– Le formalisme et le notariat. – Le formalisme est inhérent à la fonction notariale, à sa mission même. Les notaires poursuivent ainsi inlassablement l'objectif d'un consentement éclairé des parties aux conventions qu'ils sont appelés à recevoir, usant du formalisme pour insister sur l'importance de celles-ci (on pourrait parler d'un formalisme d'information), en conserver la preuve (formalisme aux fins de preuve) ou pour en assurer l'opposabilité aux tiers ou à l'administration (formalisme aux fins d'opposabilité). C'est ainsi qu'un illustre auteur et notaire remarquait que « sous l'angle du formalisme, tous les contrats que reçoit un notaire présentent la même gravité. Il est toujours essentiel, quel que soit le contrat, de s'assurer de la validité du consentement et de se préoccuper de la protection des tiers sans perdre un instant de vue les objectifs de sécurité et de rapidité ». Spécialistes du droit de la vente immobilière, et professionnels de confiance chargés de longue date de « formaliser » les accords entre des contractants, les notaires semblent naturellement les plus à même de se voir confier l'intervention ultime emportant la formation du contrat de vente. Appliqué à la vente immobilière, ce raisonnement sonne même comme une évidence en raison du positionnement central du notaire dans ces opérations. Courroie de transmission incontournable pour permettre l'accomplissement des formalités de publicité foncière, le renvoi de la formation du contrat de vente immobilière à l'acte reçu par un notaire reviendrait à lui accorder une plus grande densité dans le recueil des consentements.
Un écrit authentique
Un écrit authentique
L'acte authentique, vecteur de sécurité des transactions immobilières
– De l'importance de l'immobilier dans le patrimoine des Français pour justifier le recours à l'authenticité. – L'exigence de solennité, qui plus est lorsque celle-ci doit emprunter la forme authentique, est bien souvent motivée par la nécessité de protéger le consentement des parties à un acte grave. Comment ne pas être convaincu de l'importance que représente la vente immobilière, non pas seulement pour ceux dont c'est le métier, mais surtout pour les non-sachants ? Des études soulignent ainsi régulièrement l'importance du patrimoine immobilier dans le patrimoine global des Français. C'est ainsi que la part du patrimoine immobilier de la moitié des ménages français s'élève début 2018 à 61,2 %, et atteint même 74,7 % chez les moins de trente ans. L'importance de cet investissement est renforcée par la part de l'endettement, mécaniquement plus significative chez les jeunes ménages puisqu'elle s'élève à 58,3 % chez les moins de trente ans.
S'il ne fait aucun doute que les actes solennels limitativement listés à ce jour, et plus particulièrement ceux devant revêtir la forme authentique, correspondent à des « actes graves » en ce qu'ils impactent la situation des parties ou de l'une d'elles, il paraît étonnant de ne pas accorder la même importance à « l'investissement d'une vie ». L'accélération des mutations immobilières, faisant que bien souvent un même ménage acquiert et revend pendant sa vie plusieurs biens immobiliers, ne nous paraît pas atténuer l'impact de cet investissement. La protection inhérente à l'acte authentique nous semble ici en adéquation avec l'importance de ces opérations.
On peut consulter sur le site de l'Insee les principaux indicateurs et des analyses sur les inégalités monétaires, la pauvreté et le patrimoine des ménages en 2021 :
www.insee.fr/fr/statistiques/5371304">Lien.
Importance de l'immobilier dans le patrimoine des ménages
Début 2018, 61,7 % des ménages métropolitains possèdent au moins un bien immobilier, que ce soit leur résidence principale (57,8 %) ou un autre logement (17,8 %). L'accès à la propriété a été facilité depuis la fin des années 2000 par le biais de conditions de crédit plus favorables, notamment pour les jeunes ménages plus aisés (taux d'intérêts favorables, allongement des durées d'emprunt, etc.). Chez les ménages de moins de trente ans, la part de l'endettement dans le patrimoine brut des propriétaires de résidence principale s'élevait ainsi à 58,3 % en 2018.
– Une importance à l'origine d'une « resolennisation ». – Une plume des plus autorisées a relevé que « dans les idées les plus profondes de l'humanité, la terre n'est pas un bien comme les autres. Sa propriété est moins privative : son aliénation est moins libre ; sa vente ne peut pas être affaire courante entre deux individus ». Puisque le bien immobilier n'est pas comparable à tout bien mobilier au regard de son importance (financière, sociétale, environnementale, etc.), l'application à celui-ci du même principe directeur qu'est le consensualisme ne peut que surprendre. Et puisque ces situations ne sont effectivement et objectivement pas comparables, le droit s'est déjà adapté afin de conférer à la vente d'immeuble un caractère plus solennel, en attendant qu'elle revête dans son ensemble les habits d'une solennité nouvelle. La « resolennisation » de la vente immobilière n'est pas une préoccupation nouvelle, en ce qu'elle a déjà commencé et a été commentée. Il est d'une certaine façon proposé d'achever la mécanique enclenchée en tirant les conclusions de la singularité de la mutation portant sur un bien immobilier.
– L'impératif ou le devoir de lecture. – Si l'existence d'un acte écrit présente évidemment l'avantage d'apporter plus aisément la preuve des engagements réciproques des parties, elle ne saurait en revanche éclairer davantage les parties si cet écrit n'était point lu ! Il convient de constater, à regret, que l'existence d'un écrit n'en fait point un écrit lu et compris des parties. Ce simple constat a souvent été fait dans les dossiers confiés aux notaires, qui s'étonnent parfois de noter combien les engagements exprimés par écrit dans un acte sous signature privée, hors leurs présence et accompagnement, n'ont pas été lus et encore moins compris et appréhendés par les parties ou l'une d'elles. Le seul moyen fiable de contourner cette véritable lapalissade juridique serait de renvoyer à un formalisme imposant que soient vérifiées la connaissance, la compréhension et l'adhésion sans réserve des parties aux conventions. Il s'agit bien évidemment de l'exigence d'authenticité et de l'accompagnement corrélatif du notaire au moment même de la formation du contrat. L'égalité juridique des citoyens en sortirait mécaniquement renforcée.
– Vertus préventives de l'authenticité. – Apportant un éclairage historique sur les origines de l'authenticité, il a pu être précisé que « sa création répond au besoin ressenti par les personnes privées de sécuriser, de manière préventive, leurs rapports juridiques en les dotant d'un caractère d'incontestabilité ».
Quid de l'acte sous signature privée ?
– Position du problème. – Les mérites de l'authenticité ont été rappelés, et justifient que la solennité du contrat de vente renvoie naturellement à la signature d'un acte authentique pour en constater la formation. La question se pose néanmoins de savoir ce qu'il adviendrait des nombreux actes sous signature privée régularisés quotidiennement pour constater l'accord d'un vendeur et d'un acquéreur sur l'objet d'une vente immobilière. Souvent signés dans des agences immobilières, sous la forme de promesse unilatérale ou plus régulièrement sous forme de promesse synallagmatique de vente, ces actes constituent des actes écrits auxquels il paraît possible de maintenir des conséquences de droit entre les parties. Deux solutions semblent finalement pouvoir être envisagées à cet égard.
– L'approche rigoriste. – Dans une approche stricte d'une solennité nouvelle du contrat de vente immobilière, il pourrait être considéré que le contrat de vente ne pourrait être formé que par la signature d'un acte authentique, aucune conséquence ou effet de droit ne pouvant être attaché à un acte de vente sous signature privée, désormais nul (approche no 1 ou rigoriste). Cette approche présenterait l'avantage d'une sécurité juridique maximale accordée aux cocontractants, puisque le contrat de vente ne pourrait se trouver formé qu'après avoir été éclairé par leur notaire. L'inconvénient majeur porterait sur le sort qui serait fait aux nombreux actes signés en agence immobilière. L'approche rigoriste nécessiterait par ailleurs de distinguer, en raison de la dichotomie ainsi mise en place, entre la responsabilité engagée par une partie défaillante après la signature d'un acte authentique constatant la formation de la vente (responsabilité nécessairement contractuelle) et la responsabilité engagée par cette même partie après la signature d'un acte simplement sous signature privée (responsabilité extracontractuelle, le contrat n'étant pas alors formé).
– L'approche souple. – Par une approche plus souple, il serait possible de considérer que le contrat de vente immobilière est formé par un acte écrit, que ce dernier ait les attributs de l'authenticité ou qu'il ne soit que sous signature privée. Les avantages et inconvénients sont alors inversés avec l'approche rigoriste, la sécurité juridique optimale de la première approche laissant place à la préservation de pratiques en place au sein des agences immobilières. Puisque le contrat de vente immobilière serait formé dans l'un et l'autre cas, la responsabilité encourue par le cocontractant défaillant serait de nature contractuelle.
– Proposition de solution. – Puisqu'il convient de choisir en tenant compte des avantages et inconvénients de chacune des approches, il semble qu'il faille privilégier celle cumulant les avantages sans souffrir de réels inconvénients ! La combinaison des approches rigoriste et souple fait alors apparaître une troisième approche, que nous qualifierons de « pragmatique », de nature à répondre aux besoins du marché (rapidité, fluidité, habitude) tout en relevant le niveau de sécurité juridique que nous ambitionnons pour les parties. C'est ainsi que la formation du contrat de vente serait bien réservée à la signature d'un acte, authentique, l'acte sous signature privée ne pouvant emporter cet effet. Dès lors, les effets ultimes du contrat de vente formé (en ce qu'ils permettent notamment l'exécution forcée en nature) seraient réservés au seul contrat de vente passé en la forme authentique. L'impossibilité de signer efficacement un contrat de vente sous signature privée nécessite néanmoins que soit abordé le sort de ces actes et, le cas échéant, les sanctions attachées à leur non-respect.
L'acte écrit en la forme authentique : deuxième marche d'une solennité nouvelle
La sécurité juridique commande de privilégier la forme authentique pour l'acte écrit devant entraîner la formation du contrat de vente immobilière.
Il importe également d'envisager que soient attachés au contrat régularisé sous signature privée un effet obligatoire et une sanction.