– Obligation et traitement contractuel. – La réglementation relative aux déchets comporte une obligation de gestion des déchets pour son propriétaire ou son détenteur. Il nous semble donc important de rappeler tout d'abord les grands principes gouvernant ce régime (§ I), avant d'en tirer les conséquences sur le contenu des contrats que le notaire peut avoir à recevoir (§ II).
Les obligations du propriétaire au regard de la réglementation des déchets
Les obligations du propriétaire au regard de la réglementation des déchets
Les principes directeurs de la réglementation relative aux déchets
– Définitions. – Afin de bien déterminer le contour des obligations générées par ce régime, il convient tout d'abord de rappeler les définitions de notions essentielles. Ces définitions sont portées par l'article L. 541-1 du Code de l'environnement. Nous en reprenons ici les éléments essentiels aux développements qui suivront.
- Déchet : toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire.
- Producteur de déchets : toute personne dont l'activité produit des déchets (producteur initial de déchets) ou toute personne qui effectue des opérations de traitement des déchets conduisant à un changement de la nature ou de la composition de ces déchets (producteur subséquent de déchets).
- Détenteur de déchets : producteur des déchets ou toute autre personne qui se trouve en possession des déchets.
Pour la version intégrale de l'article L. 541-1-1 du Code de l'environnement :
– Obligation de gestion. – L'article L. 541-2 du Code de l'environnement institue une obligation de gestion des déchets à la charge du producteur ou du détenteur. Le processus de gestion est lui-même encadré, puisque ces déchets ne peuvent être remis à n'importe qui, d'une part, et que le détenteur ou producteur est responsable de la gestion, non pas jusqu'à la remise des déchets à la personne habilitée à les traiter, mais bien jusqu'à leur élimination ou valorisation finale, d'autre part. L'enjeu est donc d'éviter qu'une personne n'ayant rien à voir avec le processus de création de déchets n'acquière involontairement la qualité de détenteur de déchets.
– La possible confusion des qualités de propriétaire du terrain et de détenteur des déchets. – La question se pose de savoir si le propriétaire du terrain sur lequel existent des déchets, mais dont il n'est pas à l'origine de la création, peut se voir reconnaître la qualité de détenteur, et donc devenir débiteur de l'obligation de gestion de ces déchets. La question a été tranchée par le Conseil d'État dans son arrêt du 26 juillet 2011. Les faits étaient les suivants : le terrain appartenait à une société qui y exerçait une activité de régénération de caoutchouc. En 1989, cette société vend son fonds de commerce tout en restant propriétaire de l'unité foncière, siège de l'activité. En 1991, le cessionnaire est placé en liquidation judiciaire, cesse son activité et abandonne le site en y laissant plusieurs milliers de tonnes de pneumatiques usagés.
Par arrêté du maire de la commune, la société propriétaire du terrain est mise en demeure d'éliminer ces déchets. L'arrêté est contesté au motif qu'elle ne pouvait revêtir la qualité de détenteur. L'affaire est remontée jusqu'au Conseil d'État qui a donc tranché en jugeant que « le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets peut, en l'absence de détenteur connu de ces déchets, être regardé comme leur détenteur au sens de l'article L. 541-2 du Code de l'environnement, notamment s'il a fait preuve de négligence à l'égard d'abandons sur son terrain ». Il est donc maintenant établi que le propriétaire peut être qualifié de détenteur du déchet, à défaut d'un autre détenteur identifiable. On pourrait même aller plus loin en imaginant le cas d'un détenteur identifié, mais non solvable. Dans un tel cas, la qualité de détenteur pourrait-elle être reconnue au propriétaire ? Certains auteurs en émettent en tout cas l'hypothèse. Il convient néanmoins de rappeler que cette responsabilité n'est qu'une responsabilité subsidiaire, ainsi que le Conseil d'État l'a précisé dans plusieurs arrêts postérieurs.
La même solution a été retenue par la Cour de cassation dans un litige opposant bailleur et locataire quant à la prise en charge de la gestion des déchets en fin de bail.
Ce risque de voir le propriétaire d'une assiette foncière devenir détenteur de déchets implique donc pour le notaire une vigilance accrue dans le traitement des engagements contractuels que souhaite prendre le propriétaire.
Les enjeux contractuels
– Rôle du notaire. – En pratique, le rôle du notaire sera de prévenir le risque de pollution, ou en tout cas d'éviter une gestion « subie » de ce risque qui serait susceptible de bouleverser l'équilibre contractuel et donc de fragiliser les conventions passées sous son ministère. Deux hypothèses principales sont à étudier : celle de la mise en location d'un bien au profit d'une personne susceptible d'y exercer une activité génératrice de déchets (A), et celle de la vente d'un terrain susceptible d'en contenir (B).
La protection du propriétaire dans le cadre d'une mise en location
– Stipulations contractuelles. – La régularisation d'un bail au profit d'une personne s'apprêtant à y exercer une activité génératrice de déchets doit donc s'accompagner d'un certain nombre de précautions rédactionnelles.
Il conviendra par exemple de statuer sur la propriété des déchets en rappelant que le locataire en restera le propriétaire, et qu'il est donc débiteur d'une obligation de ne pas les abandonner sur le site, d'une part, et de procéder à leur enlèvement et leur retraitement dans le respect des dispositions des articles L. 541-1 et suivants du Code de l'environnement, d'autre part.
Il conviendra également de dresser un état des lieux au moment de la prise d'effet du bail afin de préconstituer la preuve de l'inexistence de déchets à ce moment-là.
Enfin, il sera indispensable de prévoir que le locataire restera seul débiteur des mesures prescrites par l'autorité administrative compétente en vue de l'élimination des déchets existants sur le site, postérieurement à la prise d'effet du bail.
Pour garantir cette obligation, il pourra être convenu de garanties financières, qui pourront être constituées par exemple par une garantie autonome délivrée par un établissement bancaire dans les termes de l'article 2321 du Code civil, ou par la cession d'une somme d'argent à titre de garantie, dans les termes du nouvel article 2374 du Code civil.
– Devoir d'information du notaire. – Au-delà des stipulations contractuelles que le notaire pourra inclure dans un bail, mais qui feront à n'en pas douter l'objet de négociations entre les parties, il n'est pas inutile de rappeler que les obligations relatives au devoir de conseil du notaire l'obligent à informer son client, en l'occurrence le propriétaire, de la prudence dont il devra faire preuve afin d'éviter de se voir reconnaître la qualité de détenteur. En ce sens, il conviendra de rappeler au propriétaire l'importance de la préconstitution de la preuve de son implication dans la surveillance du site et de sa protection. Pour aller à l'essentiel, le propriétaire devra être en mesure d'apporter la preuve qu'il n'a pas été négligent dans la gestion de son immeuble, quand bien même celui-ci faisait l'objet d'une occupation par un tiers.
La protection du futur propriétaire dans sa démarche d'acquisition
– Identification du risque. – Il existe un risque pour l'acquéreur de se voir reconnaître la qualité de détenteur s'il connaît l'existence de déchets sur la parcelle foncière visée au moment de son acquisition. Si cela devait être le cas, il deviendrait débiteur de l'obligation de gestion et ne pourrait s'opposer aux mesures prescrites par le maire, le cas échéant.
– Conseil pratique. – Il conviendra dans une telle hypothèse de faire de la gestion des déchets présents sur le site un élément essentiel du contrat. Deux hypothèses sont alors envisageables :
- l'obligation de gestion est mise à la charge du vendeur. L'enlèvement des déchets doit alors constituer une condition de la bonne fin de la vente, et le transfert de propriété et des risques de la chose ne devrait pas pouvoir intervenir avant la constatation de la bonne exécution de cette obligation. Si le transfert de propriété doit intervenir avant la complète exécution de l'obligation, il faudra alors prévoir la constitution de garanties financières par ce dernier. Ce qui soulèvera alors la délicate question de l'évaluation de ce risque (sur ce point, nous renvoyons à nos développements supra, nos et s.) ;
- l'obligation de gestion des déchets est mise à la charge de l'acquéreur : il faut alors faire chiffrer le coût total de gestion des déchets (de leur enlèvement jusqu'à leur élimination ou valorisation finale), afin de déterminer un juste prix et de permettre à l'acquéreur de connaître la portée financière de ses engagements souscrits à ce titre.