Le piège à éviter de l'usufruit constitué par translation

Le piège à éviter de l'usufruit constitué par translation

– L'évidente solution de l'usufruit constitué par translation. – Le premier réflexe du rédacteur sera sans doute de constituer dans l'acte de donation-partage transgénérationnelle au profit de Jean (G2) par le donateur, Guy (G1), un usufruit actuel ou successif, selon que le donateur initial (G1) se soit réservé ou non un usufruit dans la première donation. Il s'agit du mécanisme des usufruits successifs utilisé dans la majorité des donations consenties par des couples ou par une personne mariée qui, après s'être réservé un usufruit, stipule une réversion à son conjoint qui l'accepte. Il s'agit d'un usufruit constitué par translation. L'usufruit, ainsi stipulé au profit d'une autre personne que le donateur, est analysé depuis un célèbre arrêt de la chambre mixte de la Cour de cassation du 8 juin 2007 en une donation à terme de biens présents. Cette dernière ne rend pas exigibles les droits de mutation à titre gratuit (CGI, art. 796-0 quater) au jour de la donation, mais seulement au jour de l'ouverture de l'usufruit.
Le rédacteur prévoira alors, selon le cas :
Si la donation initiale était en pleine propriété
Si la donation initiale (simple ou partage) a été consentie en pleine propriété, l'enfant pivot pourra réincorporer la pleine propriété et demander que lui soit attribué un usufruit (actuel).
L'usufruit (actuel) constituera un lot de la donation-partage transgénérationnelle qui sera attribué à l'enfant pivot, quand les petits-enfants, eux, recevront un lot en nue-propriété.
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Schéma d'une Transmission d'usufruit par translation
Si la donation initiale était en nue-propriété
La donation (simple ou partage), objet de la réincorporation, a pu être réalisée au profit de l'enfant pivot avec une réserve d'usufruit au profit du donateur (avec éventuellement stipulation d'une réversion au conjoint du donateur, qu'il soit lui aussi donateur ou non).
Auquel cas, l'enfant pivot ne réincorporera que sa seule nue-propriété (il ne pourra pas incorporer plus que ce qu'il a initialement reçu).
Le donateur redevenu, un instant de raison, plein propriétaire par le jeu de l'incorporation de la nue-propriété, pourra désormais constituer au profit de son enfant pivot un usufruit en second qui débutera lorsque son propre usufruit (et celui de son conjoint en cas de réversion) s'éteindra.
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Schéma d'une Constitution d'usufruit successif par translation
• Les avantages civils de cette solution
Il s'agit, sans doute, de la méthode de constitution de l'usufruit successif la plus conforme à l'esprit des donations-partages transgénérationnelles. En effet, l'enfant pivot, bien qu'il ne s'agisse pas d'une condition de validité de la donation-partage transgénérationnelle, est lui aussi attributaire d'un lot dans l'opération (deux générations distinctes sont donc alloties).
« Ce mode de constitution de l'usufruit successif se situe pleinement dans le champ d'application des réincorporations transgénérationnelles régies par les articles 1078-4 et 1078-7 du Code civil et 776 A du CGI, dès lors que chacun du donataire initial et des descendants est alloti directement ou en lieu et place de leur auteur direct au moyen des biens réincorporés.
L'opération bénéficie bien civilement du régime des donations-partages transgénérationnelles ».
En outre, en présence de souche que l'on pourrait désigner « à enfant unique », c'est-à-dire dans le cas où l'enfant pivot est un enfant unique et a, lui aussi, un enfant unique, la donation-partage transgénérationnelle ne sera possible que si deux personnes distinctes sont alloties (V. supra, no ). N'oublions pas que le partage, consubstantiel aux libéralités-partages, suppose qu'il y ait un partage entre plusieurs personnes.
Dans cette configuration familiale, l'enfant pivot devra nécessairement recevoir un lot dans le partage. Et ce lot pourra être composé de l'attribution de l'usufruit actuel des biens réincorporés.
Cela permettra d'asseoir la validité de la donation-partage transgénérationnelle, en attribuant un lot à une deuxième personne (l'enfant pivot).
En outre, cette solution permet d'éviter l'intégration de nouveaux biens dans la donation-partage pour allotir une deuxième personne, ce qui conduirait à en changer le régime fiscal (V. supra, no ).
– Réponse ministérielle Ceccaldi-Raynaud : l'usufruit successif par translation, l'erreur à ne pas commettre ! – Bien qu'il s'agisse de la solution la plus évidente sur le plan civil, la constitution d'un usufruit successif par translation aura pour effet négatif de soumettre cet usufruit à la fiscalité de l'article 796-0 quater du Code général des impôts lors de l'ouverture de l'usufruit.
Quelle est la situation des usufruits successifs ?
1) À la constitution de l'usufruit successif (dans la donation-partage transgénérationnelle)
Quand l'enfant pivot avait initialement reçu de la nue-propriété, qu'il intègre dans une nouvelle donation-partage, à la condition qu'il bénéficie d'un usufruit en second (usufruit successif) au décès du donateur :
Il serait tentant de penser que le lot de la donation (comprenant l'usufruit successif créé) reçu par l'enfant pivot ne provient pas de l'incorporation, puisque l'usufruit n'appartenait pas à l'enfant pivot, donataire initial qui n'avait reçu que de la nue-propriété.
Cette analyse serait erronée.
Lorsqu'il y a démembrement de propriété, la nue-propriété contient comme attribut le droit futur d'avoir la jouissance du bien (c'est-à-dire l'usufruit). C'est d'ailleurs pour cela que le plein propriétaire et le nu-propriétaire sont les seuls à pouvoir créer un usufruit successif. Aussi l'enfant pivot, ayant été titulaire de la nue-propriété, était également titulaire de ce droit futur à la jouissance du bien.
Ainsi, l'usufruit successif créé lors du partage ne peut, à l'évidence, être analysé en un bien nouvellement donné.
Cet usufruit qui est attribué au donataire initial dans la donation-partage transgénérationnelle devrait être analysé comme une réattribution au donataire initial de l'un des attributs de la nue-propriété dont il était initialement titulaire et qu'il a volontairement incorporé. En effet, l'usufruit successif attribué au donataire initial (enfant pivot) réincorporant réalise une simple redistribution des biens réincorporés par lui-même. Sur le plan civil, cette redistribution est une opération de partage (et non une nouvelle donation).
Tirant les conséquences fiscales de cette analyse civile, la donation-partage transgénérationnelle contenant un lot composé d'un usufruit successif au profit de l'enfant pivot réincorporant ne devrait être soumise qu'au seul droit de partage (en l'absence de bien nouvellement donné). Ce droit de partage serait assis sur la valeur de la nue-propriété réincorporée (celle-ci est déterminée en tenant compte uniquement de l'usufruit ouvert à la date de la réincorporation, sans référence à l'âge de l'usufruitier en second rang, ou éventuellement aux droits de mutation à titre gratuit).
Or, cet usufruit constituant un véritable lot de la nouvelle donation est soumis à la fiscalité de la donation-partage transgénérationnelle avec incorporation, dont on sait maintenant avec la mise en place d'un dispositif anti-abus, qu'elle peut être un droit de partage ou des droits de mutation à titre gratuit, selon que l'incorporation porte sur des biens transmis il y a plus ou moins de quinze ans.
2) Lors de l'ouverture de l'usufruit successif
Au jour de l'ouverture de l'usufruit successif (c'est-à-dire à l'extinction du premier usufruit : décès de G1), celui-ci sera taxé aux droits de mutation à titre gratuit, selon le régime qui lui est propre, s'agissant d'une donation de biens présents à terme (CGI, art. 796-0 quater).
D'ailleurs la réponse ministérielle Ceccaldi-Raynaud, répondant à la demande du député de confirmer que la stipulation d'un usufruit successif ne donnerait pas lieu à taxation au décès du donateur de la valeur de l'usufruit transmis au premier donataire, est venue confirmer cette analyse.
En effet, en faisant référence à l'article 796-0 quater du Code général des impôts et au régime de droit commun des réversions d'usufruit, le ministre rappelle que la réversion d'usufruit est taxée aux droits de mutation à titre gratuit, lors du décès du stipulant, en fonction de son lien de parenté avec le bénéficiaire de la clause de réversion.
La réponse ministérielle indique également que l'article 796-0 quater du Code général des impôts s'applique à toutes les réversions d'usufruit quel qu'en soit le bénéficiaire.
Dans l'instruction du 20 février 2012, l'administration fiscale a précisé que « si les biens réincorporés dans une donation-partage transgénérationnelle correspondent à des biens donnés en nue-propriété et si les « premiers donataires » ont vocation à être titulaires de l'usufruit (leurs propres enfants recevant de la nue-propriété) entre le décès du donateur et le leur, la réversion d'usufruit sera taxable lors du décès du stipulant, fait générateur des droits de succession ».
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Schéma d'une Constitution d'usufruit successif par translation et fiscalité
La solution de la constitution d'un usufruit par translation au profit de G2 par G1, qui est sans doute le premier réflexe du rédacteur, aura des conséquences fiscales importantes, tant lors de la donation-partage transgénérationnelle quand l'usufruit est actuel, que lors de l'ouverture de la succession du donateur (G1) quand l'usufruit est successif, comme nous venons de le voir.

Rappel du régime fiscal des réincorporations

Il est ici rappelé que les réincorporations au sein des donations-partages transgénérationnelles sont soumises à un régime fiscal qui leur est propre.
Cette opération est soit soumise :
  • en cas de donation de biens nouveaux : aux droits de mutation à titre gratuit ;
  • en l'absence de donation de biens nouveaux : au droit de partage, et éventuellement aux droits de mutation à titre gratuit si la donation incorporée a moins de quinze ans au jour de la transgénérationnelle.
Sur ce point, nous renvoyons supra, nos et s.