La constitution d'usufruit à l'occasion d'une réincorporation

La constitution d'usufruit à l'occasion d'une réincorporation

Lors de la donation initiale, qu'elle soit simple ou partage, le donateur souhaite le plus souvent conserver la jouissance du bien, éventuellement ses revenus, et en faire profiter son conjoint qu'il soit ou non également propriétaire du bien. Aussi dans la majorité des situations, les notaires sont amenés à conseiller des donations en nue-propriété, permettant ainsi au donateur de se réserver un usufruit et d'en disposer également au profit de son conjoint (par réversion ou constitution d'un second usufruit).
Dès lors que nous évoquons l'incorporation d'une donation antérieure, nous serons souvent confrontés à la question du démembrement initial.
Celui qui a reçu de la nue-propriété ne pourra incorporer plus qu'il n'a reçu. Aussi, il est évident que cette incorporation portera sur la nue-propriété. Là encore, l'enfant pivot, réincorporant le bien qu'il avait initialement reçu, pourra souhaiter disposer lui-même d'un usufruit sur ledit bien, le jour du décès du donateur. S'il avait été propriétaire du bien, il ne l'aurait certainement transmis qu'en nue-propriété à ses propres enfants. Sera-t-il possible d'envisager la constitution d'un usufruit en second ?
En revanche, celui qui a reçu initialement de la pleine propriété peut-il intégrer seulement de la nue-propriété, ou un usufruit éventuellement ? Cette incorporation sera une réincorporation partielle, telle que nous l'avons vu ci-avant (V. supra, no ).
Il est admis que la réincorporation d'une donation ne soit que partielle.
Il est même admis que soit créé un second usufruit à ce moment-là.
Quelle que soit la situation (enfant pivot plein propriétaire, ou enfant pivot nu-propriétaire), l'enfant pivot sera souvent plus enclin à admettre un saut de génération s'il peut lui-même bénéficier sa vie durant de l'usufruit des biens qu'il s'apprête à faire glisser dans le patrimoine de ses propres enfants, que cet usufruit soit déjà existant sur la tête de son auteur (donateur) avec une éventuelle réversion au profit du conjoint, ou soit créé directement sur sa tête.
L'usufruit peut avoir plusieurs modes de constitution, que l'enfant pivot ait initialement reçu la pleine propriété ou qu'il ait initialement reçu de la nue-propriété.
La situation est simple et très fréquente :
M. Jean Moustache, enfant pivot (dit « 2e génération »), souhaite transmettre à ses deux filles les biens précédemment reçus de son père, encore en vie, à la condition qu'il en soit usufruitier (soit tout de suite, car la première donation lui avait été consentie en pleine propriété et qu'il est déjà titulaire de l'usufruit ; soit plus tard, à l'extinction de l'usufruit qui avait pu être retenu par son père, car la donation initiale lui avait été consentie en nue-propriété).
M. Jean Moustache peut émettre le souhait qu'il y ait une réversion au profit de son conjoint.
Quelle solution proposer à la famille Moustache pour constituer l'usufruit au profit de Jean ?
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Schéma représentant la famille Moustache

Le piège à éviter de l'usufruit constitué par translation

– L'évidente solution de l'usufruit constitué par translation. – Le premier réflexe du rédacteur sera sans doute de constituer dans l'acte de donation-partage transgénérationnelle au profit de Jean (G2) par le donateur, Guy (G1), un usufruit actuel ou successif, selon que le donateur initial (G1) se soit réservé ou non un usufruit dans la première donation. Il s'agit du mécanisme des usufruits successifs utilisé dans la majorité des donations consenties par des couples ou par une personne mariée qui, après s'être réservé un usufruit, stipule une réversion à son conjoint qui l'accepte. Il s'agit d'un usufruit constitué par translation. L'usufruit, ainsi stipulé au profit d'une autre personne que le donateur, est analysé depuis un célèbre arrêt de la chambre mixte de la Cour de cassation du 8 juin 2007 en une donation à terme de biens présents. Cette dernière ne rend pas exigibles les droits de mutation à titre gratuit (CGI, art. 796-0 quater) au jour de la donation, mais seulement au jour de l'ouverture de l'usufruit.
Le rédacteur prévoira alors, selon le cas :
Si la donation initiale était en pleine propriété
Si la donation initiale (simple ou partage) a été consentie en pleine propriété, l'enfant pivot pourra réincorporer la pleine propriété et demander que lui soit attribué un usufruit (actuel).
L'usufruit (actuel) constituera un lot de la donation-partage transgénérationnelle qui sera attribué à l'enfant pivot, quand les petits-enfants, eux, recevront un lot en nue-propriété.
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Schéma d'une Transmission d'usufruit par translation
Si la donation initiale était en nue-propriété
La donation (simple ou partage), objet de la réincorporation, a pu être réalisée au profit de l'enfant pivot avec une réserve d'usufruit au profit du donateur (avec éventuellement stipulation d'une réversion au conjoint du donateur, qu'il soit lui aussi donateur ou non).
Auquel cas, l'enfant pivot ne réincorporera que sa seule nue-propriété (il ne pourra pas incorporer plus que ce qu'il a initialement reçu).
Le donateur redevenu, un instant de raison, plein propriétaire par le jeu de l'incorporation de la nue-propriété, pourra désormais constituer au profit de son enfant pivot un usufruit en second qui débutera lorsque son propre usufruit (et celui de son conjoint en cas de réversion) s'éteindra.
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Schéma d'une Constitution d'usufruit successif par translation
• Les avantages civils de cette solution
Il s'agit, sans doute, de la méthode de constitution de l'usufruit successif la plus conforme à l'esprit des donations-partages transgénérationnelles. En effet, l'enfant pivot, bien qu'il ne s'agisse pas d'une condition de validité de la donation-partage transgénérationnelle, est lui aussi attributaire d'un lot dans l'opération (deux générations distinctes sont donc alloties).
« Ce mode de constitution de l'usufruit successif se situe pleinement dans le champ d'application des réincorporations transgénérationnelles régies par les articles 1078-4 et 1078-7 du Code civil et 776 A du CGI, dès lors que chacun du donataire initial et des descendants est alloti directement ou en lieu et place de leur auteur direct au moyen des biens réincorporés.
L'opération bénéficie bien civilement du régime des donations-partages transgénérationnelles ».
En outre, en présence de souche que l'on pourrait désigner « à enfant unique », c'est-à-dire dans le cas où l'enfant pivot est un enfant unique et a, lui aussi, un enfant unique, la donation-partage transgénérationnelle ne sera possible que si deux personnes distinctes sont alloties (V. supra, no ). N'oublions pas que le partage, consubstantiel aux libéralités-partages, suppose qu'il y ait un partage entre plusieurs personnes.
Dans cette configuration familiale, l'enfant pivot devra nécessairement recevoir un lot dans le partage. Et ce lot pourra être composé de l'attribution de l'usufruit actuel des biens réincorporés.
Cela permettra d'asseoir la validité de la donation-partage transgénérationnelle, en attribuant un lot à une deuxième personne (l'enfant pivot).
En outre, cette solution permet d'éviter l'intégration de nouveaux biens dans la donation-partage pour allotir une deuxième personne, ce qui conduirait à en changer le régime fiscal (V. supra, no ).
– Réponse ministérielle Ceccaldi-Raynaud : l'usufruit successif par translation, l'erreur à ne pas commettre ! – Bien qu'il s'agisse de la solution la plus évidente sur le plan civil, la constitution d'un usufruit successif par translation aura pour effet négatif de soumettre cet usufruit à la fiscalité de l'article 796-0 quater du Code général des impôts lors de l'ouverture de l'usufruit.
Quelle est la situation des usufruits successifs ?
1) À la constitution de l'usufruit successif (dans la donation-partage transgénérationnelle)
Quand l'enfant pivot avait initialement reçu de la nue-propriété, qu'il intègre dans une nouvelle donation-partage, à la condition qu'il bénéficie d'un usufruit en second (usufruit successif) au décès du donateur :
Il serait tentant de penser que le lot de la donation (comprenant l'usufruit successif créé) reçu par l'enfant pivot ne provient pas de l'incorporation, puisque l'usufruit n'appartenait pas à l'enfant pivot, donataire initial qui n'avait reçu que de la nue-propriété.
Cette analyse serait erronée.
Lorsqu'il y a démembrement de propriété, la nue-propriété contient comme attribut le droit futur d'avoir la jouissance du bien (c'est-à-dire l'usufruit). C'est d'ailleurs pour cela que le plein propriétaire et le nu-propriétaire sont les seuls à pouvoir créer un usufruit successif. Aussi l'enfant pivot, ayant été titulaire de la nue-propriété, était également titulaire de ce droit futur à la jouissance du bien.
Ainsi, l'usufruit successif créé lors du partage ne peut, à l'évidence, être analysé en un bien nouvellement donné.
Cet usufruit qui est attribué au donataire initial dans la donation-partage transgénérationnelle devrait être analysé comme une réattribution au donataire initial de l'un des attributs de la nue-propriété dont il était initialement titulaire et qu'il a volontairement incorporé. En effet, l'usufruit successif attribué au donataire initial (enfant pivot) réincorporant réalise une simple redistribution des biens réincorporés par lui-même. Sur le plan civil, cette redistribution est une opération de partage (et non une nouvelle donation).
Tirant les conséquences fiscales de cette analyse civile, la donation-partage transgénérationnelle contenant un lot composé d'un usufruit successif au profit de l'enfant pivot réincorporant ne devrait être soumise qu'au seul droit de partage (en l'absence de bien nouvellement donné). Ce droit de partage serait assis sur la valeur de la nue-propriété réincorporée (celle-ci est déterminée en tenant compte uniquement de l'usufruit ouvert à la date de la réincorporation, sans référence à l'âge de l'usufruitier en second rang, ou éventuellement aux droits de mutation à titre gratuit).
Or, cet usufruit constituant un véritable lot de la nouvelle donation est soumis à la fiscalité de la donation-partage transgénérationnelle avec incorporation, dont on sait maintenant avec la mise en place d'un dispositif anti-abus, qu'elle peut être un droit de partage ou des droits de mutation à titre gratuit, selon que l'incorporation porte sur des biens transmis il y a plus ou moins de quinze ans.
2) Lors de l'ouverture de l'usufruit successif
Au jour de l'ouverture de l'usufruit successif (c'est-à-dire à l'extinction du premier usufruit : décès de G1), celui-ci sera taxé aux droits de mutation à titre gratuit, selon le régime qui lui est propre, s'agissant d'une donation de biens présents à terme (CGI, art. 796-0 quater).
D'ailleurs la réponse ministérielle Ceccaldi-Raynaud, répondant à la demande du député de confirmer que la stipulation d'un usufruit successif ne donnerait pas lieu à taxation au décès du donateur de la valeur de l'usufruit transmis au premier donataire, est venue confirmer cette analyse.
En effet, en faisant référence à l'article 796-0 quater du Code général des impôts et au régime de droit commun des réversions d'usufruit, le ministre rappelle que la réversion d'usufruit est taxée aux droits de mutation à titre gratuit, lors du décès du stipulant, en fonction de son lien de parenté avec le bénéficiaire de la clause de réversion.
La réponse ministérielle indique également que l'article 796-0 quater du Code général des impôts s'applique à toutes les réversions d'usufruit quel qu'en soit le bénéficiaire.
Dans l'instruction du 20 février 2012, l'administration fiscale a précisé que « si les biens réincorporés dans une donation-partage transgénérationnelle correspondent à des biens donnés en nue-propriété et si les « premiers donataires » ont vocation à être titulaires de l'usufruit (leurs propres enfants recevant de la nue-propriété) entre le décès du donateur et le leur, la réversion d'usufruit sera taxable lors du décès du stipulant, fait générateur des droits de succession ».
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Schéma d'une Constitution d'usufruit successif par translation et fiscalité
La solution de la constitution d'un usufruit par translation au profit de G2 par G1, qui est sans doute le premier réflexe du rédacteur, aura des conséquences fiscales importantes, tant lors de la donation-partage transgénérationnelle quand l'usufruit est actuel, que lors de l'ouverture de la succession du donateur (G1) quand l'usufruit est successif, comme nous venons de le voir.

Rappel du régime fiscal des réincorporations

Il est ici rappelé que les réincorporations au sein des donations-partages transgénérationnelles sont soumises à un régime fiscal qui leur est propre.
Cette opération est soit soumise :
  • en cas de donation de biens nouveaux : aux droits de mutation à titre gratuit ;
  • en l'absence de donation de biens nouveaux : au droit de partage, et éventuellement aux droits de mutation à titre gratuit si la donation incorporée a moins de quinze ans au jour de la transgénérationnelle.
Sur ce point, nous renvoyons supra, nos et s.

Les solutions à privilégier

L'usufruit constitué à titre de charge de la donation

Présentation civile de l'opération de constitution de l'usufruit comme charge de la donation

Le donateur pourra imposer à ses petits-enfants, dans la donation-partage transgénérationnelle, une charge consistant en la création par eux, au jour du décès du donateur (c'est-à-dire au jour, où ils seront pleins propriétaires) d'un usufruit au profit de l'enfant pivot.
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Schéma d'une Transmission d'usufruit par translation érigée comme charge
• Les avantages et inconvénients de cette solution
Cette solution présente divers inconvénients sur le plan civil (il y en aura également d'autres sur le plan fiscal), notamment car l'usufruit sera transmis par les petits-enfants à leur auteur (l'enfant pivot) par donation simple nécessairement.
La constitution de l'usufruit ne résultera pas de la donation-partage transgénérationnelle mais d'une nouvelle donation réalisée par les petits-enfants au profit de leur auteur, à l'extinction de l'usufruit (actuel), ou même du vivant du donateur (usufruit successif).
Nous verrons que la fiscalité conduira à préférer une autre solution.

Présentation fiscale de l'opération de constitution de l'usufruit par translation érigée comme charge

L'usufruit en second est une charge qui sera exécutée par les donataires finaux (les petits-enfants). Ces derniers consentiront au donataire initial un usufruit, le jour où ils seront pleins propriétaires (c'est-à-dire au décès du donateur).
Dans ce cas, aucun usufruit en second ou successif n'est créé. La donation-partage transgénérationnelle ne comprendra aucun bien nouvellement donné. Elle ne sera dès lors soumise qu'au seul droit de partage sur les biens incorporés, si la donation initiale a plus de quinze ans, ou aux droits de mutation à titre gratuit si la réincorporation a moins de quinze ans.
En revanche dans cette configuration, l'usufruit sera donné au donataire initial par ses propres enfants. Il s'agira d'une donation enfant/parent, taxable en tant que telle.
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Schéma d'une Transmission d'usufruit par translation érigée comme charge et fiscalité

L'usufruit constitué per retentionem

Présentation civile de l'opération de constitution de l'usufruit per retentionem

– Si la donation initiale était en pleine propriété. – Si la donation initiale (simple ou partage) a été consentie en pleine propriété, l'enfant pivot pourra conserver un usufruit (actuel) et ne réincorporer que la nue-propriété (réincorporation partielle en démembrement). L'enfant pivot conserve ici son usufruit : il s'agit d'un usufruit constitué per retentionem.
On comprend que le postulat de départ est identique à la première situation évoquée ci-avant (usufruit par translation), et que le postulat d'arrivée également : un usufruit actuel à l'enfant pivot. Mais désormais l'usufruit n'est pas créé par le donateur, mais par l'enfant pivot lui-même.
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Schéma d'une Transmission d'usufruit par rétention
– Si la donation initiale était en nue-propriété. – La donation (simple ou partage), objet de la réincorporation, a pu être réalisée au profit de l'enfant pivot avec une réserve d'usufruit au profit du donateur (avec éventuellement stipulation d'une réversion au conjoint du donateur, qu'il soit lui aussi donateur ou non).
Auquel cas, l'enfant pivot ne réincorporera que sa seule nue-propriété (il ne pourra pas incorporer plus que ce qu'il a initialement reçu). Plusieurs solutions sont alors envisagées :
Il est admis que l'usufruit successif puisse être constitué non pas par le donateur redevenu plein propriétaire, mais par l'enfant pivot en sa qualité de nu-propriétaire (la constitution d'un usufruit successif fait partie des prérogatives du nu-propriétaire) : usufruit constitué par « rétention » du futur droit conditionnel de jouissance du bien par le nu-propriétaire.
En quelque sorte, le donataire initial (l'enfant pivot) retient non pas l'usufruit (puisqu'il n'en est pas encore titulaire), mais le droit conditionnel de sa jouissance future attaché à la nue-propriété qu'il détient. En effet, est rattaché à la nue-propriété le droit conditionnel d'être, en cas de survie à l'usufruitier (donateur), plein propriétaire.
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Schéma d'une Transmission d'usufruit par rétention du droit conditionnel de sa jouissance future
– Les avantages et inconvénients de cette technique. – L'usufruit étant retenu par l'enfant pivot, il n'y a pas de « transfert » de celui-ci entre le donateur et l'enfant pivot qui serait assimilé à une nouvelle donation, taxable.
Par contre, on l'aura compris, à la différence de la première situation évoquée ce montage ne permettra pas à l'enfant pivot d'être attributaire d'un lot dans le partage (sauf à comprendre dans la donation-partage transgénérationnelle de nouveaux biens, ce qui conduirait à modifier le régime fiscal). Cette solution ne pose aucune difficulté si l'enfant pivot a plusieurs enfants et que ceux-ci sont attributaires de lots. De nouveau, parce que le droit constitutif du futur usufruit de l'enfant pivot est retenu par ce dernier, il n'y a pas de « transfert » de celui-ci entre le donateur et l'enfant pivot qui serait assimilé à une nouvelle donation taxable.
Le régime fiscal applicable à l'usufruit constitué par translation ou par rétention ne dépendra que de la rédaction de la clause de donation-partage transgénérationnelle relative à celui-ci.

Présentation fiscale de l'opération de constitution de l'usufruit per retentionem

– Quelle est la situation des usufruits successifs ? Lorsque l'enfant pivot avait reçu de la pleine propriété et qu'il n'intègre dans la donation-partage que la seule nue-propriété, conservant un usufruit, la donation-partage ne comprend pas de biens nouvellement donnés, et l'usufruit ne subit aucune mutation puisqu'il est simplement retenu par celui qui en est le propriétaire.
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Schéma d'une Transmission d'usufruit par rétention et fiscalité
La question de la fiscalité intervient à deux moments différents : lors de la constitution de l'usufruit successif et lors de son ouverture.
À la constitution de l'usufruit successif : la doctrine est unanime. Cet usufruit constitué par rétention au sein de la donation-partage transgénérationnelle ne peut être taxé aux droits de mutation à titre gratuit dans la mesure où cet usufruit ne subit aucune mutation.
Lors de son ouverture : l'instruction fiscale ne semble pas établir de différence entre cet usufruit successif par rétention et les usufruits successifs par translation, susévoqués, ce qui pourrait laisser croire que cet usufruit successif serait également soumis à une taxation au titre de l'article 796-O quater du Code général des impôts tel qu'évoqué ci-avant avec l'usufruit constitué par translation (V. supra, nos et s.).
Le seul texte de référence est la réponse ministérielle susmentionnée (V. supra, no ).
Or, la question du député ne portait que sur le cas d'une donation incorporée initialement consentie en nue-propriété (« D'autre part, toujours dans ce cas de figure, si la donation réincorporée n'était que de la nue-propriété et si les enfants « premier donataire », entre le décès du donateur et le leur, ont vocation à être titulaires de l'usufruit [leurs propres enfants recevant la nue-propriété], elle lui demande si l'administration considérera qu'il y a pas lieu à taxation, au décès du donateur, de la valeur de l'usufruit transmis au « premier donataire » »).
Le cas de la donation initiale en pleine propriété, pour laquelle le donataire n'effectuerait qu'une incorporation partielle, n'a pas été évoqué.
D'ailleurs, dans sa réponse, la ministre prend le soin de débuter son propos par « s'agissant de la réversion d'usufruit ». Ici, il n'est nullement fait référence à l'usufruit par rétention. Et il ne peut être assimilé une réversion d'usufruit (usufruit consenti par une personne au profit d'une autre) à une rétention d'un usufruit (usufruit conservé par son titulaire).
Dans son instruction fiscale, l'administration prévoit ce qui est ci-après reproduit, tout en faisant référence en note de bas de page à la réponse ministérielle :
« Par ailleurs, il est précisé que si les biens réincorporés dans une donation-partage transgénérationnelle correspondent à des biens donnés en nue-propriété et si les « premiers donataires » ont vocation à être titulaires de l'usufruit (leurs propres enfants recevant la nue-propriété) entre le décès du donateur et le leur, la réversion d'usufruit sera taxable lors du décès du stipulant, fait générateur des droits de succession ».
Il semble que ce texte puisse être compris de différentes manières, ou du moins que la phrase suivante puisse être interprétée de plusieurs façons : « si les biens réincorporés dans une donation-partage transgénérationnelle correspondent à des biens donnés en nue-propriété ».
1) Soit il peut être compris que les biens réincorporés dans une donation-partage transgénérationnelle correspondent SEULEMENT à des biens donnés en nue-propriété : l'incorporation ne portera que sur de la nue-propriété (quel que soit le sort de l'usufruit. On ne pose pas la question de savoir si la donation initiale était en nue-propriété et en pleine propriété).
2) Soit il peut être compris que les biens réincorporés correspondent à des biens INITIALEMENT donnés en nue-propriété : auquel cas, cette position de l'administration fiscale ne correspond pas à la configuration présentement évoquée, savoir une donation initialement consentie en pleine propriété et à un usufruit retenu.
Certains auteurs semblent avoir retenu la première lecture et ont assimilé cette position de l'administration à « une erreur d'interprétation » ; d'autres relèvent « l'absence de fondement juridique » d'une telle position de l'administration.
Nous aurions plutôt tendance à retenir la seconde lecture.
D'ailleurs, à la fin de cet alinéa, l'administration fiscale a pris soin d'ajouter une note de bas de page (« 2 Réponse ministérielle à Mme Ceccaldi-Raynaud, députée des Hauts-de-Seine, Journal officiel Assemblée nationale du 8 novembre 2011, page 11832, no 115883 ») renvoyant seulement à la réponse ministérielle. Or, cette réponse ministérielle ne portait que sur la question des réversions d'usufruit et usufruits successifs.
Tant la question du député (qui n'évoque que l'usufruit transmis) que la réponse du ministre (qui n'évoque que la réversion d'usufruit et le décès du disposant comme fait générateur de l'impôt) étaient très claires sur le sujet, ou tout au moins son périmètre : usufruit successif et réversion, mais en aucun cas celui de l'usufruit simplement retenu par son propriétaire (pour lequel il n'y a ni transmission ni décès du stipulant).
Aujourd'hui, entre les trois modes de constitution d'un usufruit successif présentés, nous ne pouvons que conseiller d'opter pour l'usufruit successif constitué par rétention. Sur le plan civil, cette constitution est parfaitement admise et incontestable. En l'absence de mutation sur le plan civil, il nous paraît difficile, voire impossible en l'état du droit, de soumettre à une quelconque taxation cet usufruit successif à son ouverture.
Cette solution présente donc l'avantage de soumettre à une fiscalité l'usufruit successif lors de la donation-partage transgénérationnelle (car l'usufruit successif n'est pas un lot de celle-ci), et permet d'écarter a priori la fiscalité à l'ouverture de la succession de G1, ne s'agissant pas d'une réversion d'usufruit au profit de G2.
Bien sûr, nous ne pouvons qu'espérer un éclaircissement de la fiscalité de la donation-partage transgénérationnelle avec réincorporation partielle en démembrement.
En effet, la transmission en démembrement de propriété est un mécanisme très apprécié en gestion de patrimoine. Il serait donc opportun de clarifier également le traitement fiscal de la constitution d'un usufruit par rétention, au sein des donations-partages transgénérationnelles, afin d'en assurer leur succès.
Dans cette attente, il incombera au notaire de retenir la bonne solution et d'apporter une attention toute particulière à la rédaction de sa clause pour éviter tout risque d'interprétation entre un usufruit successif par translation ou par rétention.

Le rôle primordial de rédacteur du notaire ingénieur

Il est primordial que l'usufruit (qu'il soit actuel ou successif) soit constitué au sein de la donation-partage transgénérationnelle, et les notaires devront être très rigoureux dans la rédaction de leur clause.
Dans cette situation, le rédacteur ne pourra pas se contenter des clauses proposées par les différents logiciels de rédaction. L'enjeu est de taille. La fiscalité de cet usufruit successif dépendra, comme nous l'avons compris, de la seule qualification au plan civil que l'on pourra donner à la constitution de l'usufruit successif.

Clause de constitution d'un usufruit successif

PROPRIÉTÉ-JOUISSANCE
En ce qui concerne les DESCENDANTS AU SECOND DEGRÉ, dits « GÉNÉRATION 3 »
Mlles Cloé et Charlotte MOUSTACHE, DESCENDANTS AU SECOND DEGRÉ, dits « GÉNÉRATION 3 », auront la propriété des biens objet des présentes à compter de ce jour.
Toutefois, elles n'en auront la jouissance qu'à compter de l'extinction des usufruits viagers successifs existants, savoir :
1) L'usufruit viager de M. Guy MOUSTACHE, d'ores et déjà réservé par ses soins aux termes de la donation antérieure incorporée aux présentes, et qu'il confirme se réserver pour l'avenir, jusqu'à son décès.
2) L'usufruit viager successif de M. Jean MOUSTACHE, qu'il déclare expressément retenir (usufruit successif per retentionem) sur les biens donnés en nue-propriété à ses propres descendants, à compter du décès de M. Guy MOUSTACHE.
1) Usufruit viager réservé par M. Guy MOUSTACHE
M. Guy MOUSTACHE déclare maintenir expressément la réserve d'usufruit viager, sa vie durant, sur la totalité des biens présentement donnés, qu'il avait effectuée aux termes de la donation antérieure incorporée aux présentes, ainsi qu'il résulte de l'exposé qui précède.
2) Usufruit viager successif retenu par M. Jean MOUSTACHE
M. Jean MOUSTACHE, DESCENDANT AU PREMIER DEGRÉ, dit « GÉNÉRATION 2 », a consenti à réintégrer à la présente donation-partage la seule nue-propriété des biens qui lui avaient été donnée antérieurement, sous la condition que cette nue-propriété donnée soit grevée d'un usufruit successif, constitué per retentionem sur sa tête respective.
M. Jean MOUSTACHE opère ainsi une rétention d'usufruit successif, résultant du droit à consolidation dont il bénéficiera au décès de M. Guy MOUSTACHE.
En conséquence, le DONATEUR a alloti Melles Cloé et Charlotte DESCENDANTS AU SECOND DEGRÉ, dits « GÉNÉRATION 3 », de la nue-propriété des biens, objets des présentes, grevée d'usufruits constitués per retentionem, dont les titulaires sont successivement lui-même et M. Jean MOUSTACHE.
M. Jean MOUSTACHE, ainsi qu'il a été susexposé, a déclaré expressément consentir à la réincorporation de la seule nue-propriété qui lui avait été donnée sous la condition de l'assortir d'une réserve d'usufruit successif, per retentionem, à son profit.
À l'instant même et aux termes des présentes, Monsieur Jean MOUSTACHE déclare exercer son droit de rétention sur l'usufruit des biens donnés.
Ce droit d'usufruit, qui s'éteindra à son propre décès, s'ouvrira sous la double condition :
  • du décès du DONATEUR susnommé ;
  • de sa survie au DONATEUR.
Cet usufruit successif s'effectuera selon les mêmes modalités que celles convenues aux termes des présentes.

Clause de constitution d'un usufruit actuel

PROPRIÉTÉ-JOUISSANCE
En ce qui concerne les DESCENDANTS AU SECOND DEGRÉ, dits « GÉNÉRATION 3 »
Mlles Cloé et Charlotte MOUSTACHE, DESCENDANTS AU SECOND DEGRÉ, dits « GÉNÉRATION 3 », auront la propriété des biens objet des présentes à compter de ce jour.
Toutefois, elles n'en auront la jouissance qu'à compter de l'extinction de l'usufruit viager de M. Jean MOUSTACHE, qu'il déclare expressément retenir (usufruit actuel per retentionem) sur les biens donnés en nue-propriété à ses propres descendants.
M. Jean MOUSTACHE, DESCENDANT AU PREMIER DEGRÉ, dit « GÉNÉRATION 2 », a consenti à réintégrer à la présente donation-partage la seule nue-propriété des biens qui lui avaient été donnée antérieurement, sous la condition que cette nue-propriété donnée soit grevée d'un usufruit successif, constitué per retentionem sur sa tête respective.
M. Jean MOUSTACHE opère ainsi une rétention d'usufruit actuel, résultant de la pleine propriété qu'il détient actuellement.
En conséquence, le DONATEUR a alloti Mlles Cloé et Charlotte, DESCENDANTS AU SECOND DEGRÉ, dits « GÉNÉRATION 3 », de la nue-propriété des biens, objets des présentes, grevée de l'usufruit constitué per retentionem, dont le titulaire est M. Jean MOUSTACHE.
M. Jean MOUSTACHE, ainsi qu'il a été susexposé, a déclaré expressément consentir à la réincorporation de la seule nue-propriété qui lui avait été donnée sous la condition de l'assortir d'une réserve d'usufruit actuel, per retentionem, à son profit.
À l'instant même et aux termes des présentes, M. Jean MOUSTACHE déclare exercer son droit de rétention sur l'usufruit des biens donnés.
Cet usufruit actuel s'effectuera selon les modalités convenues aux termes des présentes.

Les réversions d'usufruit à un tiers

Les réversions d'usufruit à un tiers

– Stipulation d'une réversion d'usufruit au profit du conjoint du donataire initial ? – Quelle que soit la situation, le donateur et le donataire initial peuvent décider que l'incorporation sera l'occasion de créer ou maintenir un démembrement de propriété.
Cet usufruit pourra bénéficier à l'enfant pivot, comme nous venons de l'évoquer, mais il est loisible au donataire initial (G2) d'envisager également une réversion d'usufruit au profit de son conjoint.
Il faut garder à l'esprit que dans la constitution de l'usufruit par translation, l'usufruit successif est constitutif d'un lot. Or, seuls les descendants du donateur (donataire initial et petits-enfants) peuvent être allotis. Le conjoint du donataire initial n'aura pas cette qualité, et ne pourra pas être alloti dans le cadre d'une libéralité-partage consentie par G1 (son beau-parent). L'acte à recevoir ne pourra pas contenir, dans cette configuration, de réversion d'usufruit au profit du conjoint.
L'enfant pivot pourrait-il consentir une réversion à son conjoint ?
Non, l'enfant pivot reçoit l'usufruit par translation. Il n'est pas titulaire à ce moment-là de la pleine propriété ou de la nue-propriété permettant de consentir une réversion à son conjoint.
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Schéma d'une Constitution d’une réversion d’usufruit par translation, par l’enfant pivot
Dans cette situation, l'usufruit successif au profit dudit conjoint pourrait être constitué par les petits-enfants (G3), nus-propriétaires, aux termes d'une charge de la donation-partage transgénérationnelle, mais nous ne conseillons pas cette solution.
À l'évidence, à l'instar de la constitution de l'usufruit successif au profit de l'enfant pivot (V. supra, no ), la seule bonne solution consiste pour l'enfant pivot, au moment où il retient son usufruit, de stipuler une réversion de cet usufruit sur la tête de son conjoint.
La donation-partage transgénérationnelle nécessite, comme nous l'avons vu, une certaine entente familiale pour sa mise en œuvre.