L’accroissement du patrimoine en faveur du logement

L’accroissement du patrimoine en faveur du logement

Afin d’encourager l’offre de logements sur leur territoire, la première question que les collectivités locales doivent se poser est celle des modalités d’appropriation du foncier à mettre en place.
Le recours à la négociation amiable, s’il est nécessairement une solution à privilégier en première intention car il permet d’élaborer une stratégie foncière notamment avec les grands propriétaires fonciers, peut toutefois s’avérer long, complexe et incertain.

Des conventions pour mobiliser les grands propriétaires publics

La mobilisation du foncier des grands propriétaires publics est indispensable pour répondre aux enjeux auxquels nous faisons face en matière de logement. Un certain volontarisme est alors à constater dans ce domaine, comme en témoignent les différentes conventions conclues.

À titre d’exemple, la ville de Paris et de nombreux acteurs publics et privés ont conclu en juin 2014 le « Pacte Logement pour tous » visant à atteindre un objectif de production de 10 000 logements par an. À la suite de la signature de ce Pacte, l’AP-HP, la RATP, la SNCF ont annoncé la mobilisation de 20 hectares de foncier pour permettre de développer l’offre de logement. Ces trois opérateurs ont fait part de leur engagement à saisir toutes les opportunités de mutation foncière de leur patrimoine pour y contribuer. Le partenariat entre la Ville de Paris et ces grands propriétaires fonciers s’est traduit par la signature de deux protocoles fonciers, l’un avec la SNCF, l’autre avec la RATP.

Le 28 mai 2021, Emmanuelle Wargon, alors ministre chargée du logement et Jean-Pierre Farandou, Président directeur général de SNCF, ont signé une charte d’engagement visant à renforcer la contribution du Groupe SNCF et de sa filiale ICF Habitat à la mobilisation des fonciers publics ferroviaires. Cette mobilisation permettra de programmer des opérations de production de nouveaux logements sur la période 2021-2025. L’objectif visé est la construction de 15 000 à 20 000 logements sur l’ensemble du territoire national, dont 35 % de logements sociaux. Cette convention fut déclinée au niveau de la région d’Île-de-France où les besoins en logement sont particulièrement forts au travers une charte d’engagements respectifs en faveur de la création de logements en Île-de-France, au travers d’une convention conclue par Marc Guillaume, préfet de la région d’Île-de-France, préfet de Paris, Katayoune Panahi, Directrice de SNCF Immobilier, et Patrick Jeanselme, Président du directoire d’ICF Habitat La Sablière. Une trentaine de sites ont été identifiés représentant un foncier de près de 536 000 m² soit un potentiel de constructions de près de 6 600 nouveaux logements pour 2021-2025. Afin de répondre aux objectifs de la relance de la construction, l’objectif de création de logements sociaux visée est de 38% de ce potentiel de construction.Un travail similaire est mené dans d’autres régions, avec pour ambition de signer des conventions régionalisées avant la fin de l’année 2022.

Par conséquent, divers outils ont été mis en place afin de favoriser l’appropriation foncière par les personnes publiques. Ces outils sont fréquemment employés pour favoriser la production immédiate de logement (Sous-section I), ou encore lorsque le projet n’est pas encore pleinement déterminé (Sous-section II).

L’appropriation en faveur du logement à court terme

Parmi les outils existants sont utilisés pour promouvoir une offre de logement, l’on retrouve des outils classiques (l’expropriation pour cause d’utilité publique et le droit de préemption urbain (§ I), ainsi que des mécanismes plus spécifiques (droit de priorité et décote « Duflot ») (§ II).

Les outils classiques de l’appropriation publique pouvant servir la production de logements

Il s’agit ici de rappeler brièvement l’intérêt des procédures d’expropriation (A) et le de préemption urbain (B) en faveur du logement.

L’expropriation en faveur du logement

Le recours à l’expropriation présente de nombreux avantages pour les collectivités territoriales car il s’agit d’un moyen d’acquisition forcée du foncier et qu’il permet d’éteindre tous les droits réels et personnels existants sur les immeubles expropriés.
Pour que l’expropriation soit régulière, il faut que le recours à cette procédure soit justifié. En effet, l’expropriation ne peut être mise en œuvre que pour « cause d’utilité publique », c’est-à-dire en vue d’un but d’intérêt général.
Par principe, ce but d’intérêt général est mis en balance, depuis l’intervention de l’arrêt du Conseil d’État Ville Nouvelle Est du 28 mai 1971, avec un ensemble d’éléments extérieurs : degré d’atteinte à la propriété privée, coûts financiers, inconvénients d’ordre social, atteinte à d’autres intérêts publics. Dès lors, une opération ne peut légalement être déclarée d’utilité publique que si les atteintes à la propriété, le coût financier et éventuellement les inconvénients d’ordre social ou l’atteinte à d’autres intérêts publics qu’elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente. C’est ainsi qu’a pu être déclaré d’utilité publique l’expropriation d’un terrain appartenant à une personne privée « en vue de la réalisation d’un parc de stationnement pour voitures et de logements dans un secteur où la circulation automobile est intense, et la capacité en logements insuffisante, [car les inconvénients] ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt public qui s’attache à la réalisation du projet ».
Plusieurs dispositifs dérogatoires prévoient une procédure d’expropriation simplifiée qui tend à favoriser la production du logement ou sa préservation, dans laquelle l’utilité publique est déjà prévue dans la loi.
C’est notamment le cas des procédures d’expropriation engagées sur le fondement de la loi du 10 juillet 1970 dite « Vivien », tendant uniquement à la résorption de l’habitat insalubre sans autre projet, aujourd’hui codifiée dans le Code de l’expropriation. Cette procédure permet à une collectivité publique de solliciter du préfet l’édiction d’un arrêté de déclaration d’utilité publique, dont la particularité réside dans le fait que celui-ci n’a pas à être précédé d’une enquête publique préalable, et permet de déclarer cessibles les immeubles concernés et de fixer le montant de l’indemnité provisionnelle allouée aux propriétaires. Lorsqu’il agit dans ce cadre, l’expropriant est tenu d’assurer le relogement des occupants. La procédure se poursuit ensuite comme en matière d’expropriation, étant ici précisé que la valeur des biens est appréciée, compte tenu du caractère impropre à l’habitation des locaux et installations expropriés, à la valeur du terrain nu. Par cette procédure, l’article L. 511-1 du Code de l’expropriation pose que peuvent être expropriés « [les] immeubles ayant fait l’objet d’un arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité pris en application de l’article L. 511-11 du Code de la construction et de l’habitation et ayant prescrit la démolition ou l’interdiction définitive d’habiter », ce qui suppose que l’insalubrité soit irrémédiable.
Les textes prévoient deux conditions alternatives du caractère irrémédiable de l’insalubrité :
  • il n’existe aucun moyen technique de remédier à l’insalubrité ou à l’insécurité ;
  • les travaux nécessaires à cette résorption seraient plus coûteux que la reconstruction, étant ici précisé qu’au terme d’une jurisprudence relativement stricte, le coût de la reconstruction inclut celui de la démolition.
À titre exceptionnel, des immeubles qui n’ont pas fait l’objet d’un tel arrêté peuvent être expropriés par cette procédure, « lorsque leur expropriation est indispensable à la démolition d’immeubles insalubres ou d’immeubles menaçant ruine, ainsi que des terrains où sont situés les immeubles déclarés insalubres ou menaçant ruine lorsque leur acquisition est nécessaire à la résorption de l’habitat insalubre, alors même qu’y seraient également implantés des bâtiments non insalubres ou ne menaçant pas ruine ». C’est ainsi qu’ont pu être expropriés des logements frappés par un arrêté d’insalubrité irrémédiable afin de permettre la démolition et la construction neuve de dix logements sociaux.
Une autre procédure qui peut être citée est le cas de l’état de carence du propriétaire d’un immeuble collectif à usage d’habitation qui ne peut plus assurer la conservation de l’immeuble ou la sécurité et la santé de ses occupants, prévu par les articles L. 615-6 et suivants du Code de la construction et de l’habitation.

Le droit de préemption urbain (DPU) en faveur du logement

Le droit de préemption urbain offre d’importantes opportunités d’acquisition pour favoriser l’offre de logements (I). Ces opportunités ont été renforcés avec l’extension des personnes pouvant être délégataires du droit de préemption urbain (II).
Mobilisation du cadre général en faveur de la production du logement
Le droit de préemption est défini comme « la faculté conférée par la loi ou par la convention à une personne d’acquérir, de préférence à toute autre, un bien que son propriétaire se propose de céder, en se portant acquéreur de ce bien dans un délai donné, en général aux prix et conditions de la cession projetée ».
Il existe différents types de droit de préemption pour des objets très différents. Aux côtés du droit de préemption urbain et du droit de préemption dans le cadre d’une zone d’aménagement différé, des lois successives ont prévu des dispositifs spéciaux. Notamment, la loi dite Climat du 22 août 2021, mise en œuvre sur ce point par l’ordonnance no 2022-489 du 6 avril 2022, a institué un droit de préemption pour l’adaptation des territoires au recul du trait de côte dans la perspective de prévenir les conséquences du recul du trait de côte sur les biens situés dans les zones exposées. L’intérêt de ce dispositif est qu’il ouvre, au profit des propriétaires concernés, un droit de délaissement leur permettant de proposer au titulaire du droit de préemption l’acquisition du bien.

Le bail réel d’adaptation à l’érosion côtière (BRAEC)

En complément, et pour rendre opérationnelle la politique publique dans les secteurs exposés au recul du trait de côte, il est créé, par voie d’ordonnance, un nouveau bail réel permettant l’utilisation des biens, ainsi préemptés ou déjà propriété des personnes publiques, jusqu’à ce que l’érosion soit effective. Crée par l’ordonnance no 2022-489 du 6 avril 2022 relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte, le bail réel d’adaptation à l’érosion côtière est un contrat par lequel « lequel l’État, une commune ou un groupement de communes, un établissement public y ayant vocation ou le concessionnaire d’une opération d’aménagement, consent à un preneur pour une durée comprise entre douze ans et quatre-vingt-dix-neuf ans, des droits réels immobiliers en vue d’occuper lui-même ou de louer, exploiter, réaliser des installations, des constructions ou des aménagements, dans les zones exposées au recul du trait de côte délimitées dans les conditions prévues par l’article L. 121-22-2 du Code de l’urbanisme. » La durée de ce contrat, comprise entre 12 et 99 ans, est déterminée au regard des échéances de l’opération d’aménagement si elles sont connues, et surtout de l’espérance de durée de vie du terrain d’assiette, compte tenu des évolutions prévisibles du trait de côte. Le bail est toutefois résilié de plein droit à la date de l’arrêté par lequel le maire de la commune, en application des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du Code général des collectivités territoriales, ou le préfet, en application de l’article L. 2215-1 du même code, prescrit les mesures nécessaires lorsque l’état du recul du trait de côte est tel que la sécurité des personnes ne peut plus être assurée. Cette résiliation donne lieu à indemnisation du preneur. Pendant la durée du contrat, le preneur, titulaire de droits réels immobiliers, peut occuper lui-même les biens ou louer, exploiter, réaliser des installations, des constructions ou des aménagements. Ces droits réels sont consentis en contrepartie d’un prix et, le cas échéant, d’une redevance pendant toute la durée du bail. Le preneur peut céder ou donner ses droits réels, sous certaines réserves. Tout d’abord, les droits réels résultant du bail ne peuvent être cédés ou donnés qu’à une personne subrogée au preneur dans les droits et obligations découlant de ce bail. Ensuite, tout projet de cession de droits réels immobiliers par le preneur fait l’objet d’une publicité préalable. Et enfin, le prix de cession « ne doit pas excéder notablement le prix résultant de la prise en compte d’une valeur du bien estimée en priorité par référence à des mutations et accords amiables portant sur des biens de même qualification et avec un niveau d’exposition similaire situés dans la même zone ou, lorsque ces références ne sont pas suffisantes, selon les modalités définies au second alinéa du III de l’article L. 219-7 du Code de l’urbanisme ». À l’échéance du bail, le terrain d’assiette fait l’objet d’une renaturation comprenant, le cas échéant, la démolition de l’ensemble des installations, des constructions ou des aménagements, y compris ceux réalisés par le preneur, et les actions ou opérations de dépollution nécessaires.
Le droit de préemption urbain constitue, d’une manière générale, un outil d’aménagement urbain pour la commune ou l’EPCI compétent. Il permet d’acquérir par priorité, dans certaines zones préalablement définies, les biens mis en vente, dans le but de réaliser des opérations d’intérêt général.
Le tableau ci-après présente le champ d’application matériel du droit de préemption urbain.
L’autorité titulaire du droit de préemption est définie par la combinaison des articles L. 211-1 et L. 211-2 du Code de l’urbanisme. Il en ressort que :
  • les communes dotées d’un plan local d’urbanisme (PLU) peuvent, par délibération, instituer un droit de préemption urbain sur leur territoire ;
  • la compétence, en matière de PLU, d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, d’un établissement public territorial (EPT) et de la métropole de Lyon, emporte sa compétence de plein droit en matière de droit de préemption urbain ;
  • la métropole du Grand Paris est compétente de plein droit en matière de droit de préemption urbain, dans les périmètres fixés par le conseil de la métropole, pour la mise en œuvre des opérations d’aménagement d’intérêt métropolitain.
Le titulaire du droit de préemption a toujours la faculté de déléguer l’exercice de ce droit à l’État, une collectivité locale, un établissement public y ayant vocation, au concessionnaire d’une opération d’aménagement ou à une société publique locale d’aménagement.
En toute hypothèse, afin de garantir les droits de personnes concernées par l’exercice d’un droit de préemption (vendeur / acquéreur évincé), toute décision de préemption doit être motivée. Il s’agit là d’une obligation substantielle dont la méconnaissance entache d’illégalité la décision de préemption. Le juge administratif a pendant longtemps opéré un contrôle sévère de cette motivation, exigeant le motif d’un projet précis et préexistant. C’est la raison pour laquelle, pour neutraliser le risque d’annulation des décisions de préemption prises dans le cadre d’actions en faveur du logement, et parfois pas assez formellement motivées, la loi SRU du 13 décembre 2000 a rendu possible de procéder à une décision de préemption en se référant seulement aux dispositions de la délibération définissant le cadre des actions que la commune entend mettre en œuvre pour mener à bien un programme local de l’habitat. Par la suite, la loi ENL du 13 juillet 2006 a étendu cette possibilité, en l’absence de programme local de l’habitat, permettant de motiver une décision de préemption par référence à une délibération définissant le cadre des actions que la commune entend mettre en œuvre pour mener à bien un programme de construction de logements locatifs sociaux. Cette possibilité exonère ainsi le titulaire du droit de préemption de justifier du caractère suffisamment précis et certain du projet qu’il entend mener grâce au bien préempté.
Désormais, depuis l’arrêt Commune de Meung-sur-Loire du 7 mars 2008, les exigences de la jurisprudence en termes de motivation sont différentes. La décision de préemption doit justifier de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date, mais dont la nature apparaît dans la décision de préemption.
Ainsi, une décision de préemption peut être motivée par référence à la mise en œuvre de la politique locale de l’habitat et la lutte contre l’habitat indigne, qui est l’un des objectifs visés à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme.
En toute hypothèse, la jurisprudence exige que la décision de préemption réponde à un « intérêt général suffisant », notamment eu égard aux caractéristiques du bien faisant l’objet de l’opération ou au coût prévisible de cette dernière.
C’est ainsi que le droit de préemption est beaucoup utilisé par les autorités publiques pour permettre d’augmenter l’offre de logements sur un territoire :

Par exemple

À titre d’illustration, on peut utilement citer les projets suivants :

  • Préemption fondée sur la mise en œuvre d’une politique locale de l’habitat, et plus précisément sur la création de logements sociaux.
  • Droit de préemption utilisé pour assurer le relogement de personnes touchées par une opération d’aménagement dès lors que cette décision s’inscrit dans la politique locale de l’habitat.
  • Décision de préemption exercée en vue de la mise en œuvre d’une politique locale de l’habitat et permettant, dans un objectif de mixité sociale, la rénovation et la restructuration de 45 logements sociaux.
  • Préemption fondée sur la politique municipale d’augmentation du nombre de logements sociaux et le rôle de l’OPHLM en la matière.
  • Préemption réalisée pour permettre l’amélioration du quota de logements sociaux.
  • Décision de préemption motivée de manière circonstanciée par la nécessité d’augmenter le pourcentage de logements sociaux en vue de la diversité de l’habitat et de la mixité sociale sur le territoire communal.
  • Décision de préemption relative à la réalisation d’un programme de logement social dans le cadre du PLH applicable.
  • Préemption motivée par une démarche d’ensemble mise en œuvre au titre de la politique locale de l’habitat et visant à la réalisation de lotissements communaux afin d’attirer une population de jeunes actifs.
  • Préemption motivée par un projet de construction de 35 logements sociaux, qui, par sa nature même, a pour objet la mise en œuvre de la politique de l’habitat, et ce même si la commune concernée a déjà atteint les objectifs fixés par l’art. L. 302-5 du Code de la construction et de l’habitation en termes de logements sociaux.
  • Décision de préemption pour permettre la création d’un parc locatif communal destiné principalement à répondre aux demandes de jeunes couples, par référence au risque de vieillissement de la population identifié au PLU.
  • Décision de préemption justifiée par la réalisation d’une opération sociale qui poursuit l’objectif de rattraper le retard de la ville en logements sociaux ; étant précisé que l’opération est réalisée sur des parcelles situées dans un secteur à enjeux identifié par la collectivité.
– Limites à l’usage du droit de préemption. – La crise du logement dans certains territoires à l’attractivité sans cesse croissante a pour effet de décorréler les prix (en locatif comme en accession) des revenus des résidents permanents (V. supra, concernant le PLU ; L. Cormier, V. Vorms, « Logement : priorité aux résidents permanents ? » Terra nova, 14 avr. 2023). Si le DPU peut apporter des solutions par exemple, en permettant d’être un « pare-feu » en cas de spéculation abusive sur certains biens immobiliers (F. Vuillaume, « Droit de préemption urbain et territoires », Civitas Europa 2015/2, no 35, p. 77 – www.cairn.info/revue-civitas-europa-2015-2-page-77.htm">Lien), il ne peut résoudre cette problématique car il ne peut pas être utilisé pour exclure certains types d’acquéreur (ex. résidents secondaires, touristes) ou faire baisser les prix (TA Montreuil, 20 oct. 2011, F. c/ Cne de Saint-Ouen, req. no 1007663). Étant ici précisé que même en dehors de cette législation, la loi française et le droit de l’Union européenne empêchent de réserver l’accession à la propriété sur leur territoire aux résidents permanents (V. infra, sur les Chartes).
Renforcement de la place du droit de préemption urbain dans la production du logement : extension des délégataires de ce droit
Afin de favoriser la production de logements, et ce malgré les collectivités qui pourraient parfois y être opposée, les textes imposent ou permettent que le titulaire du droit de préemption change.
De manière autoritaire, lorsqu’une commune fait l’objet d’un arrêté de carence au motif qu’elle ne respecte pas ses quotas de logement sociaux imposés par la loi SRU, le droit de préemption est exercé par le préfet lorsque l’aliénation porte sur un bien affecté au logement ou destiné à être affecté à une opération ayant fait l’objet de la convention prévue à l’article L. 302-9-1 du Code de la construction et de l’habitation. Le préfet peut ensuite déléguer ce droit, y compris sur demande motivée à la collectivité initialement compétente mais en mentionnant précisément le bien concerné, la finalité pour laquelle la préemption doit être exercée. En toutes hypothèses, les biens acquis dans ce cadre doivent être utilisés en vue de la réalisation d’opérations d’aménagement ou de construction permettant la réalisation des objectifs fixés dans le programme local de l’habitat ou déterminés en application du premier alinéa de l’article L. 302-8 du Code de la construction et de l’habitation.
Au-delà, des mécanismes de délégation particuliers sont également prévus au profit des organismes agissant en matière de logement social, dans le même but d’atteindre les quotas SRU ou encore de manière plus générale afin de favoriser la réalisation des objectifs fixés dans le programme local de l’habitat selon les termes de l’article L. 211-2 du Code de l’urbanisme.
Plus particulièrement, des délégations peuvent être consenties à une société d’économie mixte de construction et de gestion de logements sociaux agréée, à un organisme d’habitations à loyer modéré (Office public de l’habitat, société anonyme d’habitations à loyer modéré, société anonyme coopérative de production, société anonyme coopérative d’intérêt collectif d’habitations à loyer modéré, fondation d’habitations à loyer modéré), à un organisme de foncier solidaire pour les biens nécessaires à son activité principale ou à un organisme bénéficiant de l’agrément maîtrise d’ouvrage.
Il s’en suit qu’en pratique, le DPU est un outil largement employé, tant par les collectivités locales, que par les organismes HLM ou les établissements publics fonciers, afin d’acquérir du foncier qui leur permettra de développer l’offre de logements disponibles.

La zone d’aménagement différé

Le droit de préemption a été institué dans les ZAD par la loi no 62-848 du 26 juillet 1962. Les règles applicables aux ZAD sont désormais insérées aux articles L. 212- 1 et R. 212-1 et suivants du Code de l’urbanisme. La ZAD constitue, pour les collectivités publiques, un outil de contrôle du marché foncier dans les secteurs où elles envisagent des opérations d’urbanisme. L’outil ZAD a ainsi été conçu pour permettre de préparer des opérations d’aménagement sur le long terme. À cet effet, il a pour objectif non seulement de lutter contre la spéculation foncière, mais aussi de favoriser l’appropriation publique du sol nécessaire à la réalisation d’un projet d’aménagement urbain. Étant ici précisé que pour faire face aux manœuvres spéculatives pendant la procédure de création des ZAD, le Préfet peut, dès que la création d’une ZAD est envisagée, délimiter provisoirement un périmètre de "pré-ZAD", ouvrant sensiblement les mêmes droits que la ZAD.
Concrètement, la zone d’aménagement différé (ZAD) est un secteur à l’intérieur duquel s’applique, pour une durée limitée (six ans renouvelable), un droit de préemption permettant à une collectivité publique, un établissement public y ayant vocation, ou une SEM titulaire d’une convention d’aménagement d’acquérir prioritairement les biens immobiliers en cours d’aliénation. Il s’agit donc d’un outil de préemption, au même titre que le droit de préemption urbain. De fait, le régime du DPU se confond en grande partie avec le régime des ZAD. Il s’en distingue toutefois par son champ d’application ainsi que par ses modalités d’institution :
  • s’agissant du champ d’application territorial de la ZAD : le principe est simple puisqu’une ZAD peut être créée sur tout le territoire national sans limitation, que la commune soit ou non dotée d’un document d’urbanisme. Le champ d’application territorial de la ZAD est donc bien plus large que celui du DPU ;
  • s’agissant du champ d’application matériel de la ZAD : il est identique à celui du DPU.Notons qu’une hiérarchie entre ces deux droits de préemption a été prévue : ainsi, lorsqu’un bien est soumis au droit de préemption en ZAD, il est, de facto, exclu du champ d’application du droit de préemption urbain.
  • s’agissant des modalités de création d’une ZAD : la création d’une ZAD appartient au préfet de département, mais également aux EPCI à fiscalité propre compétents en matière de PLU et, dans le périmètre de la métropole du Grand Paris, aux établissements publics territoriaux, à condition de rester en dehors des périmètres fixés par le conseil de la métropole du Grand Paris pour la mise en œuvre des opérations d’aménagement d’intérêt métropolitain.Notons par ailleurs que l’article L. 212-2 du Code de l’urbanisme précise que le titulaire du droit de préemption est désigné dans l’arrêté de création de la ZAD.
Actuellement, il est constaté que le nombre de ZAD a tendance à diminuer, sans doute car la réalisation d’opération de renouvellement urbain dans le cadre de ZAD – une procédure de maîtrise foncière complète des site – est souvent très onéreux.

Les outils spécifiques de l’appropriation en faveur de la production de logements : le droit de priorité couplé à la décote

Le droit de priorité est un outil mis en place pour favoriser la circulation des biens entre personnes publiques dans un but de réalisation d’opérations portées par certaines d’entre elles (A). Couplé à un mécanisme spécifique de décote des prix de cession, il constitue un instrument particulièrement efficace pour développer l’offre de logements (B).

L’acquisition préférentielle des immeubles de l’État et des personnes qui y sont rattachées par les collectivités : le droit de priorité

Institué par la loi du 13 juillet 1991 d’orientation pour la ville, le mécanisme du droit de priorité a été rénové par la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, en opérant une fusion avec le droit de préemption urbain. Il accorde aux collectivités bénéficiaires du droit de préemption urbain (cf. développements précédents tant sur les titulaires que les délégataires du DPU), un droit de priorité sur tout projet de cession de certains biens appartenant à l’État, à des sociétés dont il détient la majorité du capital et à certains établissements publics, en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, d’actions ou d’opérations d’aménagement ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation de telles actions ou opérations.
À la différence du droit de préemption qui vient s’insérer dans un processus de vente déjà engagé, le droit de priorité doit en principe être purgé plus en amont, dès que la décision de mise en vente du bien est prise.
À l’instar du droit de préemption urbain, le droit de priorité peut utilement être mobilisé dans l’optique de permettre aux collectivités publiques d’encourager l’offre de logements sur leur territoire.
Il doit être mis en perspective avec le système de décote prévu au titre de la mobilisation du foncier de l’État en faveur de la production de logements.

L’acquisition à des prix inférieurs à la valeur vénale des immeubles de l’État et assimilés par les collectivités : la décote « Duflot »

Dans la perspective d’impulser une vraie dynamique pour relancer la construction de logements sociaux, la loi Duflot 2 du 13 janvier 2013 a profondément remanié le mécanisme de vente à un prix inférieur à leur valeur vénale des immeubles de l’État, de certains de ses établissements publics et certaines de ses sociétés, aujourd’hui dénommé par la pratique « décote Duflot » du nom de la Ministre qui porta cette réforme. Précisément, en vertu de l’article L. 3211-7 du Code général de la propriété des personnes publiques, l’État et certains de ses établissements publics et certaines de ses sociétés peuvent procéder à l’aliénation de terrains de son domaine privé à un prix inférieur à la valeur vénale – décote pouvant atteindre 100 % – lorsque ces terrains, bâtis ou non, sont destinés à la réalisation de programmes comportant majoritairement des logements dont une partie au moins est réalisée en logement social.
La décote Duflot fut l’objet de développements exhaustifs de la part de nos confrères lors du 109e Congrès des notaires. Elle est toutefois l’objet d’une attention spécifique de la part des pouvoirs publics et a, depuis lors, été sujette à plusieurs modifications même si les principes fondamentaux restent inchangés.
La loi no 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi Alur, a par exemple introduit une possibilité de dérogation au délai de cinq ans, imposé pour la réalisation du programme de logement justifiant le droit à la décote, pour les cessions de terrains s’inscrivant dans une opération d’aménagement (au sens de l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme) de plus de cinq hectares, après accord des ministres chargés du logement et du domaine. Pour ces opérations, la convention conclue entre le représentant de l’État dans la région et l’acquéreur peut prévoir une réalisation de l’opération par tranches échelonnées sur une durée totale supérieure à cinq ans. Selon l’étude d’impact de la loi n° 2018- 1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi Elan : « Après quelques années d’application, il apparaît que le seuil de cinq hectares limitant cette possibilité de dérogation n’est pas justifié. En effet, des situations spécifiques sont également observées sur des terrains compris dans des opérations d’aménagement de moins de cinq hectares ». La loi Elan modifie ainsi les termes de l’article L. 3211-7 du CGPPP et ouvre la dérogation au délai de 5 ans à l’ensemble des cessions avec décote s’inscrivant dans une opération d’aménagement, quelle que soit la surface de l’opération.
Parallèlement, la loi Elan, renforce ce dispositif en élargissant le champ d’application de la décote aux logements faisant l’objet d’un bail réel solidaire par exemple tout en allégeant ses modalités de mise en œuvre.
Selon le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chaque année, 70 à 80 terrains sont vendus pour la construction de 6 000 à 10 000 logements avec une très forte proportion de logements sociaux. L’effort financier consenti par l’État et ses opérateurs au titre de la décote est conséquent. Sur les 71 cessions de 2019, 13 cessions ont fait l’objet de telles décotes, pour un montant total estimé à 17,7 M€. En cumulé depuis 2013, l’effort financier de l’État s’élève à 220,9 M€.
Le potentiel de la mobilisation du foncier public est important et constitue ainsi l’un des leviers indispensables pour la production de logements, notamment sociaux, même si certains relèvent une certaine complexité dans la mise en œuvre effective de la décote, notamment les modalités de calcul de cette dernière.
Mais le foncier de l’État et de ses acteurs ne peut parfois être envisagé seul. Celui des collectivités peut également jouer un rôle décisif pour donner à certaines assiettes foncières de l’État la taille critique nécessaire à la production de logements, de commerces et d’équipements. Aussi, est-il préconisé que les rapports contractuels entre l’État et les collectivités portant sur la production de logements comportent un volet sur la mobilisation de l’ensemble du foncier public.

L’appropriation en faveur du logement à long terme : une politique de réserves foncières à favoriser ?

Pour anticiper les projets d’aménagement et notamment de création de logements, le recours à la technique de la réserve foncière est particulièrement efficace. Le CEREMA constate que « La maîtrise foncière de long terme permet la maturation du programme d’aménagement, la maîtrise des dépenses de charge foncière et l’optimisation du foncier, et enfin la négociation des conditions de réalisation du programme ».
Les réserves foncières ont été officiellement instituées par la loi d’orientation foncière du 30 décembre 1967. En réalité, le Conseil d’État avait reconnu la possibilité de les constituer par voie d’expropriation avant même l’intervention de cette loi.L’objectif affiché est de limiter l’effet de la spéculation immobilière (flambée des prix constatée après la Seconde Guerre mondiale) en dotant les personnes publiques de moyens permettant de maîtriser les plus-values générées par l’urbanisation et l’extension des villes. C’est la raison d’être des droits de préemption dans les ZUP et les ZAD. La loi de 1967 s’inscrit dans cette même logique en offrant donc clairement la possibilité pour les collectivités, au-delà du droit de préemption, de constituer des réserves foncières.
Néanmoins, la réserve foncière reste difficile à mettre en place tant pour des raisons économiques que juridiques. Économiquement, le temps long des opérations tend en effet à augmenter le risque du portage foncier : l’évolution des coûts de construction qui déséquilibre les opérations et peut conduire à revendre le foncier en dessous de sa valeur d’acquisition ; le changement de réglementation au fil du temps peut également avoir cette conséquence, voire bloquer certains projets. Sans compter que les besoins fonciers réguliers des collectivités peuvent conduire à puiser dans le stock réservé à un grand projet d’aménagement avant que celui-ci n’ait pu voir le jour. Juridiquement, des outils existent, le droit de préemption (§ 1) et l’expropriation (§ 2), mais ils doivent être utilisés avec précaution.

Le droit de préemption pour la constitution de réserves foncières

Deux types de droit de préemption peuvent être mobilisés pour constitution des réserves foncières : le droit de préemption urbain (C. urb., art. L. 211-1) et celui existant dans le cadre des zones d’aménagement différé.

En matière de droit de préemption urbain

La préemption pour constituer une réserve foncière doit être motivée en vue de permettre la réalisation d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets définis à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme.
Historiquement, le juge exigeait l’existence d’un projet précis et certain pour que la décision de préemption soit légale et ne faisait pas cas de la spécificité des réserves foncières. Ce contrôle sévère de la motivation d’une décision de préemption par le juge administratif le conduisait à considérer que la constitution d’une réserve foncière en vue de la réalisation ultérieure d’un équipement public ne constituait pas un projet suffisamment précis et certain correspondant à l’un des objets visés à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme. Or, comme le souligne la doctrine, la technique de réserve foncière consiste justement « dans l’acquisition préventive de terrains qui seront par la suite affectés à une opération d’aménagement », ce qui « peut laisser à supposer qu’au stade de la préemption, n’est opération n’est encore définie, si elle l’est, que de manière imprécise ». Ce paradoxe a conduit le juge a assouplir sa jurisprudence, même avant l’évolution générale posée par l’arrêt Commune de Meung-sur-Loire précité qui sera transposée aux réserves foncières conditionnant la légalité d’une décision de préemption à la réalité d’un projet d’aménagement.
L’évolution a consisté à exiger du titulaire de droit de préemption qu’il justifie avoir envisagé l’exécution sur le terrain préempté pour réserve foncière d’une action ou opération d’aménagement ; un projet devait seulement exister, même si les caractéristiques précises n’étaient pas déterminées.
De plus, grâce à la loi SRU du 13 décembre 2000 qui admis qu’une décision de préemption puisse être motivée par référence à une délibération délimitant des périmètres dans lesquels elle décide d’intervenir pour les aménager et améliorer leur qualité urbaine, une préemption pour réserve foncière à l’intérieur d’un tel périmètre peut se borner à faire référence aux dispositions de ladite délibération lorsqu’un tel renvoi permet de déterminer la nature de l’action ou de l’opération d’aménagement que la collectivité publique entend mener pour améliorer la qualité urbaine au moyen de cette préemption. Pour ce faire, selon la jurisprudence, la collectivité peut « la collectivité peut soit indiquer la nature de l’action ou de l’opération d’aménagement du programme local de l’habitat à laquelle la décision de préemption participe, soit se borner à renvoyer à la délibération si celle-ci permet d’identifier la nature de l’action ou de l’opération d’aménagement poursuivie, eu égard notamment aux caractéristiques du bien préempté et au secteur géographique dans lequel il se situe ».
Au-delà de cette motivation par référence, et dans la droite ligne de la jurisprudence Commune de Meung-sur-Loire de 2009, l’exercice du droit de préemption motivé par la constitution de réserves foncières, d’une part, être justifié, à la date de la décision, par la réalisation d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme, et ce même si les caractéristiques précises du projet n’ont pas encore été définies à cette date, et, d’autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. Pour la doctrine, « la réalité de cette intention est appréciée par le juge administratif à partir de différents paramètres tenant, par exemple, à l’existence, à la date de la décision, d’une délibération de la commune exprimant sa volonté de réaliser le projet, d’études sur sa faisabilité, de la délimitation de l’emprise nécessaire audit projet ou d’une orientation d’aménagement et de programmation du PLU ».

En matière de zone d’aménagement différé

En matière de zone d’aménagement différé, la motivation est historiquement beaucoup plus souple. À titre de comparaison, dans le cadre d’une zone d’intervention foncière, la décision de préemption devait correspondre à l’un des objectifs énumérés par l’article L. 221-1 du Code de l’urbanisme, à savoir l’extension d’agglomérations, l’aménagement de l’espace naturel entourant ces agglomérations et la création de villes nouvelles ou de stations de tourisme ou encore la rénovation urbaine et l’aménagement de villages. Ainsi, en zone d’aménagement différé, même avant la jurisprudence Commune de Meung-sur-Loire , il n’était pas exigé que la décision de préemption soit justifiée par un projet précis ou la réalité d’un projet d’aménagement. Grâce à la loi d’orientation pour la ville du 13 juillet 1991, la décision de préemption pouvait se borner à faire référence aux motivations générales de l’acte créant la zone. Cette motivation allégée nous semble justifiée par le fait que l’arrêté de création de ZAD doit, lui-même, être motivé, notamment au regard des besoins en réserves foncières et de l’aptitude des terrains concernés. Dans ce contexte, le juge procède finalement à un contrôle minimum, de l’erreur manifeste d’appréciation conduisant à censurer les décisions qui, manifestement, ne peuvent atteindre leurs objectifs : la décision de préemption ne doit pas être dépourvue d’utilité pour atteindre les objectifs en vue desquels la zone a été créée.

La « DUP » réserve foncière

L’article L. 221-1 du Code de l’urbanisme institue une déclaration d’utilité publique pour constituer des réserves foncières en vue d’une action ou d’une opération d’aménagement au sens de l’article L. 300-1. Plus précisément, aux termes de ce texte, « l’État, les collectivités locales, ou leurs groupements y ayant vocation, les syndicats mixtes, les établissements publics mentionnés aux articles L. 321-1 et L. 324-1, les bénéficiaires des concessions d’aménagement mentionnées à l’article L. 300-4, les sociétés publiques définies à l’article L. 327-1 et les grands ports maritimes sont habilités à acquérir des immeubles, au besoin par voie d’expropriation, pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation d’une action ou d’une opération d’aménagement répondant aux objets définis à l’article L. 300-1. ». C’est ainsi qu’a pu être déclaré d’utilité publique une expropriation d’immeubles en vue de constituer une réserve foncière dans le but de construire un ensemble d’habitation dans un îlot insalubre..
Les conditions de recours à cette procédure imposent une vigilance accrue car, si la motivation du texte résidait indéniablement dans la lutte contre la spéculation foncière, un tel motif est insuffisant pour permettre la constitution d’une réserve foncière. Néanmoins, la jurisprudence n’impose pas la motivation par référence à un projet précis. Dès son arrêt Commune de Saint-Denis de la Réunion du 22 mai 1992, le Conseil d’État avait validé « la constitution d’une réserve foncière en prévision de l’extension de l’agglomération… sans que la collectivité ait à justifier, dès l’engagement de cette procédure, d’un projet précis d’urbanisation ».
Dans une affaire du 21 mai 2014, à l’instar de la jurisprudence relative au droit de préemption utilisé pour constituer une telle réserve, le juge administratif impose que la nature d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme puisse être caractérisée. Pour le Conseil d’État, il résulte du texte précité que « les personnes publiques concernées peuvent légalement acquérir des immeubles par voie d’expropriation pour constituer des réserves foncières, d’une part, si elles justifient, à la date à laquelle la procédure de déclaration d’utilité publique est engagée, de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date, et, d’autre part, si le dossier d’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique fait apparaître la nature du projet envisagé, conformément aux dispositions du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ». Enfin, si une certaine urgence à acquérir les terrains est encore un motif de recours à la DUP simplifiée, l’arrêt du 21 mai 2014 ne fait pas référence à ce qui a pu être considéré pendant un temps comme une condition d’utilisation de ce dispositif. En tout état de cause, il faut cependant rester vigilant : le projet ne doit pas être trop avancé, sans quoi cette procédure ne se justifie pas. De plus, faute d’un texte, la motivation par référence n’est pas admise.
La procédure de DUP réserve foncière est précisée par le Code de l’expropriation qui prévoit désormais, dans un article qui lui est dédié, la constitution d’un dossier d’enquête publique simplifié par rapport à celui qui s’impose pour une DUP relative à la réalisation de travaux ; l’idée fondatrice de cette procédure étant de permettre une acquisition avant même que le projet n’ait pu être établi, même s’il faut que la vocation de l’opération soit spécifiée (équipement, logement, etc.). L’article R. 112- 5 du Code de l’expropriation dispose que « Lorsque la déclaration d’utilité publique est demandée en vue de l’acquisition d’immeubles, ou lorsqu’elle est demandée en vue de la réalisation d’une opération d’aménagement ou d’urbanisme importante et qu’il est nécessaire de procéder à l’acquisition des immeubles avant que le projet n’ait pu être établi, l’expropriant adresse au préfet du département où sont situés les immeubles, pour qu’il soit soumis à l’enquête, un dossier comprenant au moins :
  • une notice explicative ;
  • le plan de situation ;
  • le périmètre délimitant les immeubles à exproprier ;
  • l’estimation sommaire du coût des acquisitions à réaliser. »
Après la fin de l’enquête, la déclaration d’utilité publique peut être prononcée. Cette DUP adoptée par décret ou arrêté (selon l’importance de l’opération) doit préciser sa durée de validité durant laquelle il est possible de procéder à des expropriations.
Cet outil présente indéniablement l’avantage d’empêcher la spéculation immobilière puisque la procédure est menée en amont des projets. Son régime allégé a pour effet de faire gagner du temps (dossier simplifié, pas de mise en compatibilité des documents d’urbanisme en amont, absence d’étude d’impact) et d’économiser certaines dépenses d’études. Sans compter que le faible nombre de documents et de procédures limite ipso facto les risques juridiques en cas de contentieux.
Néanmoins, comme pour toute expropriation, il faudra veiller à utiliser la réserve foncière conformément à l’usage indiqué.
D’une part, le Code de l’urbanisme précise (art. L. 221-2) que « La personne publique qui s’est rendue acquéreur d’une réserve foncière doit en assurer la gestion raisonnablement. Avant leur utilisation définitive, les immeubles acquis pour la constitution de réserves foncières ne peuvent faire l’objet d’aucune cession en pleine propriété en dehors des cessions que les personnes publiques pourraient se consentir entre elles et celles faites en vue de la réalisation d’opérations pour lesquelles la réserve a été constituée. Ces immeubles ne peuvent faire l’objet que de concessions temporaires qui ne confèrent au preneur aucun droit de renouvellement et aucun droit à se maintenir dans les lieux lorsque l’immeuble est repris en vue de son utilisation définitive. »
D’autre part, si la Cour EDH reconnaît la possibilité de constituer des réserves foncières, elle qualifie de manquement à l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, le maintien du bien en réserve durant une longue période sans justification d’utilité publique dès lors que cette période engendre une plus-value manquée pour le propriétaire exproprié. Selon la Cour européenne, « cette plus-value correspond à la valeur vénale actuelle du terrain, diminuée du montant en francs/euros constants de l’indemnité d’expropriation versée à l’ancienne propriétaire ». La Cour de cassation considère depuis que la privation indue de la plus-value acquise par un bien depuis son expropriation constitue une charge excessive justifiant l’indemnisation de l’exproprié, même si en l’occurrence aucune décision judiciaire reconnaissant le droit à rétrocession n’était intervenue. Elle estime toutefois qu’il appartient aux juridictions du fond d’adopter la méthode d’évaluation de la plus-value manquée la mieux appropriée et de fixer souverainement le montant de l’indemnisation.
Aussi, après avoir été initialement exclue, la possibilité pour le propriétaire exproprié de mettre en œuvre son droit de rétrocession est désormais reconnue. Dès lors, malgré ses avantages, la DUP réserve foncière est peu utilisée. Elle est sans doute en partie méconnue ou considérée comme trop risquée, notamment compte tenu des indemnités à verser en cas de non-réalisation du projet. En effet, s’agissant de la constitution de réserves foncières, toute la difficulté est de permettre une action avant la définition des projets tout en garantissant aux administrés qu’il ne s’agit pas pour la collectivité de procéder à une démarche purement mercantile.
Parallèlement aux enjeux généraux de mobilisation du foncier producteur de logement, la nécessité de transformer nos modes de production en se réappropriant l’existant suppose des outils spécifiques.