La place prédominante de l'écrit

La place prédominante de l'écrit

Tant la phase de constitution de la société (Sous-section I) que le cours de la vie sociale (Sous-section II) vont nécessiter la production d'écrits, autant d'occasions pour le notaire d'exercer son devoir de conseil et sa mission de rédacteur. Pour autant, ses compétences en la matière sont rarement connues des entreprises, en un domaine dans lequel la preuve est libre et le recours à l'acte sous signature privée très largement pratiqué.

L'écrit en phase de constitution

– Un contrat ou un acte de volonté. – L'article 1832 du Code civil donne le ton : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter. Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l'acte de volonté d'une seule personne. Les associés s'engagent à contribuer aux pertes ».
Étymologiquement instituer signifie mettre en état, donner un commencement à, mais également fixer, organiser.
Cette seconde acception est peut-être à l'origine d'un amalgame trop rapide entre contrat et statuts.
Le contrat, l'acte de volonté qui donne naissance à la société est-il nécessairement écrit ?
L'article 1101 du Code civil définit le contrat comme « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ».
Le droit commun des contrats consacre le principe du consensualisme.
Le droit des sociétés déroge-t-il sur ce point à ce principe fondamental ?
L'article 1105 du Code civil instaure, dans son dernier alinéa, une hiérarchie des règles applicables.
La réponse nous est, par conséquent, apportée par ce dernier alinéa : « Les règles générales s'appliquent sous réserve de ces règles particulières ».
Le Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations précise, au sujet de cet alinéa, ce qui suit : « L'article 1105 définit quant à lui les contrats nommés et innommés et reprend dans ses deux premiers alinéas l'actuel article 1107. Le troisième alinéa introduit en revanche une nouveauté importante et attendue des praticiens, puisqu'il rappelle que les règles générales s'appliquent sous réserve des règles spéciales. Ainsi, les règles générales posées par l'ordonnance seront notamment écartées lorsqu'il sera impossible de les appliquer simultanément avec certaines règles prévues par le code civil pour régir les contrats spéciaux, ou celles résultant d'autres codes tels que le code de commerce ou le code de la consommation ».
Cette règle induit dès lors, au cas d'espèce, une dichotomie.
Il nous faut distinguer les sociétés non assujetties à la formalité de l'immatriculation (§ I) de celles qui ont vocation à l'être (§ II) et des sociétés par actions constituées avec offre au public (§ III).

Les sociétés non assujetties à la formalité de l'immatriculation

– Sociétés en participation et sociétés créées de fait. – Les cas des sociétés en participation et des sociétés créées de fait illustrent l'absence de juxtaposition parfaite entre l'expression de la volonté d'entreprendre et l'établissement d'un document écrit.
En effet, l'absence de document écrit les instituant n'invalide, pour autant, nullement leur existence.
L'existence d'une société non immatriculée est laissée, dès lors, à la libre appréciation des juges du fond. La preuve est libre en la matière. L'existence de la société peut être démontrée par tous moyens.
Le régime de la preuve est abordé sous un angle plus pragmatique en droit des sociétés qu'il ne l'est en droit des obligations. Le formalisme ne doit pas entraver l'efficacité économique. Aussi est-ce la raison pour laquelle le régime de la preuve est beaucoup plus souple en droit commercial.
– Éléments de preuve retenus à l'égard des tiers. – C'est ainsi qu'ont pu être valablement retenus par la Cour de cassation, comme autant de preuves de l'existence d'une société instituée verbalement, en l'absence de tout écrit signé par les associés, le versement d'honoraires à un architecte, l'approbation de plans de construction, l'obtention d'un permis de construire, ou encore la passation de commandes auprès de fournisseurs.
La théorie de l'apparence y joue un rôle important à l'égard des tiers qui pourront aisément s'en prévaloir, en ce qui concerne notamment la régularité de la désignation des mandataires sociaux ou encore l'étendue de leurs pouvoirs.
– Opposabilité de l'existence de la société à l'égard des associés. – En revanche, dans les rapports entre associés, l'existence de la société résulte d'une démonstration plus rigoureuse.
Les juges doivent s'assurer que les éléments fondamentaux du contrat de société, tels que visés à l'article 1832 du Code civil, sont réunis : réalisation d'apports, participation aux bénéfices, contribution aux pertes, expression d'un affectio societatis.
C'est ainsi qu'il a été jugé, à l'occasion d'un contentieux fiscal, que l'existence d'une société en participation supposait l'apport d'éléments d'actifs en vue de la réalisation de l'objet social ainsi qu'une contribution non léonine aux bénéfices et aux pertes d'exploitation.
La jurisprudence est constante sur ce point : ces éléments sont cumulatifs. L'absence d'un seul d'entre eux invalide le contrat de société.
La preuve de l'existence de chaque élément doit, de surcroît, être rapportée de façon autonome. La démonstration de l'existence de l'un d'entre eux ne peut suffire à établir l'existence des autres critères constitutifs du contrat de société par présomption. La déduction n'est pas admise.
– L'écrit à valeur ad probationem . – Il n'en demeure pas moins, à y regarder de plus près, à la lecture de ces arrêts, que des écrits sont le plus souvent versés au dossier : correspondances, documents bancaires et comptables, contrats de collaboration, bulletins de salaire, projet de cession de fonds de commerce par acte authentique, par exemple.
Aussi, sans adopter une position aussi tranchée que celle de Fernand Yvernès, pour qui « cette conception consensualiste est purement dogmatique », force est de reconnaître que l'écrit est un mode probatoire aisé et efficace. L'écrit a indéniablement une valeur ad probationem, ce qui le dote d'un atout majeur.
À en croire cette si jolie formule, « il en sera ainsi tant que les hommes n'auront pas le pouvoir de sonder les consciences et les cœurs ; un droit non prouvé n'existe pas en pratique ».
Intéressons-nous à présent aux sociétés immatriculées.

Le recours à l'acte authentique renforce la portée probatoire de l'écrit

Le recours à l'acte authentique ayant date certaine, faisant foi et autorisant l'exécution forcée ne peut qu'accroître l'efficacité de ce mode probatoire.

Les sociétés immatriculées

– L'écrit à valeur ad validitatem . – Concernant les sociétés ayant vocation à être immatriculées, l'acquisition de la personnalité morale au moyen de la formalité de l'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés confère à l'écrit une valeur différente, à savoir ad validitatem.
Comme l'a fait observer, dans un contexte plus général, M. le Sénateur Charles Jolibois, parfois « le problème de la preuve est « absorbé » par celui de la validité, en ce sens qu'enl'absence d'un écrit dressé dans les formes légales, l'acte ne peut pas être prouvé parce que, juridiquement, il n'existe pas ».
Le propos mérite d'être tempéré dans notre cas. En l'absence d'écrit, il ne s'agit pas véritablement d'un contrat ou d'un acte de volonté qui juridiquement n'existe pas, mais d'un contrat ou d'un acte de volonté rendu non opposable au greffe du tribunal de commerce, privant de ce fait la société de la personnalité morale.
– La formalité de l'immatriculation. – La formalité de l'immatriculation suppose d'écarter les règles générales posées par l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
L'article R. 123-35 du Code de commerce dispose en effet que « toute personne morale tenue à immatriculation dont le siège est situé dans un département demande cette immatriculation au greffe du tribunal dans le ressort duquel est situé son siège », étant précisé à l'article suivant (C. com., art. R. 123-36) que « l'immatriculation des sociétés et des groupements d'intérêt économique est demandée sitôt accomplies les formalités de constitution, publicité comprise ».
L'article R. 123-103 du Code de commerce précise, quant à lui, que : « Les actes constitutifs des personnes morales (…) déposés au plus tard en même temps que la demande d'immatriculation (…) sont :
1o Pour les sociétés ou groupements d'intérêt économique :
a) Une expédition des statuts ou du contrat de groupement, s'ils sont établis par acte authentique, ou un original, s'ils sont établis par acte sous seing privé (…) ».
C'est ainsi que l'écrit devient ad validitatem, les formalités de constitution consistant en l'établissement et en la signature de statuts, lesquels doivent être établis par écrit et comporter certaines mentions obligatoires.
Là encore la rédaction des statuts sera l'occasion pour le notaire d'exercer pleinement son devoir de conseil, après un examen attentif tant du projet d'entreprise que de la situation personnelle et professionnelle de chaque associé.
– Le Guichet unique et le nouveau registre national des entreprises. – L'Institut national de la propriété industrielle (Inpi) a pour mission statutaire, depuis sa création en 1951, d'encourager l'innovation et la créativité en les préservant de la fraude et de la contrefaçon. C'est ainsi que l'Inpi délivre des brevets, des marques, des dessins, des modèles.
Or cet organisme public indépendant, placé sous la tutelle du ministère de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique, s'est vu confier de nouvelles attributions aux termes du décret no 2020-946, paru au Journal officiel le 1er août 2020, lequel a été complété par le décret no 2021-300 du 18 mars 2021.
L'Inpi a désormais, en effet, pour mission d'offrir aux créateurs d'entreprises et aux sociétés un accès à une plateforme informatique appelée Guichet unique, leur permettant d'accomplir par voie électronique toutes les formalités requises, dont les formalités d'immatriculation des sociétés, et de tenir le nouveau registre national des entreprises instauré par l'ordonnance no 2021-1189 du 15 septembre 2021, à compter du 1er janvier 2023.
Bien qu'administrateur de ce nouveau registre, l'Inpi n'en assurera pour autant ni l'alimentation ni la mise à jour, ces missions incombant à l'organisme unique visé à l'article 1er de la loi Pacte, qui se substituera à compter du 1er janvier 2023 aux centres des formalités des entreprises (CFE).
Ce nouveau registre national des entreprises doit se substituer à tous les dispositifs existants ayant vocation à recueillir et à enregistrer les formalités en lien avec la vie des entreprises et des sociétés, hébergés jusqu'alors, de façon éparse, par les chambres de commerce et d'industrie, les greffes des tribunaux de commerce, les chambres d'agriculture, les chambres des métiers et de l'artisanat, les organismes de sécurité sociale, les services fiscaux ou encore le Guichet entreprises.
Demeureront toutefois le Répertoire national des entreprises et de leurs établissements tenu par l'Insee ainsi que les registres tenus par les greffiers des tribunaux de commerce et les greffes des tribunaux judiciaires dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle et ceux tenus par les tribunaux de première instance statuant en matière commerciale dans les collectivités visées à l'article 74 de la Constitution.
– Actes sous signature privée et actes authentiques. – Or il est important de rappeler que l'ordonnance de Saint-Germain-en-Laye sur le commerce de 1673 a d'emblée consacré un système bicéphale en imposant l'écrit, certes, mais « par-devant notaires, ou sous signatures privées ».

Les sociétés par actions constituées avec offre au public

Les sociétés par actions constituées avec offre au public
– L'offre au public. – L'ordonnance no 2009-80 du 22 janvier 2009 et l'ordonnance no 2019-1067 du 21 octobre 2019 ont largement participé à l'évolution de la notion d'offre au public, supplantant l'ancien vocable d'appel public à l'épargne.
L'objectif poursuivi a été de mettre un terme au statut de société faisant appel public à l'épargne afin de faciliter le financement des entreprises et autres entités économiques sur les marchés et de parvenir progressivement à une harmonisation européenne.
Les sociétés ayant vocation à être constituées avec offre au public sont principalement les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions, les sociétés civiles de placement immobilier et les sociétés d'épargne forestière, bénéficiant d'une autorisation légale.
Cette autorisation légale est requise à peine de nullité des contrats conclus ou des titres ou parts sociales émis .
L'article L. 411-2 du Code monétaire et financier organise toutefois un régime dérogatoire permettant aux sociétés d'une autre forme et aux groupements d'intérêt économique d'avoir recours, ponctuellement et de façon plus restrictive, à ce mode de financement, notamment si l'offre peut être qualifiée de placement privé, en ne s'adressant qu'à des investisseurs qualifiés ou encore à un cercle restreint d'investisseurs, tel que cela a été développé ci-dessus.
– Le bulletin de souscription. – Or au nombre des formalités requises en vue de la constitution d'une société anonyme avec offre au public et par renvoi à l'article L. 225-4 du Code de commerce, également en vue de la constitution d'une société en commandite par actions avec offre au public, indépendamment de la rédaction d'une notice d'information et d'un prospectus soumis au visa de l'Autorité des marchés financiers, l'établissement d'un bulletin de souscription mentionnant en toutes lettres le nombre de titres souscrits est exigé lors de la souscription initiale d'actions en numéraire. Le souscripteur en conserve une copie sur papier libre.
– La portée juridique du bulletin de souscription. – Selon une lecture littérale de l'article L. 225-6 du Code de commerce, l'établissement du bulletin de souscription serait exigé ad validitatem puisqu'il doit être présenté au dépositaire pour que soit constatée la souscription.
L'écrit peut être envisagé, au cas d'espèce, à nouveau, sous l'angle de la protection de l'épargnant. L'exigence d'une mention manuscrite mentionnée à l'article R. 225-128 du Code de commerce conforte cette analyse.
– Des déclarations de souscription et de versement établis par acte authentique. – La loi du 24 juillet 1867 modifiée par le décret-loi du 31 août 1937 prescrivait une déclaration de souscription et de versement de fonds dressée en la forme authentique à l'occasion de la constitution d'une société anonyme. L'objectif poursuivi était de prévenir les fraudes et de garantir la sécurité des épargnants et des créanciers, en luttant contre toute éventuelle fictivité du capital social. Le recours obligatoire à l'acte authentique a été supprimé par la loi no 83-1 du 3 janvier 1983 sur le développement des investissements et la protection de l'épargne.
Le non-respect de cette condition de forme pourrait, dès lors, conduire à la nullité de la souscription.
Toutefois cette irrégularité formelle peut être, selon le professeur Yves Guyon, neutralisée du fait même du comportement de l'épargnant lui-même s'il vient à participer à l'assemblée générale constitutive.
Certains auteurs préfèrent, toutefois, d'emblée n'accorder à ce bulletin de souscription qu'une portée ad probationem , considérant que le droit des sociétés ne laisse que peu de place au régime de la nullité.
La souscription au capital d'une société anonyme étant réputée être un acte de commerce, sa preuve devrait pouvoir être rapportée par tous moyens.
On notera qu'à l'occasion de la constitution d'une société anonyme sans offre au public, aucun écrit matérialisant la souscription n'est requis, la preuve de la souscription étant libre. Les statuts en sont généralement la preuve la plus aisée à rapporter.
La phase de constitution peut donner lieu à la rédaction d'autres écrits, notamment à la rédaction de pactes d'associés ou d'actionnaires. Toutefois ces derniers, très largement pratiqués, ne sont consacrés par aucun texte en rapport avec la constitution d'une société contrairement aux documents énoncés précédemment.
Toutes formes sociales confondues, en 2019, selon l'Insee, le nombre de créations de sociétés s'est élevé à 218 400.
Il est malheureusement probable que peu d'actes constitutifs aient été reçus en la forme authentique. Aucune statistique n'est disponible sur le sujet. Le recours à l'acte authentique est-il davantage pratiqué au cours de la vie sociale ?

L'écrit au cours de la vie sociale

L'idée n'est pas de dresser ici une liste exhaustive, à la façon d'un inventaire à la Prévert, des écrits de toutes natures générés par l'activité même de l'entreprise. Notre propos consiste à délimiter, plus précisément, les compétences et le champ d'intervention éventuel du notaire en la matière.
Le recours à l'écrit peut être envisagé à trois niveaux : comme étant à l'usage des associés dans leurs rapports avec la société (§ I), comme régissant les rapports entre associés (§ II) ou encore comme étant à l'usage de la société dans ses relations avec les tiers (§ III).

L'écrit à l'usage des associés dans leurs rapports avec la société

– La preuve de la qualité d'associé en cours de vie sociale. – La preuve de la qualité d'associé et de la détention capitalistique qui en est le corollaire est à l'origine d'un contentieux abondant.
Cette preuve est aisée à rapporter à l'occasion de la constitution de la société. Nous l'avons vu : la nature et la consistance des apports réalisés par les associés ainsi que l'expression du capital y adossé sont au nombre des mentions obligatoires devant figurer dans les statuts. En cas d'offre au public, la preuve pourra être rapportée à l'appui du bulletin de souscription.
En revanche, la démonstration peut être plus délicate à établir, au cours de la vie sociale, après de multiples transferts de parts ou d'actions, selon, notamment, la forme de la société considérée.
En effet, si la transmission de parts sociales nécessite un écrit, les modalités de transfert des actions, à l'inverse, réduisent cet écrit à sa plus simple expression.
– Concernant les transmissions de parts sociales. – Les transmissions de parts sociales sont régies par les dispositions de droit commun et notamment celles applicables à toute cession de droits incorporels.
Le simple échange de consentements sur la nature des droits transmis et leur prix, en cas de cession à titre onéreux, peut suffire à caractériser la transmission et à emporter transfert de propriété des parts.
En cas de donation de parts, nous nous reporterons à l'article 938 du Code civil ; en cas de cession à titre onéreux, à l'article 1583 de ce même code.
En matière de cession à titre onéreux, il a été jugé que de simples négociations ayant abouti à un accord valaient cession de parts en l'absence même de paiement et emportaient de la sorte transfert de propriété dans le cas d'une société à responsabilité limitée.
En revanche, il a été jugé que la quittance du prix de cession ne suffisait pas à établir à elle seule la cession de parts, en l'absence de signature du cessionnaire. Quand bien même, indépendamment de l'expression du prix, l'objet serait clairement défini, l'expression non équivoque du consentement du cessionnaire demeurerait indispensable.
L'article 1359 du Code civil précise pourtant que « l'acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret [1 500 euros] doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique et qu'il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique, même si la somme ou la valeur n'excède pas ce montant, que par un autre écrit sous signature privée ou authentique ».
Mais l'absence d'écrit ne rend pas, pour autant, la cession nulle. Elle la prive seulement d'opposabilité vis-à-vis de la société. Ce défaut d'opposabilité peut, il est vrai, sous-tendre une action en résolution de la cession pour manquement du cédant à son obligation de délivrance ou encore sur le terrain de la garantie d'éviction.
Un cas de nullité en l'absence d'écrit mérite tout de même d'être rappelé. L'article 1861 du Code civil en son 4e alinéa dispose ce qui suit : « Lorsque deux époux sont simultanément membres d'une société, les cessions faites par l'un d'eux à l'autre doivent, pour être valables, résulter d'un acte notarié ou d'un acte sous seing privé ayant acquis date certaine autrement que par le décès du cédant ».
On notera également que si la cession considérée revêt un caractère commercial, l'obligation édictée par l'article 1359 du Code civil est écartée.
Le recours à un écrit présente-t-il dès lors un quelconque intérêt ?
L'écrit demeure une parade indispensable.
En effet, le transfert de propriété opéré de la sorte, sans écrit pouvant être opposé à la société, n'emporte pas par lui-même transfert de la qualité d'associé. Le cessionnaire n'acquiert la qualité d'associé qu'au jour où la cession devient opposable à la société. L'écrit permet de procéder à cette formalité essentielle.
Tant que la cession n'est pas opposable à la société, le cédant est dépourvu de droit de propriété mais maintenu dans le bénéfice de ses droits politiques et financiers et le cessionnaire, devenu propriétaire, pour sa part est dépourvu de droits politiques et ne peut prétendre à la perception d'aucun bénéfice.
Dans des sociétés au sein desquelles la responsabilité de l'associé est illimitée, on conçoit aisément que le défaut d'opposabilité puisse nourrir de nombreux contentieux.
Le recours à l'acte authentique présente, dès lors, un véritable atout.
En effet, les modalités de constatation de ces cessions de droits sociaux à des fins probatoires et d'opposabilité sont précisées au travers de dispositions spécifiques.
C'est ainsi qu'en ce qui concerne les sociétés civiles, la cession de parts est obligatoirement « constatée par écrit. Elle est rendue opposable à la société dans les formes prévues à l'article 1690 ou, si les statuts le stipulent, par transfert sur les registres de la société ».
Or pour mémoire, les formes prévues à l'article 1690 du Code civil sont les suivantes : « Le cessionnaire n'est saisi à l'égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur. Néanmoins, le cessionnaire peut être également saisi par l'acceptation du transport faite par le débiteur dans un acte authentique ».
Le recours à l'acte authentique, auquel intervient le représentant de la société à l'effet d'accepter la cession de parts, permet de rendre concomitants, à une date certaine, le transfert de propriété des parts sociales et le transfert de la qualité d'associé au profit du cessionnaire.
L'acte authentique est, de la sorte, plus efficace juridiquement qu'un acte de cession établi sous signature privée suivi d'une signification par exploit d'huissier ou encore d'une inscription portée sur le registre des transferts conformément aux dispositions de l'article 1865 du Code civil à des fins d'opposabilité, pour autant que le recours à ce procédé ait été expressément prévu dans les statuts en amont. Aucune démonstration ne sera nécessaire si l'instrumentum est authentique.
Par ailleurs l'acte authentique ne peut que séduire les signataires par sa praticité en comparaison avec l'acte sous signature privée qui suppose, par application de l'article 1375 du Code civil, qu'il soit dressé en autant d'exemplaires que de parties à l'acte ayant un intérêt distinct, « à moins que les parties ne soient convenues de remettre à un tiers l'unique exemplaire dressé ».
Sa rédaction minutieuse par le notaire permet d'apporter toute garantie quant à la capacité des signataires, l'expression de leur consentement éclairé, le respect d'éventuelles clauses statutaires restrictives, la détermination précise des parts mutées et les conditions financières de la cession en y adossant les garanties requises.
Enfin, le notaire étant garant de l'efficacité des actes qu'il reçoit, les signataires de l'acte de cession sont déchargés de l'accomplissement des formalités de publicité au registre du commerce et des sociétés destinées à rendre la cession opposable aux tiers.
Le gérant a, en tout état de cause, l'obligation de remettre à tout associé qui en fait la demande auprès de lui la liste mise à jour des associés par application de l'article 31 du décret no 78-704 du 3 juillet 1978.
En son article 34, ce même décret dispose que : « Si les statuts le prévoient, des certificats représentatifs de leurs parts peuvent être remis aux associés. Ils doivent être intitulés « certificat représentatif de parts » et être très lisiblement barrés de la mention « non négociable ». Ils sont établis au nom de chaque associé par part ou multiple de parts ou pour le total des parts détenues par lui ».
À la lecture des articles L. 221-14, L. 222-2 et L. 223-17 du Code de commerce, les cessions de parts des sociétés en nom collectif, des sociétés en commandite simpleet des sociétés à responsabilité limitée sont réalisées selon le même mode opératoire que les cessions de parts des sociétés civiles.
On notera, toutefois, que par application de l'article L. 221-14, alinéa 1 du Code de commerce concernant les parts de sociétés en nom collectif et de l'article L. 223-17 de ce même code concernant les parts de sociétés à responsabilité limitée, le dépôt d'un exemplaire de l'acte de cession au siège de la société peut également suffire à rendre la cession opposable à son égard.
– Concernant le nantissement de parts sociales. – Il est intéressant d'observer que le nantissement de parts sociales au sein d'une société civile s'inscrivait jusqu'au 1er janvier 2022 dans la même logique. L'article 1866 du Code civil disposait effectivement que « les parts sociales [pouvaient] faire l'objet d'un nantissement constaté, soit par acte authentique, soit par acte sous signatures privées signifié à la société ou accepté par elle dans un acte authentique, et donnant lieu à une publicité dont la date [déterminait] le rang des créanciers nantis. Ceux dont les titres [étaient] publiés le même jour [venaient] en concurrence. Le privilège du créancier gagiste [subsistait] sur les droits sociaux nantis, par le seul fait de la publication du nantissement ». Or l'ordonnance no 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés est venue modifier la rédaction de l'article 1866 du Code civil. Désormais, par renvoi au dernier alinéa de l'article 2355 du même code, un nantissement de parts sociales est constitué à la façon d'un gage de meubles corporels, étant précisé qu'est exclu tout droit de rétention au profit du créancier. Ces mêmes règles de constitution d'un nantissement de parts sociales sont applicables aux sociétés en nom collectif et aux sociétés à responsabilité limitée en l'absence de dispositions spécifiques contraires. L'article 1867 du Code civil, précisant les modalités de réalisation du nantissement de parts sociales, a lui aussi été aménagé afin de tenir compte de la possible attribution des parts au créancier par application d'un pacte commissoire. En pareille hypothèse, ne sont applicables ni le droit de repentir des associés, ni la faculté pour la société de racheter les parts nanties. Là encore, le régimeest identique concernant les sociétés en nom collectif et les sociétés à responsabilité limitée en l'absence de dispositions spécifiques contraires.
– S'agissant des transferts d'actions. – Si la transmission des parts sociales relève du régime du transport de droits incorporels organisé par le Code civil, le transfert d'actions relève, pour sa part, du régime de la transmission des instruments financiers régi par les articles L. 211-13 à L. 211-19 du Code monétaire et financier.
Concernant les cessions d'actions, aucun texte n'exige qu'un acte de cession soit rédigé, pas même à des fins d'opposabilité.
L'intuitu pecuniae prévaut. Serait-ce au détriment de la sécurité juridique ?
Une cession d'actions est réalisée par virement des titres du compte du cédant sur le compte du cessionnaire.
Nous nous reporterons utilement en la matière à l'article L. 211-17, alinéa 1 du Code monétaire et financier et à l'article L. 228-1, alinéa 9 du Code de commerce.
En présence d'actions hors marché, inscrites dans les livres de la société, ce virement est effectué à l'appui d'un ordre de mouvement autrement appelé bordereau de cession.
La signature par le cédant du bordereau emporte, de sa part, exécution de son obligation de délivrance.
Aucune autre contrainte rédactionnelle n'est de mise s'agissant de l'ordre de mouvement. Toutefois, afin de réduire les contentieux en la matière, l'usage veut que les statuts prévoient le recours à un ordre de mouvement type, normalisé, le recours au modèle d'ordre annexé à la norme AFNOR NF K 12-500 étant largement pratiqué. Cette norme, publiée le 17 octobre 2008, confirmée le 30 novembre 2018, devrait être réexaminée le 1er octobre 2023.
En l'absence de dépositaire central, la mention du transfert peut être déversée dans un dispositif d'enregistrement électronique partagé (Deep) à la façon d'une blockchain conformément aux articles L. 211-3 et L. 211-15 du Code monétaire et financier .
On notera qu'à l'initiative d'une association constituée entre la Chambre interdépartementale des notaires de Paris et la Chambre interdépartementale des notaires du Nord et du Pas-de-Calais, la profession notariale s'est dotée d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé sécurisé au moyen du déploiement d'une blockchain privée, dénommé Le Registre.
Une prochaine étape pourrait consister, pour la profession, en l'élaboration d'un modèle d'ordre de mouvement dont les variables seraient déversées automatiquement dans ce registre.
S'agissant d'actions négociables sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation, la cession donne lieu à un ordre de bourse donné par le cédant à l'intermédiaire auprès duquel les titres sont inscrits.

Les pactes d'associés ou d'actionnaires

Les pactes d'associés ou d'actionnaires
Le recours à l'écrit est également largement pratiqué en vue de régir les relations entre associés ou actionnaires.
C'est ainsi que s'est développée la pratique des pactes d'associés ou d'actionnaires.
– Les pactes d'associés ou d'actionnaires. – Les pactes d'associés ou d'actionnaires ayant fait l'objet de développements ci-dessus (V. supra, nos et s.), nous ne reviendrons que très sommairement sur le sujet.
Nous rappellerons simplement qu'il s'agit de conventions conclues entre tout ou partie des associés d'une société visant essentiellement à organiser la gouvernance, la répartition des droits politiques et financiers entre eux, les modalités de détention du capital et de sortie.
Ces accords ne répondant à aucun cadre contractuel préétabli sont un lieu, par excellence, d'expression de la liberté rédactionnelle, même si leur fonctionnement repose sur des techniques contractuelles traditionnelles éprouvées.
Toutefois, comme l'a fait très justement remarquer le professeur Jean-Marc Moulin, « la liberté ne se conçoit que dans le double respect de l'intérêt général et de celui des actionnaires minoritaires ».
– Le pacte Dutreil. – C'est à l'occasion de la transmission de l'entreprise que le notaire sera, le plus souvent, sollicité à l'effet de rédiger un pacte. On se reportera à l'article 787 B du Code général des impôts qui subordonne l'application d'un régime de faveur en matière de droits de mutation à titre gratuit à la conclusion d'un pacte de famille, communément appelé pacte Dutreil, et aux développements ci-dessus consacrés au sujet (V. supra, nos et s.).

L'écrit à l'usage de la société dans ses relations avec les tiers

Les actes de la vie sociale attestent de l'activité même de la société et méritent d'être consignés par écrit afin de conserver la mémoire des débats et des décisions qui en ont résulté, d'en rapporter la preuve, de prévenir le conflit, ou encore tout simplement afin de délivrer aux tiers une information fiable et vérifiable. À nouveau l'écrit se présente sous les traits d'un support ad probationem.
– Les actes des mandataires sociaux. – Dans les sociétés civiles, les sociétés en nom collectif, les sociétés à responsabilité limitée, ou encore les sociétés par actions simplifiées, concernant les actes de gestion réalisés par les mandataires sociaux, qu'il s'agisse d'actes d'administration ou de disposition entrepris à des conditions normales de marché, le risque de contentieux est généralement abordé sous l'angle du dépassement éventuel de pouvoir au regard de l'objet de la société et de l'intérêt social.
De la sorte, sont mis en regard les statuts, d'une part, et le contrat conclu dans le cadre de l'activité de la société, d'autre part.
Il n'existe pas réellement d'écrit que l'on pourrait qualifier d'intercalaire.
Dans les sociétés anonymes, à l'inverse, des procès-verbaux permettent de consigner les débats et les décisions prises par les organes de gestion.
Les registres peuvent constituer des éléments de preuve.
Ces registres sont principalement au nombre de deux : le registre de présence et le registre des délibérations.
Les noms des participants aux réunions du conseil d'administration sont consignés dans un registre de présence, signé par les dirigeants à l'issue de chaque réunion.
Ce registre peut être établi sous une forme électronique.
Il est à noter toutefois que le défaut de tenue de ce registre n'est assorti d'aucune sanction.
Le registre des délibérations, quant à lui, permet de collationner les procès-verbaux des délibérations du conseil d'administration. La tenue de ce registre est davantage réglementée et contrôlée. Il doit notamment être coté et paraphé. Les nouvelles technologies sont au rendez-vous, car si les règles de sécurité minimales exigées sont observées, la tenue de ce registre de façon dématérialisée est également admise.
On relèvera que l'absence de procès-verbal constatant les délibérations des organes de gestion est sanctionnée par la nullité desdites délibérations par application de l'article L. 235-14 du Code de commerce.
– Les procès-verbaux d'assemblée. – Quant aux délibérations de l'assemblée, elles sont également consignées dans des procès-verbaux, eux-mêmes déversés en un registre coté et paraphé.
On notera que le 117e Congrès des notaires de France a mis en exergue la question non résolue à ce jour des différends et des litiges pouvant naître de la transcription même des délibérations dans un registre dématérialisé, l'intégrité des données d'un point de vue informatique étant une chose, la véracité de l'information en étant une autre. Une piste de réflexion intéressante sur laquelle le notariat peut valablement s'engager.
– Les livres comptables. – Là encore ces documents peuvent être établis et conservés sous la forme d'un registre, au moyen d'un classeur, sur feuilles mobiles ou encore sous forme électronique.
– La force probante des registres et documents. – Ces derniers ont, rappelons-le, contre les professionnels qui ont pour obligation de les tenir ou de les établir, la même force probante que les écrits sous signature privée par application de l'article 1378 du Code civil.
– L'opposabilité aux tiers. – Or il faut garder à l'esprit que l'activité de la société ne peut avoir un impact pour les tiers que pour autant que ces derniers en aient connaissance.
La règle est en apparence simple puisque la société ne peut opposer aux tiers que les faits et actes publiés au registre du commerce et des sociétés, pour autant que ces faits et actes soient soumis à cette formalité.
Le principe souffre plusieurs exceptions.
Tout d'abord, la société ou le tiers peut démontrer que la partie adverse a eu connaissance du fait ou de l'acte en cause en l'absence de toute mention portée au registre du commerce et des sociétés par un autre biais. Cette connaissance peut être librement démontrée par tous moyens, étant précisé toutefois que la réalisation d'une autre mesure de publicité légale ne suffit pas à établir en elle-même la connaissance qu'a le tiers du fait ou de l'acte publié.
La seconde exception ne concerne que les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions par application de l'article L. 210-5 du Code de commerce, lequel édicte une présomption simple puis irréfragable. Le tiers ne peut démontrer qu'il était dans l'incapacité d'avoir connaissance par lui-même du fait ou de l'acte en cause, non publié au registre du commerce et des sociétés, que dans les quinze premiers jours de sa publication au Bodacc .
S'agissant des pouvoirs des gérants et des mandataires sociaux, il convient de distinguer les sociétés dans lesquelles la responsabilité des associés est illimitée de celles dans lesquelles leur responsabilité est limitée au montant de leurs apports.
Concernant les sociétés dans lesquelles la responsabilité des associés est illimitée, nous rappellerons pour mémoire que la société n'est engagée que si l'acte entre dans son objet social défini dans les statuts. Les clauses limitatives des pouvoirs du gérant ne seraient pas opposables au tiers quand bien même ce dernier serait de mauvaise foi.
À l'inverse, pour mémoire, concernant les sociétés dans lesquelles la responsabilité des associés est limitée au montant de leurs apports, la société est engagée même par un acte non compris dans son objet social, sauf à démontrer que le tiers avait parfaite connaissance de ce dépassement d'objet, la publication des statuts ne pouvant suffire à établir cette preuve.
Le recours à l'écrit, tant à l'occasion de la constitution de la société qu'au cours de la vie sociale, rend parfaitement légitime l'intervention du notaire en sa qualité de conseil et de rédacteur.
Toutefois coexistent, nous l'avons vu, actes sous signature privée et actes authentiques. Force est de constater qu'en pratique le recours à une prestation notariale est peu fréquent. Seules quelques dispositions rendent systématique l'intervention du notaire.