– La pierre-papier ancêtre de la pierre numérique. – La naissance de la pierre-papier en France date des années 1960 avec les premières sociétés civiles immobilières à capital variable, rapidement devenues les
L. no 70-1300, 31 déc. 1970 fixant le régime applicable aux sociétés civiles autorisées à faire publiquement appel à l'épargne.
sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) réglementées par une loi no 70-1300. L'enjeu principal de cette loi était d'encadrer ces nouvelles sociétés d'investissement collectif en immobilier, sous un angle de régulation pour protéger les épargnants, mais également pour préserver le système boursier et les banques contre des investissements alternatifs leur échappant.
Les enjeux de la tokenisation pour le notariat
Les enjeux de la tokenisation pour le notariat
– Rôle du notaire dans l'essor des SCPI. – En admettant que la tokenisation se présente comme une forme d'évolution technologique naturelle de la « pierre-papier », le notaire doit s'interroger sur son rôle dans le développement et les cycles de la détention indirecte d'actifs immobiliers au moyen de la « pierre-papier ».
Le notaire ne semble pas être un des grands acteurs de la pierre-papier, la pratique et les lois ayant autorisé ce type d'investissement en immobilier ne le mentionnant à aucun moment. Il aurait pu être confié un rôle aux notaires dans ce nouveau mode d'investissement, pour sécuriser les opérations et rassurer les investisseurs, mais leur intervention semble s'être limitée aux actes d'achat ou apport des actifs aux sociétés. Cela s'explique sans doute par le fait que le législateur ne voulait pas alourdir la procédure de souscription, mais également car la loi était orientée régulation et droit des sociétés en traitant assez peu du sous-jacent immobilier.
– Rôle du notaire dans l'essor des héritiers des SCPI. – D'autres supports d'investissement collectifs en immobilier ont été par la suite adoptés en France, tels que les sociétés d'investissement immobilier cotées (SIIC) en 2003
L. fin. 2003, no 2002-1575, 30 déc. 2002.
, les organismes de placement collectif immobilier (OPCI) en 2005
Ord. no 2005-1278, 13 oct. 2005, définissant le régime juridique des organismes de placement collectif immobilier et les modalités de transformation des sociétés civiles de placement immobilier en organismes de placement collectif immobilier.
, ou plus récemment en 2014
Ord. no 2014-559, 30 mai 2014, relative au financement participatif.
avec le crowdfunding immobilier présenté comme un mode d'investissement alternatif. Le notaire n'a pas non plus été visé par ces nouveaux dispositifs.
Le notaire semble globalement absent de l'investissement indirect en immobilier
Fin 2018, la part de l'immobilier collectif non coté est d'environ 70 milliards d'euros, à comparer à la valeur de l'immobilier résidentiel estimé à 6 000 milliards d'euros, ou encore l'assurance vie qui pèse 1 715 milliards d'euros (Source : Fédération française de l'assurance).
, auquel il participe pour constater les mutations de l'immeuble par la société, lors de l'entrée de l'actif dans le patrimoine social, lors sa cession et lors de la liquidation de la société.
– La pierre digitale, de nouvelles opportunités pour les tiers de confiance ? – La digitalisation de la pierre-papier semble inéluctable compte tenu des évolutions technologiques et de l'intérêt, tant pour les souscripteurs que pour les sociétés de gestion, d'employer le numérique pour la souscription et la gestion de leurs actifs.
Pour autant, bien que d'apparence révolutionnaire, il a été vu que la tokenisation semble à moyen terme
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.
un enjeu de back-office, avec l'espoir d'une minoration des coûts de gestion et d'administration de la gestion des investisseurs et des investissements.
De ce point de vue, la tokenisation offre simplement un nouveau support à la pierre-papier, pour la porter vers un « tout-numérique », sans en changer les mécanismes et sans véritablement « désintermédier » la filière qui reste centrée autour de gérants d'actifs. Des projets en dessous des seuils de régulation peuvent bousculer un peu les supports établis, mais cela reste marginal à l'heure actuelle.
Que ce soit par les acteurs traditionnels ou de nouveaux acteurs, l'emploi du 100 % numérique n'est pas anodin en termes de sécurité et d'intégrité des transactions. Le rôle des tiers de confiance pourrait se trouver renforcé afin d'offrir une infrastructure fiable et des sauvegardes de sécurité, que la blockchain publique ne semble pas pouvoir offrir.
Le notaire, tiers de confiance, voire autorité de confiance
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et s.
, pourrait se voir confier de nouvelles missions pour rétablir la confiance et la solidité de montages 100 % numériques que l'immatérialité et l'immédiateté pourraient fragiliser. Quelles pourraient être ces nouvelles missions ?
– Le notaire en tant que dépositaire de confiance. – Le notaire est un détenteur de fonds traditionnel pour le compte de ses clients, ce qui se justifie par son statut d'officier ministériel, et par un partenariat privilégié avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) qui a le monopole de la détention des comptes des notaires
A. 30 nov. 2000, relatif au dépôt et au retrait des sommes versées par les notaires sur leurs comptes de disponibilités courantes et sur leurs comptes de dépôts obligatoires à la Caisse des dépôts et consignations.
. Le notaire exerce d'ailleurs une forme de délégation de service public en taxant les actes qu'il reçoit pour le compte de l'État et des collectivités à qui il reverse les impôts dus. En tant que tiers de confiance, le notaire efface le risque d'absence de contrepartie pour le vendeur en lui assurant le paiement de son prix, ce qui se rapproche de la philosophie déployée par la blockchain pour automatiser le paiement (delivery versus payment).
Ainsi le notaire dispose d'une expertise et d'outils performants avec la CDC pour détenir en toute sécurité les fonds de ses clients, ce qui en fait, en France, un des seuls dépositaires de confiance à côté des banques habiles à exécuter des ordres de virement en temps réel. Aucun autre professionnel du droit ne bénéficie d'une telle agilité dans la détention et l'exécution d'opérations, et cette spécificité pourrait ouvrir la voie à des missions nouvelles dans le cadre de l'économie numérique.
– Une mission légale ou contractuelle. – Cette fonction de détenteur de fonds et de tiers de confiance s'exerce de manière générale dans tous les actes du notaire, mais également à l'occasion d'actes particuliers dont l'objet est de détenir une somme litigieuse, que ce soit par l'effet d'un dispositif réglementaire ou du fait de la pratique contractuelle.
S'agissant des dispositifs réglementaires, le notaire exerce un rôle de dépositaire des souscriptions en numéraires au capital des sociétés par actions
C. com., art. R. 225-6.
et des sociétés à responsabilité limitée
C. com., art. R. 223-3.
.
S'agissant de la pratique contractuelle, le notaire est le tiers de confiance de référence pour le séquestre de sommes litigieuses en attente de la réalisation d'un événement, au moyen d'une convention de séquestre authentique. Le notaire peut également être rendu dépositaire d'un contenu numérique par le biais d'une convention de dépôt au coffre-fort électronique
V. infra, nos
et s.
, conférant date et contenu certains à un ou plusieurs fichiers. Il semble que le rôle du notaire en tant que tiers de confiance dépositaire d'un contenu numérique ou d'une somme liée à une convention en relation avec le numérique devrait se développer dans les prochaines années, à mesure que l'économie se digitalise.
– Le notaire, tiers de confiance des ICOs. – Le notaire s'est également vu reconnaître, en marge de la loi Pacte
L. no 2019-486, 22 mai 2019.
, la qualité de dépositaire et tiers de confiance dans les opérations d'Initial Coin Offering (ICO)
Instr. AMFDOC-2019-06, p. 4 et 5.
, en exerçant les missions suivantes :
Le suivi et la sauvegarde des fonds recueillis dans le cadre de l'offre ICO, au moyen d'une convention de séquestre des fonds recueillis dans le cadre de l'offre de jetons. Cette convention ne porterait que sur les sommes remises en monnaie traditionnelle, et viserait, à l'issue de la levée de fonds et selon les critères fixés par le livre visé par l'Autorité des marchés financiers, soit à remettre les fonds séquestrés à l'émetteur, soit à restituer les fonds aux dépositaires.
En pratique, cela pose de nombreuses questions pratiques pour le notaire et la Caisse des dépôts et consignations, relatives à la mise en œuvre d'une telle convention, notamment en cas de paiement en devises étrangères et si le nombre d'investisseurs déposant des fonds est très important (parfois plusieurs milliers).
Mais cela pose également la question des diligences quant à la lutte contre le blanchiment de capitaux et l'identification des bénéficiaires effectifs.
– La mise en place d'un système de signatures multiples pour débloquer les opérations en actifs numériques, en désignant un notaire comme tiers indépendant détenteur d'une clé privée. – Cette convention porterait sur les souscriptions en cryptoactifs qui ont vocation à être centralisées sur une adresse unique et dont la libération à l'émetteur ou la restitution aux souscripteurs doit être sécurisée. À ce titre, l'émetteur s'engage contractuellement à ne signer les transactions matérialisant (i) un retrait ou (ii) un transfert des actifs numériques détenus sur l'adresse vers le compte d'un tiers, qu'en cas de réalisation des conditions de transfert ou de retrait des fonds et des actifs numériques, telles que définies par l'émetteur. Afin de garantir l'exécution de ce contrat, il est prévu de prévoir une signature multiple des ordres à exécuter avec plusieurs détenteurs de clés privées, dont au moins une remise à un tiers de confiance, qui pourrait être un notaire. Dans ce contexte, le notaire n'aurait pas à héberger les cryptoactifs mais détiendrait une clé pour les débloquer selon une convention de dépôt de clé.
Le notariat devrait se saisir de ces nouvelles missions potentielles pour en apprécier la faisabilité et, si cela s'avère pertinent et conforme à la mission traditionnelle des notaires, favoriser l'adoption d'une offre dédiée par les offices.
– Le notaire en tant qu'expert immobilier. – l'objectif de la tokenisation immobilière serait de rendre l'investissement immobilier plus accessible, en permettant des souscriptions plus faibles (par ex., de quelques euros par mois), et plus liquide tout en utilisant la blockchain comme support des transactions. Il a été vu que ces objectifs ne pourraient pas être atteints à brève échéance
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compte tenu des règles protectrices des épargnants. Pour autant, il faut s'interroger sur le rôle possible du notaire dans la confiance donnée à un investissement numérique ayant un sous-jacent immobilier.
Il faut reconnaître au notaire français qu'il dispose, de par son activité et la diversité de sa clientèle (acteurs publics, privés, entreprises, etc.), de la pleine compétence immobilière, son expertise couvrant tous les cycles de vie de l'immeuble.
Aussi l'intervention du notaire en tant que conseil ou expert immobilier pourrait se concevoir en dehors même de son activité liée à la rédaction et la préparation des actes, afin d'offrir un service d'audit et d'expertise sur les actifs immobiliers au format électronique sécurisé. À titre d'exemple, dans le projet AnnA
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, l'audit notarial de l'actif a été inscrit sur la blockchain et a été diffusé aux investisseurs qui ont eu ainsi la capacité d'en vérifier l'intégrité formelle, comme une sorte de copie authentique de l'audit.
– Le notaire, vecteur de confiance. – La confiance dans le sous-jacent immobilier est d'autant plus importante que l'investissement est ciblé sur un ou quelques actifs. Si la tokenisation immobilière devait permettre des micromarchés avec des investissements en commun sur des actifs déterminés, possiblement de petite taille, il est impératif que les investisseurs puissent s'assurer que les fondamentaux de l'actif immobilier ont été audités par un tiers qualifié et sont conformes aux promesses de l'émetteur (propriété, location, etc.). Le notaire semble être l'expert de référence capable d'émettre un avis par rapport à une grille d'audit sur un actif immobilier, avec une bonne connaissance des enjeux de la multipropriété.
Comme pour l'industrie qui va de plus en plus se tourner vers une économie des services
V. par ex., G. Brooks, L'industrie du futur sera une industrie de service : Les Échos 13 sept. 2018 : « À l'avenir, les industriels ne se contenteront plus d'écouler des produits. Ils vendront aussi des services. La numérisation de notre société et les progrès technologiques vont accélérer cette transition » (www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/lindustrie-du-futur-sera-une-industrie-de-service-138796">Lien).
du fait du numérique, il est possible que le notaire mute d'un métier presque exclusivement centré sur la transaction (vente, transmission, etc.) vers des missions plus orientées sur les services, avec notamment des missions de tiers de confiance en immobilier pour donner de la confiance aux investissements opérés par l'intermédiaire du numérique.
– Le notaire en tant que service numérique sécurisé. – Au-delà de son statut particulier et de ses missions de tiers de confiance, le notariat est l'un des métiers du droit le plus numérisé de France. Cette situation s'explique en grande partie par une dotation exceptionnelle des instances professionnelles qui mettent en œuvre, aux côtés des pouvoirs publics, des solutions innovantes de numérisation depuis le début des années 2000.
Les outils employés par les notaires sont à la pointe de la technologie (réseau Real, plateforme « Planète », Télé@ctes, l'acte authentique électronique, à distance, etc.), et reposent sur une infrastructure technique polycentralisée très robuste
Pour une analyse détaillée des outils du notariat, V. Rapport du 113e Congrès des notaires de France, Lille, 2017, #Familles #Solidarités #Numérique, Partie 2, « Le notariat numérique : acteur de la régulation », p. 895 et s.
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À l'heure actuelle, les solutions développées par le notariat sont orientées vers les notaires et les pouvoirs publics, afin de digitaliser et d'optimiser la procédure notariale et sa relation avec les administrations et les clients.
Idée d'offre de services numériques en immobilier
Le notaire pourrait notamment offrir deux types de services numériques : l'inscription pérenne de transactions numériques immobilières, par exemple via une blockchain notariale, et l'hébergement de données numériques sécurisées.
Le maillage territorial du notariat et le nombre d'offices se prêtent particulièrement à la mise en œuvre d'une blockchain de consortium réservée uniquement aux notaires, avec un format de consensus de type majoritaire dans la mesure où tous les acteurs seraient réputés de confiance. Une telle blockchain pourrait devenir le support sécurisé de transactions par des tiers qui souhaiteraient bénéficier de la fiabilité et de la robustesse d'une telle blockchain notariale par nature infalsifiable, comme par exemple les opérations de tokenisation.
S'agissant du service d'hébergement de contenu numérique sécurisé, le notariat offre déjà un service de dépôt électronique notarial, par l'intermédiaire de Paris Notaires Services. Ce service permet d'assurer la conservation des documents déposés et de constituer des preuves certaines de la date de leur dépôt, de leur origine et de leur intégrité. Pour autant, le format actuel du service accessible uniquement via la clé Real du notaire ne permet pas d'envisager un usage de ce service par d'autres acteurs économiques. L'enjeu serait de trouver un mode de dépôt par le notaire et de consultation du dépôt par les clients adapté à une interaction en ligne entièrement numérique et en temps réel. Par exemple, le service pourrait reposer sur un logiciel automatisant, pour le compte des notaires, la procédure de vérification d'identité et les pouvoirs du déposant. Une fois tous les prérequis validés, un notaire identifié (si le client le souhaite), ou un notaire choisi parmi ceux en disponibilité numérique, validerait le dépôt et signerait la convention. Pour que cela soit efficace et plébiscité par les acteurs économiques, il faudrait un temps maximum de déploiement inférieur à une heure.
– Le notaire face à l'essor possible des
utility tokens
. – Les utility tokens comme support d'un droit à un usage ou un service devraient trouver une utilité en immobilier
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. Pour autant, en tant que supports numériques facilitant l'échange, ils ne modifient pas les droits dont ils sont l'objet qui donneront lieu à un contrat. À ce titre, il est possible que les notaires aient un rôle à jouer dans le développement de ce type de support. Cela reste à ce stade assez flou dans la mesure où de tels jetons n'ont pas encore trouvé d'applications concrètes dans l'économie réelle. Dans l'hypothèse où le notaire devrait participer à un contrat se matérialisant par l'émission d'un utility token, se posera la question de sa responsabilité et de son conseil sur la partie technique. En effet, si l'on considère que l'aspect technique du token va participer à l'exercice concret des droits conférés par le jeton, peut-on en dissocier complètement le contrat ? En d'autres termes, les notaires pourront-ils circonscrire leur responsabilité à la seule partie juridique du contrat sans avoir aucune responsabilité en cas de défaillance du token émis ?