Le mécanisme de qualification des faits et actes numériques n'est pas le même selon que l'on se trouve en présence d'actions conjoncturellement numériques
(§ I)
ou intrinsèquement numériques
(§ II)
.
L'adaptation des qualifications
L'adaptation des qualifications
Les actions traditionnelles réalisées en la forme numérique
– Principe d'équivalence entre les écrits sur support papier ou sur support électronique. – Le numérique et les outils et services qui y sont attachés sont avant toute chose un support. La question des effets de l'interaction entre deux personnes par un moyen numérique n'est pas nouvelle et s'est posée dès que la technique a offert la possibilité de créer un échange et de matérialiser un accord ; c'est-à-dire d'établir et signer un acte numérique.
Ainsi qu'il a été vu dans le chapitre relatif à la signature électronique
V. supra, no
.
, le droit français reconnaît l'équivalence entre l'écrit sur support papier et l'écrit sur support électronique
C. civ., art. 1174 et 1366.
. La notion d'écrit doit aller au-delà de la simple signature et concerne l'intégralité du document. Ainsi il ne doit pas être fait de différence de traitement entre une déclaration d'impôt sur le revenu établie en ligne ou sur papier, ou encore de différence entre une demande d'allocations familiales en ligne ou sur papier au guichet.
– Principe d'équivalence entre les faits illicites matériels ou virtuels. – Le raisonnement doit être le même en matière de faits juridiques. Ainsi le préjudice infligé à un tiers sera réparé selon les règles des articles 1240 et suivants du Code civil, qu'il soit dû à un agissement physique ou virtuel. Ainsi dans le cadre d'une compétition de sport électronique (jeux vidéo), le sportif électronique auteur d'une triche, même si elle est purement virtuelle (utilisation d'un module électronique d'aide à la visée par exemple), devra réparation au sportif électronique qui en a subi le préjudice, dans les mêmes conditions que si les faits avaient été commis dans le cadre d'une compétition sportive traditionnelle.
En conséquence, et en application de ce principe d'équivalence, la qualification juridique des faits et actes numériques qui auraient pu être réalisés de manière non dématérialisée devrait être la même, quel que soit le support. Les graduations traditionnelles de gravité des actes (actes conservatoires, d'administration ou de disposition) et les mesures de protection qui en résultent doivent se reporter en matière numérique.
Les actions intrinsèquement numériques
– Services numériques. – Au-delà d'une simple évolution des supports, le numérique a créé des services et outils qui lui sont propres, dont la transposition dans un univers matériel est impossible. Il s'agit notamment des services en ligne, tels que les outils de communication instantanée, les plateformes de jeux vidéo en ligne ou encore les réseaux sociaux.
L'ensemble de ces services a pour point commun la nécessité d'une inscription préalable à tout usage et, lors de cette formalité, l'acceptation des conditions générales d'utilisation (CGU). Il s'agit du premier acte juridique conclu par l'utilisateur dans le cadre de ses interactions à venir avec le service auquel il adhère. La qualification de l'acceptation des conditions générales d'utilisation de services numériques en ligne, notamment de services internationaux et gratuits, tels Facebook, Google+, Twitter… a fait l'objet de plusieurs recommandations de la Commission des clauses abusives, ainsi que d'arrêts. Le 12 février 2016, la cour d'appel de Paris
CA Paris, pôle 2, ch. 2, 12 févr. 2016, no 15/08624, Sté Facebook Inc. c/ M. : JurisData no 2016-002888.
a établi que l'adhésion aux conditions générales d'utilisation (de Facebook en l'occurrence) par un particulier devait être qualifiée de signature d'un contrat d'adhésion par un particulier envers un professionnel ; ainsi les règles protectrices du Code de la consommation trouvent à s'appliquer
V. infra, nos
et s. – G. Loiseau, Clauses abusives dans les conditions générales d'utilisation : Facebook mis à l'index : Comm. com. électr. avr. 2016, no 4, comm. 33.
.
– Actifs numériques. – Au-delà des services, le numérique a également créé des actifs dont le régime juridique est exhaustivement étudié par la deuxième commission
V. infra, nos
et s.
. Sans entrer dans les détails, la nature même de ces actifs impose que la plupart des opérations qui leur sont liées se fassent par le biais d'actions numériques. Le caractère immatériel de ces actifs ne doit pas forcément avoir d'incidence sur la qualification des opérations qui y sont attachées.
Selon l'objet numérique en question, ou bien l'opération qui lui est appliquée est faite en la forme numérique parce que l'objet est numérique, et alors la qualification de l'opération peut suivre celle qui aurait été la sienne si elle avait porté sur des actifs d'une autre nature (par ex., l'achat en ligne d'un fichier musical).
Ou bien l'opération appliquée est elle-même intrinsèquement numérique car son pendant physique est inexistant et elle fait l'objet d'une qualification sui generis (par ex., contrat de minage de cryptomonnaie) à moins qu'une qualification existante puisse lui être appliquée en vertu d'un raisonnement a pari voire a fortiori.