Les « atténuations » ou exceptions existantes

Les « atténuations » ou exceptions existantes

– Atténuations et exceptions. – Le principe du consensualisme n'est pas absolu, en ce qu'il peut faire l'objet d'atténuations ou connaître des exceptions.
Les atténuations ou tempéraments, s'ils ne remettent pas en cause la formation même du contrat, réduisent l'impact du consensualisme en y associant des contraintes formelles.
Les exceptions quant à elles ont pour effet de reporter la formation du contrat à l'accomplissement d'un formalisme particulier. Ces exceptions font donc clairement et expressément échec au principe du consensualisme.
– Distinction entre formalisme et solennité. – Cette différence entre, d'une part, les atténuations au principe du consensualisme et, d'autre part, les exceptions à ce même principe, rend nécessaire l'utilisation d'une terminologie propre à chacune de ces deux situations. Dans son célèbre article qui fait encore autorité sur ce sujet, Jacques Flour avait ainsi indiqué que le formalisme consiste en « l'exigence d'une forme déterminée par la loi et à défaut de laquelle la manifestation de volonté se trouve frappée d'inefficacité à un degré quelconque ». L'exigence d'une forme particulière pour extérioriser la volonté des parties à l'acte relève du formalisme en général, dès lors que la validité même du contrat ne s'en trouve pas affectée (Sous-section I). Son efficacité pourrait l'être, en ce que le contrat ne serait pas opposable aux tiers (il en va ainsi des règles imposant l'accomplissement des formalités au service de publicité foncière compétent pour les actes de vente d'immeuble), serait plus difficile à établir et à prouver, ou que des responsabilités particulières seraient supportées par celle des parties à l'acte n'ayant pas respecté, par exemple, son devoir de transmission de documents. Au sein de ce formalisme, certaines règles consistent à imposer, à peine de nullité des actes, la signature d'un acte sous seing privé ou sous forme authentique, ou plus largement l'accomplissement de formalités. Il s'agit en ce cas de véritables exceptions au principe du consensualisme (Sous-section II).

Les tempéraments ou atténuations au principe du consensualisme

– Atténuations par application de règles de preuve ou d'opposabilité. – Sans chercher à remettre en question le principe du consensualisme, certaines atténuations en tempèrent néanmoins les effets.
L'article 1173 du Code civil, après avoir rappelé que ces atténuations n'affectent pas la validité des contrats, nous précise les principaux objectifs qui leur sont assignés. C'est ainsi que ces atténuations ou tempéraments d'origine légale au consensualisme tendent à répondre principalement à un objectif de preuve (§ I) ou à permettre d'assurer l'opposabilité d'un contrat (§ II). D'autres objectifs sont parfois assignés à ces atténuations (§ III).

Le formalisme aux fins de preuve

– Opposition entre formes ad solemnitatem et ad probationem . – Le principe du consensualisme est dans ce cas écarté, non pas pour la validité du contrat, mais pour en apporter la preuve. La forme n'est pas exigée ad solemnitatem mais ad probationem . Il s'agit d'une atténuation au principe du consensualisme dans les rapports entre les parties.
– Atténuation. – Par application du principe du consensualisme, le contrat de vente d'immeuble est valable sans l'accomplissement d'aucune forme. Son « efficacité » peut néanmoins en apparaître entachée faute de pouvoir apporter la preuve de l'existence de ce contrat ou de la nature des conventions qu'il renferme.
Sur ce point, il a pu être relevé qu'il convenait de tempérer la différence entre une forme contractuelle exigée ad validitatem et une forme exigée ad probationem , tant la preuve d'un droit apparaît déterminante en cas de litige.
– Obligation d'un écrit aux fins de preuve. – Aussi consensuel qu'il soit, le contrat de vente n'en est pas moins un acte juridique soumis aux règles générales du droit de la preuve prescrites par le Code civil. Au-delà d'un certain montant, dérisoire lorsque l'on parle de contrat de vente d'immeuble, l'écrit est obligatoire pour apporter la preuve du contrat.

Le formalisme aux fins d'opposabilité

– Objet de l'opposabilité aux tiers. – Le souci d'efficacité du contrat ne se limite pas aux parties mais peut devoir s'étendre aux tiers. Il s'agit dans ce cas de rendre le contrat opposable aux tiers.
L'atténuation au principe du consensualisme consiste finalement en une limite fondamentale : le contrat ne peut pas, en raison seulement de son existence et de sa validité, être immédiatement opposable erga omnes, et notamment à l'égard des tiers à celui-ci.
Cette atténuation connaît une illustration légale bien connue en matière de vente d'immeuble.
– Illustration. La publicité foncière. – Une illustration peut être trouvée dans l'obligation de publication au service de publicité foncière des actes portant mutation de droits immobiliers, au premier rang desquels les ventes d'immeuble.
Àtravers cette formalité, les tiers au contrat et ayant acquis un droit concurrent sur le bien sont réputés avoir été informés de celui-ci, indépendamment de leur connaissance effective dudit contrat.
En l'absence d'accomplissement des formalités de publicité foncière, un contrat de vente d'immeuble reste valable, mais ne produira ses effets qu'inter partes.

Les autres objectifs assignés au formalisme

– Formalisme de protection. – Rejoignant la justification accompagnant habituellement les exigences de solennité auxquelles sont soumis certains actes, qui sont autant de « précautions prises en vue de parvenir, autant que possible, à ce que le consentement des parties soit réfléchi et donné en toute connaissance de cause », le formalisme dans son ensemble semble embrasser cet objectif de protection de la partie faible ou ignorante au moment où celle-ci envisage de souscrire à des engagements d'importance. Il a ainsi été relevé que « la forme est devenue l'instrument privilégié de toute protection de la partie faible et, l'impératif de protection ayant été perçu comme primordial, s'en est nécessairement suivi un développement sans précédent du formalisme ».
– Les délais de rétractation. – Comment ne pas analyser les délais de rétractation (cooling-off period) en une atteinte combinée aux principes du consensualisme et de force obligatoire des contrats ? Nous avons rappelé les liens existant entre ces deux principes, l'un découlant finalement de l'autre. Il n'est donc pas étonnant de constater que l'un comme l'autre se trouve atteint par ces dispositions qui ne sont que le prolongement d'un droit de repentir tendant à se généraliser. Le principe de force obligatoire du contrat est en effet touché, puisque le contrat, bien que formé, peut-être unilatéralement anéanti par l'une des parties à la vente. Le principe de consensualisme est lui aussi atteint ; puisque la rencontre des volontés ne suffit pas à former le contrat de manière pérenne, il convient encore que ce contrat survive à l'écoulement d'une période au cours de laquelle son anéantissement libre et unilatéral est rendu possible. Il apparaît par ailleurs nécessaire, pour purger ces délais de rétractation, qu'un formalisme bien précis soit respecté, nécessitant en pratique la signature d'un acte, matérialisant dès lors une nouvelle atteinte au principe du consensualisme.
Pour une analyse plus complète de ces différents délais de rétractation, nous renvoyons au rapport du 111e Congrès des notaires de France :
www.congresdesnotaires.fr/media/uploads/ouvrages/rapport_111.pdf">Lien.

Actualisation des propos du 111 Congrès des notaires de France en matière de délais de rétractation

Il convient de rappeler que le Code de la consommation a fait l'objet d'une refonte aux termes de l'ordonnance no 2016-301 du 14 mars 2016, de laquelle il résulte notamment que le droit de rétractation prévu par la loi no 2014-344 du 17 mars 2014, dite loi « Hamon » a été expressément exclu de la matière immobilière. Ainsi, le nouvel article L. 221-2 du Code de la consommation (anciennement L. 121-16-1) prévoit désormais que sont exclus les « contrats portant sur la création, l'acquisition ou le transfert de biens immobiliers ou de droits sur des biens immobiliers, la construction d'immeubles neufs, la transformation importante d'immeubles existants ou la location d'un logement à des fins résidentielles ». Des modifications ont également été apportées au droit de rétractation prévu à l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation : outre le passage du délai de sept à dix jours, la principale évolution concerne le recours désormais possible à la lettre recommandée électronique (LRE), prévue aux articles R. 53 et suivants du Code des postes et communications électroniques. Nous relevons aussi l'apport de précisions jurisprudentielles quant à l'étendue du contrôle de la bonne remise de la lettre recommandée par l'émetteur de la notification et une possible orientation vers un aspect « absolutoire » de la signature de l'acte authentique de vente.
– Le cas de la promesse unilatérale de vente. – Nous pouvons tout d'abord citer les promesses unilatérales de vente sous seing privé afférente à un immeuble ou à un droit immobilier. Faute d'avoir respecté la formalité de l'enregistrement dans les dix jours à compter de la date de l'acceptation de cette promesse par son bénéficiaire, celle-ci se trouve frappée de nullité. L'accord des parties et l'application du principe du consensualisme ont permis la formation du contrat, lequel se retrouverait néanmoins dans pareille situation anéanti postérieurement en raison du non-respect d'une règle de forme.

Les exceptions au principe du consensualisme

– Énoncé des exceptions par le Code civil. – Après avoir énoncé le principe même du consensualisme, l'article 1172 du Code civil liste les deux catégories d'exception à ce principe : les contrats solennels et les contrats réels. Cette distinction est également reprise au titre des dispositions liminaires du sous-titre 1er sur le contrat, comblant ainsi une lacune de l'ancien code qui ne comprenait pas cette distinction. Survivance du droit romain, les contrats réels font de la remise de la chose une forme essentielle à la formation du contrat. Le prêt à usage et de consommation et le dépôt sont les principales illustrations de contrats réels. Pour les besoins de notre démonstration, nous ne reprendrons pas les contrats réels dans nos développements pour nous limiter aux seuls contrats solennels.

Notion de contrat solennel

– Principe. – La validité même de l'acte solennel est subordonnée à l'accomplissement d'un formalisme écrit qui, en fonction des contrats, doit revêtir la forme d'un acte sous signature privée ou celle d'un acte authentique. Il peut également s'agir de l'obligation d'accomplir des formalités particulières déterminées par la loi (respect d'un délai, etc.).
Sans ce formalisme, l'acte n'est pas valable. La preuve qui pourrait le cas échéant être apportée de l'existence de l'acte solennel ne changerait rien à la nullité de celui-ci faute d'avoir respecté le formalisme y attaché. C'est là toute la différence entre l'exigence d'un écrit aux fins de preuve (ad probationem) et l'exigence d'un écrit pour la validité même de l'acte (ad validitatem).
– Objectifs. – Le fondement même de la solennité attachée à certains actes réside dans la nécessité de protéger l'ordre public de direction ou l'une des parties à l'acte (ordre public de protection). Les actes concernés sont considérés à ce point graves ou engageants, pour les parties elles-mêmes ou des tiers à l'acte, qu'un écrit, le cas échéant authentique, apparaît nécessaire.

Illustrations

– Liste limitative. – La solennité d'un contrat ne se présume pas, elle doit résulter expressément et sans discussion possible des termes mêmes de la loi. Le principe restant celui du consensualisme, la solennité fait figure d'exception. En nous limitant aux seuls actes authentiques, peuvent ainsi être cités la constitution d'hypothèque, la subrogation conventionnelle par la volonté du débiteur, la donation, le contrat de mariage, la vente d'immeuble à construire du secteur protégé, la location-accession, le contrat de fiducie lorsque les biens, droits ou sûretés transférés dans le patrimoine fiduciaire dépendent de la communauté existant entre les époux ou d'une indivision.
– Le cas de la promesse d'une durée de plus de dix-huit mois. – Le Code de la construction et de l'habitation impose désormais que la promesse de vente consentie par une personne physique soit conclue par acte authentique si sa durée dépasse dix-huit mois. La nullité encourue est relative, de sorte que seul le promettant peut l'invoquer. Il s'agit d'une illustration récente du recours à l'acte authentique pour protéger les contractants. Son insertion sous le titre « Mesures de protection concernant certains vendeurs de biens immobiliers » ne laisse pas de doute sur les objectifs poursuivis par le législateur à travers cette solennisation de certaines promesses de vente.
– Les cessions de parts de sociétés à prépondérance immobilière constatées à l'étranger. – « Sont considérées comme sociétés à prépondérance immobilière les sociétés dont l'actif est, à la clôture des trois exercices qui précèdent la cession, constitué pour plus de 50 % de sa valeur réelle par des immeubles ou des droits portant sur des immeubles, non affectés par ces sociétés à leur propre exploitation industrielle, commerciale, agricole ou à l'exercice d'une profession non commerciale ». Lors de la cession de parts de sociétés à prépondérance immobilière, dont l'actif est ainsi principalement constitué d'immeubles ou de droits immobiliers situés en France, la constatation par acte authentique de cette cession est obligatoire. Le notaire est ici mis à contribution afin d'assurer le recouvrement des impositions dues, renforcer dans ces opérations la lutte contre le blanchiment de capitaux, s'assurer de la purge effective d'éventuels droits de préemption et, bien évidemment, dispenser son devoir de conseil aux investisseurs étrangers ne maîtrisant pas nécessairement les subtilités du droit applicable à des immeubles situés en France.
Nous renvoyons sur ce point au rapport du 111e Congrès des notaires de France :
www.congresdesnotaires.fr/media/uploads/ouvrages/rapport_111.pdf">Lien.