L'entrée en relation des parties via des plateformes en ligne

L'entrée en relation des parties via des plateformes en ligne

La mise en relation des parties dans le monde contractuel numérique présente la particularité de se réaliser essentiellement par le biais de plateformes en ligne. Celles-ci sont définies comme « toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur :
1o Le classement ou le référencement, au moyen d'algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ;
2o Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un contenu, d'un bien ou d'un service » (C. consom., art. L. 111-7, I">Lien).
Elles apparaissent comme l'acteur majeur de la mise en relation des parties dans le monde numérique du contrat. Ces plateformes prennent principalement deux formes :
  • celles procédant à une simple mise en relation des parties ;
  • celles jouant un rôle plus actif de référencement et comparateur.
Ces plateformes, liées contractuellement avec leurs divers utilisateurs (Sous-section I) , sont légalement encadrées (Sous-section II) et ont une responsabilité limitée (Sous-section III) .

Le lien contractuel unissant les plateformes et leurs différents utilisateurs

À titre liminaire, il y a lieu d'analyser l'existence d'un contrat entre les plateformes et leurs utilisateurs.
Le contrat est défini par l'article 1101 du Code civil (C. civ., art. 1101">Lien) comme « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations » Pour une étude de l'article 1101 du Code civil appliqué au smart contract et sa qualification juridique, V. infra, no . . La question peut se poser de l'existence ou non d'un lien contractuel entre la plateforme et l'offreur, d'une part (§ I) , et la plateforme et l'utilisateur, d'autre part (§ II) .

La relation entre la plateforme et l'offreur

Concernant en premier lieu la relation entre la plateforme et l'offreur, l'existence d'un contrat est évidente. L'offreur a recours à un intermédiaire en vue de positionner son offre sur le marché recherché. La plateforme offre donc une prestation d'intermédiation en ligne contre une rémunération prenant généralement la forme d'une commission ou d'un abonnement périodique Par ex., la plateforme Uber met en relation des chauffeurs (qu'elle ne salarie pas et qui exercent généralement sous le statut de micro-entrepreneur) avec les utilisateurs de son application, contre une commission prise sur le prix de la course. Toutefois un arrêt récent de la Cour de cassation (Cass. soc., 4 mars 2020, no 19-13.316, Uber France c/ M. A… X…) a remis en cause le lien unissant la plateforme Uber et ses chauffeurs en rejetant le pourvoi de la société Uber contre un arrêt de cour d'appel reconnaissant l'existence d'un contrat de travail. . Si la relation contractuelle est incontestée entre ces deux parties, la qualification juridique de ce contrat dit de marketplace a fait couler beaucoup d'encre V. not. sur cette qualification : E. Netter, Numérique et grandes notions du droit privé, Ceprisca, coll. « Essais », 2019, p. 444 et s.?JCl. Commercial, fasc. 826, Vo Places de marché en ligne. Contrat de marketplace, par A. Robin. . Deux types de contrats sont généralement retenus pour cette relation : le contrat d'entremise, ou encore de courtage, et le contrat de mandat. Les obligations de la plateforme dépendent de la qualification retenue.
Le contrat d'entremise ou de courtage est le plus répandu dans le secteur des plateformes numériques. Celles-ci jouent le rôle d'un courtier, en charge de mettre en relation les parties à un futur contrat, qui peut être de toute sorte (vente, prestation de services…). L'entremetteur n'a donc aucune mission de représentation et ne peut engager l'offreur ou l'utilisateur de la plateforme. Ceux-ci concluront ensuite directement un contrat différent et n'engageant qu'eux. Comme cela a pu être souligné V., sur ce point, JCl. Commercial, fasc. 826, Vo Places de marché en ligne. Contrat de marketplace, no 17, par A. Robin. , la plateforme ne joue certes pas un rôle actif de recherche d'un cocontractant, mais met à disposition de ses utilisateurs les moyens nécessaires à une rencontre des parties. En revanche, l'opérateur agit activement sur la détermination des conditions du contrat auquel il aide à la conclusion. En effet, les conditions générales acceptées par tous les utilisateurs, tant offrant qu'acceptant, sont établies par la plateforme.
Le mandat, plus rare en pratique, peut également permettre de qualifier la relation contractuelle entre la plateforme et l'offreur. Ce contrat génère une représentation de l'offreur par l'opérateur Pour un exemple de contrat de mandat proposé par une plateforme en ligne, V. not. CapCar (www.capcar.fr/conditions-generales-de-vente">Lien). . Il se retrouve essentiellement dans le cadre des ventes en ligne de meubles aux enchères publiques Sur le caractère obligatoire du contrat de mandat en la matière, V. JCl. Commercial, fasc. 826, Vo Places de marché en ligne. Contrat de marketplace, no 10, par A. Robin. ou encore dans celui des sites de réservation hôtelière L'article L. 311-5-1 du Code du tourisme impose le contrat de mandat dans les relations entre les hôteliers et les plateformes de réservation en ligne portant sur la location de chambres d'hôtel. .

La relation entre la plateforme et l'utilisateur

Concernant la relation entre la plateforme et l'utilisateur, l'existence d'un contrat est moins évidente. Pourtant, l'opérateur et son utilisateur entretiennent bien des relations contractuelles. Le second adhère aux conditions générales établies par le premier et il en résulte pour chacun des obligations assorties de sanctions. Pour l'utilisateur, des engagements nombreux et variés se retrouvent dans les conditions générales, allant de l'interdiction par Uber d'utiliser les chauffeurs aux fins de transporter des matières illicites ou dangereuses, jusqu'à ne pas utiliser des virus sur le site eBay. Ces obligations sont aussi variées que les prestations, services et marchandises proposés par les plateformes. La qualification du contrat unissant la plateforme et ses utilisateurs dépend du rôle de cette dernière. Il peut s'agir d'un simple contrat de courtage ou d'entremise si la plateforme joue l'intermédiaire permettant la mise en relation des parties E. Netter, Numérique et grandes notions du droit privé, préc., p. 444 et s. (https://enetter.fr/le-contrat/section-2-droits-speciaux-des-contrats/i-les-contrats-dintermediaire/">Lien). . Lorsque la plateforme propose à la vente ses propres produits, comme cela peut être le cas sur le site Amazon, alors le contrat l'unissant à l'utilisateur est tout simplement un contrat de vente.
L'existence d'une relation contractuelle étant établie, il y a lieu d'analyser les obligations spéciales mises à la charge des plateformes numériques.

Des plateformes légalement encadrées

Les plateformes en ligne font l'objet d'un encadrement législatif et réglementaire important visant essentiellement à assurer à l'usager le bénéfice d'une information loyale, claire et transparente (§ I) . L'efficacité de cette obligation d'information dépend toutefois de son applicabilité aux nombreuses plateformes étrangères (§ II) .

Une obligation d'information loyale, claire et transparente

Le monde des plateformes en ligne peut paraître occulte pour leurs utilisateurs, notamment lorsqu'elles jouent un rôle de comparateur ou de référencement. Il est aisé d'imaginer que des liens d'intérêt sont susceptibles d'influencer les méthodes employées et ainsi tromper l'usager sur la neutralité de la plateforme. D'une part, certains produits et services présentés peuvent être proposés par des sociétés ayant un lien capitalistique avec la plateforme, voire directement par celle-ci Le site de vente en ligne Amazon présente par exemple ses propres produits comme ceux de sociétés tierces sans lien avec la plateforme. . D'autre part, la primauté est parfois accordée au plus offrant. Le critère de référencement ou de classement n'est donc pas nécessairement le prix proposé, la note attribuée par les consommateurs, ou toute autre information importante pour le consommateur. Il peut au contraire être fondé sur la relation entre la plateforme et l'auteur de l'offre.
Une obligation spéciale d'information loyale, claire et transparente, a récemment été instaurée à la charge des opérateurs de plateformes en ligne La loi no 2016-1321 pour une République numérique du 7 octobre 2016 a modifié l'article L. 111-7 du Code de la consommation. .
L'article L 111-7 du Code de la consommation précise ensuite le contenu de cette obligation d'information qui s'impose aux opérateurs de plateformes en ligne. Son objectif est de créer la confiance nécessaire à une économie fluide, tout en respectant la liberté des acteurs. Pour y parvenir, l'article L 111-7 du Code de la consommation n'impose aucune règle de classement ou de référencement, mais exige des plateformes une information relative :
1) aux conditions générales d'utilisation des services proposés, et les modalités de référencement, classement et déréférencement des contenus, des biens ou des services auxquels ces services permettent d'accéder (C. consom., art. L. 111-7, II, 1o ">Lien). Ces données ont vocation à éclairer les parties (aussi bien celles proposant leurs services sur les plateformes que celles les consultant en vue d'y trouver un bien ou un service) sur les méthodes employées, et le risque est présent d'une éventuelle partialité de la part de la plateforme ;
2) à l'existence d'une relation contractuelle, d'un lien capitalistique ou d'une rémunération à leur profit dès lors qu'ils influencent le classement ou le référencement des contenus, des biens ou des services proposés ou mis en ligne (C. consom., art. L. 111-7, II, 2o ">Lien). Une certaine part de subjectivité apparaît ici dans l'appréciation de cette éventuelle influence. Il aurait peut-être été plus opportun de soumettre les plateformes à cette obligation d'information quelles que soient les conséquences supposées d'un tel lien ;
3) à la qualité de l'annonceur et les droits et obligations des parties en matière civile et fiscale, lorsque des consommateurs sont mis en relation avec des professionnels ou des non-professionnels (C. consom., art. L. 111-7, II, 3o ">Lien). Cette information apparaît d'une grande importance dans la mesure où elle permet la détermination du régime applicable à la relation contractuelle qui pourrait naître, et de définir ainsi les obligations des parties. En effet, de la qualité des utilisateurs mis en relation via les plateformes en ligne dépendent les règles régissant le lien contractuel naissant entre eux, notamment l'application ou non des dispositions du Code de la consommation (relations entre professionnels et consommateurs, dites Business to Consumer [B to C]), ou bien du Code civil (relations entre particuliers, dites Consumer to Consumer [C to C]), ou encore du Code de commerce (relations entre professionnels, dites Business to Business [B to B]), ainsi que la fiscalité (taxe sur la valeur ajoutée ou non notamment). Il s'agit ici de répondre à une spécificité du contrat conclu dans la sphère du numérique où il n'y a pas de rencontre physique des contractants.
L'obligation d'information se présente donc sous deux aspects, selon l'activité exercée :
  • pour les plateformes de référencement et de classement : une information relative aux méthodes employées et à l'existence d'un lien d'intérêt (pts 1 et 2) ;
  • pour les plateformes de mise en relation : une information relative à la qualité de l'annonceur (pt 3).
Le créancier de cette obligation est exclusivement le consommateur, ainsi qu'il résulte de la lettre de l'article L. 111-7 du Code de la consommation précité. La différenciation du consommateur, du non-professionnel et du professionnel est établie par l'article liminaire du Code de la consommation C. consom., art. liminaire : « Pour l'application du présent code, on entend par : consommateur : toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ; non-professionnel : toute personne morale qui n'agit pas à des fins professionnelles ; professionnel : toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel ». . De manière générale, les dispositions de ce code s'appliquent au seul consommateur et, par exception, lorsque l'article en fait mention, au non-professionnel et/ou au professionnel.
L'article L. 111-7 du Code de la consommation est renforcé par les articles D. 111-7 et suivants (C. consom., art. D. 111-7">Lien) du même code résultant du décret no 2017-1434 du 29 septembre 2017, venant préciser le contenu de l'information à transmettre au créancier de cette obligation D. no 2017-1434, 29 sept. 2017, relatif aux obligations d'information des opérateurs de plateforme numérique : JCl. Commercial, fasc. 826, Vo Places de marché en ligne. Contrat de marketplace. .
Ce décret traite également du cas particulier des relations entre non-professionnels, en instaurant dans cette hypothèse une obligation d'information renforcée à la charge des plateformes (C. consom., art. D. 111-8, II">Lien) Cette information renforcée concerne notamment l'attention attirée de l'acheteur sur l'absence de délai de rétractation légal, et l'éventuel droit de rétractation conventionnel dont il bénéficie. Elle vise également à alerter l'acheteur sur l'absence de garantie légale de conformité prévue par le Code de la consommation et applicable exclusivement aux professionnels. . Celle-ci est importante pour attirer l'attention de l'utilisateur sur la non-application du droit de la consommation qui le protège lorsqu'il contracte avec un professionnel. L'acheteur n'a en effet pas toujours la conscience de conclure un contrat avec un non-professionnel lorsqu'il passe par l'intermédiaire d'une plateforme en ligne. L'objectif du législateur est donc de l'alerter sur la non-application du régime protecteur auquel il est habitué. La difficulté pour les opérateurs, consécutive à ces dispositions, est d'apprécier la qualité de professionnel et la responsabilité qu'ils engagent en cas d'erreur d'appréciation.
En tout état de cause, lorsque la présentation des résultats est influencée par une relation contractuelle, l'opérateur doit le faire apparaître de manière claire. Ainsi l'article D. 111-14 du Code de la consommation (C. consom., art. D. 111-14">Lien) prévoit que lorsque les offres de biens ou de services sont référencées à titre payant et que le rang de classement dépend de cette rémunération, elles doivent alors faire apparaître leur caractère publicitaire par le terme « annonce » sur la page d'affichage de résultats du site comparateur.
Les professionnels, oubliés du droit français, sont protégés par le règlement (UE) no 2019/1150 du 20 juin 2019, entré en vigueur le 12 juillet 2020 PE et Cons. UE, règl. (UE) no 2019/1150, promouvant l'équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d'intermédiation en ligne. Sur ce règlement : A.-S. Choné-Grimaldi, Proposition de règlement sur les plateformes en ligne : LEDICO juill. 2018, no 111k7, p. 4.?JCl. commercial, fasc. 872, Vo Droit commun des plateformes numériques. Le déroulement de la relation entre la plateforme et les usagers ; JCl. Commercial, fasc. 826, Vo Places de marché en ligne. Contrat de marketplace. . Ce règlement Les champs tant matériel que territorial de ce règlement sont résumés au JCl. Commercial, fasc. 872, Vo Droit commun des plateformes numériques. Le déroulement de la relation entre la plateforme et les usagers. instaure une obligation d'information à l'instar du Code de la consommation C. consom., art. L. 111-7 et s. préc. . L'objectif poursuivi est ici encore de communiquer aux utilisateurs les conditions générales d'utilisation, comprenant notamment les méthodes employées de classement, référencement, les liens commerciaux et leur influence sur les résultats présentés.
? Le guide des bonnes pratiques. ? Outre l'obligation d'information pesant sur les plateformes en ligne, celles-ci, au-delà d'un certain nombre de connexions mensuelles Ce seuil est actuellement fixé par l'article D. 111-15 du Code de la consommation à cinq millions de visiteurs uniques par mois. , doivent également élaborer et diffuser « aux consommateurs des bonnes pratiques visant à renforcer les obligations de clarté, de transparence et de loyauté » (C. consom., art. L. 111-7-1">Lien) Ces bonnes pratiques sont à développer par les entreprises et peuvent par exemple consister à exposer les critères retenus pour établir la fiabilité des utilisateurs donnant leur avis sur les produits ou services retenus. Aucun guide de bonnes pratiques n'a cependant été trouvé sur les sites des principales plateformes en ligne. . L'intention manifeste du législateur à travers cette disposition est d'encourager les opérateurs de grande envergure, ayant donc le plus d'influence, à aller au-delà des obligations légales et à tirer vers le haut l'ensemble des acteurs du marché. Cette démarche a en outre la vertu de faire supporter aux entreprises privées majoritairement concernées le coût de la recherche et de l'innovation nécessaires pour y parvenir.
La dernière obligation mise à la charge des opérateurs de plateformes concerne la diffusion des avis en ligne encadrée par l'article L. 111-7-2 du Code de la consommation (C. consom., art. L. 111-7-2">Lien). La clarté, la loyauté et la transparence sont ici encore les maîtres mots de l'information à communiquer sur les modalités de publication et de traitement de ces avis. L'opérateur doit aussi mentionner l'existence ou non d'un contrôle et les caractéristiques de celui-ci, et permettre aux fournisseurs de signaler les publications dont l'authenticité est douteuse. Cette obligation bénéficie à tous les « utilisateurs » des plateformes, et non uniquement aux consommateurs, ainsi qu'il ressort de la lettre du texte. Le champ d'application de cette disposition est donc plus large que celui de l'article L. 111-7 précité.
Il est toutefois regrettable que le Code de la consommation ne prévoie pas de sanctions civiles particulières pour la violation de ces articles. Le juge civil se trouve ainsi parfois démuni face au non-respect de leurs obligations d'information par les plateformes numériques. Seule une mise en cause de leur responsabilité La nature de la responsabilité dépend de l'existence ou non d'un lien contractuel : lorsque la plateforme est liée par un contrat, alors sa responsabilité sera contractuelle ; en l'absence de contrat, la responsabilité sera extracontractuelle, avec les conséquences qui en découlent. semble envisageable, à défaut de précision contraire. Or les dommages-intérêts qui peuvent en résulter ne paraissent pas suffisants pour contraindre les opérateurs en ligne au respect de ces dispositions D'autant plus que la proposition de loi du 29 juillet 2020 portant réforme de la responsabilité civile n'a pas retenu les dommages-intérêts punitifs présents dans les projets de réforme diffusés par la Chancellerie en 2016 et 2017, qui auraient pu avoir un effet dissuasif. . Il est malgré tout heureux que l'article R. 632-1 du Code de la consommation (C. consom., art. R. 632-1">Lien) permette au juge civil de relever d'office les articles dudit code. Cela renforce leur efficacité en permettant leur application au-delà des fondements invoqués par le demandeur.
Cette réglementation des plateformes découlant de la législation française, voire européenne, ne peut toutefois être réellement efficace que si elle s'impose à tous les opérateurs. Le monde numérique présente cette particularité de ne pas connaître de frontières, permettant ainsi aux puissantes plateformes étrangères de se placer sous d'autres systèmes juridiques. Se pose donc la question de l'applicabilité des obligations ci-dessus exposées à ces nombreux opérateurs étrangers, parmi lesquels on compte les plus puissants du marché.

L'applicabilité de la législation française aux plateformes étrangères

? Les grands acteurs dans le domaine des plateformes numériques sont très majoritairement implantés en dehors du territoire français. ? Toutefois, bien que les sociétés soient souvent américaines, les succursales basées sur le territoire de l'Union européenne sont nombreuses Il en est ainsi pour Amazon, basée au Luxembourg, Airbnb en Irlande, ou encore Booking aux Pays-Bas. . Les conditions générales d'utilisation de ces plateformes renvoient généralement vers la législation applicable au pays européen où est située cette succursale Pour quelques exemples : Amazon (www.amazon.fr/gp/help/customer/display.html?ie=UTF8&nodeId=201909000&ref_=footer_cou">Lien) ; Airbnb (www.airbnb.fr/terms#eusec201910_21">Lien) ; Booking (www.booking.com/content/terms.fr.html?aid=376366 ;label=fr-85Sbyi2evytni3mHZEi6UgS267492169162%3Apl%3Ata%3Ap1%3Ap22.655.000%3Aac%3Aap%3Aneg%3Afi%3Atikwd65526620%3Alp9049777%3Ali%3Adec%3Adm%3Appccp%3DUmFuZG9tSVYkc2RlIyh9Ye7BFAsTyVd6vvamF_no64o ;sid=71a5288106e6c9a7290cb72dea84a4a4#tcs_s11">Lien). .
? Ces conditions générales sont relativement semblables les unes aux autres en termes de loi applicable et d'attribution de juridiction. ? Elles consistent souvent en une traduction quasi littérale du texte en anglais, ainsi qu'elles l'indiquent elles-mêmes Pour un exemple, voir le site de Booking où il est indiqué : « La version d'origine de ces conditions générales d'utilisation a été rédigée en anglais avant d'être traduite dans d'autres langues. Ces traductions effectuées en interne sont uniquement fournies à titre de courtoisie et ne font pas foi . En cas de litige sur le contenu ou l'interprétation de ces conditions générales d'utilisation, ou en cas d'incohérence ou de différence entre la version anglaise et une version traduite, la version anglaise prévaut et fait foi sauf disposition d'ordre public nationale contraire. La version anglaise est disponible sur notre Plateforme (en choisissant l'interface en anglais) et elle peut vous être envoyée sur simple demande écrite de votre part ». . Or ces traductions posent des difficultés d'intelligibilité et de visibilité dans la mesure où elles peuvent induire l'utilisateur en erreur en portant une traduction ne correspondant pas au texte d'origine. Les usagers lisant rarement les conditions générales en français, il est peu probable qu'ils les lisent aussi dans leur langue originelle (à supposer qu'ils en soient capables). Par ailleurs, la loi Toubon du 4 août 1994 L. no 94-665, 4 août 1994, relative à l'emploi de la langue française. instaure l'obligation d'informer en français concernant « la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des conditions de garantie d'un bien, d'un produit ou d'un service, ainsi que dans les factures et quittances » L. no 94-665, 4 août 1994, art. 2. Pour plus de précisions : www.economie.gouv.fr/dgccrf/Publications/Vie-pratique/Fiches-pratiques/emploi-langue-francaise">Lien . Ces dispositions d'ordre public L. no 94-665, 4 août 1994, art. 20. s'imposent aux plateformes numériques, tant dans leurs relations avec les utilisateurs consommateurs que les professionnels Pour un exemple d'application desdites dispositions en faveur d'un client professionnel, V. Cass. crim., 3 nov. 2004, no 03-85.642 : Bull. crim. 2004, no 266, p. 998. .
La Commission des clauses abusives s'est prononcée sur cette pratique de faire primer la version anglaise sur la version française des conditions générales par une recommandation du 7 novembre 2014 Comm. clauses abusives, Recomm. no 14-02, 7 nov. 2014, § 3 (www.clauses-abusives.fr/recommandation/contrats-de-fourniture-de-services-de-reseaux-sociaux-nouveau">Lien). . Cette recommandation a été prise en matière de réseaux sociaux, mais peut être étendue à tous les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur ou non professionnel. Ce type de clause faisant primer la version anglaise sur la version française a été jugé abusif au motif qu'elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties en appliquant des stipulations non réellement acceptées par le consommateur.
Ainsi la plupart des conditions générales sont constituées sur un modèle unique s'agissant de la loi applicable, des recours et de la juridiction territorialement compétente :
1) la loi applicable au contrat conclu avec l'utilisateur de la plateforme est la loi nationale de l'État où la succursale est implantée. Il est toutefois souvent rappelé au consommateur résidant dans l'Union européenne que si sa législation nationale prévoit des dispositions obligatoires protégeant ses droits, il pourra en bénéficier ;
2) les juridictions nationales de l'État où la succursale a son siège sont désignées compétentes ;
3) moins couramment, il est interdit tout recours en justice à l'utilisateur, parfois sans distinguer les recours collectifs ou individuels, parfois uniquement pour les recours collectifs.
Tout d'abord, concernant le choix de la loi applicable au contrat, il est conforme au règlement Rome I PE et Cons. UE, règl. (CE) no 593/2008, 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I). , sous réserve, pour le consommateur, des protections particulières accordées par ce règlement Pour des développements sur la loi applicable au contrat de commerce électronique, V. le Rapport du 113e Congrès des notaires de France, Lille, 2017, #Familles #Solidarités #Numérique, § 3071 et s. et des législations nationales ayant un caractère obligatoire. Les conditions générales le rappellent d'ailleurs quasi systématiquement. Cela fait suite à un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne CJUE, 3e ch., 28 juill. 2016, aff. C-191/15, Verein für Konsumenteninformation c/ Amazon EU Sàrl. se fondant sur une directive en matière de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs Cons. UE, dir. 93/13/CEE, 5 avr. 1993, art. 3, § 1. . Dans cette décision, la Cour a considéré qu'était abusive la clause des conditions générales non négociées ayant pour effet d'induire le consommateur en erreur. Cette erreur consiste en l'impression donnée que seule la loi de l'État membre dans lequel le siège de la plateforme était établi pouvait s'appliquer au contrat. Or en l'espèce, la législation nationale du consommateur le protégeait davantage et avait un caractère obligatoire, ce qui la rendait également applicable. La Commission des clauses abusives s'est prononcée dans le même sens Comm. clauses abusives, Recomm. no 14-02, § 46. .
Ensuite, concernant la désignation de la juridiction compétente, le règlement (UE) no 1215/2012 du 12 décembre 2012, dit « Bruxelles 1 », offre la possibilité aux cocontractants de désigner le tribunal compétent en cas de litige Règl. (UE) no 1215/2012, 12 déc. 2012, art. 25, dit « Bruxelles 1 ». . Toutefois, le consommateur bénéficie une fois encore d'une protection particulière Règl. (UE) no 1215/2012, 12 déc. 2012, art. 17 et s., dit « Bruxelles 1 ». privant de tout effet les clauses d'attribution de compétence juridictionnelle.
Enfin, concernant l'interdiction parfois faite d'intenter tous recours individuels et/ou collectifs, la Commission des clauses abusives a ici encore considéré ces clauses comme étant abusives si elles étaient maintenues dans un contrat entre un professionnel et un non-professionnel ou consommateur Comm. clauses abusives, Recomm. no 14-02, § 45. . S'agissant des rapports entre professionnels, ces clauses, notamment imposant l'arbitrage, sont licites. En revanche, les professionnels pourraient se prévaloir du droit fondamental d'ester en justice, reconnu sur la base de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme pour contrer les clauses les privant de toute voie de recours.
Les consommateurs et non-professionnels apparaissent donc protégés face aux conditions générales établies par des sociétés étrangères, et ce grâce au droit de la consommation. Cette protection serait d'autant plus efficace si la Cour de cassation reconnaissait ces dispositions d'ordre public international À ce jour, la Cour de cassation n'a pas eu à se prononcer sur le caractère d'ordre public international des dispositions du Code de la consommation relatives aux plateformes numériques. .
En revanche les professionnels, parfois en état de dépendance économique à l'égard des plateformes devenues leur premier outil de vente, apparaissent particulièrement vulnérables. La réforme du droit des obligations instaurant la notion de clause abusive dans le contrat d'adhésion (C. civ., art. 1171">Lien) pourrait servir de fondement à l'inefficacité en France de certaines stipulations des conditions générales. Il est en effet communément admis que les contrats proposés par les opérateurs numériques puissent être qualifiés de contrats d'adhésion Dont la définition est désormais établie par l'article 1110 du Code civil. . Cette qualification découle de l'existence d'un ensemble de clauses préétablies et non négociables. Il existe toutefois un débat doctrinal quant à l'applicabilité de ces dispositions du Code civil sur le contrat d'adhésion à des conventions relevant de législations spéciales. Ainsi certains auteurs appliquent l'adage specialia generalibus derogant pour écarter l'application de l'article 1171 du Code civil au profit de législations comme celle des pratiques restrictives de la concurrence (C. com., art. L. 442-1 à L. 442-8">Lien). À l'inverse, d'autres auteurs apprécient ces droits de manière sectorielle. Selon ce second courant doctrinal En ce sens : G. Chantepie, La notion d'équilibre du contrat : Loyers et copr. oct. 2016, dossier 6. , certaines dispositions, notamment celles relatives au contrat d'adhésion, ne sont pas générales mais sectorielles en s'appliquant à des relations contractuelles et non à des contrats spéciaux. Suivant ces auteurs, des règles du Code civil s'appliquent ainsi à des contrats également concernés par d'autres législations. Ces différentes dispositions ne sont pas générales pour les unes et spéciales pour les autres, mais dans un rapport égalitaire sectoriel écartant l'adage précité. La lutte contre les clauses abusives insérée dans le Code civil est guidée par l'absence de négociabilité du contrat. Cela justifie à notre sens son application à tous les contrats d'adhésion, sans exception La Cour de cassation n'a toutefois pas à ce jour tranché ce débat pour l'application de l'article 1171 du Code civil aux contrats également concernés par les dispositions du Code de commerce relatives aux pratiques restrictives de la concurrence. . Cette approche finaliste a pour avantage d'ajouter la protection contre les clauses abusives dans les contrats d'adhésion aux dispositions du Code de commerce C. com., art. L. 442-1 et s. relatifs aux pratiques restrictives de concurrence. .
Par ailleurs, le tribunal de commerce de Paris a récemment eu l'occasion de qualifier l'ancien article L 442-6 du Code de commerce alors relatif aux pratiques restrictives de la concurrence de loi de police T. com. Paris, 2 sept. 2019, no 2017/050625 (non reproduit) : JurisData no 2019-016984. . Le ministre de l'Économie a pris dans cette affaire l'initiative d'une action à l'encontre de trois sociétés du groupe Amazon. La clause attributive de juridiction a été opposée à l'action du ministre, sans succès, celle-ci ne lui étant pas opposable N. Mathey, Le déséquilibre significatif dans les relations de plateforme : Contrats, conc. consom. nov. 2019, no 11, comm. 177. .
Les plateformes numériques ont connu quelques défaites judiciaires démontrant les limites de l'applicabilité de leurs conditions générales V. not. TGI Paris, 9 avr. 2019, no 14/07298 condamnant la société Facebook en jugeant abusives de nombreuses clauses contenues dans ses conditions générales.?T. com. Paris, 2 sept. 2019, no 2017/050625 (non reproduit) : JurisData no 2019-016984, pour une condamnation de certaines clauses des conditions générales d'Amazon considérées comme abusives. Parmi ces clauses, celle permettant à Amazon de modifier unilatéralement le contrat à tout moment, et sans en aviser le vendeur tiers ; ou encore de rompre le contrat sans préavis, par simple notification, et à tout moment. . En réaction, elles ont entamé une démarche d'adaptation aux législations nationales, en laissant toutefois à l'utilisateur la tâche de se renseigner sur les dispositions protectrices dont il pourrait se prévaloir Les conditions générales du site Amazon stipulent ainsi que : « Les lois de certains pays ne permettent pas certaines des limitations énumérées ci-dessus. Si ces lois vous sont applicables, tout ou partie de ces limitations ne vous sont pas applicables, et vous pouvez disposer de droits supplémentaires ». . Cette mise en conformité amorcée par les opérateurs se traduit par des formulations du type « sauf disposition d'ordre public nationale contraire » Les conditions générales du site Booking reprennent par exemple cette formulation à plusieurs reprises concernant les clauses limitatives de responsabilité. . Cet effort ne semble pas suffisant En ce sens, V. E. Netter, Numérique et grandes notions du droit privé, Ceprisca, coll. « Essais », 2019, p. 388. , il est encore reproché à ces acteurs un manque de lisibilité et d'intelligibilité de leurs conditions générales Alors que l'article L. 133-2 du Code de la consommation impose au contraire que : « Les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels doivent être présentées et rédigées de façon claire et compréhensible ». . Les professionnels manquent quant à eux de protection face au déséquilibre imposé par les géants de l'internet.
Outre ces difficultés rencontrées en pratique limitant les effets de l'encadrement législatif et réglementaire que l'on tente d'imposer aux plateformes, celles-ci limitent leur responsabilité de différentes manières.

Des plateformes à la responsabilité limitée

Les plateformes minimisent leurs engagements, d'une part en instaurant des clauses limitatives ou élusives de responsabilité dans leurs conditions générales (§ I) , et d'autre part en essayant de s'affranchir de toute garantie (§ II) .

Les clauses limitatives ou élusives de responsabilité

En fonction de la qualification juridique retenue pour le contrat liant les différents acteurs, des obligations variées naissent à la charge des plateformes. Afin de limiter les effets de leurs engagements, les opérateurs insèrent dans leurs conditions générales de nombreuses clauses limitatives ou élusives de responsabilité, destinées tant aux offreurs qu'aux visiteurs.
En premier lieu, le contrat d'entremise ou de courtage peut être source de responsabilité pour l'intermédiaire. La difficulté liée à ce type de contrat résulte de l'absence de régime juridique légalement établi. Les règles qui s'y appliquent découlent essentiellement de la jurisprudence V. pour une appréciation doctrinale du contrat de courtage : JCl. Contrats-Distribution, fasc. 850, Vo Contrat de courtage, no 6, par Ph. Guez. . Parmi les obligations qui semblent peser sur le courtier, la principale est d'information. Les données à communiquer par l'opérateur concernent aussi bien la personne du futur cocontractant que la prestation objet du potentiel contrat et son opportunité pour ses clients. Autant d'éléments que les principaux acteurs du marché actuel ne semblent aucunement garantir. En effet, les conditions générales des grandes plateformes rappellent en grande majorité que ces dernières ne sont aucunement responsables des produits, services ou encore marchandises accessibles par leur intermédiaire Les conditions générales de la plateforme Uber applicables au 1er mars 2020 indiquent par exemple : « La responsabilité d'Uber est limitée à l'accessibilité, au contenu, à l'utilisation et au bon fonctionnement des Services ». Il est ensuite ajouté : « Uber décline toute responsabilité en cas de dommages indirects, accessoires, spéciaux, de dommages-intérêts exemplaires, punitifs ou de dommages consécutifs, y compris les pertes de profits, de données, les lésions corporelles ou les dommages matériels liés à, ou en rapport avec, ou autrement découlant de toute utilisation des Services, même si Uber a été informé de l'éventualité desdits dommages ». . Ces clauses sont limitatives, voire élusives de responsabilité.
En second lieu, le contrat de mandat bénéficie d'un cadre légal. Les dispositions des articles 1984 et suivants du Code civil s'appliquent, notamment l'article 1992 relatif à la responsabilité du mandataire. Ce dernier doit répondre des fautes qu'il commet dans sa gestion, sachant que l'appréciation de l'inexécution est plus sévère lorsque le mandataire est rémunéré pour sa mission. Dans ce domaine encore, les plateformes tentent de s'exonérer ou de limiter leur responsabilité.
Concernant la relation contractuelle entre la plateforme et le visiteur, ce dernier autorise très couramment l'utilisation de ses données personnelles, notamment pour une revente à des fins publicitaires. L'opérateur tente ici encore de minimiser ses obligations et surtout de limiter, voire exclure sa responsabilité, notamment concernant l'identité des utilisateurs Le site de vente en ligne eBay précise par exemple dans la version applicable au 1er mars 2020 de ses conditions générales : « Bien que nous utilisions des techniques visant à vérifier l'exactitude et la véracité des informations fournies par nos utilisateurs, cette vérification reste difficile sur internet. Pour cela eBay ne peut pas assurer l'exactitude ou la véracité des identités présumées des utilisateurs, ou la validité de l'information qu'ils nous fournissent ou publient sur nos sites, ne les confirme pas, et n'en est en aucune façon responsable ». .
Les clauses limitatives ou élusives de responsabilité se retrouvent donc dans les conditions générales imposées tant aux offreurs qu'aux visiteurs. La question de leur efficacité doit être posée. Pour apprécier la validité de telles stipulations, il convient de distinguer le consommateur du professionnel.
Le consommateur bénéficie ici encore des dispositions d'ordre public du Code de la consommation. Plus précisément, son article R. 212-1 (C. consom., art. R. 212-1">Lien) qualifie d'irréfragablement présumées abusives et donc interdites « les clauses ayant pour objet ou pour effet de : (…) supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations ». Les limitations, voire les exclusions totales de responsabilité sont donc réputées non écrites et inopposables aux consommateurs, utilisateurs des plateformes. Ces dernières peuvent toujours jouer sur l'étendue de leurs obligations, mal définies et ne faisant l'objet que d'un encadrement légal limité, comme étudié ci-dessus.
Le professionnel est protégé depuis la réforme du droit des obligations Ord. no 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations ratifiée par L. no 2018-287, 20 avr. 2018. par deux dispositifs.
? 1) L'interdiction des clauses privant de sa substance l'obligation essentielle du débiteur ( C. civ., art. 1170 ">Lien ). ? Les jurisprudences Chronopost Cass. com., 22 oct. 1996, no 93-18.632. et Faurecia Cass. com., 29 juin 2010, no 09-11.841. se trouvent ainsi consacrées et même étendues au-delà des seules clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité dans le but de sauvegarder l'économie du contrat. Cette limite appliquée aux conditions générales des plateformes mènera probablement à la remise en cause de certaines stipulations annihilant les engagements essentiels de ces dernières. L'appréciation se fera par les juges au cas par cas. En matière de contrat de marketplace, l'obligation principale de la plateforme est la mise à disposition d'un espace en ligne pour la présentation des offres. Les clauses limitatives ou élusives de responsabilité stipulées dans de nombreuses conditions générales en cas d'indisponibilité du site sont donc fragilisées. Les plateformes prennent toutefois la précaution de qualifier cette obligation de moyens et non de résultat, rendant plus difficile la preuve de l'inexécution. Concernant cette pratique, on peut s'interroger sur son efficacité dans la mesure où elle peut conduire à contourner l'interdiction faite par ce nouvel article 1170 du Code civil. S'il est permis aux parties, au titre de la liberté contractuelle, de qualifier le type d'obligation créée par leur convention, cette liberté ne doit pas être détournée pour écarter des dispositions d'ordre public.

La liberté contractuelle et la qualification des clauses du contrat

Le principe fraus omnia corrumpit pourrait-il être invoqué à l'encontre de clauses ayant pour objet la qualification des obligations contractuelles ? En réalité « le problème de la fraude ne se pose qu'in extremis, lorsqu'un résultat contraire au droit est atteint sans que soient encourues les sanctions de la violation de la règle qui l'interdit, ou du moins lorsque la mise en œuvre de ces sanctions ne permet pas d'attaquer ce résultat ». Or l'article 12 du Code de procédure civile impose au juge de « donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ». On peut donc imaginer la requalification par le juge d'obligation de moyens en obligation de résultat.
? 2) L'encadrement des clauses abusives dans les contrats d'adhésion ( C. civ., art. 1171 ">Lien ). ? Ce contrôle n'est pas opéré sur l'objet principal du contrat, ni sur la corrélation entre le prix et la prestation. Il permet, comme indiqué précédemment, de priver d'effet une clause non négociable et déterminée à l'avance par l'une des parties déséquilibrant significativement les droits et obligations des cocontractants. Ici encore, cette appréciation est laissée au juge et dépendra des circonstances de chaque espèce. Une clause limitative ou élusive de responsabilité pourrait très certainement être qualifiée d'abusive, tout dépendant en pratique de son objet et de ses conséquences Pour un panorama en la matière des avis de la Commission d'examen des pratiques commerciales, V. RTD com. 2018, p. 273, G. Pillet. .
En outre, les articles L. 442-1 à L. 442-8 du Code de commerce (C. com., art. L. 442-1 à L. 442-8">Lien), susvisés, pourraient également servir de base à une mise en cause de la responsabilité des auteurs de ces clauses limitatives ou élusives de responsabilité T. com. Paris, 2 sept. 2019, no 2017/050625 (non reproduit) : JurisData no 2019-016984, préc. : le tribunal de commerce de Paris n'a pas considéré abusive la clause limitative voire exonératoire de responsabilité en cas d'interruption du service. L'obligation d'Amazon est analysée comme une obligation de moyens et l'indemnisation, quoique limitée, est jugée suffisante.?Sur ce même arrêt, V. art. préc. : N. Mathey, Le déséquilibre significatif dans les relations de plateforme : Contrats, conc. consom. nov. 2019, no 11, comm. 177. .
Les plateformes numériques tentent donc de limiter a maxima leur responsabilité. Leur engagement envers les utilisateurs est encore amoindri par les faibles garanties offertes par la plupart des acteurs actuels.

Des plateformes offrant de faibles garanties

Les obligations des opérateurs de places de marchés en ligne résultent des contrats qu'ils concluent avec leurs utilisateurs. Concernant les rapports entre les utilisateurs, les plateformes s'exonèrent généralement de toute garantie, sous réserve des législations existantes Pour un panorama des garanties et causes de responsabilité des plateformes en ligne : V. JCl. Commercial, fasc. 827, Vo Places de marché en ligne. Responsabilité, par A. Robin. .
Les obligations découlant des conventions unissant les opérateurs à leurs utilisateurs, professionnels ou non, dépendent de la nature du contrat.
  • d'une part, que la plateforme n'a pas permis l'accès à son site internet ;
  • et, d'autre part, que ce manquement est dû à une négligence que n'aurait pas commise une « personne raisonnable ». Il s'agit donc de comparer le comportement de l'opérateur avec un modèle de référence agissant de manière à exécuter ses obligations.
De même, les plateformes ne peuvent déréférencer librement un utilisateur et/ou ses produits. Une telle pratique serait cause de responsabilité, sauf si elle est justifiée notamment par une inexécution par l'utilisateur de ses propres obligations.
Le contrat de courtage : comme indiqué précédemment V. supra, no . , il est le plus répandu dans ce domaine. L'obligation principale du courtier est d'assurer l'entremise des futurs cocontractants. Cela se traduit en réalité par une technique informatique permettant la mise en relation des utilisateurs sur une plateforme. Les opérateurs doivent donc assurer l'accès et le bon fonctionnement de leur site internet. Cette obligation est de moyens et non de résultat, de sorte que l'inexécution ne sera source de responsabilité que si l'utilisateur prouve :
En tout état de cause, les plateformes ne peuvent être tenues pour responsables de la non-conclusion du contrat entre ses usagers ou de l'inexécution par l'un d'eux de ses obligations En ce sens : V. TI Nîmes, 4 janv. 2011, Marylin S. c/ PriceMinister. . Ainsi, si le service rendu n'est pas conforme ou le bien livré endommagé par exemple, la plateforme ne peut voir sa responsabilité engagée. L'exception résulte des conditions générales de l'opérateur, lorsque celui-ci garantit expressément l'exécution de leurs obligations par ses utilisateurs Pour un exemple, la plateforme en ligne Airbnb prévoit sous conditions une garantie Hôte permettant l'indemnisation de certains biens ayant subi des dommages causés par les voyageurs et non réparés par ceux-ci. .
Le courtage « classique » dans un environnement non numérique génère habituellement une obligation du courtier de contrôler l'identité, le sérieux et la solvabilité de ses clients. Il est toutefois communément admis En ce sens : V. JCl. Commercial, fasc. 827, Vo Places de marché en ligne. Responsabilité, no 6, par A. Robin. que l'application de ces solutions jurisprudentielles au courtage en ligne est incertaine, en raison de son caractère totalement impersonnel.
Il semblerait en outre que l'opérateur de plateforme en ligne, en sa qualité de courtier, puisse être condamné sur le fondement de l'article L. 442-2 du Code de commerce (C. com., art. L. 442-2">Lien) relatif à l'interdiction de revente hors réseau En ce sens : V. JCl. Commercial, fasc. 827, Vo Places de marché en ligne. Responsabilité, no 7, par A. Robin. .
Concernant le contrat de mandat, les obligations du mandataire découlent des articles 1991 et 1992 (C. civ., art. 1991">Lien et 1992">Lien) du Code civil. Tout dépend donc des missions mises à la charge de l'opérateur dans le contrat, leur inexécution entraînant une responsabilité en cas de faute de gestion.
? Les obligations découlant de législations particulières. ? Outre ces obligations résultant du type de contrat liant la plateforme à ses utilisateurs, diverses sources de responsabilité découlent de législations particulières, notamment celle relative au e-commerçant. En effet, la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) L. no 2004-575, 21 juin 2004. prévoit en son article 15, I que « toute personne physique ou morale exerçant l'activité définie au premier alinéa de l'article 14 L. no 2004-575, 21 juin 2004, art. 14 : « Le commerce électronique est l'activité économique par laquelle une personne propose ou assure à distance et par voie électronique la fourniture de biens ou de services. Entrent également dans le champ du commerce électronique les services tels que ceux consistant à fournir des informations en ligne, des communications commerciales et des outils de recherche, d'accès, de récupération de données, d'accès à un réseau de communication ou d'hébergement d'informations, y compris lorsqu'ils ne sont pas rémunérés par ceux qui les reçoivent ». est responsable de plein droit à l'égard de l'acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d'autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci. ». Une incertitude existe quant à l'application de cette disposition aux plateformes numériques dans la mesure où le texte vise uniquement « l'acheteur ». Toutefois, la référence à « toute personne physique ou morale exerçant » une activité de commerce électronique et aux « prestataires de services » laisse penser à une application plus large, notamment aux plateformes en ligne En ce sens : C. Rojinski et G. Teissonnière, L'encadrement du commerce électronique par la loi française du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, in Conférence « Les lois de la société numérique : responsables et responsabilités » : Lex Electronica 2005, vol. 10, no 1.?JCl. Commercial, fasc. 872, Vo Droit commun des plateformes numériques. Le déroulement de la relation entre la plateforme et les usagers, no 6, par S. Zinty ; JCl. Commercial, fasc. 827, Vo Places de marché en ligne. Responsabilité, no 17, par A. Robin. . Cette interprétation, défendue par de nombreux auteurs, permet de justifier le fondement d'une responsabilité de plein droit, éventuellement du fait d'un tiers, et contrecarrer la pratique des plateformes qualifiant leurs obligations de moyens, et non de résultat.
Cette responsabilité de plein droit concerne exclusivement les engagements de la plateforme résultant du contrat de marketplace ci-dessus examinés, et non l'exécution par ses utilisateurs de leurs propres obligations. Cela a pour objectif de faciliter l'indemnisation des usagers, lesquels ont simplement à apporter la preuve de l'inexécution pour obtenir réparation. La plateforme ne pourra échapper à sa responsabilité qu'en « apportant la preuve que l'inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable, soit à l'acheteur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d'un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat, soit à un cas de force majeure » L. no 2004-575, 21 juin 2004, art. 15, I, al. 2. . Cette responsabilité de plein droit pourra notamment être activée en cas de fuite des données personnelles, ou encore en cas de dysfonctionnement du service de paiement en ligne ou de l'hébergement du site.
D'autres causes de responsabilité, qui ne sont pas propres aux plateformes en ligne, ne feront pas ici l'objet de développement Pour une étude approfondie des causes de responsabilité des plateformes numériques, V. JCl. Commercial, fasc. 827, Vo Places de marché en ligne. Responsabilité, par A. Robin. .
Les législations tant nationales qu'européennes tentent donc de réguler l'activité nouvelle des plateformes numériques. Il est tenu compte du déséquilibre significatif qui peut exister entre les opérateurs en ligne et leurs utilisateurs. Malheureusement, il existe encore un certain nombre d'incertitudes quant au champ d'application de ces législations, notamment dans un contexte international, et leur caractère d'ordre public ou supplétif. Les conditions générales de ces contrats d'adhésion sont trop souvent l'occasion de limiter les obligations et la responsabilité des acteurs face à des parties plus faibles, même professionnelles.
Lors de la phase des négociations, fondée également sur le principe de la bonne foi, certaines obligations précontractuelles d'information s'imposent aux parties. Pour les exécuter, elles peuvent désormais s'appuyer sur les outils offerts par le numérique.

Les projets de réforme européens

Face à cette « irresponsabilité des géants du numérique », la Commission européenne a publié le 15 décembre 2020 deux projets de règlements européens :
  • le Digital Service Act, destiné à lutter contre la diffusion de contenus et produits illicites, dangereux ou contrefaits ;
  • et le Digital Markets Act, destiné à créer des obligations graduées à la charge des plateformes numériques, dépendant de leur importance sur le marché.
L'objectif est une adoption avant début 2022 pour une régulation des plateformes numériques.