Applicabilité du dispositif fiscal des dons familiaux de sommes d'argent à la donation de cryptomonnaies

Applicabilité du dispositif fiscal des dons familiaux de sommes d'argent à la donation de cryptomonnaies

L'article 790 G du Code général des impôts (CGI, art. 790 G">Lien), inséré par la loi TEPA du 21 août 2007 L. no 2007-1223 : JO 22 août 2007. , exonère de droits de mutation à titre gratuit, dans la limite de 31 865,00 €, les dons de sommes d'argent consentis en pleine propriété au profit d'un enfant, d'un petit-enfant, d'un arrière-petit-enfant, ou à défaut d'une telle descendance, d'un neveu ou d'une nièce ou par représentation d'un petit-neveu ou d'une petite-nièce.
Par « dons de sommes d'argent », il faut entendre les dons effectués par chèque, par virement, par mandat ou par remise d'espèces BOI-ENR-DMTG-20-20-20, nos 120 et s. .
Pour pouvoir bénéficier de ce dispositif, encore faut-il que les cryptomonnaies puissent avoir l'ensemble des caractères attachés à la monnaie.
Cette question renvoie à la résolution préalable du problème de la qualification d'une cryptomonnaie.

Une crytomonnaie est elle une monnaie ?

Rappelons ici pour mémoire les divers arguments permettant de conclure à l'exclusion du statut de monnaie au sens classique du terme :
1) l'absence de caractéristiques propres à la monnaie quant à sa constitution.
Le rapport Landau a souligné les caractéristiques originales des cryptomonnaies qui feraient obstacle à cette qualification :
  • elles se créent et circulent indépendamment de toute banque et sont détachées de tout compte bancaire ;
  • elles ne représentent pas une créance sur une quelconque personne physique ou morale ;
  • il s'agit de monnaies purement privées, sans cours légal, qui ne sont convertibles au pair en aucune monnaie légale et ne bénéficient d'aucun soutien public, direct ou indirect. Elles sont libellées en unités de comptes spécifiques sans rapport avec les monnaies existantes.
L'émission des cryptomonnaies est aussi originale comparée à la monnaie créée par les banques. La quantité de monnaie émise peut être plafonnée soit en montant final (bitcoin), soit en taux de croissance (ether), soit en montant initial (ripple). Les fondateurs peuvent se réserver une part de l'émission.
À l'inverse, la véritable monnaie est contrôlée et régulée par l'État émetteur. Chaque banque centrale agit envers les établissements de crédit créateurs de monnaie via les crédits octroyés.
Enfin, le mode de création de cette monnaie interpelle dans la mesure où elle est déflationniste : le nombre de cryptomonnaies a été prévu au départ et leur volume se réduit par périodes données ;
2) l'absence de caractéristiques propres à la monnaie quant à sa valeur économique.
La valeur des cryptomonnaies semble échapper aux attributs classiques d'une monnaie : soit renfermer une valeur intrinsèque, soit représenter une contrepartie sous forme d'actif physique ou financier servant à gager la valeur, soit offrir un soutien public, avec cours légal et refinancement par la banque centrale.
Ainsi les cryptomonnaies ne satisfont guère à l'exigence de réserve de valeur ; leur volatilité constitue un obstacle souvent mis en avant à leur reconnaissance comme monnaie classique ;
3) l'absence de caractéristiques propres à la monnaie quant à son usage et sa circulation.
  • Une monnaie liée à une économie propre
  • Il a été souligné que la singularité des cryptomonnaies sous cet angle était un atout. Dans son étude, l'Institut Sapiens a montré tout le potentiel du bitcoin comme véritable monnaie. La démonstration est opérée en plusieurs points. Tout d'abord, il est souligné que le bitcoin a bien, comme toute monnaie classique, un sous-jacent constitué par la sécurité inégalée qu'offre son protocole. L'écosystème industriel en cours de formation rapide dans le domaine des cryptomonnaies est aussi un élément majeur du sous-jacent du bitcoin. Dans le même temps, les monnaies étatiques ne reposent plus que sur l'autorité et n'ont pas de réel sous-jacent. Depuis 2008, les politiques monétaires créent de nouveaux risques. Les cryptomonnaies permettraient un nouveau paradigme monétaire. Elles peuvent coexister avec les monnaies nationales en remplissant des usages différents. Elles pourraient permettre d'accompagner le développement des objets connectés, l'avènement des robots et l'essor de l'intelligence artificielle.
  • Une monnaie affiliée à un système de paiement intégré et sans frontières
  • Pour la première fois, une monnaie a comme sous-jacent un réseau ultrasécurisé : cela signifie l'intégration du système de paiement et de la monnaie, deux éléments qui étaient toujours restés distincts. La monnaie est mise en réseau plateformisé. Elle devient décentralisée et programmable. Elle est mondiale et n'est pas rattachée à un État.
En définitive, pour les juristes, la monnaie est vue comme constituant à la fois une unité de valeur, c'est-à-dire un instrument d'évaluation, une unité de paiement et enfin une réserve de valeur, un actif de patrimoine, qui pourra être réutilisé pour acquérir de nouveaux biens ou services J. Carbonnier, Droit civil, t. II, Les obligations. Les biens, PUF, 2004, no 675. . Or, les cryptomonnaies ne sont pas des véritables unités de paiement. L'effet libératoire n'est que conventionnel et non pas légal. Et il n'est pas possible d'imposer un paiement en cryptomonnaies en dehors de la communauté d'utilisateurs.
La position tant du législateur que de la jurisprudence écarte cette qualification.
Dans son article 86, la loi Pacte L. no 2019-486, 22 mai 2019, relative à la croissance et à la transformation des entreprises. définit les actifs numériques comme, entre autres : « Toute représentation numérique d'une valeur… qui ne possède pas le statut juridique d'une monnaie » (C. monét. fin., art. L. 54-10-1">Lien).
Et le tribunal de commerce de Nanterre T. com. Nanterre, 26 févr. 2020, BitSpread c/ Paymium : JurisData no 2020-002798. n'assimile pas le bitcoin à de la monnaie. Bien que les juges aient estimé qu'il s'agit d'un bien fongible et consomptible tout comme de la monnaie légale, ils ont immédiatement précisé « quand bien même il n'en est pas une ».
Ainsi l'administration fiscale ayant précisé, depuis de nombreuses années, que seuls les dons de sommes d'argent en pleine propriété pouvaient bénéficier de l'exonération, dès lors les libéralités portant sur des cryptomonnaies ne semblent pas pouvoir se prévaloir des articles 790G et 790 A bis">Liendu Code général des impôts Cridon Lyon 24 mars 2020, no *20016639*. .