Les questions de responsabilité et d'assurances dans le BIM

Les questions de responsabilité et d'assurances dans le BIM

– L'enjeu de la responsabilité et des assurances dans le BIM. – La construction est une source importante de contentieux et de responsabilité, ce qui a justifié des régimes de responsabilités particuliers et des obligations d'assurances fortes afin de prémunir les personnes lésées contre l'impécuniosité d'une personne fautive et d'offrir des solutions dans un temps plus court que celui du système judiciaire Pour une présentation synthétique de la garantie V. JCl. Responsabilité civile et Assurances, Synthèse Construction, par S. Bertolaso. . Le BIM, en tant que nouvel outil mais également en tant que méthode de travail collaborative, induit une adaptation des modalités d'exécution des prestations et des fonctions complémentaires dans la conduite des travaux. La jurisprudence a déjà eu l'occasion de consacrer un devoir de collaboration entre les intervenants à l'acte de construire V. Cass. 3e civ., 2 juin 2016, no 15-16.981, publié au bulletin ; Constr.-Urb. 2016, 28, note M.-L. Pagès-de Varenne. , mais le processus BIM va bien au-delà. Ces modifications sont-elles de nature à bouleverser un droit de la responsabilité et des assurances en matière de construction ?
Cette question sera successivement abordée sous l'angle des régimes de responsabilité des acteurs de la construction (Sous-section I) et des assurances de construction (Sous-section II) .

Rappel des formes de responsabilités et des assurances obligatoires en matière de construction

– Rappel des deux formes de responsabilités en matière de construction. – Afin de circonscrire les enjeux du BIM en matière de responsabilité, il est nécessaire de rappeler de manière succincte les régimes de responsabilité. En matière de construction, on distingue deux formes de responsabilités, avec d'une part les responsabilités spécifiques des constructeurs, dites aussi « garanties légales des constructeurs », et d'autre part les responsabilités dites « de droit commun » (contractuelle, délictuelle et quasi délictuelle Le quasi-délit est un acte dommageable dont la responsabilité incombe à une personne qui n'a pas eu l'intention de nuire (c'est le cas de l'imprudence ou de la négligence). L'engagement de la responsabilité quasi délictuelle est très fréquent en matière de construction, car elle implique de nombreux acteurs qui peuvent commettre des fautes impactant d'autres acteurs du processus, sans lien contractuel. ou pénale).
Les garanties légales des constructeurs sont traitées aux articles 1792 à 1792-7 du Code civil et comportent trois types de garantie : la garantie décennale, la garantie de bon fonctionnement (biennale) et la garantie de parfait achèvement. La garantie de parfait achèvement (dite « GPA ») incombe exclusivement à l'entrepreneur de travaux, et consiste en une réparation en nature facultative pour son bénéficiaire, qui peut choisir de mettre en œuvre la garantie décennale ou biennale, ou encore d'engager la responsabilité de l'entrepreneur pour obtenir une réparation financière. Elle ne présente pas d'enjeux particuliers au regard du BIM et des assurances et ne sera donc pas évoquée.
Les garanties légales (décennale et de bon fonctionnement) ont vocation à être mises en œuvre en priorité, et dès lors que leurs conditions d'application sont réunies, le droit commun est en principe exclu Cass. 3e civ., 9 févr. 2011, no 09-71.498 : Constr.-Urb. 2011, comm. 59, obs. M.-L. Pagès-de Varenne. . Il s'agit de responsabilités dites « de plein droit », qui ont l'avantage de ne pas nécessiter la démonstration d'une faute, mais seulement la survenance d'un dommage affectant l'ouvrage et l'imputabilité du dommage au constructeur (C. civ., art. 1792). La durée de la garantie varie selon que le dommage porte sur un élément d'équipement dissociable (dans ce cas la garantie est dite « de bon fonctionnement » et a une durée réduite à deux ans ; C. civ., art. 1793), ou sur toute autre partie de l'ouvrage (dans ce cas la garantie est dite « décennale » et dure dix ans). Le point de départ des garanties est la réception de l'ouvrage, telle que définie par le Code civil (C. civ., art. 792-6, al. 1). Seuls les vices qui ne sont pas visibles pour un non-professionnel de la construction au moment de la réception relèvent de la garantie, à l'inverse des vices apparents non réservés qui sont couverts par la réception Cass. 3e civ., 19 sept. 2019, no 18-19.687. . La mise en jeu de la garantie est subordonnée à une atteinte à la solidité de l'ouvrage ou à une impropriété à sa destination, contrôlée par le juge. Les redevables de la garantie sont les constructeurs de l'ouvrage au sens de l'article 1792-1, 1o du Code civil C. civ., art. 1792-1 : « Est réputé constructeur de l'ouvrage : 1o Tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ; 2o Toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire ; 3o Toute personne qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d'un locateur d'ouvrage ». , dans la limite de la mission qui leur a été confiée.
Les responsabilités de droit commun sont subsidiaires et ont vocation à s'appliquer quand les garanties légales sont écartées, à savoir avant la réception des travaux, et après, lorsque ses conditions d'application ne sont pas réunies. Avant la réception des travaux, la responsabilité peut être de nature contractuelle, quand la victime du préjudice est liée contractuellement avec le responsable (par ex., le maître d'ouvrage contre l'architecte) Cass. 3e civ., 29 sept. 2016, no 15-21.839 : JurisData no 2016-022003 ; Constr.-Urb. 2016, comm. 148, obs. M.-L. Pagès-de Varenne. , ou de nature délictuelle en l'absence de lien contractuel (par ex., entre le maître d'ouvrage et un sous-traitant). En présence de dommages intermédiaires ne revêtant pas la gravité nécessaire à la mise en jeu de la garantie décennale, la responsabilité des constructeurs est subordonnée à la preuve d'une faute sur le fondement de l'article 1231-1 du Code civil Cass. 3e civ., 16 janv. 2020, no 18-22.748 : JurisData no 2020-000459. .
La responsabilité contractuelle peut également trouver à s'appliquer afin de sanctionner une mauvaise exécution du contrat ne se traduisant pas en dommage sur l'ouvrage, un défaut du devoir d'information ou du devoir de conseil et de mise en garde, par exemple des entrepreneurs, architectes, bureaux de contrôle et d'étude selon l'étendue de leur mission.
La différence entre les garanties légales et les responsabilités de droit est réduite lorsque le constructeur est redevable d'une obligation de résultat, se traduisant par un régime de responsabilité sans faute. C'est ainsi que l'entrepreneur est assujetti à une obligation de résultat sans faute quant à la réalisation de travaux vis-à-vis du maître d'ouvrage Cass. 3e civ., 2 févr. 2017, no 15-29.420 : JurisData no 2017-001547 ; Constr.-Urb. 2017, comm. 56, obs. M.-L. Pagès-de Varenne. , et cette situation se reproduit entre l'entrepreneur et ses sous-traitants.
L'article 1792-4-3 du Code civil fixe à dix ans à compter de la réception le délai pour agir en responsabilité contre les constructeurs et les sous-traitants, sans distinguer selon la nature contractuelle ou délictuelle de l'action, ni selon la qualité du demandeur à l'action Cass. 3e civ., 19 mars 2020, no 19-13.459 : JurisData no 2020-003958 ; JCP G 2020, 420 ; Constr.-Urb. 2020, comm. 70, obs. M.-L. Pagès-de Varenne. . Toutefois, les actions en réparation des dommages apparus avant réception sont soumises au délai de prescription de droit commun de cinq ans à compter du jour où le demandeur a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action (C. civ., art. 2224) Cass. 3e civ., 19 mars 2020, no 19-13.459 : JurisData no 2020-003958 ; Constr.-Urb. 2020, comm. 70, obs. M.-L. Pagès-de Varenne. .
– Rappel des deux assurances obligatoires en matière de construction – Les assurances obligatoires ont la même source législative L. no 78-12, 4 janv. 1978, relative à la responsabilité et à l'assurance dans le domaine de la construction, codifiée s'agissant des assurances dans le Code des assurances (art. L. 241-1 à L. 243-9). que la responsabilité des constructeurs dont elles sont indissociables. En effet, les responsabilités qui pèsent sur les constructeurs, souvent sans faute, peuvent « paraître excessives, [mais elles] se révèlent beaucoup plus supportables, dans la mesure où elles sont couvertes par une assurance obligatoire » V. JCl. Construction-Urbanisme, Synthèse Assurances construction, 1er oct. 2019, par H. Périnet-Marquet. . L'obligation d'assurance contient deux volets : une assurance de dommages qui est souscrite par le maître d'ouvrage afin de garantir le préfinancement des travaux nécessaires à la remédiation à un dommage, et une assurance de responsabilité qui doit être souscrite par chacun des constructeurs et qui couvre la responsabilité individuelle de chacun des acteurs de la construction, notamment dans les actions récursoires entraînées par l'assurance dommages ou entre les constructeurs. Ces deux assurances ne couvrent que les seuls dommages de nature décennale, qui dépend ainsi de l'appréciation des dispositions du Code civil relatives à la garantie décennale. Toutefois, certains ouvrages sont expressément exclus de l'assurance obligatoire C. assur., art. L. 243-1-1 : « Les obligations d'assurance ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l'ouverture du chantier à l'exception de ceux qui, totalement incorporés dans l'ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles ». , notamment les infrastructures de transport (routières, portuaires, aéroportuaires, etc.), les ouvrages sportifs ouverts, et les ouvrages existants sauf lorsqu'ils sont incorporés à l'ouvrage neuf et en deviennent indivisibles.
L'assurance dommages-ouvrage est souscrite par le propriétaire de l'ouvrage qui fait réaliser des travaux de construction, et elle ne peut être mise en œuvre que par le propriétaire au jour de la survenance du dommage. En cas de vente, et sauf clause contraire, l'acquéreur a seul qualité à agir en paiement des indemnités d'assurance contre l'assureur, même si la déclaration de sinistre a été effectuée avant la vente Cass. 3e civ., 15 sept. 2016, no 15-21.630. .
L'assurance responsabilité civile C. assur., art. L. 241-1 :« Toute personne physique ou morale, dont la responsabilité décennale peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du Code civil, doit être couverte par une assurance ». doit être souscrite par tout constructeur au sens de l'article 1792 du Code civil, ce qui inclut notamment la maîtrise d'œuvre (architecte, bureau d'études, ingénieurs) et les entreprises de travaux, mais également le maître d'ouvrage ou sous-mandataire lorsqu'il fait construire et vend, après achèvement, un ouvrage qu'il a édifié ou fait édifier. Les bénéficiaires de l'assurance sont toutes les « victimes » potentielles d'un préjudice, avec en premier lieu l'assureur de dommages dans son action récursoire contre le constructeur responsable du dommage, qui sont le maître d'ouvrage, les constructeurs entre eux et même le constructeur assuré. Les exclusions de garantie sont illicites en dehors des cas expressément prévus par le Code des assurances.
Le défaut d'assurance, lorsqu'elle est obligatoire, est pénalement sanctionné C. assur., art. L. 243-3 : « Quiconque contrevient aux dispositions des articles L. 241-1 à L. 242-1 du présent code sera puni d'un emprisonnement de six mois et d'une amende de 75 000 euros ou de l'une de ces deux peines seulement (…) ». et peut entraîner la mise en œuvre de la responsabilité du constructeur qui doit à tout moment pouvoir justifier de ses obligations C. assur., art. L.243-2 : « Les personnes soumises aux obligations prévues par les articles L. 241-1 à L. 242-1 du présent code doivent justifier qu'elles ont satisfait auxdites obligations (…) ». .
Toute mutation en propriété ou en jouissance, à l'exclusion des baux à loyers, qui interviendrait avant l'expiration de la période de garantie doit mentionner dans l'acte ou en annexe l'existence ou l'absence des assurances obligatoires C. assur., art. L. 243-2 : « Lorsqu'un acte intervenant avant l'expiration du délai de dix ans prévu à l'article 1792-4-1 du Code civil a pour effet de transférer la propriété ou la jouissance du bien, quelle que soit la nature du contrat destiné à conférer ces droits, à l'exception toutefois des baux à loyer, mention doit être faite dans le corps de l'acte ou en annexe de l'existence ou de l'absence des assurances mentionnées au premier alinéa du présent article. L'attestation d'assurance mentionnée au deuxième alinéa y est annexée ». .
Cette obligation d'information n'empêche pas la vente de l'ouvrage Cass. 3e civ., 2 mars 2011, no 09-72.576 : JurisData no 2011-002602 ; RD imm. 2011, p. 290, obs. Malinvaud ; Constr.-Urb. 2011, comm. 76, obs. Pagès-de Varenne. .

La responsabilité des acteurs de la construction en BIM

En phase de conception/construction et jusqu'à la livraison, la responsabilité contractuelle de droit commun permet au maître d'ouvrage d'actionner la maîtrise d'œuvre ou les entreprises dès lors qu'il subit un préjudice. L'emploi du BIM pourra durant cette phase être source de responsabilité en cas de mauvais usage de la maquette par rapport aux contrats BIM (cahier des charges, conventions BIM), de retard de livraison ou encore d'erreurs dans la maquette, comme cela est déjà le cas pour les outils et livrables traditionnels du processus de construction. Sauf rédaction particulière, les architectes et conseils sont tenus à une obligation de moyens, là où les entreprises sont tenues à une obligation de résultat. Aussi le maître d'ouvrage pourrait poursuivre les entreprises sans faute, en cas de mauvaise exécution des contrats BIM, et devrait prouver une faute de l'architecte. Le BIM, dans la mesure où il présente des garanties de traçabilité des échanges, pourrait aider à caractériser facilement les fautes de l'architecte.
Post livraison, les garanties légales de construction couvriront les dommages à l'ouvrage et les malfaçons, sans que le BIM ne semble impacter la nature des garanties et les responsabilités. En tant que tel, le BIM est un outil qui ne peut pas être l'objet d'un vice de construction au sens du Code civil, et donc objet direct de la garantie décennale. Toutefois, le mauvais usage du BIM pourrait conduire à des non-conformités, malfaçons ou dommages concrets sur l'ouvrage, qui engageront à ce titre la responsabilité traditionnelle de leurs auteurs. Pour le moment, la base de données BIM ne constitue pas le référentiel contractuel des prestations qui demeurent exprimées dans des plans et notices littéraires annexés aux contrats (marchés, vente en l'état futur d'achèvement, contrat de promotion, etc.), et elle ne devrait pas à ce titre être source de défaut de conformité. Toutefois, il faut s'interroger sur la responsabilité associée à une publicité trompeuse de la maquette BIM qui ne se traduirait pas dans les documents contractuels signés. Le maître d'ouvrage devra être vigilant à ce sujet.
La responsabilité de droit commun pourrait également trouver à s'appliquer en cas d'erreur ou de dysfonctionnement de la maquette finale remise à la livraison, ou en cas de contre-performance objective du modèle par rapport aux prévisions de la conception, notamment pour défaut de conseil. L'enjeu est de déterminer s'il s'agirait dans ce cas d'une responsabilité sans faute sanctionnant une obligation de résultat ou une obligation de moyens nécessitant de démontrer une faute.
Du point de vue du maître d'ouvrage, l'effet des garanties légales et obligations contractuelles de résultat conduit à ce qu'un constructeur soit reconnu coupable pour l'intégralité du dommage. Le BIM ne semble pas impacter significativement la couverture des risques inhérents à la construction, et devrait en principe améliorer sa situation en ajoutant possiblement de nouvelles garanties et en optimisant le processus de construction, avec une meilleure traçabilité des échanges et des éventuelles fautes.
– Le BIM présente un enjeu de responsabilité fort pour les constructeurs. – En tant que nouveau support des échanges, impactant la séquence habituelle de la construction, le BIM peut être source de nouvelles responsabilités pour les constructeurs dont ils ne mesureront pas toujours la portée V. X. Pican, président du Plan transition numérique dans le bâtiment, mission « Droit du numérique et bâtiment » : « La principale inquiétude du groupe de travail a été celle de la répartition de la responsabilité entre les contributeurs de la maquette. Le BIM est un outil favorisant le gain d'efficacité et de temps, permettant en principe de limiter les retards et les erreurs. Cependant, le numérique n'empêche pas la reproduction et la systématisation des erreurs, au contraire ». . Les garanties légales ne sont pas directement impactées dans la mesure où elles concernent les dommages post-livraison sur l'ouvrage construit, sans lien direct avec le BIM et la maquette, même si une faute commise dans la procédure BIM peut induire une malfaçon véritable sur l'ouvrage. Le véritable enjeu du BIM en matière de responsabilité pour les constructeurs semble ainsi se reporter sur les responsabilités contractuelles et délictuelles ou quasi délictuelles, et subséquemment le jeu des assurances de responsabilité. Ces responsabilités ont vocation à être engagées en phase de conception-réalisation, réception et post-achèvement.
En phase de conception-réalisation de l'ouvrage, les intervenants à l'acte de construire seront liés au maître d'ouvrage par des contrats incluant des contrats BIM (cahier des charges, convention BIM, etc.), sanctionnés vis-à-vis de leur cocontractant par une action en responsabilité contractuelle. Ainsi, concernant le BIM, le non-respect des délais, le mauvais format des fichiers, les erreurs dans les livraisons de maquettes ou encore la défaillance pourraient fonder une action en responsabilité contractuelle du maître d'ouvrage dès lors qu'un dommage et un lien de causalité sont établis. Selon que l'on considère que l'obligation du constructeur est de résultat ou de moyens, ce qui pourra être précisé dans le contrat, le maître d'ouvrage devra démontrer, ou non, la faute de son cocontractant. Les constructeurs devront donc parfaitement maîtriser la portée des engagements qu'ils souscrivent au regard de la démarche BIM.
Il n'existe souvent pas de lien contractuel entre les constructeurs, qui peuvent quand même souffrir d'un préjudice lié à une mauvaise exécution par un autre acteur du projet, ou partager la responsabilité d'un dommage causé au maître d'ouvrage, leur permettant d'exercer entre eux des actions récursoires au titre de la responsabilité quasi délictuelle, qui nécessitent la démonstration d'une faute. Cela pourrait par exemple être le cas si une entreprise ne délivre pas sa maquette et que cela bloque l'ensemble du processus BIM, ou si de mauvaises données sont diffusées, pouvant causer une majoration de coût, des pénalités ou un retard d'une autre entreprise qui pourra l'actionner en responsabilité délictuelle. De ce point de vue, la démarche BIM semble être un enjeu fort de responsabilité entre les constructeurs entre eux, dès lors qu'ils ont vis-à-vis du maître d'ouvrage une forme de responsabilité collective. Les représentants des filières devraient ainsi se concerter pour convenir d'un socle de régime de responsabilité ou pratique de marché.
En phase de réception et post-réception, le régime de responsabilité de droit commun sera résiduel et ne trouvera à s'appliquer qu'à défaut d'application des garanties légales. Il a été établi que le BIM ne serait possiblement pas une source de garantie décennale/biennale, faute d'être relié à un dommage sur l'ouvrage au sens du Code civil. Comment seraient alors sanctionnés les erreurs ou le dysfonctionnement de la base BIM remise au maître d'ouvrage, et quel serait le délai du maître d'ouvrage pour agir ? Les enjeux de cette question ne seront pas les mêmes selon que le contrat prévoit ou non la remise d'un dossier des ouvrages exécutés en BIM. Actuellement la jurisprudence considère que le maître d'œuvre est tenu à une obligation de résultat au titre de l'élément de mission « Dossier des ouvrages exécutés (DOE) » CAA Paris, 15 déc. 2008, no 06PA00229, Yovan X. , qui sera porté par l'architecte en matière de commande publique, et pourra éventuellement être déporté sur un coordonnateur ou un prestataire spécialisé (comme un BIM Manager) hors commande publique. Il semble donc que le maître d'ouvrage pourra dans ce cas agir en responsabilité, sans faute, en vue d'obtenir le DOE en BIM complet et fonctionnel. Si la base BIM constitue un des livrables hors DOE, la responsabilité éventuelle des contributeurs dépendrait du contrat, et serait sans doute une responsabilité pour faute.
Concernant le délai d'action, s'agissant d'une prestation contractuelle contemporaine à la livraison/réception, la Cour de cassation a admis que la responsabilité de droit commun de l'entrepreneur et de l'architecte ne subsisterait concurremment avec la garantie de parfait achèvement que jusqu'à la fin de cette période de garantie et la levée des réserves Cass. 3e civ., 28 janv. 1998, no 96-13.460 : JurisData no 1998-000233 ; Bull. civ. 1998, III, no 19 ; JCP G 1998, I, 187, no 30, note G. Viney ; RD imm. 1998, p. 257, note Ph. Malinvaud. . En appliquant cette solution, le maître d'ouvrage ne pourrait plus agir en responsabilité au titre d'erreur ou de mauvais fonctionnement de la maquette au-delà de cette période. Il est donc primordial que le maître d'ouvrage attache une attention particulière à la conformité de la base BIM, éventuellement avec une mission spéciale pour un AMO BIM.
– La responsabilité des nouveaux acteurs du BIM. – La démarche BIM implique de nouveaux acteurs endossant un rôle de conseil, pour l'AMO BIM ; une mission de coordination de la construction de la base BIM, pour le BIM Manager ; et enfin des fonctions d'alimentation et de synthèse des contributions, pour le BIM modeleur et le BIM coordinateur. Ces deux derniers métiers, qui sont les seuls définis réglementairement à ce jour, sont intégrés dans les équipes en interne, cotraitance ou sous-traitance de la maîtrise d'œuvre ou des entreprises et sont donc sujets aux responsabilités classiques des métiers auxquels ils s'intègrent. S'agissant de l'AMO BIM, il s'agit d'un conseiller qui n'intervient pas dans la conception et la réalisation et ne constitue pas un constructeur au sens du Code civil, sujet uniquement de responsabilité contractuelle de droit commun. Le BIM Manager pose plus de difficulté de qualification et a très vite interrogé les praticiens quant à l'application des garanties légales V. not. J. Roussel, BIM, maquette numérique et assurance construction : RD imm. 2017, p. 515. .
  • à l'élaboration de la convention et son suivi ; [la préparation des conventions BIM] ;
  • à la consolidation de la maquette aux points d'étape ;
  • à la conversion des objectifs BIM du projet en usages BIM [passage de la charte BIM/cahier des charges BIM à la convention BIM] ;
  • au contrôle qualité du respect de la réalisation des cas d'usage.
Cette définition très large traduit plus la finalité de la mission que sa consistance. L'enjeu de la qualification du BIM Manager au regard des questions de responsabilité et d'assurance est de savoir s'il constitue un constructeur au sens de l'article 1792-1 du Code civil.
Le BIM Management n'est pas défini par des textes, et l'étendue des missions de BIM Manager est purement contractuelle et pourra varier d'un projet à l'autre. Selon Mediaconstruct France Définition par buildingSMART-MediaConstruct France dans le guide « Le BIM et la transformation numérique du secteur de la construction » (www.buildingsmartfrance-mediaconstruct.fr">Lien). , le BIM Management consiste :
– Les missions du BIM Management déterminent l'étendue de sa responsabilité. – Tout d'abord, si la mission de BIM Management est intégrée dans le marché des acteurs classiques de la maîtrise d'œuvre ou des entreprises et exercée par eux directement ou en sous-traitance L'article 1792-1, 1o du Code civil écarte implicitement les sous-traitants du domaine de la responsabilité spécifique des constructeurs et des assurances obligatoires – Cass. 3e civ., 10 janv. 2001, nos 99-11.374 et 99-13.897 : JurisData nos 2001-007715 et 2001-007717 ; Bull. civ. 2001, III, no 3 ; Resp. civ. et assur. 2001, comm. 85 ; RD imm. 2001, p. 166, note H. Périnet-Marquet. , il ne fait aucun doute qu'ils seront redevables des garanties légales des constructeurs dans l'exercice de la mission. L'enjeu concerne donc les acteurs du BIM Management exerçant au titre d'un contrat avec le maître d'ouvrage, en direct et seul dans un contrat séparé, ou en cotraitance avec les entreprises ou la maîtrise d'œuvre.
Le BIM Manager n'est pas architecte ou entrepreneur, mais pourrait être considéré comme un « technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage » au sens du Code civil. La Cour de cassation a déjà reconnu cette qualité à un coordinateur de travaux chargé, en cours de chantier, d'assurer la coordination temporelle et spatiale des actions des différents acteurs de la construction Cass. 3e civ., 26 mai 2010, no 08-19.925 : RD imm. 2010, p. 491, note F. de Béchillon-Boraud. , ou à un fabricant qui a donné des instructions techniques Cass. 3e civ., 28 févr. 2018, no 17-15.962 : JurisData no 2018-002741 ; Constr.-Urb. 2018, comm. 59, M.-L. Pagès-de Varenne. mais refuse cette qualité au contrôleur technique Cass. 3e civ., 22 mai 2012, no 11-11.945. , même s'il reste par ailleurs tenu à la garantie décennale au titre du Code de la construction et de l'habitation CCH, art. L. 111-24, al. 1er : « Le contrôleur technique est soumis, dans les limites de la mission à lui confiée par le maître de l'ouvrage à la présomption de responsabilité édictée par les articles 1792,1792-1 et 1792-2 du Code civil (…) ». .
Dans les contrats de BIM Management, il semble que la pratique courante soit d'écarter toute décision technique à la charge du BIM Manager, le rôle de ce dernier restant limité à la mise à disposition d'un savoir-faire informatique pour la conception de la base BIM (une sorte d'architecte de la maquette BIM), et au contrôle de l'alimentation de la maquette sous la responsabilité exclusive des constructeurs (sorte de bureau de contrôle des contributions), sans exercer aucune mission de synthèse ou de détection des conflits ou anomalies avec le chantier. Dans ce contexte, on pourrait raisonnablement penser que le rôle du BIM Manager est assez proche du contrôleur technique, avec pour rôle de contrôler formellement les contributions de la maquette sans se substituer au maître d'œuvre, aux entrepreneurs, ou autres techniciens intervenant sur le chantier, qui l'alimentent sous leur responsabilité, et donc non redevable des garanties légales.
D'autres contrats du BIM Management incluent des missions de synthèse et de détection des conflits, en proposant éventuellement des solutions pour les interférences identifiées. Dans ce cas, le BIM Manager est très proche des professionnels chargés des missions de synthèse qui sont sujets à la garantie décennale. La question est alors de savoir si sa mission est susceptible de générer un dommage de nature décennale. Le demandeur n'a pas à faire la preuve d'une faute du constructeur débiteur de la garantie décennale, mais doit en revanche établir l'imputabilité du dommage décennal aux travaux réalisés par le constructeur. Dans la mesure où le BIM Manager aura en principe un rôle très résiduel sur la conception et la réalisation des travaux, le lien entre le dommage et sa mission pourrait être délicat à établir. Il semble que le plus souvent, la responsabilité du BIM Manager devra être recherchée sur le fondement de la responsabilité contractuelle ou délictuelle, avec la démonstration d'une faute.
– La base BIM, un équipement soumis à la garantie de bon fonctionnement ? – Les objets connectés et la domotique prennent une place de plus en plus importante dans la gestion et l'exploitation des immeubles V. supra, nos et s. . Le juge a déjà eu l'occasion de reconnaître que la défaillance du système de domotique pouvait constituer un désordre soumis à la garantie de bon fonctionnement prévue à l'article 1792-3 du Code civil, en écartant la garantie décennale Cass. 3e civ., 26 févr. 2003, SMABTP c/ Assoc. Aful Foncière Urbaine Libre Îlot 2.1 Zac Front de Seine : JurisData no 2003-017909. .
La base BIM exploitation, dès lors qu'elle sert de support à la gestion de l'immeuble, pourrait-elle constituer un équipement de l'immeuble ? À ce jour, aucune décision de jurisprudence n'a reconnu la qualification d'équipement dissociable à un objet entièrement numérique et immatériel. Mais concrètement, un maître d'ouvrage qui perdrait toute sa base BIM et ne pourrait plus gérer les énergies et l'entretien de l'immeuble se trouverait dans une situation assez proche d'une défaillance physique des équipements en eux-mêmes. La maquette BIM pourrait devenir le support des techniciens devant intervenir sur l'immeuble en phase d'exploitation, et devra donc refléter à tout moment une vision exacte de l'immeuble existant, ou encore pourrait être l'outil privilégié des techniciens lors d'audits techniques de l'immeuble, à l'occasion d'une acquisition par exemple V. M. Pastier-Mollet et J. Guinot-Déléry, Le BIM : contrats et responsabilité : Act. prat. ing. immobilière avr. 2018, no 2, 2. .
Dès lors que le numérique deviendra un outil obligatoire, notamment pour les bâtiments tertiaires avec l'obligation de réduction des consommations et de gestion numérique de l'énergie V. infra, no . , ne faut-il pas admettre qu'une base de données puisse devenir un équipement à part entière de l'immeuble, sujet à la garantie de bon fonctionnement ? Il semble que la question mérite d'être posée.

Les assurances construction et le BIM

– Le BIM, un objet à identifier par les assureurs. – Le BIM intervient dans un contexte de déploiement de techniques, procédés et matériaux innovants qui, par définition, ne bénéficient pas d'un retour d'expérience suffisant pour en appréhender précisément les risques.
D'un côté, le BIM devrait permettre une meilleure traçabilité L'utilisation de la technologie blockchain pourrait servir à assurer la traçabilité de chaque opération réalisée sur la maquette BIM, et pourrait donc être de nature à garantir cette traçabilité. des échanges et contributions à l'acte de construire, que ce soit en phase de conception ou en phase de réalisation. À ce titre, le BIM est un puissant vecteur de maîtrise du risque et de gestion des coûts globaux d'une opération de construction, et offre au secteur de l'assurance la possibilité d'anticiper la maîtrise des risques et des coûts de leurs propres offres assurantielles V. S. Rome, Assurance et construction durable : où en est-on ? : Opérations Immobilières mars 2018, no 103, 35381695. . Dans l'hypothèse d'un sinistre, l'expert devrait pouvoir consulter la base BIM comme un élément permettant, le cas échéant, de déterminer les responsabilités, l'accès et le maintien de la base BIM devant être organisés dans les contrats, au moins pour la durée des garanties.
D'un autre côté, le BIM transporte de nouveaux risques en cas de dysfonctionnement de la base BIM (risques de détérioration, perte ou piratage des données numérisées, erreurs de conception ou d'alimentation de la maquette, etc.), dont la portée sur le chantier et l'exploitation sont difficilement appréciables à l'heure actuelle, mais qui ne semblent pas relever de la garantie légale des constructeurs soumis à assurance obligatoire.
En tant qu'outil futur d'exploitation de l'immeuble, la question d'un dysfonctionnement de la base BIM pourrait se traduire par une mauvaise performance énergétique de l'immeuble. Ce risque a été, de fait, écarté de la responsabilité décennale par le législateur dans sa rédaction de l'article L. 111-13-1 du Code de la construction et de l'habitation, qui subordonne le dommage à « une surconsommation énergétique ne permettant l'utilisation de l'ouvrage qu'à un coût exorbitant ». En pratique, il ne semble pas que l'outil informatique puisse être source d'une contre-performance aussi excessive du bâtiment en dehors d'autres facteurs externes. D'ailleurs, à ce jour, aucune compagnie d'assurance n'accepte de couvrir le contrat de performance énergétique.
– L'impact du BIM sur les obligations d'assurance des acteurs traditionnels de la construction. – Pour les acteurs traditionnels de la construction, reconnus comme constructeurs au sens du Code civil, l'utilisation du BIM ne semble pas devoir être assimilée à la situation où l'assuré exercerait une activité qui ne relèverait pas du secteur d'activité déclaré au sens qu'en retient la jurisprudence V. Cass. 1re civ., 29 avr. 1997, no 95-10.187 : Bull. civ. 1997, I, no 131 ; D. 1997, 121 ; adde J. Roussel et S. Becqué-Ickowicz, op. cit., p. 240 et s. . Le BIM resterait à ce titre un simple outil dont l'information ne serait pas obligatoire pour l'assuré. Il semble toutefois prudent que les constructeurs le mentionnent dans les contrats pour éviter toute difficulté à ce sujet, surtout s'ils endossent des missions de BIM Management.
La Mutuelle des architectes français, assureur historique de la profession d'architecte, a intégré dans ses polices d'assurance les missions BIM de ses sociétaires, des contrats qui fixent les définitions, les rôles, les responsabilités, avec des outils pour formaliser cette nouvelle acception du risque. Les architectes devront vérifier l'adéquation de leurs contrats avec ces dispositions.
Afin de couvrir les risques du numérique pendant la phase de construction, la Société mutuelle d'assurances du bâtiment et travaux publics (SMABTP) a lancé en mai 2018 le contrat « tous risques chantier cyber » (TRC cyber), qui couvre le risque de poursuite du chantier après une cyberattaque, en prenant en charge ses conséquences financières, y compris les pertes d'exploitation.
– Les assurances du BIM Management . – Dans l'hypothèse où le BIM Manager exerce une activité permettant de le qualifier de constructeur, il doit être titulaire d'une assurance permettant de couvrir sa responsabilité décennale. En revanche, dans l'hypothèse où le BIM Manager n'exerce pas d'activité permettant de le qualifier de constructeur, il est alors responsable sur le fondement du droit commun de la responsabilité. Certains auteurs recommandent, par défaut, d'intégrer cette garantie systématiquement dans les contrats d'assurance des BIM Managers V. A.-C. Navarro, BIM, objets connectés… les défis de l'assurance pour demain : Opérations Immobilières juin 2019, no 116, 36832167. . Le support informatique de la prestation pose également la question d'une assurance spécifique couvrant la responsabilité du BIM Manager au titre de ses activités de prestations de services informatiques. Compte tenu du caractère relativement récent du BIM, cette question reste ouverte.
– La pratique des assureurs et BIM Managers . – Il semble que les assureurs ont dans un premier temps eu un positionnement prudentiel, en imposant aux spécialistes du BIM Management de souscrire une assurance dommages ouvrage et responsabilité civile. Aujourd'hui, avec plus de recul, des assureurs acceptent de moduler l'assurance professionnelle des BIM Manager, en excluant les assurances décennales, dès lors que le BIM Manager s'interdit toute intervention à l'acte de construire et d'effectuer des activités de synthèse et de détection des erreurs. Il est primordial que les contrats passés avec le maître d'ouvrage et les autres contrats tiennent compte de cette exclusion. Faute de respecter cet engagement, le BIM Manager qui participerait activement à l'acte de construire, en offrant spontanément des services de synthèse ou des conseils sur les techniques constructives, engagerait sa responsabilité pénale et ne serait pas assuré pour les éventuels dommages dont il serait l'auteur. Par ailleurs, il semble que la maîtrise d'œuvre, qui assistera le maître d'ouvrage dans la conclusion des contrats, aura le devoir d'alerter le maître d'ouvrage sur l'absence d'assurance décennale du BIM Manager.