– Rappel des deux formes de responsabilités en matière de construction. – Afin de circonscrire les enjeux du BIM en matière de responsabilité, il est nécessaire de rappeler de manière succincte les régimes de responsabilité. En matière de construction, on distingue deux formes de responsabilités, avec d'une part les responsabilités spécifiques des constructeurs, dites aussi « garanties légales des constructeurs », et d'autre part les responsabilités dites « de droit commun » (contractuelle, délictuelle et quasi délictuelle
Le quasi-délit est un acte dommageable dont la responsabilité incombe à une personne qui n'a pas eu l'intention de nuire (c'est le cas de l'imprudence ou de la négligence). L'engagement de la responsabilité quasi délictuelle est très fréquent en matière de construction, car elle implique de nombreux acteurs qui peuvent commettre des fautes impactant d'autres acteurs du processus, sans lien contractuel.
ou pénale).
Rappel des formes de responsabilités et des assurances obligatoires en matière de construction
Rappel des formes de responsabilités et des assurances obligatoires en matière de construction
Les garanties légales des constructeurs sont traitées aux articles 1792 à 1792-7 du Code civil et comportent trois types de garantie : la garantie décennale, la garantie de bon fonctionnement (biennale) et la garantie de parfait achèvement. La garantie de parfait achèvement (dite « GPA ») incombe exclusivement à l'entrepreneur de travaux, et consiste en une réparation en nature facultative pour son bénéficiaire, qui peut choisir de mettre en œuvre la garantie décennale ou biennale, ou encore d'engager la responsabilité de l'entrepreneur pour obtenir une réparation financière. Elle ne présente pas d'enjeux particuliers au regard du BIM et des assurances et ne sera donc pas évoquée.
Les garanties légales (décennale et de bon fonctionnement) ont vocation à être mises en œuvre en priorité, et dès lors que leurs conditions d'application sont réunies, le droit commun est en principe exclu
Cass. 3e civ., 9 févr. 2011, no 09-71.498 : Constr.-Urb. 2011, comm. 59, obs. M.-L. Pagès-de Varenne.
. Il s'agit de responsabilités dites « de plein droit », qui ont l'avantage de ne pas nécessiter la démonstration d'une faute, mais seulement la survenance d'un dommage affectant l'ouvrage et l'imputabilité du dommage au constructeur (C. civ., art. 1792). La durée de la garantie varie selon que le dommage porte sur un élément d'équipement dissociable (dans ce cas la garantie est dite « de bon fonctionnement » et a une durée réduite à deux ans ; C. civ., art. 1793), ou sur toute autre partie de l'ouvrage (dans ce cas la garantie est dite « décennale » et dure dix ans). Le point de départ des garanties est la réception de l'ouvrage, telle que définie par le Code civil (C. civ., art. 792-6, al. 1). Seuls les vices qui ne sont pas visibles pour un non-professionnel de la construction au moment de la réception relèvent de la garantie, à l'inverse des vices apparents non réservés qui sont couverts par la réception
Cass. 3e civ., 19 sept. 2019, no 18-19.687.
. La mise en jeu de la garantie est subordonnée à une atteinte à la solidité de l'ouvrage ou à une impropriété à sa destination, contrôlée par le juge. Les redevables de la garantie sont les constructeurs de l'ouvrage au sens de l'article 1792-1, 1o du Code civil
C. civ., art. 1792-1 : « Est réputé constructeur de l'ouvrage : 1o Tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ; 2o Toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire ; 3o Toute personne qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d'un locateur d'ouvrage ».
, dans la limite de la mission qui leur a été confiée.
Les responsabilités de droit commun sont subsidiaires et ont vocation à s'appliquer quand les garanties légales sont écartées, à savoir avant la réception des travaux, et après, lorsque ses conditions d'application ne sont pas réunies. Avant la réception des travaux, la responsabilité peut être de nature contractuelle, quand la victime du préjudice est liée contractuellement avec le responsable (par ex., le maître d'ouvrage contre l'architecte)
Cass. 3e civ., 29 sept. 2016, no 15-21.839 : JurisData no 2016-022003 ; Constr.-Urb. 2016, comm. 148, obs. M.-L. Pagès-de Varenne.
, ou de nature délictuelle en l'absence de lien contractuel (par ex., entre le maître d'ouvrage et un sous-traitant). En présence de dommages intermédiaires ne revêtant pas la gravité nécessaire à la mise en jeu de la garantie décennale, la responsabilité des constructeurs est subordonnée à la preuve d'une faute sur le fondement de l'article 1231-1 du Code civil
Cass. 3e civ., 16 janv. 2020, no 18-22.748 : JurisData no 2020-000459.
.
La responsabilité contractuelle peut également trouver à s'appliquer afin de sanctionner une mauvaise exécution du contrat ne se traduisant pas en dommage sur l'ouvrage, un défaut du devoir d'information ou du devoir de conseil et de mise en garde, par exemple des entrepreneurs, architectes, bureaux de contrôle et d'étude selon l'étendue de leur mission.
La différence entre les garanties légales et les responsabilités de droit est réduite lorsque le constructeur est redevable d'une obligation de résultat, se traduisant par un régime de responsabilité sans faute. C'est ainsi que l'entrepreneur est assujetti à une obligation de résultat sans faute quant à la réalisation de travaux vis-à-vis du maître d'ouvrage
Cass. 3e civ., 2 févr. 2017, no 15-29.420 : JurisData no 2017-001547 ; Constr.-Urb. 2017, comm. 56, obs. M.-L. Pagès-de Varenne.
, et cette situation se reproduit entre l'entrepreneur et ses sous-traitants.
L'article 1792-4-3 du Code civil fixe à dix ans à compter de la réception le délai pour agir en responsabilité contre les constructeurs et les sous-traitants, sans distinguer selon la nature contractuelle ou délictuelle de l'action, ni selon la qualité du demandeur à l'action
Cass. 3e civ., 19 mars 2020, no 19-13.459 : JurisData no 2020-003958 ; JCP G 2020, 420 ; Constr.-Urb. 2020, comm. 70, obs. M.-L. Pagès-de Varenne.
. Toutefois, les actions en réparation des dommages apparus avant réception sont soumises au délai de prescription de droit commun de cinq ans à compter du jour où le demandeur a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action (C. civ., art. 2224)
Cass. 3e civ., 19 mars 2020, no 19-13.459 : JurisData no 2020-003958 ; Constr.-Urb. 2020, comm. 70, obs. M.-L. Pagès-de Varenne.
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– Rappel des deux assurances obligatoires en matière de construction – Les assurances obligatoires ont la même source législative
L. no 78-12, 4 janv. 1978, relative à la responsabilité et à l'assurance dans le domaine de la construction, codifiée s'agissant des assurances dans le Code des assurances (art. L. 241-1 à L. 243-9).
que la responsabilité des constructeurs dont elles sont indissociables. En effet, les responsabilités qui pèsent sur les constructeurs, souvent sans faute, peuvent « paraître excessives, [mais elles] se révèlent beaucoup plus supportables, dans la mesure où elles sont couvertes par une assurance obligatoire »
V. JCl. Construction-Urbanisme, Synthèse Assurances construction, 1er oct. 2019, par H. Périnet-Marquet.
. L'obligation d'assurance contient deux volets : une assurance de dommages qui est souscrite par le maître d'ouvrage afin de garantir le préfinancement des travaux nécessaires à la remédiation à un dommage, et une assurance de responsabilité qui doit être souscrite par chacun des constructeurs et qui couvre la responsabilité individuelle de chacun des acteurs de la construction, notamment dans les actions récursoires entraînées par l'assurance dommages ou entre les constructeurs. Ces deux assurances ne couvrent que les seuls dommages de nature décennale, qui dépend ainsi de l'appréciation des dispositions du Code civil relatives à la garantie décennale. Toutefois, certains ouvrages sont expressément exclus de l'assurance obligatoire
C. assur., art. L. 243-1-1 : « Les obligations d'assurance ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l'ouverture du chantier à l'exception de ceux qui, totalement incorporés dans l'ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles ».
, notamment les infrastructures de transport (routières, portuaires, aéroportuaires, etc.), les ouvrages sportifs ouverts, et les ouvrages existants sauf lorsqu'ils sont incorporés à l'ouvrage neuf et en deviennent indivisibles.
L'assurance dommages-ouvrage est souscrite par le propriétaire de l'ouvrage qui fait réaliser des travaux de construction, et elle ne peut être mise en œuvre que par le propriétaire au jour de la survenance du dommage. En cas de vente, et sauf clause contraire, l'acquéreur a seul qualité à agir en paiement des indemnités d'assurance contre l'assureur, même si la déclaration de sinistre a été effectuée avant la vente
Cass. 3e civ., 15 sept. 2016, no 15-21.630.
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L'assurance responsabilité civile
C. assur., art. L. 241-1 :« Toute personne physique ou morale, dont la responsabilité décennale peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du Code civil, doit être couverte par une assurance ».
doit être souscrite par tout constructeur au sens de l'article 1792 du Code civil, ce qui inclut notamment la maîtrise d'œuvre (architecte, bureau d'études, ingénieurs) et les entreprises de travaux, mais également le maître d'ouvrage ou sous-mandataire lorsqu'il fait construire et vend, après achèvement, un ouvrage qu'il a édifié ou fait édifier. Les bénéficiaires de l'assurance sont toutes les « victimes » potentielles d'un préjudice, avec en premier lieu l'assureur de dommages dans son action récursoire contre le constructeur responsable du dommage, qui sont le maître d'ouvrage, les constructeurs entre eux et même le constructeur assuré. Les exclusions de garantie sont illicites en dehors des cas expressément prévus par le Code des assurances.
Le défaut d'assurance, lorsqu'elle est obligatoire, est pénalement sanctionné
C. assur., art. L. 243-3 : « Quiconque contrevient aux dispositions des articles L. 241-1 à L. 242-1 du présent code sera puni d'un emprisonnement de six mois et d'une amende de 75 000 euros ou de l'une de ces deux peines seulement (…) ».
et peut entraîner la mise en œuvre de la responsabilité du constructeur qui doit à tout moment pouvoir justifier de ses obligations
C. assur., art. L.243-2 : « Les personnes soumises aux obligations prévues par les articles L. 241-1 à L. 242-1 du présent code doivent justifier qu'elles ont satisfait auxdites obligations (…) ».
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Toute mutation en propriété ou en jouissance, à l'exclusion des baux à loyers, qui interviendrait avant l'expiration de la période de garantie doit mentionner dans l'acte ou en annexe l'existence ou l'absence des assurances obligatoires
C. assur., art. L. 243-2 : « Lorsqu'un acte intervenant avant l'expiration du délai de dix ans prévu à l'article 1792-4-1 du Code civil a pour effet de transférer la propriété ou la jouissance du bien, quelle que soit la nature du contrat destiné à conférer ces droits, à l'exception toutefois des baux à loyer, mention doit être faite dans le corps de l'acte ou en annexe de l'existence ou de l'absence des assurances mentionnées au premier alinéa du présent article. L'attestation d'assurance mentionnée au deuxième alinéa y est annexée ».
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Cette obligation d'information n'empêche pas la vente de l'ouvrage
Cass. 3e civ., 2 mars 2011, no 09-72.576 : JurisData no 2011-002602 ; RD imm. 2011, p. 290, obs. Malinvaud ; Constr.-Urb. 2011, comm. 76, obs. Pagès-de Varenne.
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