Moduler ou résoudre l'obligation : l'engagement impacté par un événement imprévu

Moduler ou résoudre l'obligation : l'engagement impacté par un événement imprévu

– Soumission du contrat aux aléas. – La société contemporaine est attachée à la sécurité et à la prévisibilité, qui en est une composante. Ce besoin, voire même cette exigence, s'expriment bien évidemment dans la sphère juridique et au-delà. C'est ainsi qu'en dehors « de celui qui gouverne Las Vegas ou l'hippodrome de Vincennes », en ce qu'il constitue pour certains contrats un élément nécessaire à leur formation, l'aléa est tantôt combattu, tantôt apprivoisé par le contrat, véritable « instrument de maîtrise de l'aléa ». L'aléa est ainsi le plus souvent perçu comme le « grain de sable qui enraye les meilleures machines, l'imprévisible qui déjoue les plans les plus minutieux, le concours de circonstances qui humilie les meilleurs organisateurs ». La recherche de sécurité juridique, et la prévisibilité, qui est l'un des moyens permettant de l'atteindre, semblent donc inviter à combattre ou, à tout le moins, à atténuer l'aléa dans le contrat. La prévision ou l'imprévision semble donc renvoyer à la notion d'aléa et se confondre parfois avec le hasard, autant de notions pourtant distinctes.
– L'appréhension de l'aléa et du hasard. – Provenant du latin « jeu de hasard », « l'aléa est un événement provoqué par l'homme dont les conséquences sont déterminées par le hasard ». L'action de l'homme lui échappe ainsi pour être confiée au hasard qui commandera un résultat imprévu. Par ailleurs, et même si les notions se confondent parfois, l'aléa doit être distingué de la force majeure. Leurs caractéristiques les rapprochent, en ce que l'un et l'autre sont, par principe, imprévisibles et irrésistibles. En revanche, le fait de l'homme est nécessaire pour initier l'aléa, avant sa rencontre avec le hasard, au contraire de la force majeure dont la qualification requiert que sa cause soit extérieure à celui qui souhaite s'en prévaloir. Identiques de par leurs caractéristiques, l'aléa et la force majeure se distinguent donc par leur cause.
– Le contrat et le risque d'imprévu. – L'essence même du contrat est d'opérer une projection vers l'avenir. Cette projection est d'autant plus naturelle lorsqu'il s'agit de s'intéresser à l'élaboration d'un avant-contrat, chargé d'organiser la phase transitoire jusqu'à la signature d'un contrat définitif. Nous n'aborderons pas l'imprévu au sens des théories auxquelles il est tentant de le rattacher, que ce soit celle du non-droit du doyen Jean Carbonnier ou, à l'opposé, celle ayant conduit Kelsen à critiquer l'idée de « lacune dans le droit ». Nous nous attacherons de manière plus pragmatique à nous concentrer sur la manière d'anticiper la survenance d'événements imprévus qui, par leur nature et/ou leur importance, sont susceptibles de perturber ou de rendre impossible l'exécution du contrat.
– Le principe de force obligatoire du contrat et l'imprévu. – Du principe de force obligatoire des contrats semble découler une conséquence naturelle : l'imprévu n'aurait pas sa place dans le contrat. Néanmoins, la survenance d'un imprévu peut être prise en compte par le juge saisi en raison d'une inexécution du contrat résultant de ce même imprévu. Il peut le faire en reconnaissant que l'événement imprévu rend impossible l'exécution de l'obligation, à la condition que les critères d'application de la force majeure soient réunis. Il peut le faire également, bien que l'exécution de l'obligation ne soit pas rendue impossible par l'événement imprévu, mais simplement rendue plus difficile pour son débiteur, et donc à l'origine d'un déséquilibre par rapport aux dispositions initiales du contrat. C'est alors la théorie de l'imprévision qui sera, le cas échéant, appliquée. Il apparaît dès lors que l'application du principe de force obligatoire du contrat peut être tempérée par le juge afin de tenir compte de la survenance d'événements imprévus par les parties au contrat.
– Le notaire est chargé de prévoir l'imprévu. – Ainsi que le proclama Victor Hugo dans son œuvre majeure, « ce qu'il faut toujours prévoir, c'est l'imprévu ». Àla différence des événements dont la survenance est attendue, espérée ou au contraire redoutée, justifiant l'insertion de conditions suspensives ou résolutoires, seront visées ici les hypothèses bien souvent non anticipées par les parties au contrat de vente. En ce que ces événements sont susceptibles d'impacter lourdement la réalisation de l'opération prévue à travers la signature d'un avant-contrat de vente d'immeuble, les notaires ont pris l'habitude d'envisager autant que possible ces événements afin de prévoir les conséquences attachées à la survenance de l'imprévu. L'objectif poursuivi peut apparaître ambitieux, voire même prétentieux, tant il peut sembler difficile d'appréhender et, a fortiori, de maîtriser le hasard. La pratique qu'ont les notaires du contrat de vente et de son avant-contrat leur permet néanmoins d'envisager, le plus souvent, les imprévus pouvant se présenter. Àtravers leur vigilance et la rédaction qu'ils proposent dans l'avant-contrat de vente, les notaires poursuivent ainsi l'objectif de prévoir l'imprévu et de remplacer le danger de l'aléa par la sécurité du contrat. En envisageant ces événements dans leur nature et leurs conséquences, les notaires déploient à nouveau leur ingénierie pour transformer l'imprévu en incertain, et modifier par là même le traitement d'une même situation afin de la sécuriser.
– Catégories d'imprévus. Plan. – L'imprévu peut être envisagé à travers son importance, c'est-à-dire l'effet plus ou moins catégorique qu'il est susceptible de produire au moment de l'exécution de l'obligation. Rend-il l'exécution de celle-ci impossible ? Le débiteur tentera dans ce cas d'invoquer le bénéfice de la force majeure. Entraîne-t-il simplement un déséquilibre, notamment financier, en rendant plus difficile l'exécution de l'obligation sans nullement l'empêcher ? Le débiteur de l'obligation se retranchera derrière la théorie de l'imprévision. C'est néanmoins une autre approche qui a retenu notre attention et que nous proposerons au moment d'aborder l'imprévu. Car, en effet, l'imprévu peut être distingué en fonction de l'objet sur lequel il intervient. C'est ainsi que l'imprévu est tout d'abord susceptible de se produire sur les parties au contrat, en affectant leur capacité à contracter ou leur existence même (Sous-section I). D'un autre côté, l'imprévu peut également impacter l'objet du contrat, dans sa consistance ou dans sa valeur (Sous-section II).

L'imprévu affectant les parties au contrat

– Multiplicité d'événements. – L'événement imprévu par les parties peut être heureux, porteur de chance, ou au contraire malheureux. En ce qu'il est susceptible d'affecter l'exécution du contrat, l'événement imprévu que nous envisagerons sera perçu négativement, en ce sens qu'il correspond à une perte ou une dégradation de la situation existante au jour de l'avant-contrat de vente d'immeuble. Appliquée aux parties au contrat, cette orientation renvoie immédiatement à la capacité des parties à l'acte. Cette capacité peut ainsi être affectée par une dégradation de la capacité des parties entre l'avant-contrat et la vente définitive (mise en place d'un régime d'incapacité, surendettement, procédure collective) ou par le décès d'une partie à l'acte.
– Double distinction. – L'appréciation de ces situations imprévues nécessite de distinguer entre les parties à l'acte, en envisageant l'imprévu affectant le promettant/vendeur, d'un côté (§ I), et l'imprévu affectant le bénéficiaire/acquéreur, d'un autre côté (§ II). Cette distinction sera doublée d'une seconde, se rapportant cette fois-ci à la nature même de l'avant-contrat régularisé, les règles applicables à l'imprévu nécessitant de distinguer entre promesse unilatérale et promesse synallagmatique de vente.
– Objectif du notaire : transformer l'imprévu en incertain. – Àtravers la rédaction qu'il proposera dans son acte, le notaire devra amener les parties à prévoir ce qu'elles n'avaient pas prévu. En prévoyant l'imprévu, le notaire transforme celui-ci en incertain, permettant d'organiser contractuellement les conséquences attachées à sa survenance.

L'imprévu affectant le promettant/vendeur

– Rappel de la nature de l'engagement du promettant/vendeur. – Qu'il s'agisse d'une promesse unilatérale de vente ou d'une promesse synallagmatique de vente, l'engagement de vendre consenti par le promettant/vendeur est définitif. C'est ainsi que, dans le cadre d'une promesse unilatérale de vente, le promettant est définitivement engagé. S'agissant de la promesse synallagmatique, celle-ci « vaut vente » de sorte que l'engagement du vendeur est également définitif. La fermeté de l'engagement du promettant/vendeur au jour de la signature de la promesse de vente nécessite que sa capacité soit appréciée au jour de la promesse. Ce principe n'est pas sans conséquence en cas de survenance d'événements imprévus par les parties entre la promesse et la vente.
– Le décès du promettant/vendeur. – Le décès du promettant/vendeur ne rend pas la promesse caduque. C'est une conséquence directe et une illustration bien établie du principe selon lequel la capacité du promettant/vendeur s'apprécie au jour de la promesse et non au jour de la vente. Dans le prolongement de ce qu'a pu décider la Cour de cassation en cas de décès du pollicitant avant que l'offre, encore valable, ne soit acceptée, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a confirmé que la promesse unilatérale de vente survivait au décès du promettant. Le fait même quel'héritier du promettant soit mineur ne change pas la solution, puisque c'est au jour de la promesse qu'il convient d'apprécier la capacité du signataire, en l'occurrence du promettant encore vivant. L'obligation du promettant est transmise passivement à ses héritiers, engagés au nom de la succession et non pas en leur nom propre. La solution retenue en matière de promesse unilatérale de vente est transposable en cas de décès du vendeur signataire d'une promesse synallagmatique de vente. Le caractère imprévu du décès et les perturbations qu'il entraîne ne peuvent constituer un cas de force majeure pour les héritiers du promettant/vendeur, tenus d'exécuter la promesse signée avant le décès. Elle est d'ailleurs bien souvent retenue dans les promesses de vente signées, quelle qu'en soit la forme (unilatérale ou synallagmatique), les notaires ayant pris pour habitude de prévoir une clause de reprise d'engagement des engagements du promettant/vendeur par ses ayants-droit en cas de décès postérieurement à la promesse.

Incidences du décès sur la publicité foncière

En cas de décès du promettant/vendeur entre la signature de la promesse de vente et la réitération de celle-ci (pour la promesse synallagmatique de vente) ou la levée d'option (pour la promesse unilatérale de vente), est-il nécessaire d'établir une attestation immobilière pour constater le transfert de propriété aux héritiers ? Tour à tour, l'Association mutuelle des conservateurs des hypothèques, une réponse ministérielle et le Cridon de Paris sont venus confirmer qu'il n'était pas nécessaire de publier une attestation immobilière préalablement à la signature de l'acte définitif de vente faisant suite à une promesse synallagmatique de vente. Intervenant à l'acte en tant qu'ayants cause du promettant décédé, et non comme vendeurs, les héritiers agiront en représentation de leur auteur décédé pour réitérer la vente. La transposition de cette solution à la promesse unilatérale de vente ne semble pas possible, sauf bien évidemment dans l'hypothèse où le décès du promettant intervient après la levée de l'option.
– L'incapacité du promettant/vendeur. – Ainsi que nous l'avons rappelé, la capacité du promettant/vendeur s'apprécie au jour de la signature de la promesse de vente. De la même manière que la survenance du décès après la signature de la promesse ne peut entraîner la caducité de celle-ci, la mise en place de mesures d'incapacité postérieurement à la promesse ne peut l'entraîner. Il est vrai que depuis le 1er janvier 2009, le nouvel article 464 du Code civil a introduit une véritable « période suspecte » permettant de réduire ou d'annuler les obligations consenties par celui dont les facultés étaient déjà altérées au jour de l'échange des consentements. Mais cela revient à contester la capacité du promettant/vendeur au jour de la promesse, et non à invoquer la disparition de cette capacité une fois la promesse signée.
– L'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du promettant/vendeur. – L'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du promettant/vendeur entraîne mécaniquement des restrictions dans la capacité à agir de celui-ci. C'est ainsi qu'une promesse de vente signée antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, mais suivie de celle-ci avant la signature de l'acte de vente définitif, est soumise au régime des contrats en cours. Dès lors que le jugement d'ouverture de la procédure est rendu avant le transfert de propriété et le paiement du prix de vente, l'administrateur peut décider de poursuivre l'opération comme il peut décider de refuser son exécution, ce qui entraîne sa résiliation de plein droit. La chambre commerciale de la Cour de cassation s'est néanmoins prononcée en faveur de la poursuite de l'exécution de la promesse signée, le débiteur placé sous un régime de procédure collective pouvant agir seul, sans pour autant être en mesure de percevoir le prix. La prudence semble commander de relativiser cette décision qui paraît d'espèce, de sorte qu'en présence de l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du promettant/vendeur après la signature d'une promesse, il semble préférable que le notaire s'en remette à la décision de l'administrateur sur le sort du contrat.

Possibilité de prévoir une condition résolutoire portant sur le décès ou l'incapacité du promettant/vendeur

Par principe, et en dehors du cas particulier de la procédure collective, la survenance d'un imprévu venant affecter la personne même du promettant/vendeur n'entraîne pas la caducité de l'avant-contrat signé. Les parties peuvent néanmoins en convenir autrement. C'est ainsi que le promettant/vendeur peut souhaiter délier ses ayants-droit de l'engagement pris par lui aux termes de la promesse de vente signée, dans l'hypothèse où il décéderait ou ferait l'objet d'une mesure d'incapacité postérieurement à la signature de la promesse, mais avant la signature de la vente. L'insertion d'une condition résolutoire reprenant cette hypothèse, si elle est rare en pratique, est néanmoins susceptible de répondre à un objectif de protection des ayants-droit du promettant. La vigilance du notaire, appelé à recevoir l'avant-contrat, et la vérification des intentions des parties, permettront de valider la nécessité d'inclure ou non ce type de modalité de l'obligation.

L'imprévu affectant le bénéficiaire/acquéreur

– Importance de la distinction entre promesses unilatérale et synallagmatique. – Àla différence du promettant/vendeur dont l'engagement de vendre est ferme, quelle que soit la forme retenue pour l'avant-contrat, la situation de l'acquéreur varie en fonction de celle-ci.
– En présence d'une promesse unilatérale de vente. – C'est ainsi qu'en présence d'une promesse unilatérale de vente, le bénéficiaire de celle-ci n'est engagé qu'à compter de la levée d'option. La survenance, entre la signature de la promesse et la levée d'option, d'un événement imprévu affectant sa personne (décès) ou sa capacité, entraîne la caducité de la promesse signée. Àl'inverse, la survenance du décès du bénéficiaire de la promesse postérieurement à la levée d'option n'entraîne pas la caducité de la promesse, la vente étant définitivement formée. Quand bien même le transfert de propriété serait reporté au jour de la signature de l'acte de vente définitif, ce qui est le plus souvent le cas, les ayants cause du bénéficiaire de la promesse seront tenus par celle-ci.
– En présence d'une promesse synallagmatique de vente. – Par principe, et au regard de l'engagement ferme et définitif de l'acquéreur à travers la signature d'une promesse synallagmatique de vente, son décès ne peut entraîner la caducité de la promesse. Les héritiers du promettant décédé après la signature de la promesse peuvent ainsi se retrouver dans une situation périlleuse, à travers laquelle ils se sont engagés à payer un dépôt de garantie (s'ils ne souhaitent pas poursuivre l'opération et que la possibilité leur est offerte d'échapper à l'exécution forcée), voire même le prix. Conscient de ces difficultés, le notariat avait mis en place une police d'assurance dédiée aux risques de décès accidentel ou de perte totale et irréversible d'autonomie résultant d'un accident, qui n'a pas été renouvelée.

De l'importance de prévoir une condition de survie de l'acquéreur

Qu'une promesse unilatérale (lorsque l'événement imprévu survient après la levée de l'option) ou synallagmatique ait été signée, il importe que le notaire prévoie les conséquences de cet événement imprévu afin qu'il ne soit plus qu'un événement incertain. Àtravers la prévisibilité de la rédaction du contrat, le notaire permet d'anticiper la survenance de cet événement et d'y affecter les conséquences sur lesquels les parties se seront accordées. S'agissant plus spécifiquement de l'acquéreur, son décès (ou la mise en place de mesures de protection) est susceptible d'entraîner de grandes difficultés lorsqu'il ne permet pas aux héritiers de se dégager de l'engagement initialement souscrit. La pratique notariale a développé des clauses contenant de véritables conditions de survie du bénéficiaire/acquéreur afin de protéger ses héritiers en cas de décès. Àtravers ces rédactions, les parties conviennent bien souvent que la survenance du décès du bénéficiaire/acquéreur entraîne la caducité de la promesse, en même temps que la restitution de l'indemnité d'immobilisation ou du dépôt de garantie. L'extension de ces rédactions aux hypothèses d'incapacité ou de mise en place de mesures de protection entre la promesse et la vente peut également être utilement envisagée afin de parfaire la protection du bénéficiaire/acquéreur.

L'imprévu affectant l'objet du contrat

– Objet et contenu du contrat. – L'objet formant la matière de l'engagement, en tant que condition essentielle à la validité d'une convention, a été supprimé à travers l'ordonnance du 10 février 2006 pour former, avec la cause, le « contenu licite et certain » nécessaire à la validité d'un contrat. Il n'en reste pas moins une composante nécessaire à la formation du contrat, pour en déterminer désormais ce qui est qualifié de « contenu » de celui-ci. De la même manière que les parties aux contrats peuvent subir des événements imprévus que le notaire sera appelé à prévoir, pour les rendre simplement incertains, l'objet du contrat peut évoluer dans le temps, alors même que le contrat doit encore s'exécuter. Il en ira ainsi dans le cadre d'une promesse de vente, unilatérale ou synallagmatique, lorsque l'objet du contrat subiraun sinistre l'affectant dans sa consistance (§ I), ou encore un événement de nature à l'affecter dans sa valeur (§ II).

Dans sa consistance : le sinistre

– Le sinistre : d'imprévu à incertain. – Par essence, le sinistre fait partie des événements pouvant affecter l'avant-contrat dans son efficacité ou sa validité. La gravité comme le caractère intégral ou partiel du sinistre survenant entre la signature d'une promesse de vente et l'acte de vente définitif sont à prendre en compte pour en tirer les conséquences pour les parties au contrat. Au sinistre total emportant la perte de l'immeuble (A) est ainsi classiquement opposé le sinistre partiel emportant, non pas la disparition de l'immeuble, mais de simples dégradations d'inégales importances (B). Dans l'un et l'autre cas, les prévisions du contrat permettront au notaire de transformer cet événement imprévu en événement incertain, en proposant aux parties d'y affecter les effets qu'elles pensent adapter à l'opération.

Le sinistre total emportant la perte de l'immeuble

– Les effets attachés au sinistre total de l'immeuble. – La disparition de l'immeuble formant l'objet de la promesse de vente par suite d'un sinistre total intervenu entre la promesse et la vente emporte la caducité de la promesse. Bien que l'objet formant la matière de l'engagement, en tant que condition essentielle à la validité d'une convention, ait été supprimé à travers l'ordonnance du 10 février 2006, la disparition de l'immeuble en tant qu' « objet de la prestation » entraîne nécessairement l'extinction de l'obligation elle-même.

Le sinistre partiel entraînant la dégradation de l'immeuble

– Sinistre partiel et survivance de la promesse. – La survenance entre la signature de la promesse de vente et celle de l'acte de vente définitif d'un sinistre de moindre gravité, en ce qu'il n'entraîne pas la disparition de l'immeuble, ne provoque pas la caducité de la promesse, sauf disposition contraire des parties. Ce faisant, la poursuite éventuelle de la promesse amène tout naturellement à s'interroger sur le bénéfice des indemnités d'assurance devant être versées par suite de la survenance de ce sinistre.
– Sinistre partiel et bénéfice des indemnités d'assurance. – En cas de sinistre partiel affectant l'immeuble entre la promesse et la vente, une distinction semble devoir être opérée entre promesses synallagmatique et unilatérale. C'est ainsi qu'en présence d'une promesse synallagmatique, une véritable « aliénation » s'est opérée, au sens de l'article L. 121-10 du Code des assurances. Indépendamment du report éventuel du transfert de propriété et donc des risques au jour de la signature de l'acte de vente définitif, accompagnée du paiement du prix de vente, les droits nés du contrat d'assurance sont transférés à l'acquéreur signataire d'une promesse synallagmatique de vente. Les promesses unilatérales quant à elles n'emportent pas vente, de sorte que ce transfert des indemnités d'assurance au profit du bénéficiaire de la promesse ne peut s'opérer qu'en application de conventions expressément prévues par les parties aux termes de l'avant-contrat, et non pas en application de l'article L. 121-10 du Code des assurances.
– Précautions rédactionnelles en cas de sinistre partiel. – Par principe, et sauf dispositions contraires de l'avant-contrat, la survenance d'un sinistre partiel entre la promesse (unilatérale ou synallagmatique) et la vente définitive n'entraîne pas la caducité de la promesse signée. Afin d'éviter que les parties, et spécialement l'acquéreur, ne soient contraintes de poursuivre l'application d'un contrat dont l'objet même a été atteint, les notaires ont pris pour habitude d'insérer dans les avant-contrats des clauses prévoyant l'hypothèse de sinistre, transformant cet événement d'imprévu en incertain. Àtravers ces rédactions, le notaire devra accompagner les parties afin de définir la nature des sinistres pris en compte par ces dispositions au regard de leur gravité, ainsi que les conséquences de leur survenance.
S'agissant de la gravité du sinistre partiel, celle-ci peut s'apprécier en fonction de la finalité attachée à l'immeuble vendu (à travers la notion d'impropriété à la destination) ou de manière quantitative (la surface affectée par le sinistre, par comparaison à la surface totale). S'agissant d'un immeuble faisant l'objet d'un bail, la possibilité donnée au locataire d'invoquer la résiliation de son bail ou une réduction du loyer peut également être prise en compte pour qualifier le risque partiel. C'est ainsi qu'au-delà de certains seuils (par ex. : plus de x % de la surface utile des biens), le sinistre pourra être qualifié de majeur ou de significatif, et être assimilé dans ses conséquences à un sinistre total.
S'agissant des conséquences attachées à la survenance du sinistre partiel, son assimilation à un sinistre total en fonction des critères fixés justifierait que l'acquéreur puisse invoquer la caducité de la promesse signée. Àdéfaut de l'invoquer, la subrogation de l'acquéreur dans les droits du vendeur au titre des indemnités d'assurance devrait être organisée, tout spécialement en présence d'une promesse unilatérale de vente du fait de l'inapplication des dispositions de l'article L. 121-10 du Code des assurances.

Dans sa valeur : l'imprévision

– Plan. – L'objet du contrat peut également être affecté dans sa valeur. C'est alors le mécanisme de l'imprévision, récemment consacré par l'ordonnance du 10 février 2016, qui aura vocation à s'appliquer. Le bref rappel du régime applicable (A) sera suivi d'une présentation du rôle du notaire dans la mise en œuvre de cette mécanique de l'imprévision au moment de la rédaction du contrat (B).

Rappel du régime applicable au titre de l'imprévision

– L'imprévision en France : une histoire mouvementée. – L'histoire de la théorie de l'imprévision ne se résume pas à son célèbre rejet par la Cour de cassation à l'occasion de l'arrêt Canal de Craponne . Cette décision symbolise bien, néanmoins, l'attachement au principe de force obligatoire du contrat ainsi que l'opposition pouvant parfois exister entre les juridictions administratives et judiciaires françaises, les premières reconnaissant de longue date la révision du contrat pour imprévision lorsque les secondes l'ont refusée, jusqu'à la récente réforme du droit des contrats opérée par l'ordonnance du 10 février 2016. En dehors de quelques initiatives de la chambre commerciale de la Cour de cassation, fondées sur l'exigence de bonne foi, la jurisprudence de l'ordre judiciaire s'est fidèlement refusée à adapter le contrat selon l'équité, « quand le passage du temps le rend injuste ». C'est alors qu'est intervenue l'ordonnance du 10 février 2016 qui, en consacrant la théorie de l'imprévision sous l'article 1195 du Code civil, « rétablit ce lien précieux entre le droit et le temps ». L'attachement des notaires de France à la force obligatoire des contrats et à la sécurité juridique avait d'ailleurs conduit ces derniers à rejeter le vœu consistant à intégrer dans le Code civil la révision pour imprévision. Ce qui apparaissait alors pour les auteurs de ce vœu comme une adaptation nécessaire à la survie du contrat, en ce que son exécution ne devait pas « conduire à l'exécution capitale d'un contractant » sera finalement consacré quinze ans plus tard à l'occasion de la grande réforme opérée en 2016.
– Champ d'application de l'imprévision. – La théorie de l'imprévision consacrée par l'article 1195 du Code civil consiste à tenir compte des conséquences attachées à la survenance d'événements imprévus sur l'exécution à venir d'obligations contractuelles. Son champ d'application naturel renvoie donc aux contrats à exécution successive qui, à l'opposé des contrats à exécution instantanée, nécessitent l'écoulement du temps et non l'exécution des obligations en un trait de temps. C'est ainsi qu'en dehors de certaines ventes appelant au respect d'obligations étalées dans le temps, l'imprévision n'a pas vocation à s'appliquer dans le cadre d'un contrat de vente, qui est par essence un contrat instantané. En revanche, la théorie de l'imprévision est susceptible de s'appliquer dans le cadre des promesses de vente, quelle que soit leur forme, dès lors que des circonstances imprévisibles sont susceptibles de se produire et de déséquilibrer le contrat.
– Conditions de l'imprévision. – L'article 1195 du Code civil énonce trois conditions cumulatives pour mettre en jeu le mécanisme de l'imprévision. Il convient, tout d'abord, que soit constaté « un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat ». L'appréciation du caractère imprévisible de ce changement de circonstances doit se faire in abstracto, c'est-à-dire par référence à une personne normale se trouvant dans les mêmes circonstances, en établissant le changement au regard de la situation existante au jour du contrat. Il convient ensuite que ce changement rende l'exécution du contrat « excessivement onéreuse pour une partie », ce qui sera apprécié de manière objective (par rapport à la prestation prévue) et non pas subjective (au regard des facultés du débiteur). C'est ici une différence fondamentale avec la force majeure en ce que, d'une part, la circonstance imprévisible n'empêche pas l'exécution de l'obligation et, d'autre part, elle rend son exécution plus onéreuse de manière excessive. Enfin, le débiteur de l'obligation dont l'exécution est rendue excessivement plus onéreuse (deuxième condition) par suite de la survenance de changement de circonstances imprévu (première condition) ne doit pas avoir accepté d'en assumer le risque (troisième condition).
– Les effets de l'imprévision. – Une fois réunies les conditions d'application de l'imprévision, son régime apparaît comme « graduel ». C'est que, tout en continuant à exécuter ses obligations, le débiteur subissant le changement de circonstances peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Ce n'est qu'en cas de refus ou d'échec de la renégociation que les parties peuvent convenir de la résolution du contrat ou demander d'un commun accord que le juge procède à son adaptation. Enfin, et à défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge pourra réviser le contrat ou y mettre fin à la demande d'une partie.

Ingénierie notariale et imprévision

– L'alternative : aménager ou exclure. – En prévoyant la possibilité d'exclure l'application du mécanisme de l'imprévision en acceptant préalablement le risque attaché au changement de circonstances imprévisible, l'article 1195 du Code civil apparaît comme supplétif de volonté. Cette latitude laissée aux parties au contrat peut s'exprimer de deux manières différentes, en aménageant le mécanisme de l'imprévision, ou en excluant purement et simplement son application. En revanche, et en dehors de cas particuliers appelant l'une des parties à exécuter des obligations étalées dans le temps après la conclusion du contrat, le contrat de vente ne rentre pas dans le champ d'application de la théorie de l'imprévision. Il apparaît dès lors inutile d'aménager ou, ce qui se rencontre souvent, d'exclure dans ce contrat l'application de l'article 1195 du Code civil. Que ce soit pour aménager ou pour exclure le mécanisme de l'imprévision, le notaire devra déployer son ingénierie au moment de rédiger les conventions des parties.
  • la définition des changements de circonstances pouvant être invoqués : afin d'éviter toute discussion au moment où l'imprévision est invoquée, les parties peuvent utilement prévoir de définir les circonstances prises en compte. Elles peuvent le faire de manière fermée (à travers une liste limitative), au risque d'exclure certains éléments par définition non prévus, de manière plus ouverte ou générique (en décrivant de manière catégorielle les circonstances pouvant être retenues), ou de manière hybride, c'est-à-dire en cumulant les deux précédentes méthodes de définition. Il s'agirait dès lors de caractériser des catégories de circonstances, avant que n'en soient proposées des illustrations pour la compréhension des parties ;
  • les effets au-delà desquels les changements de circonstance doivent être pris en compte : en caractérisant les effets attendus des circonstances pouvant être prises en compte, les parties peuvent rendre plus objective leur reconnaissance. C'est ainsi, par exemple, que des seuils peuvent être fixés, ou des pourcentages d'augmentation prévus ;
  • le déroulé des négociations : le cadre des négociations pourrait, au-delà du seul principe fixé par l'article 1195 du Code civil, être fixé à travers la rédaction d'une clause plus détaillée. C'est ainsi que le respect d'un certain formalisme (délais, envoi de lettres recommandées avec demande d'avis de réception, etc.) permettrait de contraindre les parties à une certaine diligence tout en permettant d'identifier les comportements qui justifient que la procédure n'aboutisse pas, le cas échéant, à la révision ou à la résolution du contrat ;
  • les conséquences en cas d'échec des négociations : l'issue défavorable du processus de négociation doit également être organisée et prévue au contrat. Qu'il s'agisse des modalités permettant de contraindre à une médiation, à un arbitrage ou à la saisine d'un juge, les dispositions contractuelles auraient ainsi vocation à sécuriser les parties subissant à la fois un changement de circonstances imprévu et un désaccord sur son traitement au titre du contrat.
– L'aménagement conventionnel de l'imprévision. – La pratique, notamment des contrats d'affaires, avait tenu compte de l'impossibilité d'invoquer l'imprévision pour forcer à rééquilibrer le contrat subissant un changement de circonstances imprévisible. Avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016, les parties étaient tenues de le prévoir expressément dans le contrat. Pour les contrats conclus à compter du 1er octobre 2016, l'article 1195 du Code civil s'applique. Les parties peuvent néanmoins décider de compléter le mécanisme proposé par celui-ci ou de le modifier. Ces ajustements conventionnels du mécanisme de l'imprévision pourront porter sur les éléments suivants :

De l'intérêt d'associer à une clause d'imprévision une clause de médiation et/ou d'arbitrage

Du fait de la graduation proposée par l'article 1195 du Code civil, et le plus souvent reprise et complétée dans le cadre des clauses d'imprévision conventionnellement prévues, le premier objectif des parties sera de renégocier le contrat afin d'en rétablir l'équilibre.
En cas d'échec dans les discussions, les parties peuvent convenir :
  • d'essayer de poursuivre leurs échanges avec l'accompagnement d'un médiateur ;
  • en cas d'échec de la médiation, de recourir à l'arbitrage afin d'éviter une procédure potentiellement longue, coûteuse et aux résultats aléatoires.
Il sera donc opportun que le notaire propose de compléter les clauses d'imprévision en y ajoutant des clauses de médiation et/ou d'arbitrage afin de favoriser la recherche d'un accord entre les parties et d'éviter que ne soit initiée une procédure auprès des tribunaux.
– L'exclusion conventionnelle de l'imprévision. – L'exclusion des dispositions de l'article 1195 du Code civil est très répandue, jusqu'à devenir une clause de style dans les contrats d'affaires. Si leur insertion dans un contrat de vente ne semble pas présenter d'intérêt, il n'en va pas de même en matière de promesse de vente. L'article 1195 du Code civil prévoit expressément la possibilité d'exclure son application, la partie subissant le changement de circonstances imprévisible ayant pu valablement accepter d'en assumer le risque. Néanmoins, il convient que cette renonciation soit précise et exprès dans l'acte. Surtout, cette exclusion ne doit pas être à l'origine d'un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, sous peine d'être réputée non écrite. La promesse de vente semble néanmoins, sauf circonstances exceptionnelles, échapper à la qualification de contrat d'adhésion. De même, la pratique constatée depuis la réforme opérée par l'ordonnance du 10 février 2016 consiste à exclure globalement et pour les deux parties le bénéfice des dispositions de l'article 1195 du Code civil, symétrie qui est de nature à atténuer, voire même à écarter tout déséquilibre significatif entre les parties au contrat.