– Incertitudes. – La lecture de l'article L. 132-3 du Code de l'environnement peut laisser interrogatif quant à la détermination de la nature juridique de l'ORE. Cette question n'a pas qu'une importance doctrinale, car de cette nature dépendra son régime, lequel n'est qu'insuffisamment fixé par cet article. Il convient donc d'analyser l'ORE au regard des droits réels (§ I) puis des droits personnels (§ II), avant de proposer une qualification innovante (§ III).
La nature de l'obligation réelle environnementale
La nature de l'obligation réelle environnementale
Droits réels et ORE
– ORE et droit réel. – Il est en réalité assez complexe de rattacher la nature de l'ORE à celle d'un droit réel. Création de la loi et donc non concernée par le principe doctrinal du numerus clausus des droits réels (dont l'existence est de toute manière largement sujette à caution depuis les arrêts Caquelard
et Maison de la Poésie), il convient tout de même, pour rattacher l'ORE à la catégorie des droits réels, d'en respecter les principes constitutifs. Il nous faut alors confronter cet outil aux principaux droits réels.
– ORE et usufruit. – Défini à l'article 578 du Code civil comme « le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à charge d'en conserver la substance », l'usufruit est donc un droit de jouissance qui ne peut en aucun cas concerner le créancier d'une ORE : la personne morale de droit public ou de droit privé agissant pour la protection de l'environnement, cocontractante, ne disposera d'aucun droit de jouissance sur le bien grevé. En outre, le propriétaire-débiteur ne sera quant à lui privé d'aucune utilité de son bien, et en conservera l'essentiel des prérogatives. Dès lors, il ne semble pas possible d'assimiler le droit créé par le souscripteur d'une ORE au profit de son cocontractant à un usufruit.
– ORE et servitude. – Là encore, il paraît hasardeux d'assimiler la nature de l'ORE à celle d'une servitude. Une servitude suppose un fonds servant et un fonds dominant, puisque l'article 637 du Code civil la définit comme « une charge imposée sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire ». L'ORE ne peut concerner qu'un seul fonds, celui du propriétaire, et rien n'impose en outre que le cocontractant de ce dernier soit lui-même propriétaire d'une unité foncière voisine. Par ailleurs, l'article 686 du même code prohibe les servitudes imposées à la personne, lesquelles ne peuvent dès lors consister en une obligation de faire. C'est la stricte application de l'adage Servitus in faciendo non consistit.
– ORE et autres démembrements. – La question de savoir si une ORE est constitutive d'un démembrement de propriété reste pendante. La réponse nous semble devoir être négative. Le but d'un démembrement de propriété doit être de conférer une certaine utilité du bien objet du démembrement à un tiers. Dans le cadre de cette obligation, le créancier ne va en aucun cas pouvoir directement bénéficier de l'utilité à laquelle renonce le constituant. Imaginons par exemple qu'un propriétaire s'engage dans le cadre de son ORE à recréer une zone humide ou à planter une micro-forêt : il s'interdit ainsi de construire et renonce donc à cette utilité. Pour autant, celle-ci ne bénéficiera pas à son cocontractant. Cela ne pourrait être le cas que si une servitude nonædificandi était constituée. Mais il faudrait alors un fonds dominant. Certains auteurs ont toutefois vu dans la possibilité de constituer ainsi un droit réel « négatif » un élément susceptible de constituer la nature réelle de l'ORE.
ORE et droits personnels
– L'éventualité du caractère personnel de l'ORE. – L'idée de savoir si, à défaut de conférer à l'ORE un caractère réel, il ne faudrait pas lui reconnaître un caractère personnel doit être étudiée. L'obligation souscrite par le propriétaire vis-à-vis de la personne morale ou publique agissant pour la protection de l'environnement serait donc personnelle, et le cocontractant resterait par conséquent titulaire d'un droit personnel. On peut opposer deux arguments à ce raisonnement :
- le législateur a lui-même qualifié cette obligation de réelle, et par conséquent il peut sembler délicat de réduire sa portée à celle d'un simple contrat ;
- d'autre part, l'article L. 132-3 du Code de l'environnement prévoit le transfert de cette obligation aux différents propriétaires successifs du bien grevé, ce qui ne saurait être évidemment le cas d'une obligation personnelle, attachée à la personne du débiteur, et non à une chose.
Il apparaît donc difficile de rattacher l'ORE au registre des droits personnels. Dès lors, il apparaît tout de même important de qualifier cet objet juridique, car de cela peuvent dépendre ses modalités de mise en œuvre et d'exécution.
Proposition de qualification
Cela peut consister en l'obligation pour l'acquéreur d'un immeuble qui n'aurait pas pris soin d'éteindre les droits des créanciers hypothécaires d'acquitter les obligations de l'auteur de l'hypothèque, sans pouvoir toutefois être tenu au-delà de la valeur de l'immeuble, n'étant pas lui-même engagé avec le créancier. C'est donc une dette transmise avec l'immeuble.
Il peut également s'agir d'une obligation (créance ou dette), transmise comme accessoire de l'immeuble cédé :
- les droits et actions que pouvait par exemple détenir le vendeur contre un tiers, et notamment son propre vendeur : ainsi, en matière de garantie des vices cachés, nous avons par exemple pu analyser (V. supra, no ) que le sous-acquéreur disposait d'une action contre le vendeur initial quand bien même aucun lien contractuel n'existe entre eux ;
- le bail afférant à l'immeuble objet de la vente, que l'acquéreur se doit de poursuivre, selon les dispositions de l'article 1743 du Code civil ;
- l'adhésion au règlement de copropriété à l'occasion de l'acquisition d'un lot est également considérée comme une obligation propter rem : l'obligation de poursuivre l'exécution du contrat que constitue le règlement de copropriété étant attachée au lot. Selon le même raisonnement, l'adhésion impérative au cahier des charges d'un lotissement par l'acquéreur d'un lot constitue également une obligation de ce type.
– Obligation
propter rem
. – La notion d'obligation réelle existe dans notre droit civil, même si l'on doit plutôt parler d'obligation propter rem
. Concept doctrinal absent de la terminologie du Code civil, cette obligation peut se définir comme « une obligation liée à une chose (et dite propter rem) qui pèse non sur un débiteur personnellement mais sur le propriétaire de cette chose en tant que telle, de telle sorte, que celui-ci peut s'en affranchir en aliénant la chose (l'obligation passe à l'acquéreur, même à titre particulier) ou en délaissant sa propriété (abandon, déguerpissement) ». Cette notion diffère de l'obligation scripta in rem qui est une obligation qui grève le bien en lui-même.
Dès lors, peut-on reconnaître à l'ORE le caractère d'une obligation propter rem ? Oui si l'on considère sa transmissibilité impérative avec la propriété du terrain sur lequel elle est constituée. Àl'inverse, on peut également soutenir qu'une ORE ne saurait être qualifiée d'accessoire du droit réel conféré au tiers cocontractant : elle est en effet souscrite à titre principal par le propriétaire, et ne saurait donc recouvrir ce caractère accessoire. On pourrait conclure la réflexion en indiquant que la nature de l'ORE se rapproche de la notion de charge foncière telle qu'elle existe dans le droit suisse. L'article 782 du Code civil suisse la définit en ces termes : « La charge foncière assujettit envers un tiers le propriétaire actuel d'un fonds à certaines prestations pour lesquelles il n'est tenu que sur son immeuble ».
– L'ORE, un contrat accessoire à l'immeuble. – Le troisième alinéa de l'article L. 132-3 du Code de l'environnement précise : « La durée des obligations, les engagements réciproques et les possibilités de révision et de résiliation doivent figurer dans le contrat ». Dès lors, un auteur a pu parler de l'ORE comme d'un droit réel à structure obligationnelle, puisqu'elle crée à la charge du débiteur (le propriétaire) une obligation de faire (ou de ne pas faire d'ailleurs) à l'égard du cocontractant, lequel est également débiteur au titre des engagements réciproques nécessaires à la constitution de l'ORE. Ces engagements réciproques restent toutefois à définir, puisque le texte ne le fait pas. On peut donc en déduire que c'est aux parties de définir la contrepartie due par le cocontractant. Il est toutefois possible d'aller plus loin et d'émettre l'hypothèse que l'ORE constituerait un contrat accessoire à la propriété de l'immeuble. C'est l'idée suivie par le professeur William Dross. Pour cet auteur, l'article L. 132-3 du Code de l'environnement met en place un mécanisme similaire à celui de l'article 1743 du Code civil, concernant la vente de l'immeuble loué, et à celui que la jurisprudence a établi pour l'adhésion au règlement de copropriété de l'acquéreur d'un lot dans un immeuble soumis à ce régime. Si nous retenons cette qualification, la détermination du régime de l'ORE devient alors plus aisée.