La cession du site pollué non concerné par la réglementation ICPE

La cession du site pollué non concerné par la réglementation ICPE

– Le domaine étendu du droit des sites et sols pollués. – Le régime des ICPE que nous venons d'étudier, du moins l'aspect de la cessation d'activité, ne recouvre pas, loin de là, la totalité de la problématique de gestion des sites et sols pollués. En effet, on estime que 70 % des sols pollués du territoire national ne sont pas concernés par cette réglementation. L'autre régime spécifique en matière de sites et sols pollués est constitué par la réglementation relative aux déchets (Sous-section I). Mais la limite du dispositif est que la définition du déchet ne comprend pas les terres non excavées. Par conséquent, en l'absence de régime obligatoire pour les autres sources de pollution que les ICPE ou les déchets, c'est par le contrat que le sort d'un sol pollué devra être réglé (Sous-section II).

Les obligations du propriétaire au regard de la réglementation des déchets

– Obligation et traitement contractuel. – La réglementation relative aux déchets comporte une obligation de gestion des déchets pour son propriétaire ou son détenteur. Il nous semble donc important de rappeler tout d'abord les grands principes gouvernant ce régime (§ I), avant d'en tirer les conséquences sur le contenu des contrats que le notaire peut avoir à recevoir (§ II).

Les principes directeurs de la réglementation relative aux déchets

– Définitions. – Afin de bien déterminer le contour des obligations générées par ce régime, il convient tout d'abord de rappeler les définitions de notions essentielles. Ces définitions sont portées par l'article L. 541-1 du Code de l'environnement. Nous en reprenons ici les éléments essentiels aux développements qui suivront.
  • Déchet : toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire.
  • Producteur de déchets : toute personne dont l'activité produit des déchets (producteur initial de déchets) ou toute personne qui effectue des opérations de traitement des déchets conduisant à un changement de la nature ou de la composition de ces déchets (producteur subséquent de déchets).
  • Détenteur de déchets : producteur des déchets ou toute autre personne qui se trouve en possession des déchets.
Pour la version intégrale de l'article L. 541-1-1 du Code de l'environnement :
– Obligation de gestion. – L'article L. 541-2 du Code de l'environnement institue une obligation de gestion des déchets à la charge du producteur ou du détenteur. Le processus de gestion est lui-même encadré, puisque ces déchets ne peuvent être remis à n'importe qui, d'une part, et que le détenteur ou producteur est responsable de la gestion, non pas jusqu'à la remise des déchets à la personne habilitée à les traiter, mais bien jusqu'à leur élimination ou valorisation finale, d'autre part. L'enjeu est donc d'éviter qu'une personne n'ayant rien à voir avec le processus de création de déchets n'acquière involontairement la qualité de détenteur de déchets.
– La possible confusion des qualités de propriétaire du terrain et de détenteur des déchets. – La question se pose de savoir si le propriétaire du terrain sur lequel existent des déchets, mais dont il n'est pas à l'origine de la création, peut se voir reconnaître la qualité de détenteur, et donc devenir débiteur de l'obligation de gestion de ces déchets. La question a été tranchée par le Conseil d'État dans son arrêt du 26 juillet 2011. Les faits étaient les suivants : le terrain appartenait à une société qui y exerçait une activité de régénération de caoutchouc. En 1989, cette société vend son fonds de commerce tout en restant propriétaire de l'unité foncière, siège de l'activité. En 1991, le cessionnaire est placé en liquidation judiciaire, cesse son activité et abandonne le site en y laissant plusieurs milliers de tonnes de pneumatiques usagés.
Par arrêté du maire de la commune, la société propriétaire du terrain est mise en demeure d'éliminer ces déchets. L'arrêté est contesté au motif qu'elle ne pouvait revêtir la qualité de détenteur. L'affaire est remontée jusqu'au Conseil d'État qui a donc tranché en jugeant que « le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets peut, en l'absence de détenteur connu de ces déchets, être regardé comme leur détenteur au sens de l'article L. 541-2 du Code de l'environnement, notamment s'il a fait preuve de négligence à l'égard d'abandons sur son terrain ». Il est donc maintenant établi que le propriétaire peut être qualifié de détenteur du déchet, à défaut d'un autre détenteur identifiable. On pourrait même aller plus loin en imaginant le cas d'un détenteur identifié, mais non solvable. Dans un tel cas, la qualité de détenteur pourrait-elle être reconnue au propriétaire ? Certains auteurs en émettent en tout cas l'hypothèse. Il convient néanmoins de rappeler que cette responsabilité n'est qu'une responsabilité subsidiaire, ainsi que le Conseil d'État l'a précisé dans plusieurs arrêts postérieurs.
La même solution a été retenue par la Cour de cassation dans un litige opposant bailleur et locataire quant à la prise en charge de la gestion des déchets en fin de bail.
Ce risque de voir le propriétaire d'une assiette foncière devenir détenteur de déchets implique donc pour le notaire une vigilance accrue dans le traitement des engagements contractuels que souhaite prendre le propriétaire.

Les enjeux contractuels

– Rôle du notaire. – En pratique, le rôle du notaire sera de prévenir le risque de pollution, ou en tout cas d'éviter une gestion « subie » de ce risque qui serait susceptible de bouleverser l'équilibre contractuel et donc de fragiliser les conventions passées sous son ministère. Deux hypothèses principales sont à étudier : celle de la mise en location d'un bien au profit d'une personne susceptible d'y exercer une activité génératrice de déchets (A), et celle de la vente d'un terrain susceptible d'en contenir (B).

La protection du propriétaire dans le cadre d'une mise en location

– Stipulations contractuelles. – La régularisation d'un bail au profit d'une personne s'apprêtant à y exercer une activité génératrice de déchets doit donc s'accompagner d'un certain nombre de précautions rédactionnelles.
Il conviendra par exemple de statuer sur la propriété des déchets en rappelant que le locataire en restera le propriétaire, et qu'il est donc débiteur d'une obligation de ne pas les abandonner sur le site, d'une part, et de procéder à leur enlèvement et leur retraitement dans le respect des dispositions des articles L. 541-1 et suivants du Code de l'environnement, d'autre part.
Il conviendra également de dresser un état des lieux au moment de la prise d'effet du bail afin de préconstituer la preuve de l'inexistence de déchets à ce moment-là.
Enfin, il sera indispensable de prévoir que le locataire restera seul débiteur des mesures prescrites par l'autorité administrative compétente en vue de l'élimination des déchets existants sur le site, postérieurement à la prise d'effet du bail.
Pour garantir cette obligation, il pourra être convenu de garanties financières, qui pourront être constituées par exemple par une garantie autonome délivrée par un établissement bancaire dans les termes de l'article 2321 du Code civil, ou par la cession d'une somme d'argent à titre de garantie, dans les termes du nouvel article 2374 du Code civil.
– Devoir d'information du notaire. – Au-delà des stipulations contractuelles que le notaire pourra inclure dans un bail, mais qui feront à n'en pas douter l'objet de négociations entre les parties, il n'est pas inutile de rappeler que les obligations relatives au devoir de conseil du notaire l'obligent à informer son client, en l'occurrence le propriétaire, de la prudence dont il devra faire preuve afin d'éviter de se voir reconnaître la qualité de détenteur. En ce sens, il conviendra de rappeler au propriétaire l'importance de la préconstitution de la preuve de son implication dans la surveillance du site et de sa protection. Pour aller à l'essentiel, le propriétaire devra être en mesure d'apporter la preuve qu'il n'a pas été négligent dans la gestion de son immeuble, quand bien même celui-ci faisait l'objet d'une occupation par un tiers.

La protection du futur propriétaire dans sa démarche d'acquisition

– Identification du risque. – Il existe un risque pour l'acquéreur de se voir reconnaître la qualité de détenteur s'il connaît l'existence de déchets sur la parcelle foncière visée au moment de son acquisition. Si cela devait être le cas, il deviendrait débiteur de l'obligation de gestion et ne pourrait s'opposer aux mesures prescrites par le maire, le cas échéant.
– Conseil pratique. – Il conviendra dans une telle hypothèse de faire de la gestion des déchets présents sur le site un élément essentiel du contrat. Deux hypothèses sont alors envisageables :
  • l'obligation de gestion est mise à la charge du vendeur. L'enlèvement des déchets doit alors constituer une condition de la bonne fin de la vente, et le transfert de propriété et des risques de la chose ne devrait pas pouvoir intervenir avant la constatation de la bonne exécution de cette obligation. Si le transfert de propriété doit intervenir avant la complète exécution de l'obligation, il faudra alors prévoir la constitution de garanties financières par ce dernier. Ce qui soulèvera alors la délicate question de l'évaluation de ce risque (sur ce point, nous renvoyons à nos développements supra, nos et s.) ;
  • l'obligation de gestion des déchets est mise à la charge de l'acquéreur : il faut alors faire chiffrer le coût total de gestion des déchets (de leur enlèvement jusqu'à leur élimination ou valorisation finale), afin de déterminer un juste prix et de permettre à l'acquéreur de connaître la portée financière de ses engagements souscrits à ce titre.

La cession de l'immeuble pollué en dehors des réglementations ICPE ou relative aux déchets

– Un risque de contentieux élevé. – La vente d'un immeuble qui ne relève pas de la réglementation des ICPE ou de celle des déchets, et qui fait l'objet d'une réelle suspicion environnementale, présente un risque réel d'insécurité juridique. Àtitre d'illustration, on peut citer l'exclusion de la qualification de déchets des terres non excavées, ou encore la réticence de la Cour de cassation à exonérer de sa garantie des vices cachés un vendeur d'immeuble pollué par son exploitant mais non soumis au régime des ICPE, ainsi que nous avons pu le voir en première partie (V. supra, nos et s.).
Pour la pratique notariale, la sécurisation d'une telle transaction doit se faire à deux niveaux : tout d'abord au stade précontractuel par la recherche d'informations susceptibles d'éclairer le consentement des parties (§ I), puis au stade de la rédaction du contrat au moyen de la stipulation d'une garantie de passif environnemental, ou au contraire d'un transfert (§ II).

L'information précontractuelle en matière environnementale

– Consultation de documentation. – Un premier niveau d'information peut être contenu dans des documents facilement accessibles : les bases de données environnementales (Basol, Basias, ICPE, SIS, Géorisques) doivent faire l'objet d'un examen attentif dès lors qu'un risque environnemental est suspecté.
Sur ce point, il convient de rappeler que la loi no 2014-399 du 24 mars 2014, dite « loi Alur », impose à l'État l'élaboration des secteurs d'information sur les sols (SIS) qui comprennent les terrains pollués justifiant la mise en œuvre d'études de sols et de mesures de gestion.
Le vendeur d'un immeuble situé dans un tel secteur doit alors en avertir par écrit son acquéreur, sous peine, en cas d'existence de pollution rendant le terrain impropre à sa destination, soit de résolution de la vente, soit de restitution d'une partie du prix, ou encore de la possibilité pour l'acquéreur d'exiger la réhabilitation du terrain aux frais du vendeur si celle-ci ne paraît pas disproportionnée par rapport au prix de vente.
Par ailleurs les anciens titres de propriété, baux ou tout acte conférant un droit réel ou personnel, peuvent également contenir des informations précieuses quant au passé environnemental de l'immeuble objet de la vente.
Le vendeur doit en outre être interrogé sur les connaissances dont il dispose au sujet de l'immeuble.
– Établissement d'un audit environnemental. – Si ce recueil d'informations révèle une suspicion aggravée en matière de pollution, il ne faudra pas hésiter, selon nous, à recommander aux parties l'établissement d'un audit environnemental.
Cet audit devra être confié à un bureau d'étude spécialisé en sites et sols pollués, répondant à la norme NF X 31-620-5.
Une fois les conclusions de l'audit connues, il conviendra de faire chiffrer le coût des travaux de traitement de la pollution détectée. En outre, si ce traitement est d'un commun accord entre les parties réalisé par le vendeur avant tout transfert de propriété, il ne faudra en aucun cas évoquer dans l'acte de vente la cession d'un terrain dépollué. Nous avons effectivement vu en première partie de nos développements qu'une telle mention pouvait engager la responsabilité du vendeur au titre de son obligation de délivrance conforme, dans l'hypothèse où une pollution résiduelle existerait toujours, voire une pollution d'une autre nature qui n'aurait pu être décelée par l'audit environnemental réalisé. Il conviendra donc simplement de relater l'audit environnemental réalisé, ses conclusions, et les travaux menés pour traiter la pollution décelée. Il faut ici rappeler que la notion de dépollution n'est pas définie par la loi, et que seule doit être envisagée « la compatibilité des sols avec un usage donné ».

Le traitement conventionnel du risque environnemental

– La gestion du risque. – En matière de vente immobilière présentant un risque environnemental, deux hypothèses sont à considérer : la première consiste à ne pas conserver ce risque à la charge du vendeur. L'acte de vente devra alors comprendre une clause contenant une garantie de passif environnemental (A). La seconde consiste à organiser le transfert du risque à la charge de l'acquéreur (B).

La garantie de passif environnemental

  • l'engagement du vendeur de réaliser lui-même les travaux de réhabilitation en cas de détection de pollution postérieurement au transfert de propriété ;
  • l'indemnisation de l'acquéreur, en réparation du préjudice subi par la détection d'une pollution, et le coût financier de la réhabilitation de l'immeuble vendu afin de le rendre compatible avec l'usage que l'acquéreur entend lui donner et tel qu'indiqué dans l'acte.
– Conservation par le vendeur du risque environnemental. – L'insertion d'une garantie de passif environnemental peut être prévue dans une vente immobilière bien évidemment, mais également dans le cadre d'une cession de contrôle d'une société, elle-même détentrice d'un patrimoine immobilier susceptible de subir un risque relatif à une éventuelle pollution. Cette clause couvre le passif environnemental existant antérieurement à la cession. Une telle clause signifie que le passif environnemental restera à la charge du vendeur. Cette clause peut prévoir :
– Régime de la garantie de passif. – Comme toute garantie de passif, elle ne pourra couvrir que le passif existant et non révélé à la date de la cession : il faudra en conséquence que soit rapportée la preuve de l'existence de la pollution à une époque antérieure au transfert de propriété. Elle devra également être limitée dans le temps et dans son montant.
Il conviendra également, selon nous, de limiter cette clause aux pollutions incompatibles avec l'usage que l'acquéreur souhaite donner au bien acquis, de sorte que la découverte d'une pollution qui serait incompatible avec un nouvel usage dont il n'avait pas été fait mention dans le contrat de cession ne puisse permettre la mise en jeu de la garantie.

Le transfert des risques

– Détermination du risque. – Organiser le transfert du risque environnemental à la charge de l'acquéreur revient à ce que la vente se fasse « en l'état ». Il conviendra dès lors que le vendeur ne puisse ensuite être poursuivi, que ce soit au titre d'un manquement à son obligation de délivrance conforme ou au titre de son obligation de garantie des vices cachés s'il n'est pas en mesure de s'en exonérer. La sécurisation de la convention sera à ce prix. Il convient de rappeler par ailleurs les obligations spéciales d'informations auxquelles le vendeur d'immeuble est tenu au titre des articles L. 514-20 (ICPE) et L. 125-7 (SIS) du Code de l'environnement. Ces obligations d'information sont des obligations de résultat, un manquement pouvant être sanctionné par la résolution de la vente, d'une part, mais également par une restitution partielle du prix ou encore la réhabilitation du site aux frais du vendeur dès lors que le coût ne paraît pas disproportionné par rapport au prix de vente.
Dès lors, outre les recherches et consultations documentaires déjà évoquées (V. supra, nos et s.), et en présence d'une forte probabilité d'existence d'un risque environnemental, il sera nécessaire de faire procéder à un audit environnemental de l'immeuble vendu, et ce préalablement à toute formalisation de la vente. Le contenu de cet audit sera à établir en fonction de l'historique du site. Rappelons qu'une recherche de pollutions n'est pas universelle, et qu'en la matière on ne peut trouver que ce que l'on cherche.
Une fois l'audit environnemental établi, l'acquéreur pourra alors évaluer les conséquences financières d'une prise en charge du traitement du terrain, pour le cas où l'état de celui-ci serait incompatible avec l'usage qu'il souhaite lui donner. Les conditions de la vente (et notamment le prix) pourront alors être fixées en toute transparence et connaissance de cause, minimisant, voire évitant un possible développement contentieux du contrat.
Enfin, en cas de transfert du risque environnemental à l'acquéreur, il conviendra de prévoir au profit de ce dernier une subrogation dans les droits que détenait le vendeur contre un ancien propriétaire exploitant : à défaut, ce dernier ne pourra agir contre le responsable de la pollution.