Le big data dans l'immobilier

Le big data dans l'immobilier

– Le concept de big data . – Le terme big data ou mégadonnées en français est défini par l'Académie française comme étant un ensemble de « données structurées ou non dont le très grand volume requiert des outils d'analyse adaptés » Commission d'enrichissement de la langue française (JO 22 août 2014, no 193, p. 13972 à 13973). . La Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) en donne une présentation plus détaillée et conceptuelle : « … Le gigantesque volume de données numériques produites combiné aux capacités sans cesse accrues de stockage et à des outils d'analyse en temps réel de plus en plus sophistiqués offre aujourd'hui des possibilités inégalées d'exploitation des informations. Les ensembles de données traitées correspondant à la définition du big data répondent à trois caractéristiques principales : volume, vélocité et variété » www.cnil.fr/fr/definition/big-data">Lien . À ces trois « V », il en est communément ajouté deux, avec la Véracité, traduisant l'enjeu de fiabilité des données, et la Valeur de la donnée, qualifiée de nouvel or noir de l'économie numérique www.umanis.com/sites/default/files/2020-09/Data%26RGPD_compressed%20%281%29_0.pdf">Lien . L'exploitation des données numériques est le réacteur des Gafam GAFAM est l'acronyme des géants du web – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – qui sont les cinq grandes firmes américaines qui dominent le marché du numérique. , qui en font une exploitation commerciale. Le terme big data analytics fait référence à l'ensemble du cycle de vie de la gestion des données consistant à collecter, organiser et analyser des données pour découvrir des modèles, déduire des situations ou des états, prédire et comprendre les comportements.
– La data en immobilier. – L'immobilier est en lui-même une source importante de données au format numérique, tant à l'échelle d'une ville ou d'un territoire qu'à celle de chaque immeuble et de chaque local occupé et exploité pour un usage déterminé.
À l'échelle d'un territoire, les biens immobiliers sont notamment l'objet de données de construction, de flux de transport, de règles d'urbanisme, de consommation, de prix ou loyers, de données marché, sans oublier des fichiers publics comme le cadastre, géoportail, et d'autres plateformes de données foncières et de plans comme l'Apur L'Atelier parisien d'urbanisme (Apur), association à but non lucratif créée en 1967 et réunissant vingt-sept partenaires, est un lieu d'étude partagé et prospectif multiscalaire. Il documente, analyse et imagine les évolutions urbaines et sociétales concernant Paris, les territoires et la Métropole du Grand Paris. , etc. Certaines de ces données sont publiques et accessibles gratuitement sur des plateformes non commerciales, d'autres données étant détenues par des organismes publics ou privés, et accessibles à un nombre limité de personnes avec possiblement un accès payant. Une grande partie de ces données est ordonnée et indexée, sans pour autant que les différentes plateformes soient reliées entre elles.
À l'échelle d'un bien immobilier, les cycles de vie de l'immeuble, de sa construction à son occupation en passant par son évaluation, sa cession, sa location, ses travaux, etc., sont tous générateurs de données qui sont produites au format numérique. Ces données peuvent notamment inclure des données de consommation, des données d'occupation, le prix, des documents de construction, des documents juridiques, des documents techniques, des données produites par des objets connectés (IoT) V. infra, Commission 3, no . . Le plus souvent, ces données sont conservées par les services concernés sans nécessairement être indexées et reliées avec d'autres services.
– Le big data en immobilier. – L'enjeu du big data est de faire fructifier les données produites à ces différentes échelles pour en tirer un profit, mettre en œuvre une stratégie ou encore faire une économie. Cette collecte et ce croisement de données, qui peuvent être totalement hétéroclites, vont former une sorte de lac de données ou data lake qui devra ensuite être structuré et moissonné pour en tirer, grâce à l'intelligence artificielle et à la programmation d'algorithme, un modèle apportant une nouvelle information. Une gestion de données déficiente (en silos) « plombe » les budgets et la productivité des entreprises.
– Applications du big data à l'échelle d'un territoire. – À l'échelle d'un territoire, le croisement entre les différentes plateformes et données publiques/privées permet de produire des données du marché très précises, et même de construire un modèle prédictif. Ainsi par exemple le croisement des fichiers publics tels que le cadastre, les documents d'urbanisme et les cartographies de l'Apur permet de rechercher la constructibilité résiduelle sur les parcelles de Paris V. B. Pautrot, Le big data au service de la recherche de constructibilité : Act. prat. ing. immobilière oct. 2018, no 4, 4. . Une autre, Lokimo AI, agrège périodiquement de façon automatique des données variées (analyse d'annonces immobilières, d'articles de presse, demandes de valeurs foncières [DVF], Insee, etc.) et les combine avec des techniques d'intelligence artificielle et de big data pour proposer des renseignements inédits, comme la prédiction d'évolution de prix sur trois ans www.data.gouv.fr/fr/reuses/prediction-devolution-de-prix-du-m2-sur-trois-ans-data-science-et-ia-appliquees-a-limmobilier">Lien . La société HBS-Research www.hbs-research.com/">Lien propose quant à elle une plateforme recoupant des fichiers publics, avec des données sur les entreprises et les immeubles, recoupées avec ses propres données marché, permettant par exemple d'identifier des actifs à l'acquisition, ou obtenir un listing d'entreprises pouvant louer vos bureaux ou au contraire anticiper des déménagements de manière prédictive. Ces outils permettent aussi de réduire l'asymétrie d'information entre bailleurs et locataires.
– Du big data à la smart city . – Le croisement de toutes les données d'un territoire, en y incluant un maximum de données individuelles des immeubles et infrastructures, devrait permettre une gestion prédictive et la mise en œuvre du concept de smart city ou ville intelligente La Cnil donne la définition de la smart city, qui est un nouveau concept de développement urbain. Il s'agit d'améliorer la qualité de vie des citadins en rendant la ville plus adaptative et efficace, à l'aide de nouvelles technologies qui s'appuient sur un écosystème d'objets et de services. Le périmètre couvrant ce nouveau mode de gestion des villes inclut notamment : infrastructures publiques (bâtiments, mobiliers urbains, domotique, etc.), réseaux (eau, électricité, gaz, télécoms) ; transports (transports publics, routes et voitures intelligentes, covoiturage, mobilités dites « douces » – à vélo, à pied, etc.) ; les e-services et e-administrations. interconnectée avec ses habitants, dans un mode de démocratie intelligente. L'aspect environnemental et énergétique est un des objectifs prépondérants de la démarche « ville intelligente ». Ainsi, par exemple, la France a prévu l'obligation de mise à disposition du public des données détaillées de comptage des gestionnaires des réseaux de transport (GRT) et de distribution (GRD) d'électricité et de gaz L. no 2016-1321, 7 oct. 2016, pour une République numérique, art. 23 : JO 8 oct. 2016, texte no 1. qualifiées de « données d'intérêt général », dont l'objectif servira le développement des smart grids V. A. Fourmon, Électricité – Ouverture des données énergétiques et big data : Énergie-Env.-Infrastr. avr. 2018, no 4, comm. 22. . Selon le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), le croisement et le management des données produites par les infrastructures publiques et les immeubles privatifs, mais également par les habitants via des applications dédiées, seront la clé du déploiement des villes intelligentes https://smart-city.cerema.fr/territoire-intelligent/la-donnee-au-coeur-la-smart-city">Lien .
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Source : Cerema
– Applications du big data à l'échelle d'un immeuble. – À l'échelle d'un immeuble, la collecte et le croisement des données de l'immeuble doivent permettre de générer des économies Selon la Foncière numérique, un bon data management peut générer une réduction des charges (Opex) de 4 à 15 € par mètre carré et des dépenses de travaux (Capex) de l'ordre de 10 à 15 %. , grâce à un suivi optimisé des dépenses et des consommations d'énergie en ayant une approche symphonique de tous les flux métiers (gestion, travaux, cession). Cette approche permet des gains immédiats de productivité, car la donnée est directement accessible aux équipes Globalement, les décideurs IT « perdent » en moyenne deux heures par jour (une heure en France) à rechercher des données pertinentes pour leur activité. Ce qui représente une perte de productivité d'environ 15 %. Le cloisonnement des données et l'hétérogénéité des systèmes de management data impactent aussi les coûts (Étude menée par Veritas™ White Paper, Realizing the Powerof Enterprise Data 1,500 IT decision makers reveal their challengesand successes in unlocking the value of data, déc. 2020 (www.veritas.com/content/dam/Veritas/docs/white-papers/V0850_WP_Realizing-the-Power-of-Enterprise-Data_R2.pdf">Lien). , ce qui implique la refonte des procédures métiers pour collecter, indexer et partager les données pertinentes pour en extraire des modèles de gestion. On peut citer l'exemple de la Foncière numérique www.lafoncierenumerique.com">Lien , qui propose une plateforme de data management permettant d'agréger les données produites par les différents logiciels métiers (gestion, asset management, travaux, maintenance, juridique), à l'aide d'intelligence artificielle, sur un outil unique avec lequel on peut éditer des rapports de gestion et comparatifs par rapport aux données marché (niveau charge, coût travaux), etc.
Autre exemple intéressant, le modèle de la société WeWork www.wework.com/fr-FR/workspace">Lien qui opère des immeubles en coworking connectés, avec la gestion des accès, de l'occupation (détecteurs de présence), des espaces collectifs, des consommations, et une communauté d'adhérents utilisant son réseau et ses applications. Ces immeubles connectés sont exploités comme un service de bureau, mettant à disposition un poste de travail connecté, déterminé ou non, et des espaces collectifs, et non pas comme de simples locaux. Les contrats ne sont alors pas des baux, mais des abonnements à un service, avec une flexibilité plus importante que les baux commerciaux traditionnels.
Dans le domaine des centres commerciaux, les acteurs emploient des outils de détection des flux et comportements des clients, parfois jusqu'en caisse Par ex., le Quartz développé par Altarea peut s'appuyer sur une multitude de données collectées en temps réel : les déplacements des smartphones (et donc des visiteurs), les immatriculations des véhicules entrants/sortants (un rapprochement avec la base de données des cartes grises offre un certain nombre d'informations précieuses), l'utilisation des cartes de fidélité… pour construire une analyse détaillée de la fréquentation du centre. .
Les enjeux juridiques du big data en immobilier sont principalement la mise en œuvre du règlement général sur la protection des données (RGPD) et la collecte consentie des données de nature privée dans un format, mais également la protection de l'investissement dépensé par les exploitants de données. Les modalités de protection des données personnelles au regard de la RGPP ont été présentées en première partie V. supra, Commission 1, nos et s. . On rappellera principalement que la mise en place d'un processus d'anonymisation pour se dispenser du RGPD n'est efficace que lorsqu'aucune ré-identification n'est possible, ce qui peut poser difficulté pour une adresse, une donnée locative ou un prix qui pourraient être facilement rattachés à la personne. À défaut, la règle est l'obtention de l'accord des intéressés pour la collecte et la détention des données personnelles avec le bénéfice d'un droit de restitution/vérification V. supra, Commission 1, nos et s. . D'autres normes peuvent trouver à s'appliquer dans le domaine de l'entreprise. On pense notamment aux capteurs de flux/présence qui pourraient révéler la position d'un salarié L'article L. 1121-1 du Code du travail prévoit que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché. L'employeur qui souhaite mettre en place un système de contrôle spécifique doit en informer préalablement les salariés concernés, avec une procédure de consultation des représentants du personnel. . Dans les relations avec le locataire, il faudra prévoir dans les baux les modalités de partage des données techniques, de consommation et charges comme pour la mise en application du décret tertiaire V. supra, no . .
Les droits du producteur de bases de données sont protégés contre la soustraction frauduleuse V. supra, no . et au titre des droits d'auteur V. supra, no . .