Des accords familiaux au régime matrimonial légal

Des accords familiaux au régime matrimonial légal

Les accords de famille ont tout d'abord donné naissance au régime de biens entre les époux (§ I) avant de muter en un régime communautaire légal (§ II).

La naissance des régimes de biens entre époux : les accords de famille

C'est ainsi qu'à Rome, est né, des usages répétés des familles de doter les filles par convention lors de leur mariage, le régime dotal ; régime qui d'ailleurs perdurera en Gaule, et notamment dans la région méridionale, jusqu'à la rédaction du Code civil en 1804.
Puis, après la chute de l'Empire romain d'Occident et les invasions des peuples barbares, est apparu ce droit non écrit : les coutumes, dont les règles applicables aux époux étaient très différentes du régime dotal romain.
La naissance d'un régime communautaire coutumier.
« (…) C'est bien durant cette période médiévale que les futurs "régimes matrimoniaux" prennent naissance, qu'apparaît notamment cette fameuse communauté de meubles et acquêts qui deviendra, dans le Code civil, le régime légal ».
Cette époque a été marquée par une diversité de règles et d'usages, puisque chaque village, chaque seigneurie disposait de sa propre coutume. En outre, les époux avaient la possibilité d'y déroger librement, sans avoir l'obligation que cette convention soit écrite.
La coutume avait une place centrale sur tout le territoire, bien qu'il reste quelques traces du régime dotal romain dans le sud, à cette période.
En effet, les coutumes trouvaient également à s'appliquer dans le sud du pays (pourtant pays de droit écrit), telle la coutume de Montpellier au XIII e siècle. Mais peu à peu la dot a repris sa place dans les pays de droit écrit.
La Coutume de Paris avait pour régime une communauté de meubles et acquêts, dont les principales règles se retrouveront ensuite dans le Code civil.

La naissance d'un régime communautaire légal

En 1804, les rédacteurs du projet de l'an VIII (qui deviendra le Code napoléonien) ont dû, pour répondre à cet impérieux souhait d'unification du droit, choisir parmi les divers régimes matrimoniaux, tous nés des usages des familles, ceux qui seraient les régimes matrimoniaux des Français, et surtout celui qui deviendrait le droit commun applicable à tous. À cette époque, le territoire, en matière de régime de biens entre époux, était divisé entre les pays de droit coutumier, dont la communauté et plus particulièrement la communauté de meubles et acquêts (présentes dans de nombreuses coutumes, notamment celle de Paris), et le régime dotal issu du droit romain dans les pays de droit écrit. Le choix opéré par les rédacteurs du Code civil allait conduire à modifier considérablement les usages des populations qui se verraient imposer un régime légal ne relevant pas de leur usage. D'ailleurs, les rédacteurs du Code civil ont très justement identifié la problématique consistant dans le fait que la population n'était pas demandeuse de cette unification du droit en la matière. Et parce que le régime des biens entre époux touche à l'intime, au cercle familial, aux considérations et aux aspirations des couples et des familles, il était difficile d'imposer un régime qui, s'il était mal accueilli, aurait eu pour sanction un rejet total par la population.
Ce fut un travail d'équilibriste. La solution se trouva dans un consensus : chaque région aura la possibilité de conserver son régime puisque le Code civil retiendra la liberté des conventions matrimoniales, et surtout admettra quatre régimes matrimoniaux distincts (la communauté, la séparation de biens, le régime sans communauté, le régime dotal), tout en imposant un régime commun légal : la communauté de meubles et acquêts (issue de la Coutume de Paris, notamment).
L'honneur était sauf ! Les rédacteurs du Code civil ont su trouver le juste équilibre entre liberté des conventions, qui permettait à la population d'adhérer à ces nouvelles règles, tout en réussissant à imposer un régime commun à tous ceux qui ne feraient pas de contrat de mariage, symbole de cette unification du droit voulue par Napoléon (et avant lui, les penseurs de la Révolution française). Ce régime de droit commun, pour en assurer son efficacité et sa propagation sur le territoire, se trouvait être supplétif de volonté. Ainsi, tous ceux qui ne s'étaient pas souciés de leur régime se trouvaient automatiquement soumis au régime légal. Cette règle existait déjà dans la Coutume de Paris, qui prévoyait que les époux mariés sans contrat s'étaient, eux-mêmes, placés par une convention tacite au régime de la communauté légale établi par cette coutume.
– Pourquoi un régime communautaire eut-il la préférence des rédacteurs du Code civil, et de Napoléon ? – Il faut au préalable souligner que la commission désignée par Napoléon sous le Consulat pour travailler sous la direction de Cambacérès à l'élaboration du Code civil était composée de deux juristes des pays de coutumes (MM. Bigot de Préameneu et Tronchet) et de deux juristes des pays de droit écrit (MM. Portalis et Maleville).
Les réunions furent nombreuses et les débats animés au sujet du choix du régime matrimonial légal entre les deux principaux régimes applicables sur le territoire entre le sud et le nord, et ce depuis des siècles. Un « clan » allait devoir changer des habitudes et usages établis pourtant depuis des siècles !
Le principal argument en défaveur du régime dotal était, évidemment, la nécessité d'un écrit pour constituer la dot, et ce formalisme était de toute évidence incompatible avec un régime légal supplétif de volonté et un régime qui se devait d'être simple, accessible et compris de tous.
Le second argument était que le régime de la communauté paraissait plus protecteur du conjoint survivant, souvent l'épouse, qu'un régime de séparation. Le mariage est une communauté de corps et d'esprit, corollaire d'une communauté d'intérêts pécuniaires et financiers. En outre, à une époque où seul le travail des hommes était rémunéré (le rôle des femmes se limitant à des tâches ménagères), la mise en communauté des revenus du mari et des acquêts semblait nécessaire et juste vis-à-vis de l'épouse qui, dans une société fortement rurale et agricole, était souvent amenée à aider aux travaux des champs, en sus de l'éducation des enfants et des tâches ménagères. Cette mise en communauté ne présentait pas de grand risque, au regard des « faiblesses » supposées des femmes à cette époque, puisque ces dernières étaient placées sous l'autorité de leur époux et ne disposaient pas des pouvoirs d'engager la communauté.