Une création jurisprudentielle : l'arrêt Google Spain

Une création jurisprudentielle : l'arrêt Google Spain

– D'où vient-il ? – Ce droit au déréférencement est une création de l'Agence espagnole de protection des données (Agencia Española de Protección de Datos [AEPD]) recevant la requête et l'argumentation juridique d'un particulier, M. Costeja Gonzàles.
Le mérite en est souvent attribué à la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt Google Spain du 13 mai 2014, mais c'est oublier que cet arrêt ne fut que confirmatif de la décision prise par l'autorité de contrôle espagnole le 30 juillet 2010, elle-même ne faisant que recevoir l'analyse juridique d'un simple requérant.
M. Costeja Gonzàles avait introduit auprès de l'Agence espagnole de protection des données une réclamation à l'encontre du journal espagnol La Vanguardia, et de Google Spain et Google Inc. au sujet de deux pages de ce journal mentionnant une annonce de vente aux enchères sur saisie pour recouvrement d'une dette de sécurité sociale, dont il avait fait l'objet seize ans plus tôt, qu'il voulait voir disparaître.
Devant le refus du journal et du moteur de recherche, il avait saisi l'AEPD pour obtenir :
  • du journal, la disparition de cette information, ou le retrait de son nom de celle-ci ;
  • du moteur de recherche, la protection ou la suppression de son nom, afin qu'une recherche sur celui-ci ne donne plus de résultat ou plus de lien avec cette information.
Dans sa décision, l'AEPD avait :
  • rejeté la réclamation de M. Costeja Gonzàles en ce qu'elle visait La Vanguardia, estimant que la publication des informations en cause était légalement justifiée ;
  • accueilli cette réclamation en ce qu'elle était dirigée contre Google Spain et Google Inc., considérant que les exploitants de moteurs de recherche sont soumis à la législation en matière de protection des données, puisqu'ils réalisent un traitement de données pour lequel ils sont responsables et que cette obligation de déréférencement peut incomber directement aux exploitants de moteurs de recherche, sans qu'il soit nécessaire d'effacer les données ou les informations du site web où elles figurent.
Google Spain saisit l'Audiencia Nacional, la juridiction suprême espagnole, d'un recours contre l'injonction de l'AEPD.
Celle-ci adressa alors en février 2012 une demande de décision préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne.
Matériellement, cette application a été fondée sur :
  • la qualification de l'activité des moteurs de recherche de traitement autonome, distinct des traitements « source » dont ils exploitent et indexent les données, pour les rendre plus accessibles ;
  • la qualification du moteur de recherche de responsable de ce traitement, quand bien même il n'est pas la source de l'information qu'il ne fait qu'indexer, sans même la contrôler ;
  • l'ouverture aux personnes concernées de l'exercice indépendant de leurs droits vis-à-vis des moteurs de recherche et des traitements sources ;
  • en conséquence la mise en œuvre des droits des personnes concernées contre les moteurs de recherches, même en refusant celle-ci contre les sites sources.
– L'arrêt Costeja Gonzàles du 13 mai 2014. – C'est ainsi qu'est intervenu l'arrêt en Grande chambre de la Cour de justice de l'Union européenne du 13 mai 2014, dit « arrêt Google Spain » https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:62012CJ0131">Lien , alors qu'un hommage plus exact aurait été rendu au réel créateur du droit au déréférencement en étant appelé « arrêt Costeja Gonzàles » puisque c'est largement l'argumentation de ce plaignant qui a été accueillie par la Cour. Ceci d'autant plus que, parallèlement, la quasi-totalité des décisions rendues sur le droit au déréférencement peuvent être dénommées « arrêt Google », tant la position hégémonique de ce moteur de recherche en fait l'objet de toutes les instances sur ce sujet.
Territorialement (ce qui n'est pas l'objet de ces lignes), cette application de textes européens à l'activité d'une société américaine a été fondée sur l'exercice de son activité sur le territoire européen au moyen d'une succursale ou filiale « Un traitement de données à caractère personnel est effectué dans le cadre des activités d'un établissement du responsable de ce traitement sur le territoire d'un État membre (…) lorsque l'exploitant d'un moteur de recherche crée dans un État membre une succursale ou une filiale destinée à assurer la promotion et la vente des espaces publicitaires proposés par ce moteur et dont l'activité vise les habitants de cet État membre. » .
  • constaté les droits du moteur de recherche, dont l'intérêt légitime à réaliser un traitement de données est rattaché à l'article 7, f) de la directive 95/46, lequel réserve parallèlement l'intérêt ou les droits et libertés fondamentaux de la personne concernée,
  • mais rappelé les obligations d'un responsable de traitement d'assurer que les données à caractère personnel sont « traitées loyalement et licitement », qu'elles sont « collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne [sont pas] traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités », qu'elles sont « adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement », qu'elles sont « exactes et, si nécessaire, mises à jour » et, enfin, qu'elles sont « conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée n'excédant pas celle nécessaire à la réalisation des finalités pour lesquelles elles sont collectées ou pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement » ;
  • et ainsi reconnu, à la fois, d'une part, au titre du droit d'accès prévu à l'article 12, b) de la directive, les droits à la rectification, l'effacement ou le verrouillage des données dont le traitement n'est pas conforme à la directive, notamment en raison du caractère incomplet ou inexact des données, et, d'autre part, au titre du droit d'opposition prévu à l'article 14, a) au moins dans les cas visés à l'article 7, points e) et f), le droit de toute personne de s'opposer à tout moment, pour des raisons prépondérantes et légitimes tenant à sa situation particulière, à ce que des données la concernant fassent l'objet d'un traitement, sauf en cas de disposition contraire du droit national, et sauf si, pour des raisons particulières, telles que le rôle joué par ladite personne dans la vie publique, l'ingérence dans ses droits fondamentaux était justifiée par l'intérêt prépondérant dudit public à avoir, du fait de cette inclusion, accès à l'information en question,
– Une motivation complexe La compréhension des décisions sur le droit au déréférencement suppose, encore plus que celle du RGPD, pourtant déjà renommé, une forme d'aptitude à l'apnée cérébrale…. . – La Cour de justice de l'Union européenne a :
– Une décision complexe. – Ainsi, la Cour de justice de l'Union européenne,
  • réalisant une « pondération des droits et des intérêts opposés en cause dans le cadre de laquelle il doit être tenu compte de l'importance des droits de la personne concernée résultant des articles 7 et 8 de la Charte » ;
  • appréciant un juste équilibre entre, d'une part, l'intérêt économique du moteur de recherche et l'intérêt légitime des internautes potentiellement intéressés à avoir accès à des informations, et, d'autre part, les droits fondamentaux de la personne concernée ;
  • mesurant cet équilibre au regard de la nature de l'information en question et de sa sensibilité pour la vie privée de la personne concernée ainsi que l'intérêt du public à disposer de cette information, variant lui-même en fonction du rôle joué par cette personne dans la vie publique, qui pourrait renforcer l'intérêt du public à obtenir cette information lors de l'appréciation de cet équilibre ;
  • considérant que le traitement d'un moteur de recherche se distingue et s'ajoute à celui effectué par les éditeurs de sites web et affecte de manière additionnelle les droits fondamentaux de la personne concernée ; le premier pouvant être légitime et donc licite au regard de ses objectifs propres, sans légitimer le traitement complémentaire du second, notamment en raison de la publicité importante desdites informations réalisée par le traitement d'un moteur de recherche ;
  • et considérant que devenues inadéquates, pas ou plus pertinentes ou excessives au regard des finalités du traitement réalisé par l'exploitant du moteur de recherche, des informations et résultats de requête de moteur de recherche doivent être effacés, sans même que la personne concernée n'ait à justifier d'un préjudice ;
a décidé, non la suppression de l'information en cause du site web où elle figurait, mais la suppression, dans le seul moteur de recherche, des références nominatives de la personne concernée permettant d'y accéder Rapport du 113e Congrès des notaires de France, Lille, sept. 2017, ≠Familles ≠Solidarités ≠Numérique, 3e commission, no 3104. .
– Un nouveau droit singulier, à effet particulier. – Ainsi, après exercice du droit au déréférencement par la personne concernée, l'information est donc toujours accessible – il ne s'agit pas d'une demande d'opposition exercée auprès du site hébergeur des informations –, mais elle n'est plus proposée à la suite d'une recherche nominative sur le moteur ayant répondu favorablement à une demande de déréférencement.
Hors du périmètre du droit d'opposition ou du droit à l'effacement du traitement de données d'origine (site hébergeur), ou en cas de refus de leur mise en œuvre par celui-ci, la personne concernée peut distinctement obtenir d'un moteur de recherche le déréférencement de ces informations, pour limiter l'accessibilité à ces données néanmoins persistantes.
– Des conséquences tangibles. – Cette création jurisprudentielle a été l'occasion d'une petite révolution pour le monde d'internet en général et pour Google en particulier, qui, en plus d'être l'objet de la décision, était l'un des premiers concernés par son application en raison de sa position dominante de moteur de recherche. De nombreux articles de presse grand public ont relayé l'information www.lemonde.fr/societe/video/2014/06/04/droit-a-l-oubli-partiel-sur-google_4431909_3224.html">Lien . Google lui-même a mis en place un formulaire de demande de déréférencement, conduisant à plus de cent mille demandes en quelques mois !
Pour élaborer une doctrine, Google s'est entouré d'un panel d'experts qu'il a réunis à l'occasion d'un tour d'Europe du « droit à l'oubli » fin 2014.
Cette mise en œuvre de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne se réalise quoi qu'il en soit sous la surveillance des autorités de contrôle et des juridictions.