La responsabilité des acteurs de la construction en BIM

La responsabilité des acteurs de la construction en BIM

En phase de conception/construction et jusqu'à la livraison, la responsabilité contractuelle de droit commun permet au maître d'ouvrage d'actionner la maîtrise d'œuvre ou les entreprises dès lors qu'il subit un préjudice. L'emploi du BIM pourra durant cette phase être source de responsabilité en cas de mauvais usage de la maquette par rapport aux contrats BIM (cahier des charges, conventions BIM), de retard de livraison ou encore d'erreurs dans la maquette, comme cela est déjà le cas pour les outils et livrables traditionnels du processus de construction. Sauf rédaction particulière, les architectes et conseils sont tenus à une obligation de moyens, là où les entreprises sont tenues à une obligation de résultat. Aussi le maître d'ouvrage pourrait poursuivre les entreprises sans faute, en cas de mauvaise exécution des contrats BIM, et devrait prouver une faute de l'architecte. Le BIM, dans la mesure où il présente des garanties de traçabilité des échanges, pourrait aider à caractériser facilement les fautes de l'architecte.
Post livraison, les garanties légales de construction couvriront les dommages à l'ouvrage et les malfaçons, sans que le BIM ne semble impacter la nature des garanties et les responsabilités. En tant que tel, le BIM est un outil qui ne peut pas être l'objet d'un vice de construction au sens du Code civil, et donc objet direct de la garantie décennale. Toutefois, le mauvais usage du BIM pourrait conduire à des non-conformités, malfaçons ou dommages concrets sur l'ouvrage, qui engageront à ce titre la responsabilité traditionnelle de leurs auteurs. Pour le moment, la base de données BIM ne constitue pas le référentiel contractuel des prestations qui demeurent exprimées dans des plans et notices littéraires annexés aux contrats (marchés, vente en l'état futur d'achèvement, contrat de promotion, etc.), et elle ne devrait pas à ce titre être source de défaut de conformité. Toutefois, il faut s'interroger sur la responsabilité associée à une publicité trompeuse de la maquette BIM qui ne se traduirait pas dans les documents contractuels signés. Le maître d'ouvrage devra être vigilant à ce sujet.
La responsabilité de droit commun pourrait également trouver à s'appliquer en cas d'erreur ou de dysfonctionnement de la maquette finale remise à la livraison, ou en cas de contre-performance objective du modèle par rapport aux prévisions de la conception, notamment pour défaut de conseil. L'enjeu est de déterminer s'il s'agirait dans ce cas d'une responsabilité sans faute sanctionnant une obligation de résultat ou une obligation de moyens nécessitant de démontrer une faute.
Du point de vue du maître d'ouvrage, l'effet des garanties légales et obligations contractuelles de résultat conduit à ce qu'un constructeur soit reconnu coupable pour l'intégralité du dommage. Le BIM ne semble pas impacter significativement la couverture des risques inhérents à la construction, et devrait en principe améliorer sa situation en ajoutant possiblement de nouvelles garanties et en optimisant le processus de construction, avec une meilleure traçabilité des échanges et des éventuelles fautes.
– Le BIM présente un enjeu de responsabilité fort pour les constructeurs. – En tant que nouveau support des échanges, impactant la séquence habituelle de la construction, le BIM peut être source de nouvelles responsabilités pour les constructeurs dont ils ne mesureront pas toujours la portée V. X. Pican, président du Plan transition numérique dans le bâtiment, mission « Droit du numérique et bâtiment » : « La principale inquiétude du groupe de travail a été celle de la répartition de la responsabilité entre les contributeurs de la maquette. Le BIM est un outil favorisant le gain d'efficacité et de temps, permettant en principe de limiter les retards et les erreurs. Cependant, le numérique n'empêche pas la reproduction et la systématisation des erreurs, au contraire ». . Les garanties légales ne sont pas directement impactées dans la mesure où elles concernent les dommages post-livraison sur l'ouvrage construit, sans lien direct avec le BIM et la maquette, même si une faute commise dans la procédure BIM peut induire une malfaçon véritable sur l'ouvrage. Le véritable enjeu du BIM en matière de responsabilité pour les constructeurs semble ainsi se reporter sur les responsabilités contractuelles et délictuelles ou quasi délictuelles, et subséquemment le jeu des assurances de responsabilité. Ces responsabilités ont vocation à être engagées en phase de conception-réalisation, réception et post-achèvement.
En phase de conception-réalisation de l'ouvrage, les intervenants à l'acte de construire seront liés au maître d'ouvrage par des contrats incluant des contrats BIM (cahier des charges, convention BIM, etc.), sanctionnés vis-à-vis de leur cocontractant par une action en responsabilité contractuelle. Ainsi, concernant le BIM, le non-respect des délais, le mauvais format des fichiers, les erreurs dans les livraisons de maquettes ou encore la défaillance pourraient fonder une action en responsabilité contractuelle du maître d'ouvrage dès lors qu'un dommage et un lien de causalité sont établis. Selon que l'on considère que l'obligation du constructeur est de résultat ou de moyens, ce qui pourra être précisé dans le contrat, le maître d'ouvrage devra démontrer, ou non, la faute de son cocontractant. Les constructeurs devront donc parfaitement maîtriser la portée des engagements qu'ils souscrivent au regard de la démarche BIM.
Il n'existe souvent pas de lien contractuel entre les constructeurs, qui peuvent quand même souffrir d'un préjudice lié à une mauvaise exécution par un autre acteur du projet, ou partager la responsabilité d'un dommage causé au maître d'ouvrage, leur permettant d'exercer entre eux des actions récursoires au titre de la responsabilité quasi délictuelle, qui nécessitent la démonstration d'une faute. Cela pourrait par exemple être le cas si une entreprise ne délivre pas sa maquette et que cela bloque l'ensemble du processus BIM, ou si de mauvaises données sont diffusées, pouvant causer une majoration de coût, des pénalités ou un retard d'une autre entreprise qui pourra l'actionner en responsabilité délictuelle. De ce point de vue, la démarche BIM semble être un enjeu fort de responsabilité entre les constructeurs entre eux, dès lors qu'ils ont vis-à-vis du maître d'ouvrage une forme de responsabilité collective. Les représentants des filières devraient ainsi se concerter pour convenir d'un socle de régime de responsabilité ou pratique de marché.
En phase de réception et post-réception, le régime de responsabilité de droit commun sera résiduel et ne trouvera à s'appliquer qu'à défaut d'application des garanties légales. Il a été établi que le BIM ne serait possiblement pas une source de garantie décennale/biennale, faute d'être relié à un dommage sur l'ouvrage au sens du Code civil. Comment seraient alors sanctionnés les erreurs ou le dysfonctionnement de la base BIM remise au maître d'ouvrage, et quel serait le délai du maître d'ouvrage pour agir ? Les enjeux de cette question ne seront pas les mêmes selon que le contrat prévoit ou non la remise d'un dossier des ouvrages exécutés en BIM. Actuellement la jurisprudence considère que le maître d'œuvre est tenu à une obligation de résultat au titre de l'élément de mission « Dossier des ouvrages exécutés (DOE) » CAA Paris, 15 déc. 2008, no 06PA00229, Yovan X. , qui sera porté par l'architecte en matière de commande publique, et pourra éventuellement être déporté sur un coordonnateur ou un prestataire spécialisé (comme un BIM Manager) hors commande publique. Il semble donc que le maître d'ouvrage pourra dans ce cas agir en responsabilité, sans faute, en vue d'obtenir le DOE en BIM complet et fonctionnel. Si la base BIM constitue un des livrables hors DOE, la responsabilité éventuelle des contributeurs dépendrait du contrat, et serait sans doute une responsabilité pour faute.
Concernant le délai d'action, s'agissant d'une prestation contractuelle contemporaine à la livraison/réception, la Cour de cassation a admis que la responsabilité de droit commun de l'entrepreneur et de l'architecte ne subsisterait concurremment avec la garantie de parfait achèvement que jusqu'à la fin de cette période de garantie et la levée des réserves Cass. 3e civ., 28 janv. 1998, no 96-13.460 : JurisData no 1998-000233 ; Bull. civ. 1998, III, no 19 ; JCP G 1998, I, 187, no 30, note G. Viney ; RD imm. 1998, p. 257, note Ph. Malinvaud. . En appliquant cette solution, le maître d'ouvrage ne pourrait plus agir en responsabilité au titre d'erreur ou de mauvais fonctionnement de la maquette au-delà de cette période. Il est donc primordial que le maître d'ouvrage attache une attention particulière à la conformité de la base BIM, éventuellement avec une mission spéciale pour un AMO BIM.
– La responsabilité des nouveaux acteurs du BIM. – La démarche BIM implique de nouveaux acteurs endossant un rôle de conseil, pour l'AMO BIM ; une mission de coordination de la construction de la base BIM, pour le BIM Manager ; et enfin des fonctions d'alimentation et de synthèse des contributions, pour le BIM modeleur et le BIM coordinateur. Ces deux derniers métiers, qui sont les seuls définis réglementairement à ce jour, sont intégrés dans les équipes en interne, cotraitance ou sous-traitance de la maîtrise d'œuvre ou des entreprises et sont donc sujets aux responsabilités classiques des métiers auxquels ils s'intègrent. S'agissant de l'AMO BIM, il s'agit d'un conseiller qui n'intervient pas dans la conception et la réalisation et ne constitue pas un constructeur au sens du Code civil, sujet uniquement de responsabilité contractuelle de droit commun. Le BIM Manager pose plus de difficulté de qualification et a très vite interrogé les praticiens quant à l'application des garanties légales V. not. J. Roussel, BIM, maquette numérique et assurance construction : RD imm. 2017, p. 515. .
  • à l'élaboration de la convention et son suivi ; [la préparation des conventions BIM] ;
  • à la consolidation de la maquette aux points d'étape ;
  • à la conversion des objectifs BIM du projet en usages BIM [passage de la charte BIM/cahier des charges BIM à la convention BIM] ;
  • au contrôle qualité du respect de la réalisation des cas d'usage.
Cette définition très large traduit plus la finalité de la mission que sa consistance. L'enjeu de la qualification du BIM Manager au regard des questions de responsabilité et d'assurance est de savoir s'il constitue un constructeur au sens de l'article 1792-1 du Code civil.
Le BIM Management n'est pas défini par des textes, et l'étendue des missions de BIM Manager est purement contractuelle et pourra varier d'un projet à l'autre. Selon Mediaconstruct France Définition par buildingSMART-MediaConstruct France dans le guide « Le BIM et la transformation numérique du secteur de la construction » (www.buildingsmartfrance-mediaconstruct.fr">Lien). , le BIM Management consiste :
– Les missions du BIM Management déterminent l'étendue de sa responsabilité. – Tout d'abord, si la mission de BIM Management est intégrée dans le marché des acteurs classiques de la maîtrise d'œuvre ou des entreprises et exercée par eux directement ou en sous-traitance L'article 1792-1, 1o du Code civil écarte implicitement les sous-traitants du domaine de la responsabilité spécifique des constructeurs et des assurances obligatoires – Cass. 3e civ., 10 janv. 2001, nos 99-11.374 et 99-13.897 : JurisData nos 2001-007715 et 2001-007717 ; Bull. civ. 2001, III, no 3 ; Resp. civ. et assur. 2001, comm. 85 ; RD imm. 2001, p. 166, note H. Périnet-Marquet. , il ne fait aucun doute qu'ils seront redevables des garanties légales des constructeurs dans l'exercice de la mission. L'enjeu concerne donc les acteurs du BIM Management exerçant au titre d'un contrat avec le maître d'ouvrage, en direct et seul dans un contrat séparé, ou en cotraitance avec les entreprises ou la maîtrise d'œuvre.
Le BIM Manager n'est pas architecte ou entrepreneur, mais pourrait être considéré comme un « technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage » au sens du Code civil. La Cour de cassation a déjà reconnu cette qualité à un coordinateur de travaux chargé, en cours de chantier, d'assurer la coordination temporelle et spatiale des actions des différents acteurs de la construction Cass. 3e civ., 26 mai 2010, no 08-19.925 : RD imm. 2010, p. 491, note F. de Béchillon-Boraud. , ou à un fabricant qui a donné des instructions techniques Cass. 3e civ., 28 févr. 2018, no 17-15.962 : JurisData no 2018-002741 ; Constr.-Urb. 2018, comm. 59, M.-L. Pagès-de Varenne. mais refuse cette qualité au contrôleur technique Cass. 3e civ., 22 mai 2012, no 11-11.945. , même s'il reste par ailleurs tenu à la garantie décennale au titre du Code de la construction et de l'habitation CCH, art. L. 111-24, al. 1er : « Le contrôleur technique est soumis, dans les limites de la mission à lui confiée par le maître de l'ouvrage à la présomption de responsabilité édictée par les articles 1792,1792-1 et 1792-2 du Code civil (…) ». .
Dans les contrats de BIM Management, il semble que la pratique courante soit d'écarter toute décision technique à la charge du BIM Manager, le rôle de ce dernier restant limité à la mise à disposition d'un savoir-faire informatique pour la conception de la base BIM (une sorte d'architecte de la maquette BIM), et au contrôle de l'alimentation de la maquette sous la responsabilité exclusive des constructeurs (sorte de bureau de contrôle des contributions), sans exercer aucune mission de synthèse ou de détection des conflits ou anomalies avec le chantier. Dans ce contexte, on pourrait raisonnablement penser que le rôle du BIM Manager est assez proche du contrôleur technique, avec pour rôle de contrôler formellement les contributions de la maquette sans se substituer au maître d'œuvre, aux entrepreneurs, ou autres techniciens intervenant sur le chantier, qui l'alimentent sous leur responsabilité, et donc non redevable des garanties légales.
D'autres contrats du BIM Management incluent des missions de synthèse et de détection des conflits, en proposant éventuellement des solutions pour les interférences identifiées. Dans ce cas, le BIM Manager est très proche des professionnels chargés des missions de synthèse qui sont sujets à la garantie décennale. La question est alors de savoir si sa mission est susceptible de générer un dommage de nature décennale. Le demandeur n'a pas à faire la preuve d'une faute du constructeur débiteur de la garantie décennale, mais doit en revanche établir l'imputabilité du dommage décennal aux travaux réalisés par le constructeur. Dans la mesure où le BIM Manager aura en principe un rôle très résiduel sur la conception et la réalisation des travaux, le lien entre le dommage et sa mission pourrait être délicat à établir. Il semble que le plus souvent, la responsabilité du BIM Manager devra être recherchée sur le fondement de la responsabilité contractuelle ou délictuelle, avec la démonstration d'une faute.
– La base BIM, un équipement soumis à la garantie de bon fonctionnement ? – Les objets connectés et la domotique prennent une place de plus en plus importante dans la gestion et l'exploitation des immeubles V. supra, nos et s. . Le juge a déjà eu l'occasion de reconnaître que la défaillance du système de domotique pouvait constituer un désordre soumis à la garantie de bon fonctionnement prévue à l'article 1792-3 du Code civil, en écartant la garantie décennale Cass. 3e civ., 26 févr. 2003, SMABTP c/ Assoc. Aful Foncière Urbaine Libre Îlot 2.1 Zac Front de Seine : JurisData no 2003-017909. .
La base BIM exploitation, dès lors qu'elle sert de support à la gestion de l'immeuble, pourrait-elle constituer un équipement de l'immeuble ? À ce jour, aucune décision de jurisprudence n'a reconnu la qualification d'équipement dissociable à un objet entièrement numérique et immatériel. Mais concrètement, un maître d'ouvrage qui perdrait toute sa base BIM et ne pourrait plus gérer les énergies et l'entretien de l'immeuble se trouverait dans une situation assez proche d'une défaillance physique des équipements en eux-mêmes. La maquette BIM pourrait devenir le support des techniciens devant intervenir sur l'immeuble en phase d'exploitation, et devra donc refléter à tout moment une vision exacte de l'immeuble existant, ou encore pourrait être l'outil privilégié des techniciens lors d'audits techniques de l'immeuble, à l'occasion d'une acquisition par exemple V. M. Pastier-Mollet et J. Guinot-Déléry, Le BIM : contrats et responsabilité : Act. prat. ing. immobilière avr. 2018, no 2, 2. .
Dès lors que le numérique deviendra un outil obligatoire, notamment pour les bâtiments tertiaires avec l'obligation de réduction des consommations et de gestion numérique de l'énergie V. infra, no . , ne faut-il pas admettre qu'une base de données puisse devenir un équipement à part entière de l'immeuble, sujet à la garantie de bon fonctionnement ? Il semble que la question mérite d'être posée.