Les cryptoactifs

Les cryptoactifs

Un cryptoactif peut être défini comme tout actif digitalisé, émis et échangeable sur une blockchain. Il constitue la représentation numérique d'un actif dit « classique ». À autant d'actifs correspondent autant de tokens. Les exemples les plus achevés concernent les biens immobiliers Pour la tokenisation immobilière, V. infra, Partie II de la présente Commission. , mais la digitalisation peut également s'appliquer à une œuvre d'art comme à une denrée alimentaire.
Plus précisément, on peut assigner un usage à la carte à chaque jeton représentant la digitalisation d'un actif corporel ou incorporel. Cette variété infinie de potentiels constitue le cœur du développement d'une économie globale des actifs numériques.
Si, à l'origine, la blockchain a été imaginée pour émettre des cryptomonnaies, elle s'est aussi développée comme source de création de tout actif numérique sans lui conférer une valeur de paiement ou le qualifier d'unité de compte. La facilité de déploiement et l'interopérabilité permise par les différents protocoles d'échanges décentralisés ont donné lieu à de très nombreux cas d'usage d'un token. In fine, la frontière est mince entre un token et une cryptomonnaie ; retenons que la cryptomonnaie est forcément issue du protocole de consensus d'une blockchain publique N'importe qui peut acquérir une cryptomonnaie sur une blockchain ouverte en téléchargeant le logiciel approprié et en suivant le protocole. V. infra, Chapitre II, « Le fonctionnement technique » nos et s. , le token en est généralement dissocié.

Un jeton pour une voiture ancienne

La crypto CT1, pour investir dans une automobile de luxe. Le token CT1 permet de détenir une participation dans l'une des cinq cents voitures de collection concernées par ce projet, pour une valeur globale de plus de deux cents millions de dollars, les voitures de collection étant considérées comme valeur refuge. Citons aussi le projet BitCar lancé en 2017 : c'était une plateforme basée sur la blockchain avec un jeton adossé à des voitures exceptionnelles.
À l'autre bout du spectre de la consommation : la banane, elle aussi traitée comme un produit d'investissement, par BananaCoin ; c'est un token dont la valeur est associée au prix à l'exportation du kilogramme de bananes.
Un token n'a pas de valeur intrinsèque. Ce sont ses usages réels ou potentiels qui génèrent de la spéculation sur leur valeur, laquelle a augmenté de façon exponentielle avec l'exploration de nombreux développements techniques que les plateformes permettent. En lui-même, le jeton ou token émis sur une blockchain possède une valeur liée à son utilité, sa création répondant à un projet déterminé. Par suite, il faut d'abord distinguer les tokens selon deux principaux usages (Sous-section I) , puis prendre la mesure des multiples applications possibles liées à tel usage déterminé (Sous-section II) .

La distinction principale : tokens d'usage et tokens octroyant des droits financiers

– Définition légale. – Un « jeton » est défini par l'article L. 552-2 du Code monétaire et financier comme tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé (DEEP, la traduction française de Distributed Ledger Technology [DLT] ou blockchain) permettant d'identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien.
Ainsi les jetons « émis » dans le cadre d'un DEEP peuvent avoir différentes natures selon les droits et obligations attachés à leur propriété. On distingue ainsi traditionnellement, se référant à la dichotomie proposée par l'Autorité des marchés financiers (AMF) :
  • les tokens dits « d'usage » (utility token ou « token utilitaire »), qui octroient un droit d'usage à leur détenteur en lui permettant d'utiliser la technologie et les services distribués par l'émetteur. Citons par exemple iExec (RLC) qui a pour vocation de fournir des services et de la capacité informatique dans le cloud computing ;
  • les tokens offrant des droits financiers ou des droits politiques, qui ont pour objet d'octroyer à leur détenteur un mode de paiement ou un droit de vote par exemple. Citons le projet de jeton Request Network (REQ), dont l'objectif est la mise en place d'un système ressemblant à PayPal et permettant le paiement des commerçants en cryptomonnaie, ledit jeton étant la monnaie « par défaut » de ce système.
– Terminologie anglo-saxonne. – De manière voisine, le vocabulaire anglais propose quatre catégories distinctes :
  • les security tokens, qui sont des jetons représentatifs d'un instrument financier. Lorsque cet instrument financier présente les caractéristiques d'un titre financier, la propriété du jeton résulte non pas d'une inscription en compte mais d'une inscription dans un DEEP, ainsi que la loi française l'autorise ;
  • les payment tokens, qui sont des jetons dont le seul objet est d'être utilisés en vue de la réalisation d'un paiement. Il en va ainsi du bitcoin qui n'a pas d'autre utilité intrinsèque que de pouvoir être transmis ;
  • les utility tokens, qui sont des jetons représentatifs d'un droit sur un bien ou un service (devant être dans la plupart des cas livré par l'émetteur) et ne répondent pas aux caractéristiques des deux autres formes de jeton. Cela signifie que quand bien même un utility token peut être utilisé en règlement d'un bien ou d'un service distinct de celui en vue de la livraison duquel il a été émis, cette utilisation n'est qu'incidente à sa fonction principale ;
  • les equity tokens, qui sont des jetons conférant à leurs porteurs de véritables droits et devoirs. En clair, ce sont des parts de société inscrites sur une blockchain qui se trouveront détenues directement dans le portefeuille de leurs acheteurs, et non pas entre les mains d'une banque agissant au nom de l'acheteur. Pour dépasser l'état de concept, il faudrait la mise en place d'un système boursier sans courtiers, et permettant aux particuliers d'investir dans les sociétés de leur choix par le biais d'échanges décentralisés (échange d'actions d'une société commerciale contre X cryptomonnaies).

La multiplication des déclinaisons en fonction des usages

– Diversité des usages. – Tout développeur peut émettre des tokens, qui recevront diverses qualifications que l'on regroupera ici en deux grandes catégories.
– Usages extrajudiciaires. – Les tokens ou jetons pourront être qualifiés par exemple :
  • de réputation : uniquement pour vérifier la fiabilité d'un utilisateur, laquelle se mesure alors au nombre de jetons détenus ;
  • dits applicatifs, ayant pour but d'être utilisés dans une application décentralisée particulière ;
  • de vote, le token représentant alors une voix pouvant être utilisée dans un contrat particulier de vote ;
  • de traçabilité, le token représentant alors un actif réel dont le transfert entre ses propriétaires est matérialisé par un transfert du token. On parle aussi d'usage à titre de preuve de possession ou de transfert d'un actif matériel, le token étant alors lié d'une façon ou d'une autre à cet actif réel. Son transfert vaut transfert de propriété réel ;
  • donnant droit à un dividende, le token est alors habituellement associé à un projet particulier et donne le droit de recueillir des dividendes du projet à intervalles réguliers ;
  • représentant des points de fidélité, le token étant fourni à un client d'un service à chaque utilisation. Ce token peut ensuite être utilisé en paiement ou selon d'autres modalités ;
  • représentant une valeur spécifique, correspondant par exemple à un euro ;
  • de ticket d'entrée, par exemple à un événement ;
  • représentant un statut. Un token est ainsi distribué aux membres d'une organisation ou aux participants à un événement comme preuve de leur statut particulier.
– Usages judiciaires ; token et preuve. – Comme cela sera abordé plus loin V. infra, Chapitre II, « Le fonctionnement technique » nos et s. , l'un des attraits de la blockchain est son infalsifiabilité et sa datation certaine. En ce sens, les actifs qui sont émis et transmis sur ce support ne bénéficieraient-ils pas d'une force probatoire particulière ?
La question se pose notamment en matière de propriété intellectuelle, à travers par exemple l'ancrage sur une blockchain de brevets et modèles. À dire vrai, c'est plus un outil supplémentaire ouvert aux titulaires de droits qui se présente aux plaideurs ; comme cela a été souligné, « la preuve par la blockchain n'a pas une force probante supérieure à celle des autres éléments de preuve et le juge en appréciera donc souverainement la valeur et la portée » S. Canas, Blockchain et preuve – Le point de vue du magistrat : Dalloz IP/IT 2019, p. 81 et s. .
La question probatoire illustre les enjeux posés par ces actifs circulant sur un dispositif informatique partagé en termes de régulation et de protection des droits G. Canivet, Blockchain et régulation : JCP E 2017, 43. , lorsque l'on veut utiliser un dispositif d'enregistrement électronique partagé comme instrument de preuve de la transmission ou de la conservation des actifs.