, ni de ses capacités financières, mais de l'accomplissement de conditions prédéfinies ;
  • son déterminisme : l'accomplissement de telle condition a toujours la même conséquence ;
  • son irréversibilité : la blockchain est considérée comme un dispositif d'enregistrement infaillible. Or, le smart contract étant une application de la blockchain, il en emprunte les caractéristiques. La boucle conditionnelle programmée et enregistrée sur la blockchain en vertu du contrat s'appliquera en toutes circonstances.
L'ensemble de ses caractéristiques font incontestablement du smart contract un mode d'exécution de la boucle conditionnelle. Le smart contract applique le code informatique lui ayant été dicté. Qu'il devienne un mode d'exécution du contrat dépend de la qualité de la traduction. Résultat d'un programme, il ne préjuge pas de la validité des conditions convenues. Il est aveugle à l'accord des parties. Seule la qualité de la programmation permet au smart contract d'exécuter le contrat conformément à la volonté des parties.
Le smart contract est un programme informatique, non un dispositif juridique. Le qualifier juridiquement en tant que mode d'exécution permet cependant de mieux cerner sa fonction.

Un acte ou un fait juridique

À première vue théorique, le clivage entre « acte juridique » et « fait juridique » a des enjeux pratiques importants (§ I) . La définition légale de l'acte juridique et l'étude de la jurisprudence donnent des éléments de réponse à la question de la qualification du smart contract (§ II) .

Les enjeux du débat

Enfermer le smart contract dans une opposition bipartite peut sembler artificiel. Cette approche revient à considérer l'acte de qualifier comme une opération de classement sans autre objectif https://books.openedition.org/putc/915?lang=fr#">Lien, no 24, consulté le 9 novembre 2020. . Mais la qualification transforme le fait en droit. Elle « permet de saisir le réel » F. Terré, L'influence de la volonté individuelle sur les qualifications, LGDJ, 1957, no 636. . Au-delà de son effet structurant, la qualification emporte l'application d'un régime juridique.
L'acte juridique se définit comme une manifestation de volonté ayant l'objectif de produire un effet juridique G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 13e éd., 2020, p. 19. . Le fait juridique est un agissement intentionnel ou non auquel la loi attache une conséquence juridique G. Cornu, Vocabulaire juridique, op. cit., p. 444-445. . La distinction ne tient pas à l'intention d'agir, mais à la volonté d'engendrer un effet de droit. « Les réalités concrètes rendent les qualifications extrêmement difficiles » F. Terré, L'influence de la volonté individuelle sur les qualifications, op. cit., no 636. .

L'acte juridique dans les droits anglo-saxons : éléments de réflexion

Les droits anglo-saxons ne connaissent pas l'acte juridique. Néanmoins, ils retiennent également une classification bipartite. Le contract est une promesse ou un accord entre les parties. Il les engage. Le tort est la situation dans laquelle la violation d'une règle de droit, d'un devoir légal ou moral oblige la personne qui l'a commise à réparer le dommage causé. Comme en droit français, la notion de volonté est déterminante. Le contract est un acte de volonté tandis que le tort crée des effets de droit non recherchés.
La Common Law est basée sur une approche casuistique. Les droits anglo-saxons se fondent sur les précédents cas jugés pour classifier chaque situation. La logique est inverse au droit latin. Pourtant, l'objectif est similaire au droit français : qualifier. Chaque tort a un régime juridique. Il diffère selon la matière, qu'il s'agisse de la preuve, de la responsabilité, etc.
Ce regard porté sur le droit anglo-saxon atteste du bien-fondé de la démarche de qualification juridique du smart contract. Ce n'est pas une problématique franco-française, mais bien une étape nécessaire à l'application du droit.
? Capacité. ? À la différence du fait juridique, l'acte juridique suppose la capacité des parties. La volonté sous-tend la capacité. Une personne à l'origine d'une opération doit pouvoir appréhender les conséquences de sa décision.
? Preuve. ? La qualification entre acte ou fait juridique présente un enjeu de taille en la matière. La preuve du fait juridique est libre. Celle de l'acte juridique est préconstituée par un écrit (C. civ., art. 1364">Lien).
? Autonomie. ? Les actes juridiques peuvent vivre par eux-mêmes. Ils ont une existence propre. Les faits juridiques licites (quasi-contrats) et illicites (délits et quasi-délits) doivent être reconnus en justice J. Carbonnier, Droit civil, Les biens, les obligations, PUF, 2002, no 314. .

Des éléments de réponse

? Confrontation du smart contract à l'acte juridique. ? Le smart contract n'est pas un contrat. Cela ne signifie pas que le smart contract ne soit pas un acte juridique. Confronter le mécanisme du smart contract à la définition légale de l'acte juridique alimente la réflexion.
? Caractéristiques de l'acte juridique. ? Les actes juridiques sont définis dans une approche chronologique C. Brenner et S. Lequette, Théorie générale de l'acte juridique : Rép. dr. civ. Dalloz, févr. 2019, nos 22 et s. comme « des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. Ils peuvent être conventionnels ou unilatéraux » (C. civ., art. 1100-1">Lien).
L'opération d'ensemble se compose de trois éléments : une manifestation de volonté, des effets de droit et un lien entre les deux.
? La manifestation de volonté. ? La manifestation de la volonté constitue le fait générateur. Le passage à l'acte reflète la liberté des parties à l'origine de la situation juridique créée. À l'inverse, le fait juridique a des effets juridiques malgré lui. La dimension intentionnelle oppose l'acte volontaire au fait.
La volonté apparaît comme un élément fort de la définition de l'acte juridique. Elle est l'expression de l'autonomie de chaque individu dans l'organisation d'une situation juridique. Sa manifestation n'est pas toujours tranchée de manière nette. Par exemple, le contrat d'adhésion est considéré comme un acte juridique (C. civ., art. 1110, al. 2">Lien). La nature d'acte juridique apparaît logique s'agissant d'un contrat. Mais, elle prête à interrogation au regard de l'élément psychologique. En effet, la manifestation de la volonté est mince dans un acte d'adhésion. En général, l'acceptation porte uniquement sur l'obligation principale. L'ensemble des autres effets créés par le contrat sont voulus par la partie forte et subis par la partie faible.
Lors de la mise en place d'un smart contract, le programmeur est généralement mandaté par une partie forte. Peu de place est laissée à la volonté de la partie faible. Le smart contract fonctionne sur un processus « If this… then that… ». La partie faible subit l'exécution automatique des conditions fixées par la partie forte. Pour autant, cela n'est pas suffisant pour écarter la qualification d'acte juridique.
La volonté doit être manifestée. Elle doit donc être extériorisée. Se pose alors la question de la validité d'une volonté tacite existant en dehors de toute manifestation. La manifestation pourrait résulter de l'effet produit. Le smart contract pourrait être une marque de la volonté des parties. Il s'exécute parce que les parties en ont exprimé la volonté précédemment ou même concomitamment.
? Les effets juridiques. ? Les effets juridiques ne permettent pas de faire la différence entre un acte et un fait juridique. L'efficacité atteinte par certaines situations de fait peut créer la confusion avec des situations juridiques organisées volontairement R. Savatier, Réalisme et idéalisme en droit civil d'aujourd'hui. Structures matérielles et structures juridiques, in Études Ripert, t. 1, LGDJ, 1950, p. 75. . La place de la volonté est importante dans la qualification de l'acte juridique. Mais une manifestation de volonté ne constitue pas à elle seule un acte juridique J. Hauser, Objectivisme et subjectivisme dans l'acte juridique, LGDJ, 1960, nos 50 et s.?G. Wicker, Les fictions juridiques, contributions à l'analyse de l'acte juridique, LGDJ, 1997, nos 98 et s. . Elle ne doit pas occulter la phase d'exécution contribuant à objectiver l'efficacité produite. Les effets font partie intégrante de la qualification. Le smart contract peut être envisagé comme un effet consécutif à une manifestation de volonté. Le contrat fiat (manifestation de volonté) et le smart contract (effet juridique) formeraient ensemble un acte juridique.
? Le lien entre la manifestation de volonté et les effets. ? Une lecture littérale de l'article 1100-1 du Code civil (C. civ., art. 1100-1">Lien) aboutit à une conception volontaire et donc subjective de l'acte juridique. L'emploi du terme « destinée » lie l'effet de droit à l'intention des parties. L'expression de la volonté avec l'objectif d'avoir des conséquences de droit fonde l'acte juridique. La qualification repose donc sur l'élément psychologique, la volonté des parties. L'approche chronologique V. supra, no .?C. Brenner et S. Lequette, Théorie générale de l'acte juridique, préc., nos 22 et s. est une conception purement subjective.
Certains courants doctrinaux plus mesurés considèrent que la qualification ne peut pas résulter uniquement de l'élément psychologique. Ils proposent d'objectiver les critères de qualification de l'acte juridique. Pour certains, seule l'expression de la volonté alliée à l'aménagement des effets du contrat dès son origine permet de retenir la qualification d'acte juridique. D'autres ont une approche dialectique. Ils proposent de qualifier en acte juridique « toute situation nouvelle établissant une combinaison de la volonté et d'éléments objectifs en vue de produire un résultat destiné à satisfaire un besoin individuel, ou plus largement une fin particulière à un ou plusieurs sujets » G. Wicker, Les fictions juridiques, contribution à l'analyse de l'acte juridique, LGDJ, 1997, no 106. . D'autres encore vont jusqu'à omettre la volonté. L'acte attache des effets juridiques à un intérêt, ce qui le distingue du fait juridique C. Brenner et S. Lequette, Théorie générale de l'acte juridique, préc., no 26. . La doctrine majoritaire retient que la manifestation de volonté doit être destinée à réaliser l'objet de l'acte et être nécessaire à sa production M. Durma, La notification de la volonté. Rôle de la notification dans les actes juridiques, thèse, 1930. . Exiger un lien de nécessité entre la volonté et l'effet de droit « stabilise la qualification en la rendant indépendante des fluctuations subjectives d'intention » C. Brenner et S. Lequette, Théorie générale de l'acte juridique, préc., no 25. .
? Les principaux arguments en faveur de la qualification du smart contract en acte ou fait juridique. ? Le smart contract est un objet non identifié. Il n'est pas le contrat. Il en est un effet, sans que cela ne préjuge de sa qualification en acte ou fait juridique.
En faveur de l'acte juridique, l'approche chronologique laisse penser que le smart contract peut être une étape de l'acte juridique au même titre que le contrat dont il assure l'exécution V. supra, no . . S'il est admis que chaque action peut être qualifiée d'acte juridique au sein d'une opération, le smart contract peut être qualifié d'acte juridique autonome. Néanmoins, son existence est attachée au contrat qu'il exécute. L'autonomie du smart contract est uniquement liée au processus technique sur lequel les parties perdent toute emprise.
Le smart contract est destiné à rendre l'exécution de la volonté des parties inéluctable. Il est la production sans faille de la volonté des parties exprimée initialement. En cela, il est un lien entre la manifestation de la volonté et l'exécution. Ce lien peut être considéré comme une contribution à l'acte juridique sans toutefois être autonome vis-à-vis de l'opération d'ensemble.
En faveur du fait juridique, il peut être retenu que le smart contract est un élément technique concourant à l'efficacité juridique de l'acte. Il est un processus destiné à rendre l'exécution de la volonté des parties inéluctable. Le fait juridique « s'oppose, non pas à l'acte juridique, que tout au contraire il absorbe, mais au fait purement matériel, c'est-à-dire qui n'emporte pas de conséquences juridiques directes » C. Brenner et S. Lequette, Théorie générale de l'acte juridique, préc., no 28. . Conséquence du contrat conclu initialement, le smart contract est un code sans valeur juridique et sans volonté intrinsèque de produire des effets juridiques. Il peut être considéré comme un fait auquel est attaché un effet de droit.
Compte tenu des arguments opposés susceptibles d'être avancés, il s'avère délicat de trancher la question de la qualification du smart contract en acte ou fait juridique et, par là même, de lui assigner le régime de l'un ou de l'autre. La solution peut dès lors consister à délaisser ces deux catégories et à rapprocher le smart contract du paiement.

Débat doctrinal sur la nature juridique du paiement

La nature juridique du paiement est controversée. Quatre thèses sont avancées.
Avant 2004, le paiement était considéré comme un acte juridique et soumis à l'exigence de la preuve écrite.
Toutefois, la Cour de cassation a jugé à plusieurs reprises que l'effet extinctif de l'obligation dans le cadre des obligations monétaires a la nature d'un fait juridique dont la preuve peut être rapportée par tous moyens. Le paiement exécute une obligation préexistante. Le débiteur ne peut pas refuser de l'effectuer. Le créancier ne peut pas le décliner. À l'appui de la thèse du fait juridique, il a également été souligné que, volontaire ou forcé, un paiement reste un paiement. Il ne peut donc pas être l'acte juridique lui-même.
Le paiement a également été envisagé comme une « institution hétérogène, soumise à une qualification distributive ». Lorsque le paiement réalise une obligation de faire ou de ne pas faire, il est considéré comme un fait juridique. À l'inverse, s'il s'agit de l'exécution d'une obligation de donner, il est considéré comme un acte juridique.
Enfin, pour une partie de la doctrine, le paiement a une nature hybride. Sui generis, il emprunte sa qualification à l'obligation juridique qu'il éteint. L'extinction de l'obligation est l'effet réflexe de la satisfaction du créancier. Elle ne permet pas de distinguer la nature juridique du paiement. Le paiement est un mode d'extinction des obligations. Son particularisme tient à ce que cette extinction se réalise conformément à l'obligation contractée. « [D]ans la mesure où une telle exécution réclame parfois un concours de volontés et relève d'autres fois du seul ordre de fait, le paiement a lui-même, selon l'obligation exécutée, une nature variable ». Tel un caméléon, si le paiement engendre une modification de la situation juridique des parties, il prend la nature d'un acte juridique. À l'inverse, lorsque l'obligation s'éteint sans manifestation de la volonté des parties, le paiement est un fait juridique.
? Le paiement en droit positif. ? Le paiement est défini par le Code civil comme l'exécution volontaire de la prestation due (C. civ., art. 1342">Lien). La question de la nature juridique du paiement a longtemps divisé au sein de la Cour de cassation. La première chambre civile a considéré dans certaines décisions que le paiement était un acte juridique se prouvant par un écrit Cass. 1re civ., 5 oct. 1976, no 75-12.099 : Bull. civ. 1976, I, no 282.?Cass. 1re civ., 19 mars 2002, no 98-23.083 : Bull. civ. 2002, I, no 101.?Cass. 1re civ., 16 sept. 2010, no 09-13.947 : Bull. civ. 2010, I, no 173. . Elle a retenu dans d'autres décisions que le paiement était un fait juridique dont la preuve pouvait être rapportée par tous moyens Cass. 1re civ., 6 juill. 2004, no 01-14.618 : Bull. civ. 2004, I, no 202.?Cass. 1re civ., 5 juill. 2005, no 03-18.109.?Cass. 1re civ., 30 avr. 2009, no 08-13.705. . La deuxième chambre civile a même admis la recevabilité de tous modes de preuve du paiement sans procéder à aucune qualification juridique Cass. 2e civ., 17 déc. 2009, no 06-18.649, non publié au bulletin. . Face à la controverse, le législateur a été amené à se prononcer. L'article 1342-8 du Code civil (C. civ., art. 1342-8">Lien), issu de l'ordonnance du 10 février 2016 Ord. no 2016-131, 10 févr. 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : JO 11 févr. 2016, no 35, texte no 26. dispose désormais que le paiement se prouve par tout moyen.

Processus informatique automatisant l'exécution du contrat, le peut être considéré comme une forme de paiement.

? Le rapprochement du smart contract et du paiement. ? En matière de smart contract, l'exécution a lieu de manière automatique, sans consultation de l'une ou l'autre des parties. Elles n'ont plus leur mot à dire à ce stade de l'opération. Une fois le processus enclenché, il ne peut plus s'arrêter même si les parties le souhaitent. Dès lors, il est permis de s'interroger sur la vocation du smart contract à modifier la situation juridique des parties. Soit il réalise l'obligation de donner, c'est-à-dire qu'il accomplit le transfert de propriété. Soit, comme la livraison, il pourvoit factuellement à la concrétisation de l'objet de l'obligation. Livrer est une obligation de faire nécessitant une intervention volontaire sans modification de la situation juridique des parties. L'objet de cette obligation est la réalisation de l'acte dans les faits.
S'agissant d'un paiement par transfert d'actif, la différence est complexe car la réalisation des deux obligations intervient dans un même instant. Sur la question de la présence de volonté, une mécanisation existe déjà par la technique du prélèvement automatique. Elle atténue la présence de la volonté. Une fois l'autorisation de prélèvement donnée, le retrait de la somme sur le compte du débiteur ne nécessite plus son accord. Mais elle ne l'annihile pas. La volonté est nécessairement présente à l'origine de l'opération et peut l'interrompre. Dans le smart contract, l'automatisation est augmentée. La volonté contraire manifestée des parties au stade de l'exécution ne permettra pas d'interrompre le processus.
Si l'on mène la réflexion plus généralement sur les obligations de donner, le smart contract n'a aucune utilité pour la remise de la chose proprement dite. En revanche, la réalisation des conditions fixées au processus informatique entraîne le changement de situation juridique des parties. Par exemple, il rend le propriétaire acquéreur mais la remise des clés est un élément factuel ne pouvant être régi par le programme sur la blockchain.
Avec l'IoT, la livraison se confond progressivement avec l'obligation de donner. La location de voiture ou d'appartement avec serrure connectée se libérant par le paiement de la location en est un exemple. Le paiement entraîne le déverrouillage de la serrure et dans le même instant l'objet de l'obligation est donné et livré.
Dans un souci de cohérence, de simplicité, et de sécurité juridique, une intervention du législateur afin d'unifier le régime du smart contract et celui du paiement semble souhaitable V. infra, no . .

Qualifications du

Processus technique attaché au contrat, il s'avère difficile de trancher de manière certaine la qualification du smart contract en acte ou en fait juridique. Mode d'exécution du contrat répondant à la définition juridique du paiement, le smart contract pourrait être qualifié comme tel.