Spécificités fiscales de la donation d'actifs numériques

Spécificités fiscales de la donation d'actifs numériques

La fiscalité applicable à la donation d'actifs numériques ne sera guère différente de celle applicable aux libéralités portant sur d'autres types d'actifs.
Comme tout autre bien, les actifs numériques transmis à titre gratuit sont compris dans l'assiette des droits de succession ou soumis aux droits de donation en cas de donation entre vifs BOI-ENR-DMTG-10-10-20-10. .
Ainsi, l'ensemble des règles fiscales propres à cette matière s'appliqueront, avec une difficulté toutefois concernant la détermination de l'assiette taxable (§ I) .
Il conviendra par ailleurs de s'interroger sur l'applicabilité, d'une part, du dispositif de dons familiaux de sommes d'argent (§ II) et, d'autre part, des différents dispositifs de transmission d'activités (§ III) .

Difficultés liées à la détermination de l'assiette taxable

– Application des règles de droit commun. – La connaissance de la valeur des biens donnés est impérative, aussi bien pour déterminer la valeur imposable au jour de la donation que pour anticiper les conséquences civiles sur la succession à venir.
Par exception au principe de l'évaluation des biens imposables à leur valeur vénale BOI-ENR-DMTG-10-40-10. , la loi a fixé, pour certains biens, des bases légales d'évaluation.
Il en est ainsi pour les valeurs mobilières françaises et étrangères de toute nature, admises aux négociations sur un marché réglementé. Selon l'article 759 du Code général des impôts (CGI, art. 759">Lien), le capital imposable est déterminé en prenant la moyenne des trente derniers cours qui précédent la transmission.
De même des règles sont édictées pour les créances à terme (CGI, art. 760">Lien), les parts ou actions d'organisme de placements collectifs en valeurs mobilières(CGI, art. 799">Lien), les titres non cotés ou actifs incorporels(CGI, art. 764 A">Lien), les biens ou droits transférés dans un patrimoine fiduciaire (CGI, art. 766 bis">Lien) et les titres, sommes, valeurs ou avoirs quelconques frappés d'indisponibilité hors de France par suite de mesures prises par un gouvernement étranger (CGI, art. 766">Lien).
En matière d'actifs numériques, aucune règle particulière n'a été prise. La détermination de leur valeur imposable n'échappe donc pas à la règle fiscale de l'article 666 du Code général des impôts (CGI, art. 666">Lien) qui retient comme assiette taxable aux droits de mutation à titre gratuit la valeur vénale du bien au jour du fait générateur.
– Une difficulté d'évaluation liée à la forte volatilité des actifs numériques. – Mais la difficulté en la matière réside dans le fait que les actifs numériques en général et les cryptomonnaies en particulier sont des valeurs très volatiles.
Le bitcoin par exemple valait moins d'un euro jusqu'en 2011 ; environ 800 € fin 2013 ; en 2017, il s'est échangé à plus de 15 700 € l'unité ; en 2019 sa valeur la plus haute était de 11 400 € et en 2020 il est retombé à 4 300 € dans les premiers jours suivant l'annonce des confinements massifs pour finalement dépasser les 50 000 € en mars 2021.
L'instabilité du bitcoin est notamment due au fait que son marché ne bénéficie pas des outils de régulation en vigueur sur les autres marchés (interdiction de ventes à découvert, suspension de cotation en cas de variation extrême, etc.).
Pour les cryptomonnaies qui reposent sur un marché non régulé et sans aucun cours officiel, leur valeur va dépendre de l'offre et de la demande.
Il y aura donc lieu de retenir la valeur du cours de conversion en euros la plus proche possible du jour de la donation. Pour ce faire, il est admis que le contribuable use de dispositifs communément utilisés de valorisation tels que des sites internet proposant des historiques de cotation moyenne journalière sur les principales plateformes d'échange.
Toutefois, ces valeurs peuvent être différentes en fonction des plateformes. En effet, il peut y avoir des variations significatives au niveau des cotations. De nombreuses plateformes ou « bourses », où les bitcoins et altcoins se négocient, peuvent offrir la même cryptomonnaie à des prix différents.

Exemple de différents cours de cryptomonnaies

Le 10 mai 2020, les cours de trois cryptomonnaies les plus connues, sur différentes plateformes d'échange, étaient les suivants :
  • sur le portail financier Investing.com">Lien :
  • sur la plateforme d'échange Cryptolia">Lien :
  • sur le portail Courscryptomonnaies.com">Lien :

La valorisation des actifs numériques dans un acte de donation

Pour déterminer la valeur des actifs numériques objet de la donation, il suffira de retenir la valorisation mentionnée par la plateforme sur laquelle la cession aura lieu à la date la plus rapprochée du jour de la transmission.

La solution serait alors de demander au donataire de créer son propre portefeuille sur la plateforme de son choix. Un instant avant la donation, le donateur procéderait au transfert. Il pourrait également être effectué au moment du rendez-vous chez le notaire. Le notaire disposera alors d'un justificatif horodaté ou même d'une capture d'écran qui mentionnera la valeur à faire figurer dans l'acte et qui pourrait même figurer en annexe.

– Un risque fiscal accru pour les dons manuels. – Le risque associé à la forte volatilité des cryptomonnaies est particulièrement important en cas de dons manuels V. supra, no . .
Selon l'article 757 du Code général des impôts (CGI, art. 757">Lien), les droits sont calculés sur la valeur du don manuel au jour de sa déclaration ou de son enregistrement, ou au jour de la donation si cette valeur est supérieure.
C'est donc la plus forte des deux valeurs (jour de la taxation ou jour de la donation) qui sert d'assiette au calcul des droits. Mais encore faut-il que la date de la donation puisse être déterminée par l'administration fiscale. Ce qui suppose non seulement que cette dernière puisse établir la date à laquelle la tradition ainsi que le concours de volontés du donateur et du donataire ont coexisté, mais encore qu'elle puisse opposer cette date au gratifié, sans pouvoir en apporter la preuve bien souvent.
Ainsi, en cas de chute brutale de la valeur des actifs reçus, le gratifié sera alors doublement pénalisé en payant des droits sur une valeur qu'il ne détient plus.

Applicabilité du dispositif fiscal des dons familiaux de sommes d'argent à la donation de cryptomonnaies

L'article 790 G du Code général des impôts (CGI, art. 790 G">Lien), inséré par la loi TEPA du 21 août 2007 L. no 2007-1223 : JO 22 août 2007. , exonère de droits de mutation à titre gratuit, dans la limite de 31 865,00 €, les dons de sommes d'argent consentis en pleine propriété au profit d'un enfant, d'un petit-enfant, d'un arrière-petit-enfant, ou à défaut d'une telle descendance, d'un neveu ou d'une nièce ou par représentation d'un petit-neveu ou d'une petite-nièce.
Par « dons de sommes d'argent », il faut entendre les dons effectués par chèque, par virement, par mandat ou par remise d'espèces BOI-ENR-DMTG-20-20-20, nos 120 et s. .
Pour pouvoir bénéficier de ce dispositif, encore faut-il que les cryptomonnaies puissent avoir l'ensemble des caractères attachés à la monnaie.
Cette question renvoie à la résolution préalable du problème de la qualification d'une cryptomonnaie.

Une crytomonnaie est elle une monnaie ?

Rappelons ici pour mémoire les divers arguments permettant de conclure à l'exclusion du statut de monnaie au sens classique du terme :
1) l'absence de caractéristiques propres à la monnaie quant à sa constitution.
Le rapport Landau a souligné les caractéristiques originales des cryptomonnaies qui feraient obstacle à cette qualification :
  • elles se créent et circulent indépendamment de toute banque et sont détachées de tout compte bancaire ;
  • elles ne représentent pas une créance sur une quelconque personne physique ou morale ;
  • il s'agit de monnaies purement privées, sans cours légal, qui ne sont convertibles au pair en aucune monnaie légale et ne bénéficient d'aucun soutien public, direct ou indirect. Elles sont libellées en unités de comptes spécifiques sans rapport avec les monnaies existantes.
L'émission des cryptomonnaies est aussi originale comparée à la monnaie créée par les banques. La quantité de monnaie émise peut être plafonnée soit en montant final (bitcoin), soit en taux de croissance (ether), soit en montant initial (ripple). Les fondateurs peuvent se réserver une part de l'émission.
À l'inverse, la véritable monnaie est contrôlée et régulée par l'État émetteur. Chaque banque centrale agit envers les établissements de crédit créateurs de monnaie via les crédits octroyés.
Enfin, le mode de création de cette monnaie interpelle dans la mesure où elle est déflationniste : le nombre de cryptomonnaies a été prévu au départ et leur volume se réduit par périodes données ;
2) l'absence de caractéristiques propres à la monnaie quant à sa valeur économique.
La valeur des cryptomonnaies semble échapper aux attributs classiques d'une monnaie : soit renfermer une valeur intrinsèque, soit représenter une contrepartie sous forme d'actif physique ou financier servant à gager la valeur, soit offrir un soutien public, avec cours légal et refinancement par la banque centrale.
Ainsi les cryptomonnaies ne satisfont guère à l'exigence de réserve de valeur ; leur volatilité constitue un obstacle souvent mis en avant à leur reconnaissance comme monnaie classique ;
3) l'absence de caractéristiques propres à la monnaie quant à son usage et sa circulation.
  • Une monnaie liée à une économie propre
  • Il a été souligné que la singularité des cryptomonnaies sous cet angle était un atout. Dans son étude, l'Institut Sapiens a montré tout le potentiel du bitcoin comme véritable monnaie. La démonstration est opérée en plusieurs points. Tout d'abord, il est souligné que le bitcoin a bien, comme toute monnaie classique, un sous-jacent constitué par la sécurité inégalée qu'offre son protocole. L'écosystème industriel en cours de formation rapide dans le domaine des cryptomonnaies est aussi un élément majeur du sous-jacent du bitcoin. Dans le même temps, les monnaies étatiques ne reposent plus que sur l'autorité et n'ont pas de réel sous-jacent. Depuis 2008, les politiques monétaires créent de nouveaux risques. Les cryptomonnaies permettraient un nouveau paradigme monétaire. Elles peuvent coexister avec les monnaies nationales en remplissant des usages différents. Elles pourraient permettre d'accompagner le développement des objets connectés, l'avènement des robots et l'essor de l'intelligence artificielle.
  • Une monnaie affiliée à un système de paiement intégré et sans frontières
  • Pour la première fois, une monnaie a comme sous-jacent un réseau ultrasécurisé : cela signifie l'intégration du système de paiement et de la monnaie, deux éléments qui étaient toujours restés distincts. La monnaie est mise en réseau plateformisé. Elle devient décentralisée et programmable. Elle est mondiale et n'est pas rattachée à un État.
En définitive, pour les juristes, la monnaie est vue comme constituant à la fois une unité de valeur, c'est-à-dire un instrument d'évaluation, une unité de paiement et enfin une réserve de valeur, un actif de patrimoine, qui pourra être réutilisé pour acquérir de nouveaux biens ou services J. Carbonnier, Droit civil, t. II, Les obligations. Les biens, PUF, 2004, no 675. . Or, les cryptomonnaies ne sont pas des véritables unités de paiement. L'effet libératoire n'est que conventionnel et non pas légal. Et il n'est pas possible d'imposer un paiement en cryptomonnaies en dehors de la communauté d'utilisateurs.
La position tant du législateur que de la jurisprudence écarte cette qualification.
Dans son article 86, la loi Pacte L. no 2019-486, 22 mai 2019, relative à la croissance et à la transformation des entreprises. définit les actifs numériques comme, entre autres : « Toute représentation numérique d'une valeur… qui ne possède pas le statut juridique d'une monnaie » (C. monét. fin., art. L. 54-10-1">Lien).
Et le tribunal de commerce de Nanterre T. com. Nanterre, 26 févr. 2020, BitSpread c/ Paymium : JurisData no 2020-002798. n'assimile pas le bitcoin à de la monnaie. Bien que les juges aient estimé qu'il s'agit d'un bien fongible et consomptible tout comme de la monnaie légale, ils ont immédiatement précisé « quand bien même il n'en est pas une ».
Ainsi l'administration fiscale ayant précisé, depuis de nombreuses années, que seuls les dons de sommes d'argent en pleine propriété pouvaient bénéficier de l'exonération, dès lors les libéralités portant sur des cryptomonnaies ne semblent pas pouvoir se prévaloir des articles 790G et 790 A bis">Liendu Code général des impôts Cridon Lyon 24 mars 2020, no *20016639*. .

Applicabilité du dispositif de transmission d'activités

Les actifs numériques pouvant être le support d'une activité économique génératrice d'impôt, on pourrait envisager que les donations de ces actifs soient éligibles aux différents dispositifs de transmission d'activités tel que le pacte Dutreil.
Nous n'allons pas ici traiter de toutes les conditions nécessaires pour bénéficier d'un allégement de 75 % des droits de mutation à titre gratuit. Mais rappelons tout de même que ce dispositif a été institué afin d'assurer la stabilité de l'actionnariat et la pérennité des entreprises et qu'il bénéficie aux détenteurs des titres qui prennent des risques et qui disposent du pouvoir décisionnel.
La détention d'actifs numériques ne confère pas à son détenteur l'ensemble des prérogatives et risques attachés aux titulaires de parts ou actions de société.
En conséquence, le bénéfice de l'exonération partielle ne semble pas pouvoir s'appliquer à la donation d'actifs numériques.