– Objet et contenu du contrat. – L'objet formant la matière de l'engagement, en tant que condition essentielle à la validité d'une convention, a été supprimé à travers l'ordonnance du 10 février 2006 pour former, avec la cause, le « contenu licite et certain » nécessaire à la validité d'un contrat. Il n'en reste pas moins une composante nécessaire à la formation du contrat, pour en déterminer désormais ce qui est qualifié de « contenu » de celui-ci. De la même manière que les parties aux contrats peuvent subir des événements imprévus que le notaire sera appelé à prévoir, pour les rendre simplement incertains, l'objet du contrat peut évoluer dans le temps, alors même que le contrat doit encore s'exécuter. Il en ira ainsi dans le cadre d'une promesse de vente, unilatérale ou synallagmatique, lorsque l'objet du contrat subiraun sinistre l'affectant dans sa consistance (§ I), ou encore un événement de nature à l'affecter dans sa valeur (§ II).
L'imprévu affectant l'objet du contrat
L'imprévu affectant l'objet du contrat
Dans sa consistance : le sinistre
– Le sinistre : d'imprévu à incertain. – Par essence, le sinistre fait partie des événements pouvant affecter l'avant-contrat dans son efficacité ou sa validité. La gravité comme le caractère intégral ou partiel du sinistre survenant entre la signature d'une promesse de vente et l'acte de vente définitif sont à prendre en compte pour en tirer les conséquences pour les parties au contrat. Au sinistre total emportant la perte de l'immeuble (A) est ainsi classiquement opposé le sinistre partiel emportant, non pas la disparition de l'immeuble, mais de simples dégradations d'inégales importances (B). Dans l'un et l'autre cas, les prévisions du contrat permettront au notaire de transformer cet événement imprévu en événement incertain, en proposant aux parties d'y affecter les effets qu'elles pensent adapter à l'opération.
Le sinistre total emportant la perte de l'immeuble
– Les effets attachés au sinistre total de l'immeuble. – La disparition de l'immeuble formant l'objet de la promesse de vente par suite d'un sinistre total intervenu entre la promesse et la vente emporte la caducité de la promesse. Bien que l'objet formant la matière de l'engagement, en tant que condition essentielle à la validité d'une convention, ait été supprimé à travers l'ordonnance du 10 février 2006, la disparition de l'immeuble en tant qu' « objet de la prestation » entraîne nécessairement l'extinction de l'obligation elle-même.
Le sinistre partiel entraînant la dégradation de l'immeuble
– Sinistre partiel et survivance de la promesse. – La survenance entre la signature de la promesse de vente et celle de l'acte de vente définitif d'un sinistre de moindre gravité, en ce qu'il n'entraîne pas la disparition de l'immeuble, ne provoque pas la caducité de la promesse, sauf disposition contraire des parties. Ce faisant, la poursuite éventuelle de la promesse amène tout naturellement à s'interroger sur le bénéfice des indemnités d'assurance devant être versées par suite de la survenance de ce sinistre.
– Sinistre partiel et bénéfice des indemnités d'assurance. – En cas de sinistre partiel affectant l'immeuble entre la promesse et la vente, une distinction semble devoir être opérée entre promesses synallagmatique et unilatérale. C'est ainsi qu'en présence d'une promesse synallagmatique, une véritable « aliénation » s'est opérée, au sens de l'article L. 121-10 du Code des assurances. Indépendamment du report éventuel du transfert de propriété et donc des risques au jour de la signature de l'acte de vente définitif, accompagnée du paiement du prix de vente, les droits nés du contrat d'assurance sont transférés à l'acquéreur signataire d'une promesse synallagmatique de vente. Les promesses unilatérales quant à elles n'emportent pas vente, de sorte que ce transfert des indemnités d'assurance au profit du bénéficiaire de la promesse ne peut s'opérer qu'en application de conventions expressément prévues par les parties aux termes de l'avant-contrat, et non pas en application de l'article L. 121-10 du Code des assurances.
– Précautions rédactionnelles en cas de sinistre partiel. – Par principe, et sauf dispositions contraires de l'avant-contrat, la survenance d'un sinistre partiel entre la promesse (unilatérale ou synallagmatique) et la vente définitive n'entraîne pas la caducité de la promesse signée. Afin d'éviter que les parties, et spécialement l'acquéreur, ne soient contraintes de poursuivre l'application d'un contrat dont l'objet même a été atteint, les notaires ont pris pour habitude d'insérer dans les avant-contrats des clauses prévoyant l'hypothèse de sinistre, transformant cet événement d'imprévu en incertain. Àtravers ces rédactions, le notaire devra accompagner les parties afin de définir la nature des sinistres pris en compte par ces dispositions au regard de leur gravité, ainsi que les conséquences de leur survenance.
S'agissant de la gravité du sinistre partiel, celle-ci peut s'apprécier en fonction de la finalité attachée à l'immeuble vendu (à travers la notion d'impropriété à la destination) ou de manière quantitative (la surface affectée par le sinistre, par comparaison à la surface totale). S'agissant d'un immeuble faisant l'objet d'un bail, la possibilité donnée au locataire d'invoquer la résiliation de son bail ou une réduction du loyer peut également être prise en compte pour qualifier le risque partiel. C'est ainsi qu'au-delà de certains seuils (par ex. : plus de x % de la surface utile des biens), le sinistre pourra être qualifié de majeur ou de significatif, et être assimilé dans ses conséquences à un sinistre total.
S'agissant des conséquences attachées à la survenance du sinistre partiel, son assimilation à un sinistre total en fonction des critères fixés justifierait que l'acquéreur puisse invoquer la caducité de la promesse signée. Àdéfaut de l'invoquer, la subrogation de l'acquéreur dans les droits du vendeur au titre des indemnités d'assurance devrait être organisée, tout spécialement en présence d'une promesse unilatérale de vente du fait de l'inapplication des dispositions de l'article L. 121-10 du Code des assurances.
Dans sa valeur : l'imprévision
– Plan. – L'objet du contrat peut également être affecté dans sa valeur. C'est alors le mécanisme de l'imprévision, récemment consacré par l'ordonnance du 10 février 2016, qui aura vocation à s'appliquer. Le bref rappel du régime applicable (A) sera suivi d'une présentation du rôle du notaire dans la mise en œuvre de cette mécanique de l'imprévision au moment de la rédaction du contrat (B).
Rappel du régime applicable au titre de l'imprévision
– L'imprévision en France : une histoire mouvementée. – L'histoire de la théorie de l'imprévision ne se résume pas à son célèbre rejet par la Cour de cassation à l'occasion de l'arrêt Canal de Craponne
. Cette décision symbolise bien, néanmoins, l'attachement au principe de force obligatoire du contrat ainsi que l'opposition pouvant parfois exister entre les juridictions administratives et judiciaires françaises, les premières reconnaissant de longue date la révision du contrat pour imprévision lorsque les secondes l'ont refusée, jusqu'à la récente réforme du droit des contrats opérée par l'ordonnance du 10 février 2016. En dehors de quelques initiatives de la chambre commerciale de la Cour de cassation, fondées sur l'exigence de bonne foi, la jurisprudence de l'ordre judiciaire s'est fidèlement refusée à adapter le contrat selon l'équité, « quand le passage du temps le rend injuste ». C'est alors qu'est intervenue l'ordonnance du 10 février 2016 qui, en consacrant la théorie de l'imprévision sous l'article 1195 du Code civil, « rétablit ce lien précieux entre le droit et le temps ». L'attachement des notaires de France à la force obligatoire des contrats et à la sécurité juridique avait d'ailleurs conduit ces derniers à rejeter le vœu consistant à intégrer dans le Code civil la révision pour imprévision. Ce qui apparaissait alors pour les auteurs de ce vœu comme une adaptation nécessaire à la survie du contrat, en ce que son exécution ne devait pas « conduire à l'exécution capitale d'un contractant » sera finalement consacré quinze ans plus tard à l'occasion de la grande réforme opérée en 2016.
– Champ d'application de l'imprévision. – La théorie de l'imprévision consacrée par l'article 1195 du Code civil consiste à tenir compte des conséquences attachées à la survenance d'événements imprévus sur l'exécution à venir d'obligations contractuelles. Son champ d'application naturel renvoie donc aux contrats à exécution successive qui, à l'opposé des contrats à exécution instantanée, nécessitent l'écoulement du temps et non l'exécution des obligations en un trait de temps. C'est ainsi qu'en dehors de certaines ventes appelant au respect d'obligations étalées dans le temps, l'imprévision n'a pas vocation à s'appliquer dans le cadre d'un contrat de vente, qui est par essence un contrat instantané. En revanche, la théorie de l'imprévision est susceptible de s'appliquer dans le cadre des promesses de vente, quelle que soit leur forme, dès lors que des circonstances imprévisibles sont susceptibles de se produire et de déséquilibrer le contrat.
– Conditions de l'imprévision. – L'article 1195 du Code civil énonce trois conditions cumulatives pour mettre en jeu le mécanisme de l'imprévision. Il convient, tout d'abord, que soit constaté « un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat ». L'appréciation du caractère imprévisible de ce changement de circonstances doit se faire in abstracto, c'est-à-dire par référence à une personne normale se trouvant dans les mêmes circonstances, en établissant le changement au regard de la situation existante au jour du contrat. Il convient ensuite que ce changement rende l'exécution du contrat « excessivement onéreuse pour une partie », ce qui sera apprécié de manière objective (par rapport à la prestation prévue) et non pas subjective (au regard des facultés du débiteur). C'est ici une différence fondamentale avec la force majeure en ce que, d'une part, la circonstance imprévisible n'empêche pas l'exécution de l'obligation et, d'autre part, elle rend son exécution plus onéreuse de manière excessive. Enfin, le débiteur de l'obligation dont l'exécution est rendue excessivement plus onéreuse (deuxième condition) par suite de la survenance de changement de circonstances imprévu (première condition) ne doit pas avoir accepté d'en assumer le risque (troisième condition).
– Les effets de l'imprévision. – Une fois réunies les conditions d'application de l'imprévision, son régime apparaît comme « graduel ». C'est que, tout en continuant à exécuter ses obligations, le débiteur subissant le changement de circonstances peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Ce n'est qu'en cas de refus ou d'échec de la renégociation que les parties peuvent convenir de la résolution du contrat ou demander d'un commun accord que le juge procède à son adaptation. Enfin, et à défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge pourra réviser le contrat ou y mettre fin à la demande d'une partie.
Ingénierie notariale et imprévision
– L'alternative : aménager ou exclure. – En prévoyant la possibilité d'exclure l'application du mécanisme de l'imprévision en acceptant préalablement le risque attaché au changement de circonstances imprévisible, l'article 1195 du Code civil apparaît comme supplétif de volonté. Cette latitude laissée aux parties au contrat peut s'exprimer de deux manières différentes, en aménageant le mécanisme de l'imprévision, ou en excluant purement et simplement son application. En revanche, et en dehors de cas particuliers appelant l'une des parties à exécuter des obligations étalées dans le temps après la conclusion du contrat, le contrat de vente ne rentre pas dans le champ d'application de la théorie de l'imprévision. Il apparaît dès lors inutile d'aménager ou, ce qui se rencontre souvent, d'exclure dans ce contrat l'application de l'article 1195 du Code civil. Que ce soit pour aménager ou pour exclure le mécanisme de l'imprévision, le notaire devra déployer son ingénierie au moment de rédiger les conventions des parties.
- la définition des changements de circonstances pouvant être invoqués : afin d'éviter toute discussion au moment où l'imprévision est invoquée, les parties peuvent utilement prévoir de définir les circonstances prises en compte. Elles peuvent le faire de manière fermée (à travers une liste limitative), au risque d'exclure certains éléments par définition non prévus, de manière plus ouverte ou générique (en décrivant de manière catégorielle les circonstances pouvant être retenues), ou de manière hybride, c'est-à-dire en cumulant les deux précédentes méthodes de définition. Il s'agirait dès lors de caractériser des catégories de circonstances, avant que n'en soient proposées des illustrations pour la compréhension des parties ;
- les effets au-delà desquels les changements de circonstance doivent être pris en compte : en caractérisant les effets attendus des circonstances pouvant être prises en compte, les parties peuvent rendre plus objective leur reconnaissance. C'est ainsi, par exemple, que des seuils peuvent être fixés, ou des pourcentages d'augmentation prévus ;
- le déroulé des négociations : le cadre des négociations pourrait, au-delà du seul principe fixé par l'article 1195 du Code civil, être fixé à travers la rédaction d'une clause plus détaillée. C'est ainsi que le respect d'un certain formalisme (délais, envoi de lettres recommandées avec demande d'avis de réception, etc.) permettrait de contraindre les parties à une certaine diligence tout en permettant d'identifier les comportements qui justifient que la procédure n'aboutisse pas, le cas échéant, à la révision ou à la résolution du contrat ;
- les conséquences en cas d'échec des négociations : l'issue défavorable du processus de négociation doit également être organisée et prévue au contrat. Qu'il s'agisse des modalités permettant de contraindre à une médiation, à un arbitrage ou à la saisine d'un juge, les dispositions contractuelles auraient ainsi vocation à sécuriser les parties subissant à la fois un changement de circonstances imprévu et un désaccord sur son traitement au titre du contrat.
– L'aménagement conventionnel de l'imprévision. – La pratique, notamment des contrats d'affaires, avait tenu compte de l'impossibilité d'invoquer l'imprévision pour forcer à rééquilibrer le contrat subissant un changement de circonstances imprévisible. Avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016, les parties étaient tenues de le prévoir expressément dans le contrat. Pour les contrats conclus à compter du 1er octobre 2016, l'article 1195 du Code civil s'applique. Les parties peuvent néanmoins décider de compléter le mécanisme proposé par celui-ci ou de le modifier. Ces ajustements conventionnels du mécanisme de l'imprévision pourront porter sur les éléments suivants :
De l'intérêt d'associer à une clause d'imprévision une clause de médiation et/ou d'arbitrage
Du fait de la graduation proposée par l'article 1195 du Code civil, et le plus souvent reprise et complétée dans le cadre des clauses d'imprévision conventionnellement prévues, le premier objectif des parties sera de renégocier le contrat afin d'en rétablir l'équilibre.
En cas d'échec dans les discussions, les parties peuvent convenir :
- d'essayer de poursuivre leurs échanges avec l'accompagnement d'un médiateur ;
- en cas d'échec de la médiation, de recourir à l'arbitrage afin d'éviter une procédure potentiellement longue, coûteuse et aux résultats aléatoires.
Il sera donc opportun que le notaire propose de compléter les clauses d'imprévision en y ajoutant des clauses de médiation et/ou d'arbitrage afin de favoriser la recherche d'un accord entre les parties et d'éviter que ne soit initiée une procédure auprès des tribunaux.
– L'exclusion conventionnelle de l'imprévision. – L'exclusion des dispositions de l'article 1195 du Code civil est très répandue, jusqu'à devenir une clause de style dans les contrats d'affaires. Si leur insertion dans un contrat de vente ne semble pas présenter d'intérêt, il n'en va pas de même en matière de promesse de vente. L'article 1195 du Code civil prévoit expressément la possibilité d'exclure son application, la partie subissant le changement de circonstances imprévisible ayant pu valablement accepter d'en assumer le risque. Néanmoins, il convient que cette renonciation soit précise et exprès dans l'acte. Surtout, cette exclusion ne doit pas être à l'origine d'un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, sous peine d'être réputée non écrite. La promesse de vente semble néanmoins, sauf circonstances exceptionnelles, échapper à la qualification de contrat d'adhésion. De même, la pratique constatée depuis la réforme opérée par l'ordonnance du 10 février 2016 consiste à exclure globalement et pour les deux parties le bénéfice des dispositions de l'article 1195 du Code civil, symétrie qui est de nature à atténuer, voire même à écarter tout déséquilibre significatif entre les parties au contrat.