L'absence de rencontre des parties dans le cadre d'un contrat conclu par voie électronique rend difficile l'appréciation de la capacité et des pouvoirs
(§ I)
. Des remèdes à ces difficultés peuvent être envisagés
(§ II)
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La vérification de la capacité et des pouvoirs des parties à l'épreuve du numérique
La vérification de la capacité et des pouvoirs des parties à l'épreuve du numérique
Une difficile appréciation de la capacité et des pouvoirs des parties à un contrat électronique
? Le principe de capacité. ? L'article 1145 du Code civil (C. civ., art. 1145">Lien) dispose que : « Toute personne physique peut contracter sauf en cas d'incapacité prévue par la loi. La capacité des personnes morales est limitée par les règles applicables à chacune d'entre elles. ». Par principe, donc, les personnes physiques sont capables, tandis que les personnes morales ont une capacité limitée. L'article 1146 du même code (C. civ., art. 1146">Lien) précise que les mineurs de dix-huit ans non émancipés et les majeurs protégés
Faisant donc l'objet d'une mesure de protection au sens de l'article 425 du Code civil.
n'ont pas la capacité de contracter, dans la mesure définie par la loi. Les actes réalisés par les incapables sont frappés d'une nullité relative (C. civ., art. 1147">Lien). Toutefois, les actes courants autorisés par la loi ou l'usage conclus à des conditions normales peuvent être souscrits même par des incapables (C. civ., art. 1148">Lien). S'agissant des mineurs, la seule mention par ceux-ci de leur majorité ne constitue pas un obstacle à la demande en nullité (C. civ., art. 1149">Lien). Outre ces incapacités d'exercice, il existe également des incapacités de jouissance, empêchant une personne d'être titulaire d'un droit et donc de l'acquérir
Pour une étude détaillée des incapacités, V. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 2018, p. 185 et s.
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- la première concerne l'acceptation par le mineur d'une clause autorisant le traitement de ses données personnelles, pour laquelle décision il n'aurait pas le discernement nécessaire ;
- la seconde concerne l'acceptation tacite du représentant légal pour l'inscription du mineur. Cette autorisation ne peut être qu'expresse, la clause contraire est abusive.
La conclusion d'un contrat dans un environnement numérique empêche d'appréhender facilement la capacité de son cocontractant, à défaut de le rencontrer. Par exemple, un mineur de douze ans se présentant dans un supermarché pour acheter une bouteille d'alcool a de grands risques de se voir opposer un refus. Alors que ce même mineur faisant une commande sur internet n'aura qu'une case à cocher pour confirmer qu'il est majeur et parvenir à acheter de l'alcool. Or l'article 1149 du Code civil, précité, dispose que cette déclaration faite par le mineur n'empêchera pas la demande en nullité
Au-delà de cette nullité, le commerçant risque des sanctions pénales pour avoir vendu de l'alcool à un mineur (C. santé publ., art. 3353-3).
. De même, les sites marchands n'ont pas de moyen de vérifier la capacité de leurs utilisateurs majeurs.
La Commission des clauses abusives a pour sa part fait deux recommandations
Comm. clauses abusives, Recomm. no 2014-02, 7 nov. 2014, relative aux contrats de fournitures de services de réseaux sociaux, nos 8 et 9.
concernant la capacité des mineurs :
Le contrôle des pouvoirs du représentant légal ou contractuel est également délicat dans les contrats conclus électroniquement. L'article 1153 du Code civil (C. civ., art. 1153">Lien) dispose que le représentant n'est fondé à agir que dans la limite des pouvoirs qui lui ont été conférés. Par ailleurs, « l'acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté, sauf si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant (…). Lorsqu'il ignorait que l'acte était accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs, le tiers contractant peut en invoquer la nullité » (C. civ., art. 1156">Lien).
Le sujet des pouvoirs existe non seulement pour les personnes physiques, mais également et surtout sur internet pour les personnes morales. C'est le cas notamment des achats et passations de commandes faits en ligne au nom de sociétés, par des personnes qui n'ont pas les pouvoirs de les représenter. La dématérialisation inhérente au numérique engendre en outre un risque lié à la disparition des originaux des pouvoirs, et donc au risque accru de falsification. En effet, par souci d'efficacité ou de rapidité, il est courant en pratique de ne se baser que sur des fichiers numérisés, les originaux étant dans le meilleur des cas transmis postérieurement à la régularisation du contrat.
La démultiplication des opérations facilitées par la forme électronique rend peu probable le contrôle de la capacité et des pouvoirs par les opérateurs. Au-delà du risque parfois pénal
Comme celui évoqué ci-dessus pour la vente d'alcool à un mineur.
, ce sont de très nombreux contrats qui peuvent être sanctionnés par la nullité ou l'inopposabilité. Une instabilité forte des conventions existe donc. Pour pallier ces faiblesses du numérique, plusieurs remèdes pourraient être envisagés.
Les remèdes envisageables
La vérification de la capacité liée à l'âge et des pouvoirs au moyen des outils existant pourrait être envisagée par un simple scan de la pièce d'identité et la transmission d'un Kbis pour les sociétés. Il resterait le risque de falsification des originaux et de l'usurpation d'identité des parents par leurs enfants mineurs. Mais cette obligation de transmettre une pièce d'identité et un justificatif de sa qualité de représentant légal pour la création de tout compte d'utilisateur aurait le mérite de permettre un premier contrôle de l'identité, et donc de l'âge des parties. Il est notamment imaginable une lecture automatique de la date de naissance pour une vérification de la majorité sans intervention humaine, et un blocage du compte utilisateur en cas de minorité
La plateforme de ventes aux enchères Drouotonline.com impose ainsi, pour la création d'un compte utilisateur, la fourniture d'un justificatif d'identité.
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Certains opérateurs en ligne ont déjà recours à des prestataires externes
Parmi lesquelles Adultcheck et Adultsign.
chargés de contrôler la majorité des clients.
Il s'agit toutefois d'une complexification de la procédure d'achat ou de souscription de services en ligne. Or cela va à l'encontre du courant actuel de simplification et d'accélération des processus destinés à faciliter les actes compulsifs des utilisateurs. Ajouter cette étape de transmission d'une pièce d'identité risque de décourager des internautes et de les orienter vers des sites d'accès plus simple, ou leur donner un temps de réflexion qui les fera renoncer à l'opération. Seule une réglementation imposant, lors de la création d'un compte utilisateur ou toute opération en ligne, la fourniture d'un justificatif d'identité pour tous et d'un pouvoir pour les représentants permettrait, d'une part, de normaliser cette démarche et, d'autre part, de ne pas désavantager les sites ayant une attitude responsable.
Par ailleurs, si l'identité numérique était développée en France
V. supra, nos et s.
, celle-ci permettrait de détecter facilement les minorités et éventuellement les incapacités. Il suffirait pour cela de lier la création des comptes utilisateurs ou les opérations en ligne à l'utilisation obligatoire de cette identité numérique. S'agissant des personnes morales et de la question des pouvoirs, une identité numérique pourrait également être créée, avec le rattachement de leur représentant légal et l'identité numérique de ce dernier.
On pourrait même imaginer des souris ou pad « intelligents » avec reconnaissance d'empreinte digitale, permettant de rattacher une empreinte à une identité numérique. Cette identité numérique permettrait de vérifier non seulement l'identité de la personne mais également sa capacité avec une publication des éventuelles mesures de protection actives
V. infra, nos et .
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Une fois la capacité et les pouvoirs établis pour garantir la validité et l'opposabilité du contrat électronique, reste à vérifier la réalité du consentement des parties.