L'abandon du principe du consensualisme à l'égard du contrat électronique ?

L'abandon du principe du consensualisme à l'égard du contrat électronique ?

Le législateur a imposé un certain formalisme à la conclusion d'un contrat électronique. La règle de forme principale réside dans l'exigence du double clic V. supra, no . .

L'inconnue subsistant aujourd'hui est la qualification de ce contrat :

reste-t-il un contrat consensuel comme il le serait sous forme papier, ou bien l'utilisation d'un procédé électronique le fait-il basculer dans la catégorie des contrats solennels ?
Traditionnellement en droit français, le principe est celui du consensualisme, « manifestation de la liberté contractuelle sur le terrain de la forme » F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 2018, p. 227, no 193. . Cela signifie qu'aucune forme particulière n'a à être respectée pour la conclusion d'un contrat. Par exception, certains contrats sont réels, c'est-à-dire parfaits non seulement par l'échange des consentements mais aussi par la remise d'une chose ; ou encore solennels, pour lesquels l'échange des consentements doit être doublé du respect de formes particulières. Dans le contrat solennel, la forme à respecter peut être l'emploi de l'acte authentique Comme par exemple la constitution d'une hypothèque. , mais pas uniquement Sont solennels tous contrats conclus à peine de nullité absolue selon un certain formalisme (sur la qualification de la nullité, V. le débat rapporté par F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 2018, p. 244, no 210). . Généralement le formalisme accompagnant les contrats solennels est dicté par un impératif de renforcement du consentement. Ainsi, respecter certaines solennités imposées par la loi permettrait aux parties de prendre davantage conscience de l'engagement pris. La lourdeur du formalisme lié au contrat solennel a pour effet d'allonger le processus de formation du contrat, et donc de ralentir l'activité économique. Au contraire, le consensualisme ne reposant que sur l'expression de la volonté des parties, la fluidité des affaires est assurée.
? La multiplication des contrats formels. ? Face aux déséquilibres de plus en plus fréquents entre les parties, le législateur multiplie les contrats formels.
Une distinction naît entre les contrats au formalisme direct ou substantiel et indirect ou atténué En ce sens, V. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 2018, p. 233, nos 198 et s. . Les premiers correspondent aux contrats solennels et réels, pour lesquels la forme est exigée à peine de nullité. Les seconds correspondent aux contrats dont une forme est exigée pour assurer leur preuve ou leur opposabilité.
S'agissant des contrats solennels et réels, la question délicate se pose de savoir si ce formalisme a pour objet la protection d'un intérêt privé ou public, et donc la nature de la nullité sanctionnant son non-respect Selon la théorie moderne des nullités s'attachant à l'intérêt préservé, théorie consacrée par l'article 1179 du Code civil. . Si les solennités imposées par la loi ont pour objet la protection du consentement de l'une des parties, alors la nullité serait relative. Si au contraire elles sont destinées à réguler l'activité économique, alors la nullité serait absolue. Le recours à la théorie classique des nullités facilite la qualification de la sanction du non-respect du formalisme : celui-ci étant attaché à un élément essentiel du contrat (la forme), la nullité est absolue. Toutefois, la réforme du droit des obligations de 2016 a consacré la théorie moderne des nullités (C. civ., art. 1179">Lien). Il convient donc de rechercher l'intérêt préservé pour déterminer la nature de la nullité.
Les contrats relevant du formalisme atténué sont soumis au respect de certaines formes, mais uniquement pour en assurer la preuve ou l'opposabilité. La sanction du non-respect de la forme prescrite par la loi n'est alors plus la nullité mais une absence de preuve ou une inopposabilité aux tiers.
? L'interrogation porte sur la qualification du formalisme correspondant à la règle du double clic V. C. Mangin, L'expression numérique du consentement contractuel, thèse, Université Toulouse 1 Capitole, 2020, nos 134 et s. . ? L'article 1127-2 du Code civil (C. civ., art. 1127-2">Lien) emploie le terme de « valablement conclu ». Certains auteurs en ont donc induit que le contrat conclu sous forme électronique et soumis à la règle du double clic était un contrat solennel En ce sens : H. Causse, Le contrat électronique, technique du commerce électronique, in Le contrat électronique. Au cœur du commerce électronique, Études réunies par J.-C. Hallouin et H. Causse, LGDJ, 2005, p. 11. Et M. Leveneur-Azémar, Commerçants en ligne. L'achat en un clic, une pratique triplement risquée pour les commerçants en ligne ! : Contrats, conc. consom. avr. 2018, no 4, étude 6. . Si l'on retient cette qualification tout en considérant que ce formalisme est prévu pour la protection du consommateur, du marché, et donc de l'économie, la nullité serait absolue. Il en va de même selon la théorie classique des nullités. Cela signifie que le professionnel soumis à la règle du double clic pourrait s'appuyer sur sa propre turpitude (dans la mesure où il ne respecte pas le formalisme qui lui est imposé) pour faire annuler une convention.
La qualification de contrat solennel n'emporte pas la majorité en doctrine Pour la qualification en contrat consensuel, V. : JCl. Civil Code, Art. 1125 à 1127-6, Fasc. unique, Contrat. Conclusion du contrat. Dispositions propres au contrat conclu par voie électronique, par N. Mathey. , les auteurs considérant que le terme « valablement » relève davantage d'une légèreté du législateur que d'une volonté de sanctionner par la nullité le non-respect du formalisme du double clic. Cette obligation est rapprochée des « néo-formalismes » ayant fait leur apparition en droit de la consommation V. A. Raynouard, La loi no 2004-575 pour la confiance dans l'économie numérique… ou comment disqualifier le consensualisme dans un élan d'harmonisation du droit des contrats européen sans le dire : RDC 2005, p. 565, et X. Linant de Bellefonds, La LCEN et le consensualisme : RDC 2005, p. 592. et relevant du formalisme atténué ci-dessus évoqué.
Ainsi la règle du double clic serait une modalité d'expression du consentement. Il faut y voir une simple technique normée de manifestation de la volonté entre deux parties physiquement absentes. Il ne s'agit pas d'une forme protectrice du consentement, mais d'une simple manière d'expression de celui-ci dans un monde où la poignée de main ou encore la signature manuscrite ne sont pas possibles. Le fait que le destinataire de l'offre puisse vérifier le détail de sa commande et son prix et corriger les éventuelles erreurs avant validation « [exprimant] son acceptation définitive » ne constitue pas en soi une solennité. Il s'agit du récapitulatif des conditions essentielles du contrat. Le second clic validant l'accord de l'utilisateur constitue l'outil de manifestation du consentement sur ces conditions essentielles, indispensable à la conclusion du contrat. La règle du double clic est l'outil d'extériorisation de la volonté sur les éléments fondamentaux du contrat, et non une forme destinée à attirer l'attention de la partie faible sur les conséquences de son consentement.
Le non-respect de ce formalisme entraînerait donc l'inexistence du contrat, faute de consentement. La responsabilité de l'opérateur pourrait également être mise en cause.

La règle du double clic

À l'exception des contrats conclus par échanges de courriers électroniques, les conventions passées sous la forme électronique doivent respecter la règle du double clic. Les professionnels ont la possibilité d'exclure cette règle dans leurs relations mutuelles.
Cette règle impose de permettre au destinataire de l'offre de vérifier le détail de sa commande et le prix total avant validation. Avant le second clic, le destinataire de l'offre peut encore sans frais modifier sa commande, ou ne pas la valider.
Une fois le second clic de validation donné par le destinataire de l'offre, son émetteur doit accuser réception de la commande sans délai et par voie électronique.
Une fois le contrat électronique conclu valablement, comme respectant tant les conditions de fond que de forme requises ad validitatem, se pose la question de sa force probante. Au-delà du contrat, certaines technologies présentent des qualités pouvant être exploitées dans le domaine du droit en matière probatoire. Cela est notamment le cas de la signature électronique et de la blockchain.