Les autorisations administratives de travaux en BIM

Les autorisations administratives de travaux en BIM

La digitalisation progressive de la procédure de construction d'un bâtiment pose légitimement la question de la digitalisation des autorisations administratives de travaux. En effet, dès lors que les acteurs publics ou privés vont fonctionner entièrement en numérique pour la programmation et la conduite de leurs travaux, il semblerait logique que les phases de dépôt, d'instruction et de délivrance des autorisations administratives de travaux par les collectivités ou l'État soient alignées avec des échanges au format numérique (par ex. : permis de construire, installations classées, loi sur l'eau, établissement recevant du public, etc.). Déjà dans le rapport du Plan Bâtiment durable de 2014 V. infra, no . , la proposition (2.1) portait sur la procédure d'instruction du permis de construire en BIM avec une incitation au moyen de délais d'instructions réduits. Mais qu'en est-il en France ?
En France la procédure d'instruction des autorisations de construire échappe encore à l'obligation de saisine par voie électronique prévue par les articles L. 112-8 et suivants du Code des relations entre le public et l'administration V. infra, no . . Des textes spéciaux ont reporté l'obligation au 1er janvier 2022, date à laquelle les services instructeurs auront l'obligation d'instruire numériquement les autorisations d'urbanisme au moyen d'une téléprocédure prévue par l'article L. 423-3 de Code de l'urbanisme. À ce jour les décrets d'application précisant les modalités de mise en œuvre de cette téléprocédure n'ont pas été adoptés.
– Y a-t-il une chance de voir le BIM intégrer la téléprocédure à l'horizon 2022 ? Cela semble très peu probable. En effet, les collectivités rencontrent déjà des difficultés pour digitaliser leur procédure et ont obtenu un premier report de 2018 à 2022 de l'obligation de téléprocédure pour les autorisations d'urbanisme. Même si la téléprocédure nécessite des investissements et un paramétrage des organisations, cela implique des outils informatiques relativement simples, et principalement des bases de données et des interfaces en ligne pour le dépôt et l'échange de documents sécurisés. Le BIM est d'un niveau de sophistication largement supérieur et implique de disposer de logiciels spécialisés coûteux et une formation des administrations pour savoir les utiliser et les lire. Mais peut-être que le BIM pourrait devenir une procédure optionnelle si le pétitionnaire et la ville sont équipés et le souhaitent.
– Les deux enjeux du BIM dans les autorisations d'urbanisme. – Même si son adoption semble lointaine, l'utilisation du BIM en matière d'autorisations d'urbanisme présente deux séries d'enjeux : au niveau de la règle d'urbanisme (le BIM permettrait un contrôle automatisé du respect des normes de construction pour autant que le plan local d'urbanisme [PLU] aurait été traduit dans un programme de contrôle), mais aussi au niveau de la procédure d'instruction en elle-même sur la base d'une base BIM et non plus des dossiers papiers ou numérisés.
– L'automatisation du contrôle en BIM via un PLU programmé. – Les normes de construction et d'urbanisme appliquées au bâtiment sont par essence des normes concrètes et pratiques avec une vocation opérationnelle évidente. Il semble aujourd'hui possible de modéliser l'intégralité d'un plan local d'urbanisme en considération du bâtiment existant, ce qui permettrait de voir en quelques clics les volumes, destination, règles de prospect, etc. La programmation complète d'un PLU est aujourd'hui possible Des logiciels BIM tels que Revit proposent des règles de vérification des normes de construction, mais sont aux standards propriétaires dédiés à un seul logiciel, ce qui rend leur interopérabilité limitée. .
Bien que la technologie émerge, il faut admettre que l'urbanisme implique énormément de normes de construction très complexes qui ne sont pas reprises dans les PLU et dont la rédaction rend leur programmation complète presque impossible. D'abord parce que ces normes évoluent constamment et sont souvent formulées en principe/exception difficilement programmables, mais également car de nombreuses règles sont subjectives, comme l'aspect extérieur ou l'harmonie avec les environnants.
Pour permettre de programmer entièrement les normes de construction, il faudrait donc les simplifier et les rationaliser. Pour cela, elles devraient être de moins en moins qualitatives et de plus en plus quantitatives, ce qui supposerait de définir majoritairement des règles objectives avec des seuils et des valeurs réelles et chiffrées.
Dans l'immédiat, la vérification par la collectivité et ses services du respect des normes de construction par le pétitionnaire pourrait se faire au mieux de manière semi-automatique avec une assistance technique limitée.
– L'instruction des autorisations en BIM. – La procédure d'instruction du permis par le BIM (permis « BIMé ») impliquerait de définir le niveau d'information nécessaire à la collectivité pour instruire le permis avec les services consultés, au même titre que n'importe quel acteur du projet. Cette écriture de la procédure nécessiterait un niveau de maturité du BIM et une forme de standard communément admis par les acteurs de la construction et les collectivités.
Au niveau du projet, la mission de la maîtrise d'œuvre devrait être adaptée afin qu'une interface dédiée à la mise en instruction des permis de construire soit créée dans la base BIM. Cette interface orientée « vérification de la règle d'urbanisme » n'existe pas actuellement dans les logiciels BIM. Par ailleurs, le permis de construire BIMé impliquerait que la maquette objet du dossier de permis de construire puisse être figée à la date du dépôt de la demande et la fiabilité de ses données assurée. Les services instructeurs devraient également avoir la capacité de viser/figer la base BIM à l'appui de l'autorisation accordée (équivalent du tampon apposé sur les documents du dossier de permis de construire) afin de garantir le contenu du projet autorisé.
S'agissant enfin du dossier de permis de construire, toute personne intéressée devrait pouvoir en solliciter une copie, ce qui pose la question du format de consultation. Faudrait-il limiter la communication, sous format papier, des seuls extraits de la maquette correspondant aux plans et documents listés par le Code de l'urbanisme au titre de la composition du dossier de permis de construire, ou toute la maquette en elle-même ?
– De l'immeuble à la ville en BIM. – Les enjeux de l'adoption d'une procédure de permis BIMérejoignent ceux de la smart city et de la digitalisation de la planification d'urbanisme. Le BIM implique la création d'un avatar numérique d'un immeuble en particulier, et l'addition des BIM de chaque immeuble interconnecté pourrait former à l'avenir un quartier, voire une ville entière avec ses infrastructures. À l'échelle du bâtiment il est d'ailleurs très probable que l'État intervienne pour imposer aux maîtres d'ouvrage de « BIMer » les bâtiments existants, dans le prolongement du carnet numérique de l'immeuble.

Les autorisations d'urbanisme et la relation à l'administration dans un monde numérique

La France a, dès la fin des années 1990, engagé une réflexion sur la facilitation des relations entre l'administration et les citoyens par la voie d'échanges électroniques. Une première action notable a été engagée en 1997 avec le lancement du « Programme d'action gouvernemental pour la société de l'information » (PAGSI), dans le cadre d'un nouveau Comité interministériel pour la société de l'information (CISI). À l'issue du quatrième CISI du 10 juillet 2003, plus de soixante-dix mesures visant « à renforcer la confiance en l'internet du grand public et des familles, et à permettre à un nombre croissant de Français de se familiariser avec ces technologies » ont été annoncées.
Il faut attendre une première ordonnance du 8 décembre 2005 Ord. no 2005-1516, 8 déc. 2005, relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives : JO 9 déc. 2005, p. 18985. Cette ordonnance a été prise en application d'une loi d'habilitation no 2004-1343 du 9 décembre 2004, de simplification du droit, art. 4. pour que le principe du traitement des autorisations administratives par voie électronique soit consacré, mais sans aucune obligation. Cette ordonnance a ainsi créé un cadre juridique pour l'administration électronique, mais sans établir d'obligation pour l'administration, ce qui n'a pas permis la digitalisation des autorisations de construire.
Presque dix ans après, une ordonnance du 6 novembre 2014 Ord. no 2014-1330, 6 nov. 2014, relative au droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique. Le titre vise bien un droit des usagers, là où l'ordonnance de 2005 ne visait que les échanges électroniques. a érigé cette faculté de traitement dématérialisé en droit aux termes du nouvel article 2 qui dispose que : « Tout usager, dès lors qu'il s'est identifié auprès d'une autorité administrative, peut adresser par voie électronique à celle-ci une demande, une déclaration, un document ou une information, ou lui répondre par la même voie. Cette autorité administrative est régulièrement saisie et traite la demande, la déclaration, le document ou l'information sans demander à l'usager la confirmation ou la répétition de son envoi sous une autre forme ». Ces ordonnances des 8 décembre 2005 et 6 novembre 2014 ont été codifiées au sein des articles L. 112-8 et suivants du Code des relations entre le public et l'administration par l'ordonnance no 2015-1341 du 23 octobre 2015.
La mise en œuvre d'un tel droit d'accès à une administration digitalisée obligatoire a nécessité des textes subséquents pour préparer les administrations et prévoir les modalités de cette nouvelle relation digitalisée, parmi lesquels il faut citer :
  • le décret no 2015-1404 du 5 novembre 2015 pris pour l'État et ses établissements publics, prévoyant les modalités d'identification de l'usager, d'information du public et le contenu de l'accusé de réception. En parallèle quinze décrets en date du 6 novembre 2015 ont prévu cent quarante-cinq exceptions à cette procédure pour l'État ;
  • le décret no 2016-1491 du 4 novembre 2016 relatif aux exceptions à l'application du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique concernant les démarches effectuées auprès des collectivités territoriales, de leurs établissements publics ou des EPCI.
Le décret no 2016-1491 du 4 novembre 2016 intéresse principalement la dématérialisation des autorisations d'urbanisme et de construire relevant de la compétence des collectivités locales, avec les exceptions suivantes en annexes 1 et 2 :
  • huit exceptions « définitives » pour motif de bonne administration pour des démarches prévues au Code de l'urbanisme et au Code de la construction et de l'habitation, pour des immeubles ou équipements sensibles, notamment immeubles de grande hauteur, établissements recevant du public ou dérogation aux règles d'accessibilité pour les immeubles d'habitation collectifs ;
  • dix-neuf exceptions à titre transitoire, jusqu'au 7 novembre 2018, afin d'offrir le temps de créer les téléservices et la dématérialisation des procédures, et notamment les demandes de permis de construire comprenant ou non des démolitions, demandes de permis d'aménager comprenant ou non des constructions ou des démolitions, demandes de permis de démolir, déclaration attestant l'achèvement et la conformité des travaux ou encore déclaration d'intention d'aliéner, au titre du droit de préemption urbain.
Ainsi les autorisations d'urbanisme autres que celles susvisées de l'annexe 1 devaient être entièrement administrées par voie électronique à compter du 8 novembre 2018.
La dématérialisation de la procédure de permis de construire était très attendue par les acteurs de la construction compte tenu de la lourdeur du dossier à constituer, de la quantité d'informations et des modalités de récolement/tampon des pièces en plusieurs exemplaires. Cet engouement n'était pas partagé par les collectivités qui n'avaient que deux ans pour appliquer ces nouvelles procédures posant de nombreux problèmes d'organisation, de sécurité ou encore de financement de nouveaux outils. Pour cette raison, les mairies se sont vivement opposées à la mise en œuvre de ce dispositif L'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) et l'Assemblée des communautés de France (AdCF) ont demandé en janv. 2018 un report en matière d'autorisations de construire à 2022 (www.adcf.org/files/THEME-Urbanisme/presentation-AMF-AdCF-des-motifs-et-contraintes.pdf">Lien). et ont plaidé pour un report à 2022.
Constatant un retard irrattrapable du côté des mairies qui auraient été incapables au niveau national d'administrer correctement les dossiers, l'État a pris un décret le 5 novembre 2018 D. no 2018-954, 5 nov. 2018, modifiant le décret no 2016-1491 du 4 novembre 2016, relatif aux exceptions à l'application du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique concernant les démarches effectuées auprès des collectivités territoriales, de leurs établissements publics ou des établissements publics de coopération intercommunale, modifiant l'annexe 2 du décret no 2016-1491 du 4 novembre 2016 « Exceptions à titre transitoire jusqu'au 31 décembre 2021 ». , deux jours avant l'échéance initialement fixée. Ce décret a décalé de plus de trois ans l'échéance de dématérialisation obligatoire des autorisations de construire en la repoussant au 31 décembre 2021.
La loi Elan du 23 novembre 2018 Art. L. 423-3 en vigueur depuis le 25 novembre 2018 : téléprocédure spécifique leur permettant de recevoir et d'instruire sous forme dématérialisée les demandes d'autorisation d'urbanisme déposées à compter du 1er janvier 2022. Cette téléprocédure peut être mutualisée au travers du service en charge de l'instruction des actes d'urbanisme. Un arrêté pris par le ministre chargé de l'urbanisme définit les modalités de mise en œuvre de cette téléprocédure. a limité l'obligation de dématérialisation aux communes de plus de 3 500 habitants. À compter du 1er janvier 2022, les communes de plus de 3 500 habitants devront être dotées d'une « téléprocédure spécifique » propre à recevoir et instruire sous forme dématérialisée les demandes d'autorisations d'urbanisme, qui peut être mutualisée au travers du service en charge de l'instruction. Les arrêtés d'application de ce texte n'ont pas été adoptés.