Logement et travail à distance

Logement et travail à distance

– Une option boostée par la pandémie de Covid. – Le télétravail est sans doute l'une des tendances les plus nouvelles et les plus caractéristiques de notre époque. Quoique techniquement possible dès la fin du XX e siècle, il a connu une extension spectaculaire lors de la crise sanitaire de 2020. En quelques jours, le regard que portaient sur lui employeurs et salariés a changé, et l'ordinateur professionnel a fait son apparition au sein du logement.
– Un enthousiasme raisonné. – La tendance paraît durable : après un infléchissement en juin 2021, correspondant à l'amélioration de la situation sanitaire, un rebond des chiffres du télétravail s'est opéré à partir de décembre de la même année, de sorte qu'il concerne aujourd'hui 20 % des salariés. Ce relatif enthousiasme pour la formule découlerait d'un consensus sur les avantages qu'elle présente (meilleure productivité sur certains postes, gain de temps et de dépenses en termes de transports, adaptabilité des horaires, diminution de l'absentéisme…). Il semble toutefois nécessaire d'en limiter le recours à deux ou trois jours maximum par semaine de travail, pour en prévenir les inconvénients (isolement, stress généré par la coupure physique avec les équipes et l'absence de relations entre collègues, porosité excessive entre vie privée et carrière professionnelle, dérèglement des volumes de travail, connexion excessive…).

Profil statistique du télétravailleur

La majorité des télétravailleurs sont des intermittents de cette modalité d'organisation : peu d'entre eux la pratiquent sur l'intégralité de leur temps de travail, et préfèrent une configuration hybride. D'après l'enquête de la Dares, la proportion de salariés télétravaillant de deux à quatre jours par semaine est en forte augmentation à 67 %, soit 16 % de l'ensemble de la masse salariale française. La pratique d'un seul jour de télétravail par semaine ou de quelques jours par mois recule à 27 %. La majorité des télétravailleurs le font sur deux jours (37 %) ou trois jours (24 %) par semaine.
– Un télétravail choisi. – Instauré sous la contrainte de la crise sanitaire, ce nouveau mode de « vie au travail et de travail dans la vie » prend racine dans notre organisation sociale. C'est, sans doute, parce qu'il correspond aussi à un nouveau désir de plus en plus souvent rencontré : la flexibilité. Faire carrière oui, mais ne plus tout sacrifier au rythme de travail ; s'insérer dans l'entreprise et la cité oui, mais sans accepter que son cadre régisse l'intégralité de nos existences ; enraciner son action professionnelle dans un sens vécu comme cohérent et utile, mais pouvoir aussi s'affranchir à tout moment de ces missions collectives pour « dé-missionner » vers des horizons plus intimes, voire exclusifs ; vivre dans les métropoles propices aux études supérieures puis aux offres de postes jugés les plus intéressants, mais pouvoir régulièrement se retirer au calme et au vert, en quête d'équilibre et de sérénité. C'est sur ce dernier aspect qu'une jonction s'opère entre le télétravail et le logement. Ces nouveaux comportements appellent une double adaptation des habitats. Il faut, d'une part, loger le télétravailleur, mais de façon intermittente, quelques jours seulement par semaine, et de préférence à proximité de l'entreprise qui l'emploie (Sous-section I). Mais il est nécessaire, d'autre part, d'adapter le logement aux besoins de celui qui régulièrement travaille depuis chez lui (Sous-section II).

Le logement des télétravailleurs

S'interroger sur le logement des télétravailleurs appelle une réponse à deux questions simples : où (sur quels territoires) (§ I) et comment (par quels moyens) les loger (§ II) ?

Où loger les télétravailleurs ?

S'il contribue à dynamiser certains territoires (A), le télétravail peut produire des effets pervers susceptibles d'en affecter d'autres (B).

Les effets favorables

– Les rats des villes veulent-ils redevenir rats des champs ? – Il n'y a pas, à ce jour, de phénomène massif de retour « à la campagne ». Lors de la crise sanitaire liée à la Covid-19, l'idée d'un exode urbain a vu le jour, comme une sorte d'inversion de lente décroissance qu'avaient subie les campagnes depuis 1850 en faveur des villes. Le mouvement a été particulièrement sensible à Paris, chez une bonne part de ceux qui pouvaient rejoindre une résidence suffisamment connectée pour leur permettre de télétravailler (leur résidence secondaire, celle d'amis ou de membres de la famille). Mais, à ce jour, nul ne constate de tendance massive à l'exode. De plus, les néoruraux télétravailleurs restent attachés aux commodités de la grande ville : commerces, infrastructures culturelles et sportives, services publics denses, accès aux soins, etc. En bref : nos grandes villes ne sont pas près de se vider.

L'exode urbain en quelques chiffres

1. L'expansion massive du travail à distance est un phénomène suffisamment récent pour ne pas encore disposer d'études sociologiques et statistiques concrètes et abouties sur l'ensemble des conséquences qu'il induit au regard de l'habitat en général.
2. Si l'on observe, par exemple, le solde migratoire de Paris, celui-ci présente en 2020 un déficit de 66 000 personnes, soit un différentiel moins marqué qu'en 2013. Et 20 % de ces départs sont le fait de ménages s'installant dans les départements limitrophes de la « troisième couronne » : donc des personnes sans doute plus poussées par le vent des prix trop élevés qu'affichent les logements intra muros, que par l'appel du grand large et du retour à la nature loin de Paris.
3. Une étude menée par « SeLoger » début 2021 indiquait que 29 % des Franciliens interrogés avaient élargi leur périmètre de recherche de logement, et prospectaient celui-ci plus loin des grandes villes. Certaines moyennes agglomérations de province, comme Rennes ou Nantes, ayant vu leurs prix au mètre carré bondir de plus de 10 % à l'époque de l'étude, depuis la fin des confinements. Ces chiffres témoignent d'un attrait pour d'autres agglomérations que les grandes métropoles, mais sans constater de vaste exode des Français hors de celles-ci. La crise sanitaire et les mesures qui l'ont émaillée ont donc modifié leurs aspirations, mais sans pour autant qu'ils sautent le pas en nombre, télétravail ou pas.
4. Cette situation est confirmée par une autre étude menée par la Plateforme d'observation des projets et stratégies d'urbanisme (Popsu) Territoires pour le Réseau rural français et le Plan urbanisme construction architecture (Exode urbain ? petits flux, grands effets – les mobilités résidentielles à l'ère [post-]covid, juin 2021), que l'on peut lire ci-après dans son intégralité :
https://popsu.archi.fr/sites/default/files/2022-02/PopsuTerritoires-exodeurbain_v12.pdf">Lien
– Un facteur de revitalisation en zone détendue. – Une autre tendance se révèle avec certitude : l'apparition d'une population d'actifs naviguant désormais entre bureau et domicile au cours de la semaine. Elle s'accompagne d'un intérêt accru pour des logements parfois désignés comme des « résidences semi-principales ». Cette dynamique peut profiter à des zones rurales, revigorant des marchés immobiliers jusqu'alors atones. On a ainsi constaté un engouement en faveur des maisons individuelles, dont la demande a crû de 18 % au cours du premier semestre 2021. Mais se plonger durablement dans la ruralité implique une certaine conversion mentale, et le temps nécessaire à un « apprivoisement » progressif. Dès lors, pour s'éloigner des grandes métropoles au marché du logement trop tendu sans pour autant se priver de tout environnement urbain, les villes petites et moyennes apparaissent comme un recours pour les télétravailleurs. Or, du fait « d'une inadéquation géographique entre l'offre et la demande », il s'y trouve un stock de logements vacants. Pour ces territoires, l'accueil de télétravailleurs est donc, sans doute, une chance à saisir. Cependant, certaines expériences vécues localement prêtent à réfléchir.

Les effets pervers

– Un risque de fuite des travailleurs. – Nous prendrons simplement l'exemple, qui n'est sans doute pas unique, des effets du télétravail sur le marché de l'emploi et du logement dans le département de la Haute-Savoie. Dans cette région frontalière, certains considèrent que le télétravail a mis en route « une machine à inciter les travailleurs à partir en Suisse ». Ne pouvant s'acquitter d'un loyer de niveau helvétique, et reculant devant les temps de trajet et les encombrements routiers, nombre de Français frontaliers demeuraient salariés en France. Certes, le niveau des salaires est supérieur en Suisse, mais plus d'un préférait préserver sa qualité de vie. La disparition de la contrainte du déplacement que rend possible le télétravail a rebattu les cartes et semble avoir permis le débauchage de beaucoup de talents au sein de nombreuses entreprises de services haut-savoyardes, ce qui fait craindre à certains employeurs locaux que « nos entreprises soient déshabillées de leurs compétences », comme on peut le lire dans l'article ci-après :

Comment loger en ville les semi-citadins ?

L'expansion du télétravail pose tout d'abord une question d'urbanisme et d'aménagement du territoire : puisqu'elle rend superflue une partie des surfaces de bureaux existantes, peut-on les convertir en logements, et par quels moyens ? (A). Elle interroge aussi les praticiens du droit privé : comment adapter un contrat de bail à une occupation intermittente du logement par le locataire, voire par plusieurs locataires dont chacun dispose d'un temps donné (jour, semaine…) de jouissance du même logement ? (B).

Transformer les bureaux en logements

La transformation de bureaux en logements est encouragée par une législation volontariste, que s'approprient peu à peu les opérateurs.
– Un futur inexorable. – L'entrée dans les mœurs du télétravail devrait pousser à court terme certaines entreprises à revoir à la baisse leurs besoins de surface, et/ou les modalités d'usage de leurs locaux professionnels. Ainsi, l'Institut de l'épargne immobilière et foncière (IEIF) évalue à 3,3 millions de mètres carrés la surface de bureau excédentaire en Île-de-France dans les dix prochaines années. Le télétravail pourrait ainsi permettre de dégager de nombreux mètres carrés de logement par la transformation de locaux professionnels devenus obsolètes du fait de son développement. De même Joachim Azan, président fondateur de Novaxia, déclare : « Du fait de la montée en puissance du télétravail, trois à six millions de mètres carrés de bureau pourraient être libérés. Cette vacance est un gisement de valeur potentielle à venir pour les épargnants ».
– Les moyens d'agir. – Prenant conscience de cette réalité avant même la pandémie de 2020, la loi Elan de 2018 a entendu faciliter cette transformation par plusieurs moyens.

La loi Elan et la transformation des bureaux en logements

La loi Elan de 2018 entend faciliter cette transformation par plusieurs moyens :
  • octroi d'un bonus de constructibilité de 30 % pour la transformation de bureaux en logements afin de compenser les pertes de surfaces et une partie des surcoûts de construction ;
  • à l'exception des communes possédant un nombre insuffisant de logements sociaux, dérogation aux obligations de mixité sociale ;
  • création d'un nouveau droit de reprise, à l'échéance triennale d'un bail commercial, pour les bailleurs souhaitant transformer un immeuble en logements ;
  • création d'une nouvelle catégorie d'immeuble de moyenne hauteur pour harmoniser les réglementations et renforcer la mixité des usages au sein d'un même bâtiment ;
  • les ouvrages réalisés dans certains périmètres (opérations d'intérêt national [OIN], grandes opérations d'urbanisme [GOU], opérations de revitalisation du territoire [ORT] et village olympique de 2024) peuvent bénéficier du permis d'innover pour déroger à des règles de construction.
– Une volonté d'accélération. – Une mobilisation plus récente et plus marquée des pouvoirs publics est observée. En février 2021, la ministre déléguée à la transition écologique, chargée du logement, convoquait plusieurs acteurs de l'immobilier (dont l'IEIF et la Fédération des promoteurs immobiliers [FPI]) pour leur faire part de son souhait « d'accélérer la dynamique », au regard d'un bilan des engagements pris par ces mêmes acteurs en 2018. Dix d'entre eux avaient, alors, signé la « charte Denormandie », s'engageant à transformer en logements 500 000 mètres carrés de bureaux situés en Île-de-France d'ici 2022. Mais trois ans plus tard, seuls 85 000 mètres carrés étaient engagés. Or, la loi Climat et Résilience, votée à l'été 2021, et le fameux objectif « Zéro Artificialisation Nette » (ZAN) changent profondément la donne. Si en 2050 il devient impossible de construire sans rendre au sol naturel une surface équivalente, la transformation de bureaux en logements pourrait devenir beaucoup plus compétitive. Aussi les pouvoirs publics insistent-ils sur le fait que la transformation des bureaux en logements est un moyen de « limiter l'étalement urbain, de prévenir la crise climatique et de préparer la résilience des villes ».
– Des acteurs de marché de plus en plus disposés à prendre le virage. – Le monde de la promotion commence à relever ce défi. À titre d'exemple, on pourra observer la communication nourrie autour du lancement en mars 2021 d'un fonds spécifique dédié au recyclage de bureaux en logements. Ce fonds peut être commercialisé à l'intérieur de solutions d'assurance-vie, et il est donc censé pouvoir profiter des forts mouvements de collecte qui s'y attachent. Il est en outre labellisé « Investissement socialement responsable » (ISR) du fait de son ambition de répondre à la pénurie de logements, visant la production de 4 000 logements issus de la transformation de 180 000 mètres carrés de bureaux obsolètes ou vacants.
Cet essor se produit alors même que de multiples freins pourraient entraver la conversion de bureaux en logements. Aux difficultés techniques, qui sont réelles, s'ajoutent en effet des obstacles d'ordre politique, économique et financier.

Transformation des bureaux en logements : les obstacles

Aux difficultés techniques, qui sont réelles, s'ajoutent des obstacles de plusieurs natures.
1. Les obstacles politiques : les bâtiments destinés aux activités tertiaires, sources d'importantes taxes foncières, sont trop souvent préférés à la création de logements (« maire bâtisseur, maire battu », selon l'adage) avec les dépenses corollaires qu'elle entraîne (nécessités d'équipements scolaires, d'infrastructures, etc.).
2. Les obstacles financiers : les opérations de transformation sont coûteuses et complexes à mener, du fait de normes de construction trop différentes entre immeubles de bureaux et immeubles de logements. « Économiquement, il vaut souvent mieux détruire un immeuble et le reconstruire, mais d'un point de vue environnemental, c'est sûr qu'il vaut mieux le transformer », regrette Christian de Kerangal, directeur général de l'Institut de l'épargne immobilière et foncière (IEIF). À cela peut s'adjoindre la réticence des bailleurs de ces anciens bureaux, qui voient la valeur locative de leur bien jugé obsolète se réduire encore. Car dans un immeuble désormais affecté à l'habitation collective, les surfaces transformées en parties communes ne sont plus valorisées (10 à 15 % de surface perdue en moyenne, selon la FPI).
– La localisation : une donnée déterminante. – Au-delà de ces difficultés, il faut souligner l'importance de la localisation des bureaux à transformer. Créer des logements en lieu et place de locaux professionnels obsolètes situés en périphérie des zones urbaines et isolés des services et des agréments urbains n'aurait aucun sens. Or, ce sont en priorité ces locaux qui tendent à se désertifier. À l'inverse, on assiste à un regain d'intérêt pour les bureaux situés dans les quartiers vivants des grandes métropoles. Les acteurs cherchent « moins mais mieux », c'est-à-dire des surfaces plus restreintes mais plus séduisantes qu'auparavant. Le télétravail pourrait ainsi constituer une incitation majeure à l'amélioration des locaux à usage de bureaux, notion intéressante mais qui excède notre sujet. Notons cependant que l'une des pistes envisagées à cet effet est celle de l'hybridation, qui consiste à associer habitants et travailleurs au sein d'un même bassin de vie. On parle, à cet égard, de quartiers-villages permettant d'allier vie professionnelle et vie privée, et l'on cite en exemple Bercy Village à Paris, non loin des bords de Seine, ou encore Smartseille, îlot marseillais qui associe des usages de bureau, habitat, commerce et service dans un cadre végétalisé. Ces organisations emploient des techniques juridiques innovantes, comme l'attribution de droits réels de jouissance spéciale, afin de bien encadrer qui utilise quoi, quand, et en payant combien.

La recherche de modes alternatifs de logements ciblés

– Nouveaux besoins, nouveaux contrats. – L'émergence de ces nouveaux besoins en logements est l'occasion, pour les praticiens, d'explorer des voies contractuelles inédites. Ainsi, une formule d'« abonnement logement », sorte de bail à temps partagé, a déjà été proposée.
– Une création commerciale non dénuée de pertinence. – « De nombreux actifs, travailleurs hybrides vivant dans une région et travaillant dans une autre, sont à la recherche d'un logement récurrent quelques jours chaque semaine à proximité de leur bureau. Et si c'était la chambre de votre enfant absent en semaine ou votre chambre d'amis inoccupée ? ». Tel est le type d'accroche utilisé par les plateformes dédiées à la mise en relation entre télétravailleurs intermittents et propriétaires de logements à vacuité partielle intermittente. Cette argumentation n'est pas dénuée d'une certaine pertinence. Louer ces parties d'habitation pendant qu'elles sont inoccupées est une source de revenus complémentaires pour le bailleur, propre à satisfaire le besoin de logement des télétravailleurs hybrides. Plusieurs d'entre eux peuvent se succéder, de façon récurrente, au sein du même logement (ou de la même partie de logement), au cours d'une même semaine ou d'un même mois. Mais quel est le contrat susceptible d'organiser ce nouveau type d'occupation partagée ? Une formule de « baux à compartiments temporels » a été imaginée ; il est permis de s'interroger sur son traitement juridique (I) et fiscal (II).

S'abonner à un logement, pourquoi pas ?

1. Une solution en ligne propose la publication gratuite d'annonces déposées par les propriétaires, à destination des télétravailleurs en déplacement, appelés commuters ou « navetteurs ». Les intéressés gèrent ensuite eux-mêmes les visites et le paiement des loyers. D'autres se positionnent sur le même segment, tout en se consacrant uniquement à une offre parisienne intra muros . Toutes promettent des coûts moindres que ceux de l'hôtellerie ou des plateformes « classiques » et l'absence de commission proportionnelle au montant du loyer. Elles louent les vertus de la confiance en une sorte de location de longue durée, mais à temps partiel, faisant valoir que le télétravailleur est le plus souvent salarié, et fréquemment un cadre : par conséquent solvable. Une personne active en phase de maturité professionnelle, qui a éloigné son lieu de vie du lieu d'implantation de son travail physique mais qui doit néanmoins s'y rendre régulièrement de manière présentielle.
2. Pour l'hébergeur, la solution présente les avantages de stabilité d'une location longue durée, sans subir les inconvénients liés à la présence d'un locataire à temps plein (qui seraient la perte durable de l'usage personnel d'une partie de l'habitation, les nuisances en cours de week-end, etc.).
3. Par ailleurs, pour le « navetteur » ou le « semi-urbain », outre les arguments matériels de moindre coût et de rationalisation de la planification, l'avantage serait aussi de pouvoir régulièrement retrouver un lieu devenant peu à peu familier, au lieu d'un logement « de passage », nécessairement impersonnel. Cette recherche du sentiment d'être chez soi marque l'une des conclusions essentielles posées par des études récemment menées en vue d'identifier les meilleures pratiques de logement temporaire des télétravailleurs.

Spectateurs et acteurs à la fois : une étude qui observe et s'engage

1. À ce jour, l'étude probablement la plus aboutie et la plus féconde sur le logement des semi-urbains en ville est celle qu'ont menée Antoine Maitre et Martin Jaubert, fondateurs de l'agence Majma Architectes, sous le titre Part-time. Elle insiste sur l'importance du sentiment de « foyer », la sensation de chez-soi. Ses auteurs ne font pas qu'observer et décrypter. Leur étude ne se contente pas non plus de constater que les entreprises sont amenées à repenser en profondeur l'utilisation de leurs locaux pour rester attractives aux yeux de leurs salariés (présents ou à venir) ; pas plus qu'elle ne se borne à conclure que le logement temporaire de ces salariés, dans les grandes villes où se situe l'entreprise qui les emploie, va devenir un enjeu incontournable pour ces agglomérations.
2. Réalisée en partenariat avec Idheall et le Lab Cheuvreux, elle s'attache également à prendre part à l'effort d'adaptation, en prônant diverses idées concrètes et pistes de solutions urbanistiques et architecturales. Ce qui valut sans doute à l'agence des deux architectes d'être lauréate du concours « FAIRE Paris 2020 », délivré par l'accélérateur de projets architecturaux et urbains innovants du même nom.
On peut écouter ici le podcast de la conférence-débat « Part-time. Quels logements pour les Parisiens à temps partiel ? » du 3 juin 2022 :
Lien web : www.pavillon-arsenal.com/fr/conferences-debats/cycles-en-cours/faire/12462-part-time.html">Lien
3. L'étude constate qu'une ville comme Paris compte environ 118 000 personnes qui travaillent dans les murs de la capitale, mais vivent en dehors de l'Île-de-France, et sans doute plus encore aujourd'hui à l'issue des différentes phases de confinement et de télétravail. Ceci, sans qu'il existe aujourd'hui de solutions réellement adaptées à ce mode de vie. « Part-time Parisiens » imagine alors des solutions abordables, régulières et non spéculatives pour ces habitants « partiels », comme alternative aux logements temporaires (meublés touristiques comme Airbnb) en recyclant et en optimisant des ressources locatives non ou mal exploitées. Un nouveau type de bail d'habitation est proposé, dont l'objet n'est plus le partage d'un espace (colocation) mais le partage du temps de cet espace, afin de permettre un loyer divisé en nombre de nuitées à une adresse fixe. Le regroupement des candidats susceptibles d'être intéressés par des créneaux temporels distincts au sein de la gamme complète ouverte par un logement, et l'optimisation par l'emploi enchaîné de ces créneaux sans télescopage ni vacance, permettent ainsi de libérer et rendre au marché locatif des logements ou parties de logements sous-occupés.
4. Les analyses et les suggestions de l'étude ont été pensées pendant la pandémie de Covid-19, justement en ayant recours à des solutions de travail à distance, donc en épousant concrètement le sujet. Par ailleurs, l'étude Part-time reprend les statistiques de l'Insee : 5,5 % des salariés français télétravaillaient avant le confinement, alors qu'ils sont 26 % en janvier 2022. À Paris, selon cette étude, la moitié des emplois pourrait s'organiser sous forme de télétravail. Une nouvelle réalité qui nécessite d'anticiper les conséquences qu'elle produira, dans le futur, sur l'habitat.
5. Il est suggéré d'optimiser l'occupation des logements en regroupant les télétravailleurs hybrides en fonction de leurs besoins. Ainsi, à titre d'exemple, il est concevable de regrouper sur un même logement celui qui en aura besoin le lundi, puis un autre qui en aura besoin le mardi, un troisième le mercredi, et ainsi de suite, jusqu'au week-end où, par exemple, le propriétaire bailleur conserve le logement pour son propre usage. La même organisation se répète de semaine en semaine ; dès lors, chacun est rassuré par la régularité du dispositif, évitant d'avoir à accomplir sans cesse une démarche de recherche et de réservation de logement ou d'hébergement hôtelier. « Cette méthode permet de loger une personne différente par jour, et la diversité des besoins des travailleurs permet de jongler avec les emplois du temps », explique Majma Architectes, insistant sur le fait qu'il ne s'agit pas de faire du logement une utilisation commerciale, mais d'en permettre une « utilisation agile ».
6. Il est fait valoir également qu'une gestion du logement par le temps d'occupation permettrait notamment d'offrir des prix très attractifs en divisant le prix du loyer par le nombre de nuitées, tout en respectant l'encadrement des loyers en vigueur.
Quel traitement juridique ?
– Une forme de location meublée. – Le traitement juridique de ces baux devrait être celui de la location meublée. On notera en particulier que dans le cadre d'une activité de location meublée, le dépôt de garantie ne peut pas être supérieur à l'équivalent de deux mois de loyer (hors charges) maximum, ainsi qu'en dispose désormais l'article 25-6 de la loi du 6 juillet 1989 créé par l'article 8 de la loi Alur. De plus, si le loyer est payable d'avance en dépassant une période de deux mois (par ex. un loyer trimestriel), le bailleur ne peut pas réclamer de dépôt de garantie au locataire. Il ne pourra le faire que si le locataire est à l'origine d'une demande en faveur du paiement mensuel du loyer.
Quel traitement fiscal ?
– Une fiscalité adaptée… pour l'instant. – Le fait qu'une exploitation locative soit décomposée entre plusieurs locataires ne modifie en rien les régimes de droit commun, et notamment les règles d'imposition de la location meublée dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, toutes conditions étant remplies par ailleurs, notamment l'obligation pour le bailleur de fournir l'ensemble du mobilier et des équipements tels que prévus par les textes.
D'autre part, le bailleur pourrait devoir le cas échéant relever de l'activité de parahôtellerie, et du régime fiscal induit, s'il fournit à ses « locataires partagés » trois des quatre prestations prévues en telle matière : nettoyage régulier des locaux, réception, même sans personnalisation de la clientèle, fourniture du linge de maison, offre de petit-déjeuner. Les conséquences devraient donc, là encore, en découler de manière normale :
  • déficit éventuel d'exploitation, y compris celui lié à l'amortissement des moyens d'exploitation, directement imputable sur le revenu, et non pas neutralisé (puis stocké sans limite de durée) pour la partie excédentaire, comme en matière de location meublée ;
  • ce déficit étant imputable sur le revenu global, si l'exploitation est réalisée à titre professionnel ; dans le cas contraire, il est imputable sur les revenus de même catégorie (BIC), étant reportable pendant une durée maximum de six années ;
  • exonération d'IFI en cas de détention sociétaire et exercice de fonction de direction, ou, en cas de détention directe, en démontrant que l'exploitation constitue l'activité principale ;
  • récupération de la TVA acquittée sur le prix d'acquisition du bien immobilier acheté neuf.
Enfin, se posera la question du dispositif d'exonération applicable aux locations modestes d'une fraction de la résidence principale du bailleur. En effet, louer une ou plusieurs pièces de sa propre habitation principale constitue une activité de location meublée, dont les loyers sont par principe imposables dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. Néanmoins, ces revenus issus de la location meublée d'une ou de plusieurs pièces faisant partie de l'habitation principale du bailleur sont exempts d'imposition dans deux situations :
  • les revenus de la location habituelle d'une ou plusieurs pièces de l'habitation principale du bailleur à des personnes n'y élisant pas domicile (chambres d'hôtes) si leur montant est inférieur à 760 € TTC par an ;
  • si la ou les pièce(s) louée(s) constitue(nt) la résidence principale du locataire (ou sa résidence temporaire s'il a le statut de salarié saisonnier) et si le prix de location reste fixé dans des limites raisonnables telles que publiées, chaque année, au BOFiP.
Malheureusement, sauf prorogation durable ou pérennisation, ce dispositif d'exonération s'applique aux locations ou sous-locations réalisées jusqu'au 31 décembre 2023.

Pérenniser le dispositif de l'article 35 bis du Code général des impôts

Il nous semble important d'appeler l'attention du législateur sur les vertus que présenterait, selon nous, la suppression de toute date butoir d'application de ce dispositif d'exonération, ou à tout le moins sa large prorogation, le temps qu'il puisse jouer son rôle d'incubateur ou d'accélérateur en faveur du développement pratique des nouveaux modes de location à période partagée, en conservant bien sûr les conditions actuelles (partie de résidence principale, et loyer plafonné à un niveau raisonnable).

Location d'une pièce de l'habitation principale et conception fiscale du « loyer raisonnable »

Chaque année sont publiés au BOFiP deux plafonds (l'un concernant l'Île-de-France, l'autre le reste du territoire) jusqu'auxquels le loyer d'une pièce dépendant de l'habitation principale est toujours considéré comme raisonnable. La loi ne l'ayant pas fixé en valeur absolue, une discussion peut s'engager au cas par cas quand les loyers dépassent ces limites. Ces plafonds indicatifs sont actualisés annuellement au regard des mouvements de l'indice de référence des loyers (IRL) publiés par l'Insee. Pour l'année 2022, ils sont fixés à un loyer annuel par mètre carré, charges non comprises, de 192 € maximum en Île-de-France, et 140 € dans les autres régions.

Le télétravail dans son logement

La pratique de plus en généralisée du travail à distance crée un besoin d'adaptation des logements (§ I). Le Droit doit aménager les moyens de le satisfaire (§ II).

Un besoin d'adaptation

– Une adaptation nécessaire. – Décideurs et constructeurs doivent aujourd'hui penser en termes de multifonctionnalité des lieux de résidence, ce qui implique non seulement de satisfaire les besoins présents des habitants, mais en outre d'anticiper sur leurs besoins futurs. On pourrait, par exemple, concevoir des logements divisibles en deux unités : l'une consacrée à la vie privée, et l'autre réservée au télétravail, ou tout au moins aisément adaptable en vue de permettre celui-ci (connectique, cloisons déplaçables, etc.). Au surplus, cette modularité est susceptible de répondre à des besoins d'une tout autre nature (nécessités familiales telles qu'arrivée, croissance, puis départ d'enfants ; séparation ; cohabitation, décohabitation ; besoin d'assistance du fait de l'âge ou de l'invalidité, etc.).

Obstacles et risques de l'adaptation des logements au télétravail

1. En avril 2020, l'Insee s'est livré à une analyse des conditions de confinement en fonction du territoire concerné, du logement occupé et de la composition des ménages. Il en ressort notamment que l'expansion du télétravail rencontre deux principaux obstacles.
1.1 – La taille des logements
39 % des Français disent manquer d'espace dans leur logement. Il en résulte évidemment que « le télétravail, l'école à la maison, la tranquillité ou le besoin de s'isoler ne font effectivement pas toujours bon ménage ».
1.2 – La capacité d'adaptation des logements
Il ressort de cette étude un vrai désir d'évolution dans le sens d'une plus grande flexibilité propre à favoriser, d'une part, le bien-être des habitants (notamment en cas de nouvelle crise sanitaire) et, d'autre part, la continuité de la vie économique, grâce à la possibilité d'y exercer une activité professionnelle à distance. Ce dernier impératif implique que l'habitant puisse disposer d'un minimum de surface, d'aménagement et de connexion.
2. Ces évolutions sociétales devraient être prises en compte dès la conception des logements. Il faut les concevoir mutables, adaptables, personnalisables, autrement dit considérer, outre les nécessités du présent, les besoins futurs des occupants.
– Mais une adaptation à encadrer. – Le risque de cette adaptation « à marche forcée » des logements est de la voir s'opérer au détriment de la qualité de vie de leurs habitants, sinon au détriment de leur vie privée. Certains mettent en garde contre un accroissement excessif de la capacité d'autonomie du logement, qui pourrait présenter selon eux l'effet pervers d'amener les ménages à un repli sur eux-mêmes. Un logement dont on pourrait ne plus avoir besoin de sortir deviendrait aliénant. C'est précisément à cet égard que le rôle des juristes se trouve porté au premier plan : si l'adaptation des logements au télétravail est souhaitable, voire nécessaire, elle appelle la définition d'un cadre juridique respectueux des droits préexistants.

Les moyens de l'adaptation

La concrétisation de ces adaptations passe, entre autres, par la règle de droit, tant de droit public et d'urbanisme (A) que de droit privé et de rapports locatifs et de voisinage (B).

En droit de l'urbanisme : télétravail et police du logement

Permettre à un logement d'accueillir une activité « téléprofessionnelle » renvoie aux problématiques de classification et de changements d'usage. Dans la préface d'un ouvrage récemment actualisé et réédité, un auteur invite à s'interroger sur les effets du fort développement du télétravail sur l'offre de locaux à usage de bureaux. Il observe la disparition en pratique des opérations de transformation de logements en bureaux, et leur remplacement par l'opération inverse. Nous ne nous attarderons pas sur cette question, et renvoyons le lecteur aux travaux de la première commission.

En droit privé

Travailler dans son logement, c'est y exercer une activité professionnelle. Les clauses d'un règlement de copropriété (I) ou celles d'un bail (II) peuvent s'y opposer. Pareilles interdictions peuvent-elles être étendues au télétravail à domicile ?
Télétravail et copropriété
– Une question classique. – Le télétravail repose, en copropriété, la question classique des clauses d'habitation bourgeoise.

Les clauses d'habitation bourgeoise en copropriété

Le droit de la copropriété oppose deux types de clauses dites « d'habitation bourgeoise » :
  • la clause d'habitation bourgeoise simple, qui s'oppose à toute activité commerciale, mais n'empêche pas l'exercice de professions libérales et intellectuelles ;
  • la clause d'habitation strictement bourgeoise, dite encore exclusive, qui prohibe toute activité professionnelle – censée être source de nuisance par le va-et-vient plus intense qu'elle peut générer –, même si cette activité est non commerciale (à la différence de la clause d'habitation bourgeoise simple, qui n'empêcherait pas l'exercice de professions libérales et intellectuelles).
– Le travail dans un immeuble d'habitation n'est pas interdit. – Même les clauses d'habitation bourgeoise les plus restrictives ne peuvent interdire à un locataire ou un propriétaire de travailler depuis chez lui, dès lors qu'aucun préjudice n'est causé au voisinage. L'intéressé dispose, en effet, du libre usage de ses parties privatives. La plupart des règlements de copropriété qui les contiennent remontent à une époque où le travail à distance n'existait pas encore. Ces clauses ne visent donc pas, ne pouvaient pas viser le télétravail en tant que tel. Elles visent en réalité les nuisances qui peuvent découler, pour le voisinage, de l'exercice d'une activité professionnelle génératrice de désagréments : réception de clientèle, livraisons, usage de machines, réunions, etc. Il n'est pas concevable d'y assimiler le fait de travailler à distance, pas plus qu'on ne pourrait le faire pour empêcher un étudiant de bachoter ses examens, un professeur de corriger ses copies, un écrivain de rédiger ses œuvres et pourquoi pas une grand-mère de tricoter des écharpes pour ses petits-enfants !
– Seule est sanctionnée la nuisance. – Pour la Cour de cassation, et sans entrer dans la distinction entre clauses d'habitation bourgeoise simples ou exclusives, le seul critère à prendre en considération est la réalité de l'activité développée dans les locaux. La seule présence d'un bureau, la seule domiciliation d'une entreprise, même commerciale, n'est donc pas contraire à l'habitation bourgeoise et ne peut être interdite à un occupant. De même, la domiciliation d'une personne morale dans les locaux à usage d'habitation pris à bail par son représentant légal, n'entraîne pas un changement de la destination des lieux si aucune activité n'y est exercée. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il nous semble acquis qu'en l'absence de toute nuisance, le télétravail dans un logement ne peut fonder aucun recours de la part d'un copropriétaire ou du syndicat des copropriétaires.
Télétravail et location
– Là encore, seul compte le respect de la paix des lieux. – La solution nous paraît identique si la question se pose au sein d'un rapport locatif. L'une des principales obligations du locataire est d'user paisiblement des locaux loués, suivant la destination qui leur a été donnée par le contrat de location.
Pour le rappel des obligations du locataire, on peut lire ici le contenu in extenso de l'article 7 de la loi du 6 juillet 1989 :
Dès lors, le locataire en télétravail peut utiliser un bureau et exercer son activité professionnelle dans les locaux loués, mais il ne doit créer aucune source de nuisances pour son voisinage. Il ne peut pas recevoir de clientèle ou stocker de la marchandise dans le logement loué. Si ces conditions sont respectées, il n'apparaît pas nécessaire qu'il obtienne l'accord du propriétaire. Il peut domicilier une entreprise dans son logement pour les besoins de son immatriculation (V. supra, no ) ou y exercer des activités de télétravail, de commerce électronique ou de prestation intellectuelle.
– L'assurance du locataire, un point à vérifier. – En revanche, il sera prudent de vérifier que l'assurance habitation du locataire couvre bien l'exercice du télétravail ainsi que les équipements et matériels mis à disposition par l'employeur. C'est d'ailleurs également une obligation de l'employeur. Fréquemment, l'assurance habitation du salarié locataire couvre la situation de télétravail sans des frais supplémentaires.