L'expression de la liberté contractuelle

L'expression de la liberté contractuelle

? Contours de la liberté contractuelle. ? Aristote est le premier à s'interroger sur la capacité d'autorégulation d'une communauté sans règles préétablies. Le postulat de départ est le suivant : l'Homme a des besoins naturels et une liberté naturelle, sans contrainte externe.
En droit des contrats, la confrontation des besoins et de la liberté doit aboutir à la justice contractuelle. On ne peut ressentir un contrat comme injuste si on l'a volontairement conclu Aristote, Éthique à Nicomaque, Le Livre de Poche, coll. « Classique de la philosophie », 9e éd. 2007, Livre V, Chap. XI 6 10 : « Quand en toute connaissance de cause et par un acte libre de volonté, on donne à quelqu'un plus qu'on ne se donne à soi-même, on commet une injustice envers soi (…) [un individu] ne souffre rien contre sa propre volonté ; par conséquent il n'éprouve pas pour cela une réelle injustice, puisqu'il le veut ». . Le contrat est négocié compte tenu de la perception subjective que l'individu a de son propre besoin à l'instant où il le ressent. Ce besoin ne peut être déterminé à l'aune du raisonnable. Chacune des parties est donc seule juge de la réalisation de l'équilibre du contrat. Chacune est libre de contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat (C. civ., art. 1102">Lien). Peu importe que les négociations aboutissent à un contrat objectivement déséquilibré. S'il l'est, c'est le résultat de la volonté des parties. La symbolique est importante : la volonté prévaut sur l'équilibre contractuel.
La liberté contractuelle est un principe fort, jamais contesté et doté d'une valeur constitutionnelle Cons. const., 13 juin 2013, no 2013-672 DC : D. 2014, 1516, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano. .
Le smart contract ne réalise pas en lui-même la liberté contractuelle. Soutenir le contraire revient à confondre liberté et volonté de contracter (§ I) . L'examen du smart contract à l'aune des composantes de la liberté contractuelle illustre un changement de paradigme (§ II) .

La confusion entre liberté et volonté contractuelle

? La théorie aristotélicienne. ? Préalablement au contrat, toute latitude est laissée à la liberté contractuelle. La volonté s'exprime au stade de la formation du contrat. Le contrat se fige par la rencontre des volontés. Le smart contract, mode d'exécution du contrat, exclut la volonté de son processus. Il exécute indubitablement les conditions prévues initialement. Il cristallise la commune intention des parties dans son processus. En ce sens, il est souvent considéré comme non volontariste. Dès le processus enclenché, rien ne peut l'arrêter, pas même la volonté des parties. Pourtant, cette absence de volonté au stade de l'exécution du contrat renforce l'accord de volonté primitif. Le smart contract garantit l'exécution du contrat voulu initialement.
Le smart contract est une application pure et simple de la théorie d'Aristote.
Cette théorie dite « volontariste » confond liberté et volonté de contracter, considérant que la première précède invariablement la seconde. L'aboutissement à un accord est le résultat d'une négociation libre, sans qu'une logique d'équilibre entre les prestations soit nécessaire puisqu'elle est subjective. Le smart contract est le bras armé de cet accord.
La logique de cette théorie est implacable. En revanche, elle est aveugle à la réalité de la pratique. L'étude des composantes de la liberté contractuelle mises en exergue par l'article 1102 du Code civil (C. civ., art. 1102">Lien) permet de s'en convaincre.

Un individu ne peut se voir imposer des obligations qu'il n'a pas voulues. En revanche, il doit exécuter toutes les obligations auxquelles il a librement consenti.

Les composantes de la liberté contractuelle

? La liberté de contracter et de choisir son cocontractant. ? L'automatisation ne concerne que l'exécution du contrat. Donc, au stade de la négociation, rien n'oblige les parties à contracter. Les parties ont le choix de contracter ou non car l'automatisation est postérieure à la négociation Ce point mériterait d'être discuté si les contrats venaient à être passés Machine to Machine, c'est-à-dire directement par les machines ou objets connectés entre eux, sans intervention humaine. . En revanche, les parties ne choisissent plus leur cocontractant mais un processus informatique.
La blockchain joue le rôle de tiers de confiance consignant les conditions convenues et leur réalisation. Le smart contract s'exécute automatiquement dès la réalisation des conditions fixées ab initio. Il n'est plus nécessaire de connaître l'autre.

La confiance en l'autre disparaît au profit de la confiance dans le logiciel.

? La liberté de déterminer le contenu. ? Les parties décident du contenu du smart contract. La réalité n'est pas aussi tranchée. Soit la boucle conditionnelle est mise à disposition par un programmeur et des utilisateurs choisissent une solution « clé en main ». Soit le smart contract est proposé par la partie forte, détenant les moyens suffisants pour la développer. Dans les deux cas, la liberté de déterminer le contenu du smart contract est discutable.
? Smart contract et contrat d'adhésion. ? Sur le plan chronologique, la négociation précède le contrat et donc sa mise en œuvre. En tant que mode d'exécution du contrat, le smart contract ne devrait pas influencer sa négociation. Mais, en pratique, le smart contract est conçu pour des contrats de masse. Sur le plan technique, il préexiste généralement à la négociation des parties. Les parties ont seulement le choix de l'utiliser ou non. En présence de parties de puissance équivalente, le choix est entier. Mais, en présence d'un déséquilibre économique et/ou informationnel des parties, la liberté de négociation de la partie faible est limitée. La probabilité d'automatiser l'exécution du contrat s'en trouvera accrue. C'est la raison pour laquelle le contrat d'adhésion (C. civ., art. 1110">Lien) sera sans doute le terrain de développement privilégié du smart contract. Lorsque la partie forte aura déployé un smart contract pour l'exécution, elle l'imposera à la partie faible qui n'aura d'autre choix que de l'utiliser tel qu'il est.